Err

Bandeau-pdf-web.jpg


Bobby Watson

Kansas City Barbecue Suite

© Jazz Hot n°664, été 2013




Bobby Watson at Pizza Express, London, 28-7-12 © David Sinclair


Bobby Watson est né le 23 août 1953 à Lawrence dans l'Etat du Kansas. Après des é
tudes primaires et secondaires dans ce même état, il suit les cours de l'université de Miami en même temps que Pat Metheny et Jaco Pastorius et obtient son diplôme en 1975. Ne choisissant ni le free jazz ni la fusion qui triomphent alors, il opte pour le courant principal du jazz en intégrant les Jazz Messengers d'Art Blakey. Il appartient ainsi à cette génération qu'on pourrait presque appeler perdue des musiciens qui ont poursuivi la route ouverte par Louis Armstrong, Duke Ellington, Charlie Parker (dont il a adopté l'instrument) et Dizzy Gillespie. S'il possède un diplôme universitaire, il reconnaît devoir sa formation de musicien de jazz à Art Blakey qui lui a fait gagner de nombreuses années par son seul exemple et sa conception de la musique et de rapport au public. Il a témoigné tout spécialement de sa relation avec Art Blakey dans le Jazz Hot Spécial 2005 qui était consacré à l'œuvre du grand batteur.
A la tête d'une discographie impressionnante, en particulier pour le label italien Red Records, tant par la quantité que par la qualité, Bobby Watson a partagé son temps entre ses groupes, en particulier Horizon, le 29th Street Saxophone Quartet et les musiciens les plus prestigieux du jazz : Max Roach, Louis Hayes, George Coleman, Sam Rivers, Branford et Wynton Marsalis et toute une série de chanteurs : Joe Williams, Dianne Reeves, Lou Rawls, Betty Carter, Carmen Lundy… sans oublier bien sûr son Maître, Art Blakey.
L'âge venant, il est revenu à Kansas City où il occupe une position de chef du département jazz à l'Université du Missouri. Si ses prédécesseurs et lui-même se sont formés sur la scène, les conditions ayant totalement changé, il ne peut retransmettre son vécu de musicien qu'au travers de son enseignement, et en faisant vivre le grand orchestre de l'université où les étudiants peuvent acquérir cette expérience de la scène. Il assure ainsi sa sécurité financière personnelle, le devoir de transmission d'une musique qui ne s'apprend pas seulement dans les méthodes et les « fakebooks », mais d'abord dans la confrontation avec les autres musiciens et le public. Cette sécurité financière lui permet également de choisir ses contrats et de jouer par plaisir plus que par nécessité économique. A 60 ans cette année, Bobby Watson a toujours beaucoup de musique et d’enseignements à apporter.
Son dernier projet pour cet été 2013 est de présenter un spectacle intitulé « I Have a Dream » pour célébrer les 50 ans du fameux discours de Martin Luther King, en compagnie du poète Glenn North, de Hermon Mehari (tp), Richard Johnson (p), Curtis Lundy (b) et Eric Kennedy (dm).
Les spectateurs privilégiés des festivals de jazz de Foix, en Ariège, ou de Jazz au Fort Napoléon de la Seyne-sur-mer ont pu apprécier à l'été 2012 (cf. Jazz Hot n°661) la personnalité rayonnante de ce bel altiste, sa sonorité magnifique et sa générosité incroyable offrant une jam échevelée à Foix et un contact en toute simplicité avec le public : un Monsieur du jazz !


Propos recueillis par David Bouzaclou,
transcrits et traduits par Guy Reynard,
auteur de l’introduction et de la discographie
Crédit photo et légende, cliquer sur la photo


Jazz Hot : Quelle a été la place de la musique durant votre enfance au Kansas ?

Bobby Watson : La première fois où j'ai entendu de la musique, c'était à l'église. Mon grand-père en dirigeait une, et j'ai entendu ma tante y jouer. Mais je jouais déjà avant qu’elle y soit. Ma mère jouait du piano à l'église et mon père du saxophone. Ca a été mon premier contact à la musique. Ma mère jouait aussi du piano à la maison.

Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de devenir musicien professionnel et saxophoniste ?
J’aimais regarder jouer mon père à l'église, même s'il n'était pas un musicien professionnel. Il était pilote d'avion et instructeur. Il enseignait le pilotage. Mon père a été mon premier modèle. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé la musique. J'ai toujours voulu être musicien.

Sergio Veschi (Red Records) et Bobby Watson devant le monument dédié à Charlie Parker à Kansas City © Sergio Veschi by courtesyCannonball Adderley et Jackie McLean semblent avoir été parmi vos premières sources d’inspiration.
Après mon père, ce sont certainement les premiers à m’avoir inspiré. Je suis dans le jazz par la petite porte. Je vais essayer de vous donner une idée claire. J'écoutais du rhythm and blues à la radio, des musiciens comme King Curtis, Big Maceo, Junior Walker. J'ai grandi en les écoutant. Quand je suis allé au lycée, j'ai entendu Charlie Parker et, là, tout a changé pour le jeune clarinettiste que j’étais, qui jouait dans l'orchestre de l'école. C’est là que j'ai entendu Charlie Parker et que j'ai compris que d'autres musiciens avaient existé avant que je ne sois né. Des musiciens qui avaient le même désir que moi. J'ai compris que je devais devenir musicien de jazz. Je jouais de la clarinette, du piano, mais je ne savais rien des musiciens de jazz avant d'entendre Charlie Parker. A partir de là, j'ai étudié Cannonball Adderley qui a exercé une grande influence sur moi. Vous avez raison de citer Cannonball et Jackie McLean. J'ai eu la chance de les rencontrer. J'ai été très proche de Jackie McLean. Ils ont eu une grande influence sur moi et ils m’ont inspiré.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à revenir vivre à Kansas City, il y a quelques années ? Le jazz s’y porte-t-il bien aujourd’hui ?
Oh, la scène jazz est très bonne à Kansas City. Beaucoup jeunes musiciens suivent notre programme d'éducation au jazz. Les musiciens confirmés accueillent à bras ouverts les jeunes musiciens qui arrivent. Il y a des jam sessions presque tous les soirs un peu partout et beaucoup d’occasions de travailler dans la ville, dans différents contextes. Je suis revenu à Kansas City parce que le Kansas City Conservatory of Music and Dance m’a proposé de diriger son département de jazz. Aussi parce que mes parents devenaient âgés. Et mon épouse est de Kansas City. Voyager tout le temps commençait à me lasser. Je travaillais tous les jours mais n'avais aucune stabilité financière ni couverture maladie. Ce travail les procurait. Il me permet de faire ce que je fais aujourd’hui. Kansas City est une belle ville. Beaucoup ne le voient pas.

L’enseignement du jazz est-il important pour vous, qui êtes diplômé de l’Université de Miami ? Peut-on vraiment l’enseigner de manière universitaire ?
C'est une bonne question. Etudier est difficile. Ce n’est pas pour tout le monde. Quand j’étais étudiant, l'université vous apportait une discipline en matière d’organisation qui vous permettait d’aller au bout du cursus. Quand vous entrez dans la vraie vie, vous devez faire la même chose. Je pense que c'est ce que l’université vous appporte. Le savoir et les enseignants capables de vous le fournir ne manquent pas. Le reste dépend des étudiants. Ont-ils suffisamment d'imagination ? Ont-ils le désir de suivre cette voie et sont-ils prêts à s’engager ? Car ce n'est pas un chemin facile. C’est pourquoi il est bon que des musiciens comme moi viennent partager leur savoir. Certains étudiants pourront en tirer des leçons. Peut-être arriverais-je à en inspirer certains. Mais ce n'est pas pour tout le monde. Certains deviendront enseignants de jazz et j’espère que grâce à notre département ils seront de meilleurs enseignants. Certains partiront à New York, d’autres rentreront chez eux ou s’intalleront à Chicago, ou ailleurs. Ils suivront différents chemins. Le jazz dépend des individus.

