Gilles BLANDIN - Festival Jazz'N Boogie
Tinténiac, Ille-et-Vilaine
Gilles Blandin © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
A l’occasion de l’édition 2024, dont nous
avons rendu compte, nous avons rencontré Gilles Blandin, le directeur
artistique du Festival
Jazz’N Boogie de Tinténiac(1),
afin qu’il nous retrace, à l’approche de la dixième édition (13-14 juin 2025), l’histoire de ce
bel événement international autour du piano-jazz né en 2013, avec un prélude en
2012, où Gilles Blandin donna un concert en trio avec Laurent Souques (b) et
Joël Toussaint (dm), déjà à l'Espace Ille-et-Donac. Cette mémoire, comme
toujours, donnera certainement l’envie aux amateurs de piano-jazz de découvrir
en live la prochaine édition, d’autant
que ce coin de Bretagne n’est pas dépourvu d’attraits. Laissons la parole à
Gilles Blandin...
2013. Frank Muschalle, Dani Gugolz, Peter Müller © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy LA GENÈSE. Le festival
est né en 2013 lors d’une rencontre avec le grand pianiste allemand de blues et
de boogie-woogie Frank Muschalle qui m’a
proposé un concert de piano en duo à Tinténiac. Frank m’avait été présenté par
Klaus Born qui organise des concerts de boogie-woogie à Vannes depuis une
quinzaine d’années, ainsi que par mon ami Jean-Michel Ignard qui nous a quittés
en 2020, amateur et grand connaisseur de jazz. Ce concert à deux pianos, avec l’exceptionnelle
section rythmique de Frank –Dani Gugolz (b) et Peter Müller (dm)– a connu un
succès inespéré pour du boogie-woogie à Tinténiac: plus de 500 personnes dans
la salle Ille-et-Donac!
Fort de ce succès, nous avons
réitéré en 2014, avec, comme invité supplémentaire, Jean-Pierre Bertrand, grand
spécialiste français de boogie-woogie. Même succès, avec à la clé, un enregistrement
CD en live qui immortalise ce concert(2), mixé par notre technicien-son,
Jean-Claude Chidiac, produit par l’association Jazz’N Boogie et Philippe et
Claudine Mazurier.
2015. Louis Mazetier © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
En 2015, nous avons organisé un
concert, cette fois «Autour du Piano-Jazz», avec trois pianistes et trois
styles différents: Frank Muschalle, Louis Mazetier et
moi-même, auxquels s’est joint le contrebassiste Gilles Chevaucherie. Dans l’après-midi
du concert, Louis Mazetier a donné un concert-conférence passionnant sur le piano
stride dans l’auditorium/salle d’orchestre du
SIM (Syndicat Inter-cantonal de Musique),
l’Ecole de Musique. C’est ainsi qu’à partir de 2015, l’Ecole de Musique est
devenue un partenaire régulier du festival. Cette école, que j’ai dirigée de 1989 à 2000, est devenue un syndicat
inter-cantonal en 1993 (21 communes, puis
28).
A l’époque, le jazz étant ma spécialité, son enseignement était
particulièrement développé. C’est alors que j’ai eu comme élève Malo Mazurié (sans parenté avec
Philippe et Claudine Mazurier, membres du bureau de l’association), dont on
avait déjà décelé le talent exceptionnel: tout gamin, il «s’accaparait» avec
bonheur des chorus dans l’orchestre de la classe de jazz. Depuis, on connaît sa
carrière... Malo, l’enfant de Tinténiac, est un soutien indéfectible du
festival.
