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© Jazz Hot n°671, printemps 2015
Cyrus Chestnut Trio L'Astrada, Marciac (32), 15 avril 2015
Cyrus
Chestnut n’est plus à présenter aux lecteurs de Jazz
Hot. Il nous est venu avec deux
remplaçants : le Danois, Mads Vinding à la place de Jesper
Lundgaard (b) et Jonathan Blake au lieu de Greg Hutchinson (dm). La
soirée (courte) fut lancée avec un bon « No Problem »
de Duke Jordan. Un problème, il y en a toutefois un en jazz, car le
public était on ne peut plus réduit dans cette salle de 500 places.
Le trio a poursuivi avec « Darn That Dream » et un solide
« Bags’ Groove ». Chestnut, virtuose, inspiré et
souvent habité par le swing nous a ensuite fait découvrir des
choses moins standard, « Hello » (rien que pour nous,
a-t-il dit) et un extrait de ses African
Reflections que le Sénégal lui a
inspiré (introduction de batterie avant l’entrée du pianiste qui
resitue l’expression dans le swing américain, loin des concepts
rythmiques de ses "très très" lointains ancêtres).
Cyrus Chestnut, si bien assisté de Vinding et Blake, se lance enfin
dans une forte évocation d’Erroll Garner qui déclenche
l’enthousiasme de rares privilégiés de cette soirée. Le trio a
donné un bis qui mit en vedette, Jonathan Blake (« Caravan »). Sur
l’insistance de la salle, Cyrus Chestnut est revenu pour jouer un medley (dont un beau « Memories of You ») en piano solo. Les
absents pourront (si, ils le souhaitent) se rattraper au cours du
prochain festival Jazz in Marciac où
Cyrus Chestnut est programmé le 1er
août avec Charnett Moffett et Jeff Watts, dans cette même salle. A
bon entendeur...
Michel Laplace
Leslie Lewis Quartet Cazaudehore, St-Germain-en-Laye (78), 6 février 2015
Nous voici de retour au
Cazaudehore en cette froide soirée de février. Au-delà de
l’accueil chaleureux de Philippe, le maître des lieux, et de son
équipe, c’est pour la voix chaude de Leslie Lewis que de nombreux
convives ont bravés les températures glaciales. On retrouve les
habitués des soirées jazz du Relais-Château, dont certains qui
avouent, l’air mi réjoui, mi gêné, qu’ils ne connaissent pas
la chanteuse américaine, fraîchement installée à Paris. Car peu
leur importe, pour eux : ils font confiance à la sélection pointue
de Philippe. Après un excellent dîner, c’est un petit bout de
femme discret et souriant qui débarque sur scène, avec ses
musiciens : Yves Nahou (dm), Philippe Petit (org) et enfin le
sémillant Jeff Hoffman (g). Alors que Lewis (voc) entonne les
premières notes de « Lullaby of Birdland », le contraste
de sa voix chaude et profonde saisit : on ferme les yeux, et on se
laisse emporter. Sa voix et son style classiquement jazz semble avoir
dicté son répertoire : langoureux « Like Someone in Love »,
sensuel « Chega de Sausade », et même un nostalgique
Yves Montand revisité. L’excellent Jeff Hoffman prend le temps
d’un morceau la place de la chanteuse, qui, rieuse, le regarde
susurrer Antonio Carlos Jobim l’air exalté. Nous avons droit à un
« Misty » arrangé par Philippe Petit lui-même, ainsi
qu’un « Giorgia on my mind » qui met en lumière le
smooth d’Yves Nahou. Ray encore, avec un « I’m Gonna Move to the
Outskirts of Town » épuré ; Dinah, Ella, Sarah, Billie :
Leslie Lewis s’inscrit clairement dans cet héritage des grandes
chanteuses jazz, swing blues. La technique est rodée, mais cela
manque un peu de chair. Bravo quand même !
Opale Crivello photos : Georges Herpe
Coolin Irish Pub Paris, 1er février 2015
Le 1er
février, au Coolin, Paddy Sherlock (tb, voc) s’était adjoint
une sidewoman qui fit autrefois ses débuts dans ce même pub :
Aurore Voiqué (vln, voc). On a d’ailleurs peu l’occasion
d’entendre Aurore en dehors des formations qu’elle mène. Avec
une complicité évidente, les deux instrumentistes-vocalistes, qui
partagent un même goût pour le show, ont entrepris en duo « Honey
Suckle Rose » ou encore « Bei mis bist du schoen »
(en anglais) pour le plus grand plaisir du public et des danseurs.