Quel est votre rôle de directeur du département jazz à l’Université du Missouri-Kansas City ?
Je co-dirige le département jazz avec Dan Thomas. A nous deux, nous essayons de donner une ligne directrice. Nous faisons appel à des donateurs pour financer les bourses. Nous donnons la possibilité au big band de voyager. Nous sommes allés à Louisville, dans le Kentucky, pour la conférence annuelle de la Jazz Education Network. Nous y avons présenté notre orchestre, puis nous sommes partis dans l’Illinois, en Europe, à Marciac, à Paris, au North Sea Jazz Festival. Il y a deux ans, notre orchestre a été invité au Japon où nous avons fait un disque. Nous avons une idée précise de ce que nous apportons à nos étudiants.

Dans votre emploi du temps très chargé, parvenez-vous encore le temps à collaborer au programme « Jazz in America » du Thelonious Monk Institute ?
Oui, bien sûr. Une des choses magnifiques de ce travail, plutôt de cette position, est que je peux choisir les concerts que j'ai envie de faire. Je m’investis beaucoup dans le Thelonious Monk Institute. Nous faisons une tournée des écoles à travers le pays et leur présentons un spectacle d'une heure que nous appelons « informance », pour information et performance. Ça s’addresse à tous les étudiants, pas seulement aux étudiants de musique. Nous parlons du jazz et de son fonctionnement spécifique. On joue pour les étudiants et on adore ça.

Lorsqu’on parle à Wynton Marsalis, on pense à La Nouvelle-Orléans et, avec vous, à Kansas City. Vous êtes un peu le gardien du temple de cette ville. Je pense à vos activités au sein de « Jazz Across America » ou bien avec le 18th and Vine Big Band.
C'est vrai, je préserve les documents et l'histoire. Le jazz évolue constamment. J'ai reçu en héritage des musiciens plus âgés cette histoire et il est de ma responsabilité de la prolonger même si je n’en ai pas été le témoin direct et même si je joue ma propre musique. Cette histoire est en moi. Jouer avec mon big band est une façon de rassembler les meilleurs musiciens de Kansas City. Parfois quelques-uns de mes étudiants les plus difficiles jouent dans l'orchestre. Le programme « Jazz in America » du Thelonious Monk Institute est une voie. Je pense qu'il est important que les jeunes comprennent d'abord l'histoire du jazz de Kansas City puis la richesse de l'histoire du jazz en Amérique, pour les Noirs et les Blancs. Certains jeunes Noirs ignorent l’histoire et le rôle de leur peuple. Nous avons une responsabilité. C’est une question d’éducation. C'est notre mission.

Récemment, vous avez composé The Gate’s BBQ Suite. Cette œuvre reflète bien votre personnalité qui mêle le contemporain au traditionnel.
Oui, c'est vrai. Je l'ai enregistrée avec mes étudiants et j'en suis très fier. Je l'ai produite et réalisée moi-même car si j'essaie de la faire produire par une maison de disques, on va me dire : « Pourquoi ne pas prendre Jon Faddis, et celui-ci, et celui-là ? », pour finalement me dire non. Mes étudiants et moi avons travaillé à cette musique pendant deux ans. Elle leur appartient. Mon histoire avec cette musique est mon amour des barbecues. Mon grand-père avait un barbecue et j'ai grandi avec la cuisine au barbecue. Ca fait partie de mon histoire. J'ai moi-même un barbecue, mes frères aussi. C'est une tradition familiale. Cela faisait plusieurs années que je pensais à une Barbecue Suite. Plus j’avançais dans sa composition, plus j’écrivais sur mon identité. Je suis très fier de ce travail. Il a beaucoup de succès et les CDs continuent de se vendre. Il a une vie propre et a déjà été repris dans différentes villes. Je pense qu'il reflète profondément ma personnalité. C’est ce que j’ai essayé de faire. Je m'inscris dans la tradition du swing mais j'écoute toujours la musique d'aujourd'hui et j'apprécie la façon de jouer de certains jeunes musiciens.