2017. Malo Mazurié parle de trompette au SIM © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
J’ai mis fin à ma fonction de
directeur du SIM en 2000 pour me consacrer davantage à ma carrière de pianiste
de jazz. Depuis, cette école, bien que moins centrée sur le jazz, reste tout à
fait ouverte à des partenariats avec le festival. Elle possède des locaux très
adaptés pour des concerts, concerts-conférences, masters-class, expositions, et
donc une salle d’orchestre-auditorium de grande qualité. Pour nos expositions,
le regretté Jean-Michel Ignard, un véritable puits de science jazzistique, rédigeait
les textes et commentaires explicatifs, et mettait à disposition des pochettes
vinyles légendaires. Il réalisait
la mise en forme des expos. Christian et Jeanne Delamaire sont chargés des
photos et des aspects techniques. Nous avons donc pu bénéficier de remarquables
expositions sur différents thèmes: «Autour du Piano Jazz», «Sidney Bechet», «Louis
Armstrong», «Les chanteuses et chanteurs de jazz». Depuis la disparition de Jean-Michel,
Christian et Jeanne organisent une rétrospective photographique chaque année (au SIM avant le festival puis à l’Espace pendant).
Les photos sont de Christian Delamaire (delamairec.free.fr),
Philippe Mazurier et Alain Sollet: c'est une vraie mémoire du festival!
L’organisation des concerts en
2013, 2014 et 2015 a été possible grâce au soutien financier de la municipalité
de Tinténiac, de la Communauté de Communes, de Klaus Born, dont j’ai parlé plus
haut, d’Alain Vincent-Linder, et des amis de la première heure, à l’aide
indispensable de mon épouse, Béatrice, elle-même musicienne et enseignante, d’une
association de jeunes musiciens amateurs (Collectifs Musiques Actuelles) dont
faisaient partie nos enfants Charles et Héloïse.
Gilles Blandin, le directeur artistique et Louis Rochefort, le Président © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
A la fin 2015, plusieurs personnalités
influentes de Tinténiac et Rennes, au vu de la qualité et du succès des
concerts, m’ont proposé de créer un véritable festival sur 2 jours. Se constitue une association (loi 1901), avec, comme
partie prenante, le maire de Tinténiac à l’époque (3 mandats), Louis Rochefort,
actuel Président de l’association et du festival «Jazz’N Boogie». Les
personnes formant le bureau, de façon stable, ont plus de 60 ans, la
plupart retraités, donc plus disponibles. Il compte une quinzaine de membres,
tous bénévoles. Ma fonction de directeur artistique est bénévole, et je suis
rémunéré pour ma participation d’artiste-pianiste comme les autres musiciens.
Nous bénéficions aussi d’une trentaine de bénévoles (hors bureau)
indispensables au bon déroulement du festival, qui connaissent tous
parfaitement leur rôle, dans un esprit de convivialité, d’entraide et bien sûr
d’amitié, de confiance.
LE PIANO ET LE JAZZ. Je suis passionné de musique en général et de jazz en
particulier. Mes compétences musicales et pianistiques étant orientées vers le
jazz classique, traditionnel, mainstream, authentique, intemporel, c’est tout
naturellement que notre festival s’est spécialisé dans cet esprit. Les membres
du bureau me font confiance pour la programmation, mais je ne suis pas fermé
aux conseils avisés d’autres spécialistes dont bien sûr l’aide de mon épouse. Le
piano y est bien présent, comme il se doit –souvent deux pianos de concert, ce
qui donne ce côté spectaculaire qu’aiment le public et les pianistes–, mais
aussi d’autres instruments du jazz au gré des éditions. Une complicité et une amitié musicale s’étant immédiatement instaurée entre le grand pianiste allemand de blues et de boogie-woogie Frank Muschalle et moi-même, c’est tout naturellement qu’il est devenu le parrain du festival, d’autant que Frank est aussi à l’origine de cette aventure. Presque chaque année, une boogie-woogie session est organisée, où Frank est présent, pour notre plus grand bonheur. Malo Mazurié est aussi incontournable pour chaque édition. Ces présences nous donnent déjà une base de grande qualité pour construire le reste de la programmation.
2023. Le jazz et la danse © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy LE PUBLIC. C’est un festival international car nous nous
attachons à inviter de merveilleux musiciens français, mais aussi d’autres
pays, sachant que le jazz, et ce jazz surtout, est une langue internationale (Rossano Sportiello
de New York, Luca Filastro d’Italie, Frank Muschalle d’Allemagne, Ladyva de
Suisse, en 2024...). Nous n’oublions pas non plus les musiciens locaux, qui
sont souvent excellents et qui attirent un public local.