Aurore, très à l’aise dans la langue de Shakespeare, se révèle
chanteuse avec de plus en plus de conviction. Bien soutenu par Thomas
Ohresser (g), Sébastien Girardot (b), Philippe Radin (dm) et
Jean-Philippe Naeder (perc), Paddy a également donné de la voix sur
ses "tubes" maison, l’excellent « Swing Your Blues
Away » et une jolie balade, « Manon Jolie », écrite il y a
quelques années pour sa fille. On notera enfin l’intervention d’un
jeune clarinettiste plein de promesses : Hugo Proy Oulianov.
Jérôme Partage photo : Patrick Martineau, by courtesy
January in Brussels River Jazz Festival, Brussels Jazz Festival Flagey, Jazz Station, Flagey
Alors qu’une plateforme
commune s’ébauche à Bruxelles pour une promotion efficace de
tous, 2015 démarre sur les chapeaux de roues avec deux festivals en
janvier : l’un à Flagey, l’autre en trois lieux :
l’Espace Senghor, le Théâtre Marni et la Jazz Station, obligeant
des choix douloureux pour votre équipe locale, réduite au
minimum…mais non moins stricte !
Le 10 janvier, la Jazz
Station avait eu l’heureuse idée d’inviter l’accordéoniste
Tuur Florizone avec son projet « Turbo Time » : un
groupe à l’instrumentation particulière qui compte en ses rangs :
trois percussionnistes, un contrebassiste et un
flutiste-saxophoniste. Après la grande première en jazz de Dani
Klein (ex Vaya Con Dios) avec Sal La Rocca (b), la veille, au Marni,
le deuxième concert au programme du River Jazz était aussi sold
out depuis plusieurs jours. Faut dire qu’en une dizaine
d’années, Tuur Florizone a séduit un public très large par une
créativité kaléidoscopique biberonnée au Brésil et sevrée au
jazz ! Sur ses compositions d’une écriture enjouée, il
développe des structures méticuleuses mais non rigides ; il
fait appel à des rythmes peu usités qui voyagent du tango aux
haïdouks avec le swing en commun dénominateur. « Kraft »,
« Miss Séverine », « But Buy Bond Boat »,
« New Hit », « Positif », « Qu’est-ce
qu’il y a ? » … On aurait pu parler de world music
à propos de la musique de Tuur, mais ce terme réducteur serait une
négation du feeling jazz qui transpire des plis de son piano à
bretelles. La diversité et l’originalité surprennent encore
lorsqu’il invite ses acolytes à signer quelques chorus : aux
cuillères pour Stephan Pougin, au likembe et à la salière
pour Osvaldo Hernandez, à la flûte pour Philippe Laloy. On apprécie
les échanges complémentaires entre les drums d’Etienne Plumer,
les woodblocks et le triangle de Stephan Pougin. Vincent
Noiret est d’une justesse absolue à la contrebasse ; Philipe
Laloy, en rééducation des mains après un accident, séduit à la
flûte basse mieux qu’au soprano et bien mieux qu’au ténor. Tuur
Florizone, avec ses projets, son accordéon, son écriture et ses
arrangements n’ont pas fini de surprendre les amateurs éclectiques
du jazz et d’ailleurs … et c’est tant mieux !
Accoler soliste de jazz et
ensemble de cordes a toujours été un challenge pour les
musiciens de notre planète. Charlie Parker l’avait tenté et
réussi ; chez nous, « Steve Houben and Strings »
(Igloo 121), enregistré en 1983, reste une œuvre essentielle de
notre histoire. Nombreux sont les producteurs qui ont imaginé marier
les mélodies romantiques de Philip Catherine avec un orchestre de
chambre. Il a sans doute fallu insister pour qu’il le fasse
puisqu’il déclarait récemment à un confrère néerlandophone
qu’il n’aime pas trop ce genre d’exercice qui bride le swing et
la créativité instantanée : des richesses essentielles en
jazz. Et pourtant il le fit, le 13 janvier au Studio 4 de Flagey !