Bobby Watson août 1987 au Jazz Middelheim d'Anvers©Jacky LepageDans les années 1970, vous vous êtes installé à New York. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque et de cette ville qui transpire le jazz ?
C'était une période euphorique. Je suis arrivé à New York le 24 août 1976. C'était un dimanche. J'habitais chez un ami. Je suis descendu immédiatement au Village, à Greenwich Village, et on m’a parlé des jam sessions. La première fois, j'ai rencontré Albert Dailey, Billy Hart, Rufus Reid, et ils m’ont invité à jouer avec eux. Dailey avait une jam session tous les dimanches dans un lieu qui s’appelait le Folk City. Et j’adorais cette énergie. Cette nuit-là, je suis allé au Village Gate, qui était au coin de la rue, et j'ai vu Rahsaan Roland Kirk. Quelle soirée! La nuit suivante, je parvenais à peine à dormir. J'étais plein de cette énergie et je ressentais toutes sortes de vibrations. J'y allais toutes les nuits et je rencontrais mes héros, George Adams puis Billy Higgins. Ils étaient très gentils avec moi et m'ont aidé. Il y avait Curtis Fuller, qui m'a fait rencontrer Art Blakey. C'était une époque formidable. Tous les musiciens venaient. Si vous pensez qu’il y a dix ans, c'était le bon temps, il fallait voir ça il y à vingt ans. Et c'est ce que je dis aux jeunes d'aujourd'hui. Horace Silver jouait toujours, Buddy Rich était vivant, comme Count Basie. Les jeunes avaient des occasions à saisir. C’était exaltant. Nous y allions tous. Il y a avait tant d’opportunités qui n’existent plus pour les jeunes musiciens d’aujourd’hui. Vous pouviez aller en Europe. Il y avait des festivals partout, des clubs à New York. Vous pouviez tourner un mois entier aux Etats-Unis. Deux semaines à San Francisco, une semaine à Chicago. C'était une période euphorique pour moi. Maintenant tout à changé. C’est très différent. Je n’avais jamais penser qu’un jour j’enseignerai dans un conservatoire. Il se passait alors tant de choses. Je n'avais pas le temps et je ne voulais pas enseigner. Tout était si bon. Et puis, ça a changé et j'ai vieilli…

J’imagine qu’avoir fait partie des Jazz Messengers reste un moment important de votre vie de musicien. Pouvez-vous revenir sur votre première rencontre avec Art Blakey et sur ce que représentait sa musique pour vous à l’époque ?
Jouer avec Art Blakey m'a fait gagner dix, voire treize ans, pour apprendre à présenter la musique. C’est ce que j’ai appris d’Art Blakey, tout comme la façon de me détendre et jouer, construire des solos, organiser un set, être professionnel, aimer les gens et embrasser l’univers. Art Blakey était un homme exceptionnel, une belle personne. Il adorait les jeunes. Il aimait la vie et les jeunes, jouer de la batterie et être sur scène. J'ai appris avec lui qu’un musicien de jazz ne peut être nulle part ailleurs que sur scène pour toucher les gens et ce, sans condescendance, pour les toucher avec son cœur, avec sincérité. Il était sincère et prenait du plaisir à jouer. Si le public voit que vous prenez du plaisir à jouer, il le sent et y contribue. Cela m'émeut de parler d'Art Blakey. J’ai rencontré des musiciens comme lui, Dizzy, Dexter. Le monde a besoin de ce genre de personne. (Très ému, Bobby Watson s’interrompt.)

Bobby Watson after hours JazzFoix 2012©Alain Dupuy-RaufastePeut-on parler d’apprentissage au sein des Jazz Messengers vu le nombre de musiciens qui sont devenus leaders après être passés chez Art Blakey ?
Art Blakey nous a appris que peu importe que vous soyez fatigué ou frustré, c'est votre vie privée. Vous venez sur scène pour faire de la musique. Quand j'ai rencontré Art Blakey c'était comme rencontrer mon âme sœur. J’ai été très proche d’Art Blakey. Je suis resté quatre ans et demi avec lui. Un jour, il m’a dit : « Bobby, ça fait quatre ans et demi que tu es avec moi. On a fait le tour du monde ensemble et tes cheveux commencent à grisonner. Je pense que tu es prêt à voler de tes propres ailes. Je veux ramener des jeunes dans le groupe. » Il s’investissait beaucoup auprès des jeunes. « Quand les musicos commencent à vieillir, je prends des jeunes. » Il ne voulait pas jouer avec des vieux. A propos d’Horizon, j’ai commencé avec Ed Simon et Terrell Stafford. Benny Green, Stephen Scott, Joey Calderazzo et Danilo Perez ont joué avec nous. C’était très important. J’ai compris que je devais ramener des jeunes.