Festival spécialisé, une partie
importante du public est constituée de personnes s’intéressant au
jazz, connaisseurs, venant de toute la France et même d’autres pays. Il peut s’agir
aussi, en plus petite proportion, d’un public de circonstance, qui revient souvent, séduit par la qualité et qui découvre une musique si vivante... Nous informons le public par les
médias locaux, les supports numériques, réseaux sociaux, affiches, flyers,
banderoles, dépliants touristiques et culturels, sans oublier l’indispensable
bouche à oreille.
2018. Rhoda Scott © Philippe Mazurier/Jazz'N Boogie by courtesy
LES ARTISTES. Les musiciens ne déçoivent jamais. Nous tenons à bien
les accueillir et à les choyer; je suis moi-même musicien, donc
particulièrement sensible à leurs attentes. Chaque édition a eu des moments
forts mais parmi les plus marquants en dehors des pianistes, on retient la venue
de deux légendes vivantes: Rhoda Scott
en 2018 et Scott Hamilton
en 2019. Rhoda, 78 ans à l’époque, aussi belle à l’extérieur qu’à l’intérieur,
toujours elle-même, avec cet appétit de jouer, cette générosité, ce swing qui caractérise
tellement ce jazz; Scott, magnifique saxophoniste mainstream: la phrase, la
note dans la phrase, le son, l’articulation, la sobriété, l’élégance, avec juste
ce qu’il faut de lyrisme. Mon rêve serait d’accueillir une légende vivante du
piano-jazz: Monty Alexander,
un Maître ès swing et le quartet de la chanteuse Stacey Kent où l’élégance
rivalise avec la perfection.
2019. Rossano Sportiello, David Blenkhorn, Scott Hamilton, Sébastien Girardot, Guillaume Nouaux © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
LES PERSPECTIVES. Nous sommes soutenus par des financements publics
suffisants en l’état actuel des choses (commune de Tinténiac, Communauté de
Communes, Conseil Départemental), des mécènes, sponsors, adhérents. La gestion
est assurée par les amis du bureau: quel travail! Nous sommes satisfaits de l’évolution
et du résultat actuel du festival et restons partisans de conserver cet esprit
de convivialité, avec une exigence de qualité, dans un lieu où nous avons privilégié
le son acoustique proche des instruments naturels conformément à ce que demande
le jazz. Nous bénéficions de l’Espace Ille-et-Donac (du nom des deux rivières
locales), une salle parfaitement adaptée, pouvant contenir 500 places, avec une
acoustique correcte. Nos techniciens-son, Jean-Claude Chidiac puis Mickaël
Antin depuis cette année, se sont attachés à créer un simple renfort-équilibre
acoustique et non une sonorisation (souvent artificielle). Lorsque nous
organisons des concerts dans l’auditorium de l’école de musique (100 places),
toute sonorisation est inutile, l’acoustique de la salle est parfaite. Les
concerts en extérieur, gratuits, dans le cadre champêtre à proximité du canal accroissent
encore cet esprit de convivialité, rapprochant les musiciens du public, et réciproquement...
2022. Chris Hopkins, Malo Mazurié, Michel Pastre, Sébastien Girardot, Guillaume Nouaux, Dany Doriz © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Si un jour nous étions amenés à
grandir –est-ce indispensable?– ce serait dans la diversification des
lieux, l’allongement de la durée du festival, mais toujours au sein de
structures à taille humaine, propres à une écoute sensible, à la taille du
jazz. Je suis raisonnablement optimiste
quant à l’avenir du jazz, considérant le nombre impressionnant de jeunes
talents qui se révèlent et que nous nous attachons à promouvoir (en 2024, The
Rag Messengers, Malo Mazurié, Pablo Campos, Luca Filastro, Ladyva...).
