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Quelques nouvelles du Monde

Jazz Hot n°667

Ce mois-ci, retour sur une actualité qui pour ne pas être jazz n'en est pas moins hot. Et cela, comme d'habitude à cette place, parce qu'il est très fatiguant de ne plus avoir sous les yeux ou sur les ondes d'alternative de pensée, dans une situation dangereuse pour la paix et la liberté des expressions, y compris artistique. Il est aussi très déplaisant d'entendre des politiques ou des journalistes parler sans aucun scrupule de tout en notre place et notre nom (« la France », « les Français »…), pour dire des aberrations par bêtise ou par corruption.
L'ex-monde démocratique, le camp occidental aujourd'hui (Europe-Etats-Unis) joue les apprentis sorciers en Ukraine, en réveillant
les vieux démons des guerres religieuses ancestrales entre christianisme d'orient et d'occident (comme il l'a déjà fait lors des pseudo-révolutions arabes en favorisant l'intégrisme religieux) – ici, sous l'impulsion des prétentions revanchardes d'une Allemagne dominant l'Europe (même processus que dans les Balkans dans les années 1990), du suivisme servile d'une France politiquement sans repères, à la dérive, et des fantômes américains d'une guerre froide, toutes choses toujours utiles aux lobbies militaro-industriels en ces temps de crise (mais pas pour le marché des armes).

Il n'échappe à personne, malgré le caractère unilatéral des informations médiatiques et des
discours politiques en occident, que l'intérêt du coup d'état ukrainien contre un pouvoir élu, faut-il le rappeler, et pas moins ni plus corrompu que ses opposants (c'est une tradition ancienne), aujourd'hui dirigeants non élus de l'Ukraine, ni que les dirigeants européens dans leur ensemble, il n'échappe à personne donc que le renversement du régime légal a été le fait de la conjonction de l'aspiration consumériste, sur le modèle européen, d'une partie de la population (on confond aspiration démocratique et aspiration à la consommation), d'un nationalisme nazifiant, jamais très loin en Ukraine, et de la politique de conquête d'une Europe de plus en plus déséquilibrée au profit d'une puissance qui n'a pas renoncé à ses prétentions hégémoniques sur l'Europe continentale, depuis deux siècles bientôt, avec tout ce que ce background suppose de gènes totalitaires, à l'œuvre d'ailleurs dans une politique économique sans alternative, malgré la perversité de la propagande pour culpabiliser les populations (l'infantilisation est un élément de la culture totalitaire).

Que le monde qui utilise encore l'étiquette "démocratique" en soit revenu à ces aberrations, 70 ans seulement après la fin du cauchemar allemand du XXe siècle, permet de mesurer avec exactitude la durée de la mémoire collective. Similaire à l'espérance de vie humaine, c'est humainement logique mais triste car l'homme est doué de mémoire artificielle, les livres qu'aiment tant brûler les pensées totalitaires. La virtualité si éphémère et volatile de notre époque leur convient donc parfaitement.

Evidemment, Vladimir Poutine, reconditionné en nouvel Alexandre Nevski, en profite pour se refaire une vraie virginité ; vraie parce que dans l'affaire ukrainienne, comme dans celle de Crimée, il est, lui, dans le bon droit international tel que défini par l'ONU après la dernière guerre : la défense d'un pouvoir démocratiquement élu contre une ingérence venue de l'étranger, et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, n'en déplaise à tous les discours qu'on peut lire dans notre pays niant les évidences.

Ce qui est désolant au fond, c'est que les nations de culture démocratique, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, contribuent aujourd'hui à réveiller le cauchemar allemand sous toutes ses formes, politiques, économiques, sociales pour des raisons diverses, sans avoir le simple réflexe de revisiter l'histoire, nuisant aussi à la vie d'une pensée démocratique en Allemagne même. Là réside sans doute la principale corruption, celle de la pensée politique et donc de l'action politique.

Voilà, c'est un point de vue, sans doute différent de celui que vous avez lu ou entendu sur cette crise. Sans aucune sympathie par ailleurs pour le modèle russe, despotique malgré les élections, également fruit de l'histoire russe.

Et si l'on fait l'effort de réfléchir à l'impasse (pour les populations) de la politique sociale, économique actuelle, en Europe en particulier, on arrive aux mêmes conclusions : le paradoxe des sociétés européennes et américaines du jour est de se prétendre démocratiques quand il n'existe plus d'alternative économique, sociale et de pensée, pas d'alternative politique, car le pouvoir est confisqué, donc pas de démocratie.

Quand les hommes politiques en arrivent à un tel niveau de corruption (car on ne peut pas imaginer qu'ils soient tous idiots) et qu'ils détruisent toute intelligence et imagination en empêchant toute alternative de pensée, politique, on peut parler d'une vraie grande crise. Elle n'est pas simplement économique, mais morale, idéologique, globale. Et de ce terreau corrompu ne peut naître que l'impensable, le monstre, comme l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933. Il est bon de rappeler dans l'atmosphère d'amnésie générale que ce n'est pas les urnes qui ont produit le cauchemar – le parti nazi n'a jamais gagné les élections en Allemagne – mais la corruption des partis traditionnels qui lui ont confié le pouvoir pour masquer leur corruption et leur impéritie.
Yves Sportis

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