Cedar Walton disait qu’Art Blakey encourageait les jeunes musiciens à composer. D’ailleurs beaucoup de vos thèmes ont été joués par les Messengers.
Tout à fait. Il encourageait tous les jeunes musiciens à écrire de la musique. J'étais dans les Messengers depuis trois semaines lorsque nous sommes entrés dans un studio d’enregistrement. Et il savait que j'écrivais de la musique. Il m'a regardé et a dit : « Qui a quelque chose ? », j’ai répondu : « Moi ! ». En trois semaines, j'avais enregistré trois chansons : « Hawkman », « E.T.A. » et « Time Will Tell ». A partir de là, on m’a encouragé à écrire. James Williams, Charles Farmbrough, Dave Schnitter se sont mis à écrire aussi. Il était très important pour Art que ses musiciens soient capables de composer.

D’autres batteurs, comme Charli Persip, Louis Hayes, Philly Joe Jones, Panama Francis, ont joué un rôle important dans votre carrière. Cet éclectisme vous caractérise à merveille.
Oui, j'ai ce lien spécial avec les batteurs depuis que j’ai eu la chance de jouer avec des musiciens comme Elvin Jones, Max Roach, un peu avec Roy Haynes. Je rêve toujours de faire partie du groupe de Roy Haynes. A chacune de nos rencontres, je lui dis: « J'ai vraiment envie de jouer avec toi » et il me répond : « Tu sais où me trouver. Et toi, où es-tu ? » Curtis Lundy et moi sommes allés ensemble à l'université. Il m'a appris à écouter le jeu des batteurs et à comprendre le langage de la batterie et son rythme. J'ai été attiré par les batteurs naturellement. J'ai beaucoup appris de lui et de Panama Francis. Je dois dire que je sais comment m’y prendre avec les batteurs. Je parle leur langue.

Revenons aux débuts de Horizon. Vous évoquiez lors d’un entretien que l’orchestre est un instrument en soi. Que voulez-vous dire ?
L’individu donne son sens à Horizon. Chaque personne est une section. Le trompettiste est une section de trompettes, moi je suis la section de saxophones, etc. Ed Simon a sa propre façon de jouer. Victor Lewis et moi essayons de faire vivre Horizon avec d’autres musiciens. Art Blakey créait un tel son que quiconque a joué avec lui reste un Messenger. Mais moi, en tant que saxophoniste, je n'ai pas ce pouvoir. Alors, on s’est arrêtés de jouer et on s’est remis ensemble plus tard. Parce que le son de Horizon est comme une famille. Parfois, nous jouons avec un autre pianiste, mais ce n’est pas souvent. Nous jouons moins pour être sûrs de jouer tous les cinq ensemble. Si Terell Stafford n’est pas disponible, nous appellerons Melton Mustafa. Pour le moment, Melton est en convalescence. Il a été atteint d’un cancer mais il va beaucoup mieux maintenant. Heureusement. Quand je suis avec mon quartet, si Curtis Lundy n'est pas libre, alors il y a certains que je ne jouerai pas. Car Curtis a le son que j’ai besoin d’entendre pour les jouer. Et je ne veux les jouer avec personne d'autre. C'est la même chose avec Horizon. Je ne peux jouer certains morceaux qu'avec Horizon. J’aime tourner dans le monde avec ce groupe. Certains musiciens possèdent cette musique. D'autres pourraient les jouer, mais ça ne m’intéresse pas. Horizon a commencé avec Curtis Lundy, Mulgrew Miller et Kenny Washington et moi. Au tout début, nous avions enregistré l'album Beatitudes. Des amis à moi, les jumeaux Doug and Darryl Jeffries, nous ont donné le nom « Horizon ». C’est pour cette raison que j’ai donné pour titre « Heckle and Jeckle » à un morceau. Je pensais à ces jumeaux identiques. C’était aussi un dessin animé avec deux oiseaux impossibles à distinguer, comme les Jeffries. Ce sont donc eux qui nous ont appelés Horizon. Au début, je n'aimais pas ce nom puis, petit à petit, il a commencé à prendre du sens. Le futur est contenu dans le présent, lui-même relié au passé. Le groupe a commencé comme un quartet. Un jour, Kenny Washington est parti jouer avec Johnny Griffin, puis avec Benny Carter. Victor et moi jouions dans des clubs de New York. A l’époque, il jouait avec Woody Shaw dans un club en face du nôtre. Il est venu nous écouter et, à la fin du concert, il m'a dit : « Bobby, je veux faire partie de ton groupe ». C’est comme ça que Victor est arrivé. Puis, Curtis n’était plus disponible. Carroll Dashiell l’a remplacé. Mulgrew a été pris par d'autres engagements et a été remplacé par Ed Simon. Puis, Melton est entré dans l'orchestre. Carroll Dashiell a obtenu un poste d'enseignant en Caroline du Nord et Essiet Essiet est arrivé.