2024. Luca Filastro © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Le bémol est que 80% du public a
plus de 50 ans, comme pour la musique classique. Est-ce parce que ce jazz est
rentré dans l’histoire? Il y a un paradoxe, car il y a beaucoup de jeunes
musiciens et peu de musiques restent aussi vivantes et fraîches si on prend la
peine de les écouter sans préjugés...
Propos recueillis par Yves Sportis Photos Christian Delamaire et Philippe Mazurier/Jazz'N Boogie, by courtesy Avec nos remerciements © Jazz Hot 2024
1. Jusqu’en 2017, le festival se nommait «Boogie Swing 137» (numéro de la route à 4 voies de St-Malo à Bordeaux, allusion à Route 66). Il a pris le nom de «Jazz’N Boogie» à partir de 2018. 2. Jean-Pierre Bertrand/Frank Muschalle/Gilles Blandin, Boogie Swing Session/Live Tinténiac Festival 2014, JNB201401 (www.jazznboogie.fr)
2023. Extérieur-Jazz, on n’oublie pas la tradition © Christian Delamaire/Jazz'N Boogie by courtesy
Ils ont joué à Tinténiac:2012: Gilles Blandin/Joël Toussaint/Laurent Souques.2013: Gilles Blandin/Frank Muschalle/Dani Gugolz/Peter Müller.2014: Gilles Blandin/Frank Muschalle/Dani Gugolz/Peter Müller, Jean-Pierre Bertrand.2015: Gilles Blandin/Gilles Chevaucherie, Frank Muschalle, Louis Mazetier.2016: Gilles Blandin, Frank Muschalle Trio, Jean Pierre Bertrand, Gilles Chevaucherie, Serge Roherson, Alain Vincent-Linder, Les Rats de Cave, Philippe Souplet, Gilles Blandin, Louis Mazetier. 2017: Daniel Bechet, Olivier Franc, Benoît de Flamesnil, Jean-Baptiste Franc, Gilles Chevaucherie Malo Mazurié, Frank Muschalle, Tommie Harris, Drew Davis, les Rats de Cave.2018: Rhoda Scott, Gilles Blandin, Malo Mazurié, Nadezola Quartet, Jazz O’Feel, Nirek Mokar, Frank Muschalle, Stéphanie Trick et Paolo Alderighi, Gilles Chevaucherie, Malo Mazurié, Stéphane Roger. 2019: Scott Hamilton, Malo Mazurié, Rossano Sportiello, David Blenkhorn, Sébastien Girardot, Guillaume Nouaux, Frim Fram Swing Quintet, Nikki et Jules (Nicolle Rochelle), Julien Bruneteau, Louis Prima Forever (Stéphane Roger/Pauline Atlan/Patrick Bacqueville/Claude Braud/Michel Bonnet/Fabien Saussaye/Nicolas Peslier/Enzo Mucci)2020: covid...2021: Malo Mazurié, Enzo Mucci, Gilles Chevaucherie, Claude Tissandier, Romane, Nikki et Jules2022: Thibaud Boustany/Elia Guérin, Chris Hopkins/Guillaume Nouaux, Michel Pastre/Dany Doriz, William et Maeva, Philippe Souplet/Sonya Pinçon, Gallad Moutoz/Anna Stevens, Frank Muschalle/Chris Conz/Gilles Blandin.2023: Nat Herczog/William et Maeva, Jean-Pierre Bertrand, Gilles Blandin/Stéphane Roger/Gilles Chevaucherie, Gallad Moutoz/Anna Stevens, Benoît Gaudiche, Philippe Duchemin, Swingin’Affair. 2024: Gilles Blandin/Guillaume Nouaux, Louis Mazetier, Rossano Sportiello/Luca Filastro/Malo Mazurié/Guillaume Nouaux, The Rag Messengers, Frank Muschalle/Ladyva, Pablo Campos Trio
Scott Hamilton devant l'affiche de 2019 © Philippe Mazurier/Jazz'N Boogie by courtesy
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