Solidarité avec Charlie Hebdo
S’il manquait encore un signe de l’affaiblissement démocratique dans notre pays, l’attentat contre Charlie Hebdo est venu l’apporter.
Le 11 septembre 2001 était l’atteinte à des symboles de ce qui faisait la puissance américaine (le World Trade Center, le Pentagone et la Maison Blanche) ; le 7 janvier 2015 est l’atteinte à ce qui fait le rayonnement de la France depuis 1789, sa vraie et seule puissance : le verbe, les idées, la tolérance, la laïcité, la liberté d’expression, l’égalité, l’humour, la gouaille, l’irrespect des pouvoirs, la fraternité des hommes, la transgression, l’imagination et d’autres qualités.
Que Charlie Hebdo continue sur la voie tracée par les victimes de cet acte de barbarie, ce qu’on souhaite car c’est le dernier organe de presse de gauche (la vraie) d’importance, ne changera pas le fait qu’aujourd’hui la France s’enfonce brutalement dans une société privée de liberté.
Cela ne touchera pas les pouvoirs de ce monde, le nôtre aussi, qui, eux, vont continuer à se rencontrer et s’entendre, y compris avec les commanditaires de cet attentat, comme si rien ne s’était passé, et ils ne feront rien car ils ne veulent rien faire ; et, bientôt, nous ne pourrons plus rien faire.
Le 7 Janvier passera alors au stade des commémorations, comme le 11 Septembre. On pleure déjà et maintenant sur les victimes, sur le symbole que représente Charlie Hebdo. On n’a pas envie de pleurer sur commande, une commande venant justement de ces pouvoirs qui montrent leur impéritie dans cette circonstance, comme sur la plupart des autres sujets de la vie et qui ont fait le lit de cette intolérance violente, y compris dans leurs choix politiques et sociaux.
Depuis plus de quarante ans, la faiblesse, la complaisance des dirigeants envers une idéologie racialiste et violente, dans toutes les parties du monde et en France en particulier, fondée sur une idéologie religieuse qui n’a toujours pas opéré la séparation entre le politique et le spirituel, qui n’a pas amendé ses textes sacrés violents, et qui n’en a pas l’intention, quels que soient les pays et les discours car les textes restent inchangés, cette faiblesse et cette complaisance, pour des raisons d’intérêts économiques aux allures de corruption, conduit directement à cette horreur.
Elle ouvre aussi la voie à toutes les idéologies non démocratiques, qui puisent dans le racisme et les pouvoirs forts leur venin et leur raison d’être. Car les intégrismes de tous bords, les nazismes plus ou moins religieux selon les traditions géographiques, les absolutismes, sont très solidaires pour mettre à bas l’embryon démocratique qui a tant de mal à survivre depuis deux siècles dans les quelques pays où il s’est implanté, et qui n’a prospéré que par la volonté du peuple, y compris dans la violence qu’on lui imposait parfois. Aujourd’hui, le peuple est désarmé. Y compris par la gauche.
Il fut un temps pas si lointain où la gauche, l’extrême-gauche, en France, étaient capables de répondre à la violence des nazis ou apprentis nazis, des intégristes de toutes catégories. Depuis que les nouveaux nazis se parent de la toge religieuse islamique, ces gauches semblent désarmées, apeurées par l’idée de se faire traiter de racistes, en luttant justement contre ceux qui le sont. Etrange paradoxe dont on a du mal à trouver la genèse et à sortir. Les gauches ont certainement oublié qu’en luttant contre l’obscurantisme sous toutes ses formes, leurs aïeux ont eu à lutter et à se battre contre l’obscurantisme religieux quand celui-ci détenait les clés du pouvoir. C’est bien cette lutte en France qui a fait le socle de la laïcité, et plus intuitivement celui de la Révolution française avant ça.
Charlie Hebdo était le dernier représentant, très isolé, en France de cette tradition, et si le discours passait souvent par des caricatures (il y avait aussi d'excellents textes), il n’en était pas moins profond et fruit d’une tradition de pensée à la française.
Aujourd’hui, on a tué la liberté en France, car notre société n’est pas solidaire, entre un pouvoir enchaîné à l’oligarchie mondiale, et une population affaiblie et marginalisée en masse, et n’est pas en capacité de réagir à cet acte de manière solidaire, puissante et volontaire, en fondant une action sur des principes, ceux de la laïcité, depuis 40 ans bafoués par tous les politiques de toutes tendances et dans tous les secteurs de la vie.
Les dérives racistes et xénophobes sont plus probables et à craindre.
Les politiques verseront des larmes de crocodile sur Charlie Hebdo ; la population est désarmée au sens le plus large du mot. La gauche, après moult trahisons des principes de gauche depuis plus de 30 ans, n’existe plus. Contre le nazisme – ces attentats relèvent de cette idéologie, comme ce qui se passe en Syrie, en Irak, en Afghanistan et partout où il est aisé de constater les dégâts de cette idéologie à fondement religieux – il ne peut y avoir qu’une réaction violente, à l’échelle locale, régionale et internationale, dont nous sommes collectivement et humainement incapables. La non violence n’a pas arrêté le nazisme, quand il était le plus faible avant de devenir le plus fort, et qui a utilisé les mêmes méthodes et principes que ceux du 7 janvier 2015, drapés aujourd'hui dans l’islam. C’est une leçon de l’histoire pas si éloignée qu’on ne puisse s’en souvenir, et pourtant cela se reproduit. Les Français ont, paraît-il, la mémoire courte, comme la plupart des peuples. Les politiques ont eux la mémoire perverse.
On lit à cette heure que Charb, Cabu, Tignous, Honoré et Wolinski seraient parmi les victimes. Il n’y a pas de hiérarchie dans la mort, mais ceux-là nous étaient chers, Cabu en particulier par son attachement au jazz qu’il avait magnifié avec un talent incroyable.
Aujourd’hui, 7 janvier 2015 à 15h, il n’y a plus rien…
Yves Sportis
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