29th Street Saxophone Quartet : Ed Jackson (as), Jim Hartog (bar), Bobby Watson (as), Rich Rothenberg (ts), août 1987 au Jazz Middelheim d'Anvers©Jacky LepageLorsqu’on écoute Horizon, le format du quintet est plus libre que les formations habituelles de hard bop. Cela est-il dû à votre expérience au sein du 29th Street Saxophone Quartet ?
Tout à fait. Le 29th Street Saxophone Quartet est très important dans ma vie car nous étions capables de prendre la musique, l’étirer ou la figer, rester dans une section, la faire avancer lentement ou même revenir en arrière, démarrer au milieu d'une chanson et poursuivre librement. Cela a affecté ma façon de penser la forme de la musique. Nous sommes toujours en contact. Nous avons fait une petite tournée, il y a deux ans, et nous espérons jouer davantage. Nous avons de très brillants saxophonistes dans le 29th Street Saxophone Quartet.

Continuez-vous à essayer de découvrir de nouveaux talents, comme vous l’avez fait avec Roy Hargrove ou Frank Lacy ?
Oui, bien sûr. J'ai un batteur originaire de Baltimore qui vient en Chine avec nous. Il s'appelle Eric Kennedy. C'est un très bon batteur. Nous avons aussi Richard Johnson. Peu de gens le connaissent mais il a joué avec Wynton Marsalis. Il y a aussi le pianiste Eden Ladin et Philip Dizack à la trompette. Les gens commencent à connaître Warren Wolf qui joue avec Christian McBride. C’est très important pour nous de découvrir de nouveaux musiciens.

Que devient Horizon depuis sa reformation en 2004 ?
Nous préparons une tournée pour 2013 en espérant que tout le monde sera disponible. Nous avons essayé l’année dernière mais il était trop tard.


Y a-t-il un fil conducteur entre les différentes expériences que vous avez vécues ?
Oui, je pense. Pour moi, la mélodie est le plus important, comme d'être capable de sentir la musique. Dans tout ce que j'ai fait, j'ai toujours été connecté avec les gens. Je veux qu’ils m'écoutent, pas leur donner des migraines. Je ne cherche pas à être un innovateur. Lorsque quelqu'un naît, s'il essaie de faire ce qu'il sent au plus profond de son cœur, il innovera. Il n'existe qu'un seul Bobby Watson, et il n'y en aura pas d'autres. Chacun est unique. Suivre son cœur, être honnête, c'est ça innover. L’histoire retiendra-t-elle ce que j'ai fait ? Je n’en sais rien.