On peut imaginer qu’il a voulu par là récompenser le travail des
arrangeurs talentueux que sont : Philippe Decock, Stéphane
Collin, Jean-Claude Petit, Martin Valcke, Bob Porter, Nicola Andrioli
et l’incontournable Michel Herr. L’Orchestre Royal de Chambre de
Wallonie, dirigé par Frank Bradley, avait accepté la gageure. Outre
ses fidèles accompagnateurs : Hans van Oosterhout (dm),
Philippe Aerts (b) et Nicola Andrioli (p), Philip s’était adjoint
l’accompagnement métronomique et la fraîcheur imaginative de
Nicolas Fiszman (g, eb) : un musicien qu’il avait nourri en
son sein (en 1982, sa composition « Petit Nicolas » lui
était dédiée – LP WEA K 58450). Respect pour l’entreprise,
mais, dire que la machine tourna au quart de tour serait quelque peu
cacher la réalité. Les cordes flottaient dans les deux premiers
thèmes (« Toscane ») jusqu’au final sur « December
26th ». Philip était un peu tendu – un peu nerveux,
reconnut-il. Progressivement les choses se mirent en place pour
culminer avec « Transparence » arrangé par Michel Herr.
Suivirent : « Philip à Paris » (arr. Jean-Claude
Petit), un inédit : « Joly 2/5 » (arr. Martin
Valcke), « Global Warming » et l’« Eternel
Désir » (arr. M. Herr), « Lost Land », un beau
solo de Nicolas Fizman sur « Vertuous Woman » (arr. N.
Andrioli), un « Pendulum » énergique en hommage à Bob
Porter (†), « Béa » (arr. Philippe Decock), puis :
« No Burnes » (arr. Stéphane Collin). « Béanim »
surprit ensuite avec les cordes jouant la mélodie à l’unisson,
accompagnées rythmiquement par Philip sur un tempo d’enfer. Et la
musique culmine lorsqu’après seize compositions et seize
arrangements, Nicolas Fiszman, Philip Catherine, le quartet et l’ORCW
explosent en final sur « Janet ». Salle bondée, pari
réussi, ovation debout !
D’ordinaire, le jeudi
n’est pas soir de concert à la Jazz Station. River Jazz Festival
oblige, Yannick, Pierre et Kostia avaient eu la lumineuse idée de
proposer, le 15, une carte blanche à Philippe Aerts (b).
L’occasion était trop belle pour ne pas aller écouter en leader
un sideman qui s’est fait indispensable depuis plus de trente ans
derrière les meilleurs solistes belges (Michel Herr, Steve Houben,
Philip Catherine…) et internationaux (Joe Henderson,Steve Grossman,
Toshiko Akyoshi, Richard Galliano…). A John Ruocco (ts, cl),
Philippe avait confié la voix de son trio en 1994 (« « Cat
Walk », Igloo IGL 116) et celle de son quartet, en 2002 (« Back
to The Old World », Igloo 162). Sa présence sur la scène
de la Jazz Station ne faisait aucun doute ce soir-là. Par contre,
pas de Tony Levin aux drums (Ϯ 2011), mais un suprême honneur sera
fait au jeune Antoine Pierre (dm) qui débute une belle carrière à
New York. En prime, John joue « Hotel Seventeen »
au ténor, puis : « Giant Steps » à la clarinette
et une belle ballade de Billy Strayhorn : « Blood Count »
accompagnée en accords et tempo par Philippe Aerts. Pendant « Keep
Hope Alive » (beau solo d’Antoine Pierre), en fin de première
partie, Ruocco connaitra de gros problèmes de clés sur le ténor.
Malgré ses efforts pour les débloquer, il devra se contenter de
poursuivre le deuxième set à la clarinette. L’assurance de
Philippe Aerts est toujours un régal pour l’auditeur qui perçoit
distinctement ses lignes, pizzicato, à l’archet et en accords
grattés des quatre doigts. On est estomaqué par la justesse
de ses notes. Sans avoir l’air d’y toucher, ses phrases
témoignent d’une grande originalité alors que, par la posture
calme du créateur, elles pourraient laisser croire qu’elles ont
été préparées. Mais non, elles sont spontanées, en adéquation
avec celles du clarinettiste. « Segment » de
Parker, « Forward » de Philippe Aerts, puis
« Chelsea Bridge » de Strayhorn ; quelques 4/4
enlevés avec la rage d’un soliste contrarié (Ruocco), puis :
« Just One of Those Things » avec, en invité : Jean-Paul
Estiévenart (tp). « Recordame » de Joe Henderson, en
rappel et en trio, clôturera ce très beau concert sous les
applaudissements nourris de l’assistance (nombreuse).