Il y a deux ou trois ans, vous étiez en concert avec The Leaders. Allez-vous renouveler cette expérience ?
J'en ai parlé avec Chico Freeman. En décembre 2011, nous avons fait un concert aux alentours de Nice, dans une ville dont je ne me rappelle pas le nom [Draguignan]. Nous avons joué avec Buster Williams. Nous en avons fait un autre avec Billy Hart, Cecil McBee et Fred Hersch. C'est un peu comme avec The Leaders. Au début, ils avaient Arthur Blythe et il a eu des problèmes de santé. Donc, ils m'ont appelé.

En 1987, vous avez rendu un bel hommage à Johnny Hodges avec The Year of the Rabbit. Quelle signification cette musique a-t-elle pour vous ?
Johnny Hodges était l'expression pure de la beauté au saxophone. Je voulais en prendre une partie. Beaucoup de musiciens aujourd'hui ont peur de ce beau jeu. Ils veulent un jeu plein de feu, rapide, dur, hot. Johnny Hodges pouvait faire tout ça mais il savait garder la beauté. C'est ce que j'ai essayé d'obtenir.

Harold Mabern et Bobby Watson, JazzFoix 2012© Alain Dupuy-RaufasteVous jouez ce soir [Jazz à Foix 2012, cf. Jazz Hot n°661] avec Harold Mabern, un pianiste de Memphis.
J'aime beaucoup jouer avec lui. Nous avons joué ensemble dans l'octet de George Coleman. Harold est super. C’est un grand musicien et une belle personne. Je suis très heureux de voir qu'il continue de tourner. Il a toujours été l'une de mes personnes préférées et certainement l'un de mes pianistes favoris.

Avez-vous des projets actuellement ?
Je travaille sur une autre suite pour grand orchestre, peut-être avec chant et danse. J'essaie d'aller vers de plus grands ensembles. Je travaille aussi à un projet en lien avec mon enfance. Je cherche à faire émerger des choses avec lesquelles j'ai grandi. Je ne peux pas en dire plus. Voilà les grandes lignes.

Art Blakey disait « La musique est là pour chasser la poussière de la vie quotidienne ». Est-ce toujours le cas aujourd’hui avec le jazz ?
Oui, si c’est en vous et si ça doit être ainsi. Beaucoup de la musique que j’entend ne chasse pas vraiment la poussière. Mais je vous dirais ceci : je crois au swing et à son pouvoir de faire décoller les pieds du sol. C'est très important. Art Blakey disait que la musique doit chasser la poussière de la vie quotidienne et c'est ce que j'essaie de faire. Quand les gens viennent m'écouter, j'essaie de leur faire oublier leurs ennuis. Si vous venez nous voir pour une heure ou deux, vous vous sentirez peut-être mieux. C'est très important.

Juste un mot sur Barack Obama. A-t-il changé la vie des Afro-Américains aux Etats-unis ?
Ah, Barack ! Permettez-moi de vous dire que je suis très fier de Barack Obama. Quand il est devenu président, il a causé plus de problèmes qu'il n’avait pensé car le pays est aujourd’hui encore plus divisé. Le problème racial n'a pas disparu aux Etats-Unis. Cette élection va se fonder sur ceux qui l'aiment et le détestent. Ça n’a rien à voir avec sa politique. Certains le détestent parce qu'il est noir. C’est vrai. Ils ne veulent pas d’un Noir à la Maison Blanche. Ils ne souhaitent pas qu’il soit réélu… [Depuis, Barack Obama a été réélu.]

Sélection discographique

Contact : www.bobbywatson.com

musique
https://www.youtube.com/watch?v=uolb1nuDALs
https://www.youtube.com/watch?v=mLxpV1tuALg et https://www.youtube.com/watch?v=PLmwnqnlwTk
https://www.youtube.com/watch?v=v-yBgv-eh1U
https://www.youtube.com/watch?v=Bxs8BSFJYxc
https://www.youtube.com/watch?v=wuGBr_Rv67g


été 2013

23-25/6 : UMKC Jazz Camp, Kansas City, MO

1/7 : Libor Šmoldas Quartet, The Loop Jazz Club Hybernia, Prague, République tchèque

4/7 : Libor Šmoldas Quartet, Il Ritmo delle Città 2013, Milan, Italie