En 1990, Enrico Pieranunzi
(p, comp) et Bert Joris (tp, flh, comp, arr) s’étaient rencontrés
en Suisse où ils enseignaient. Ensemble ils avaient enregistré
« Don’t Forget The Poet » pour Challenge Records (CHR
70065, 1999). Cette rencontre avait donné l’idée à Frank Vaganée
(as,fl), de faire arranger par Bert, pour le BJO, les belles mélodies
d’Enrico. C’est avec beaucoup de respect l’un pour l’autre
que l’Italien et l’Anversois donnèrent une suite favorable à
cette demande. Les 22 et 23 août 2014, les premiers concerts furent
enregistrés live au De Werf de Bruges. L’album, publié au
début du mois de janvier (W.E.R.F. 125), trouvait donc son
prolongement logique au Brussels Jazz Festival de Flagey, le mercredi
21. Le concert débuta, comme le CD, par « Persona » et
« Within The House of Night » confirmant, dès
l’ouverture, le feeling rome-antique du compositeur et la
science des marées de l’arrangeur. Outre les très beaux
solos d’Enrico Pieranunzi (p) et de Bert Joris (tp et flh), nous
avons noté celui de Laurent Hendrick (tb) et l’attaque snappée
de Jos Machtel (b) sur « With My Heart In a Song » ;
le travail de Bo Van Der Werf (bs) fut remarquable en solo
polyphonique sur « It Speaks For Itself ». Après la
valse lente « Distance For Departure », « Newsbreak »,
en fin de concert, s’engouffra avec audace dans les horizons
contemporains et les atonalités. En rappel, « Terra Nativa »
vint nous remémorer les qualités d’improvisateur de Frank
Vaganée, avant, en final et en avant-scène : des unissons
joués (de concert) par Pierre Drevet (tp), Laurent Hendrick (tb) et
Frank Vaganée (as). De la haute-couture, avec festons falbalas et
dentelles (de Bruges) !
Nous avons commencé
notre premier reportage de l’année avec le piano à bretelles de
Tuur Florizoone. C’est par l’accordéon à boutons de Richard
Galliano que nous allons terminer le mois de janvier. Les
organisateurs de festivals aiment les rencontres. Elles sont
intéressantes et parfois géniales quand elles sont fortuites.
« Mare Nostrum » de Galliano/Fresu/Lundgren n’est pas
tout à fait une surprise puisque l’album éponyme remonte déjà à
l’an 2007. Une antiquité ! Un renouveau aussi puisque sort
bientôt un « Mare Nostrum II ». Beaucoup d’eaux se
sont écoulées de la Baltique dans la Méditerranée mais si le
cochon de lait sarde se marie assez bien à la salade niçoise, il
n’en va pas de même lorsqu’on agrémente le plat avec des filets
de harengs, fussent-ils à la crème ! Mais j’en ai déjà
trop dit ! Nous aimons les sonorités naturelles ou synthétisées
de Paolo Fresu (tp, flh) (« Principessa », « Ska »,
« Valzer del Ritorno »), les valses musette de
Richard Galliano (« Chat Pitre », « Giselle »)
et ses incursions latines chez Vinicius de Morales (« Para
Jobim »). Nous apprécions la fluidité des phrases de Jan
Lundgren (p) (« Blue Silence »), mais la densité de son
discours altérait l’harmonie de ses camarades. Alors que Fresu se
montrait extrêmement discret nappant de résonances les envolées de
Galliano, Lundgren s’obstinait à oublier les silences qui
laissent l’imagination au pouvoir. Vraiment dommage pour une
rencontre peu fusionnelle, exception faite de « Liberty Waltz »
construit sur des échanges en duo et des citations de « Bluesette »
en hommage à Toots Thielemans ! En rappel, Paolo Fresu proposa
une œuvre de Monteverdi enchaînée avec Charles Trenet (« Que
reste-t-il de nos amours »). Pas de panique en fin de mois !
Allons réécouter Jan Lundgren en solo ou en trio
piano-basse-batterie et Paolo Fresu avec ses démons de « Diavolo ».
En bonus, je vous laisse imaginer (comme moi) ce que pourrait donner
un trio pianoless qui rassemblerait Paolo Fresu (flh,tp),
Richard Galliano (acc, band) et… Philippe Aerts : à la
contrebasse ! Bon Anniversaire, amis jazzhoteux ! Jean-Marie Hacquier photos : Pierre Hembise
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