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Raphaël Imbert

30 déc. 2013
Projects
© Jazz Hot n°666, hiver 2013-2014

Nouveauté-Indispensable
CD1 : Newtopia Project. 9 titres (voir livret)
Raphaël Imbert (s), Yaron Herman (p), Zim Nggawana (s, fl), Stephan Caracci (vb), Simon Tailleu (b), Cedrick Bec (dm)
Enregistré du 23 au 25 Juillet 2006, Pompignan (30)

Durée : 56' 45''

CD 2 : Bach-Coltrane. 21 titres (voir livret)
Raphaël Imbert (s, bcl), André Rossi (org), Jean-Luc Di Fraya (perc, voc), Michel Pérès (b), Quatuor Manfred : Marie Béreau-Luigi Vecchioni (vln), Vinciane Béranger (viola), Christian Wolf (cello)
Enregistré du 2 au 6 juillet 2007, Saint André de Bouc Bel Air (13)
Durée : 1h 10' 19''
CD 3 : 13 titres (voir livret)

Raphaël Imbert (s), Joe Martin (b), Gerald Cleaver (dm)
Enregistré du 12 au 14 janvier 2009, New York

Durée : 1h 06' 11''
Zig-Zag Territoires 323 (Outhere Music)


Dans ce coffret sont réunis trois disques d’expressions différentes mais tout aussi riches l’une que l’autre, avec des musiciens différents menés par l’incroyable et magnifique Raphaël Imbert. Il y a une unité malgré tout dans ces trois expressions, c’est le leader lui-même, qui, quel que soit le contexte, est toujours égal à lui-même, avec ce lyrisme de feu, cette impétuosité, qui le caractérisent. Le mieux me semble-t-il est de chroniquer chaque disque séparément.
La longue ouverture de la
Suite Elégiaque qui justement ouvre le 1er disque avec ce son large et généreux des saxes d’Imbert n’est pas sans rappeler l’ouverture du film de Kubrick 2001, Odyssée de l’Espace sur la musique de Richard Strauss, il y a là comme la naissance du monde sur un rythme lancinant, puis l’éveil de la nature avec le piano et le vibraphone. Le deuxième mouvement intitulé « Les Ancêtres » démarre dans un calme absolu flûte-piano, puis un sax entre en jeu, et la tension va monter jusqu’au délire du ténor bien suivi par tout le groupe, jusqu’à la transe, au cri. Puis un retour au calme avec la reprise du thème. C’est la démarche typique de Raphaël Imbert. Dans le troisième mouvement de « Regard face à la lumière » on entend un solo de vibraphone qui sort des sentiers battus avec des tenues très vibrées et un phrasé très personnel, puis un duo sax-batterie avec Zim Nggawana très rageur, qui mord dans le son, épaulé à la clarinette basse, et le piano entre dans la danse, là encore on est dans la rage. « Eternité douce/amère » commence avec une ligne de basse aérée très posée derrière le piano, puis sur ce fond les soufflants à l’unisson exposent le très joli et très prenant thème mélodique, c’est très calme, puis le piano chante sa chanson sur contrechant du vibraphone, puis ça enfle dans un emportement lyrique très prenant, tout en restant toujours très mélodique, puis vient le retour à la douceur.
2e disque : au cours des ans, quelques jazzmen se sont colletés à la musique de Bach comme Jacques Loussier avec son Play Bach, qui consistait essentiellement à mettre une rythmique sur des airs de Bach, plus près de nous Richard Galliano s’y est attaqué à l’accordéon, restant très classique, les Swingle Singers, Piazzola avec l’ONJ, Django/Grappelli pour le 1er mouvement du « Concerto en Ré mineur », Edouard Ferlet au piano qui déclarait à propos de son Think Bach : « … L'écriture de Bach est d'une grande pureté. De surcroît, je relève la mise en place naturelle du swing, un rythme sous-jacent dans les ostinatos, un groove en progression.…Bach se révèle d'un secours étonnant pour l'apprenti-improvisateur. Il part de deux-trois notes, maintient le propos, ne s'égare pas. En outre, les mesures sont inscrites dans le stock de mémoire de chacun…On peut engager l'improvisation en injectant un simple dièse dans un ostinato de départ…Avec Bach, décomplexion totale. On peut même se permettre de transgresser Bach… » Ce que fait Raphaël Imbert, notamment en créant un parallèle avec John Coltrane. Le disque est enregistré dans l’église de Saint André de Bouc-Bel-Air, d’où une certaine réverbération qui ajoute encore au caractère recueilli, voire sacré, de l’œuvre. Le disque débute par « l’Art de la fugue BWV 1080 », le saxophone agit comme un tuyau supplémentaire à l’orgue d’église. Le largo du « Concerto n° 5 en fa mineur » se déroule avec l’orgue et les cordes du Quatuor Manfred, puis le thème est repris par le saxophone qui termine sur une improvisation. Pour la partie issue de Coltrane, Imbert s’est emparé du Spiritual « He Never Said a Mumbalin Word », hymne sur la Crucifixion, donné en 5 parties, et s’appuie aussi sur diverses pièces de Bach où l’on entend l’orgue, les cordes, et la voix de haute contre de Jean-Luc Di Fraya, qui est aussi le batteur. L’organiste classique y fait preuve du même engagement que les jazzmen ; la clarinette basse l’orgue et les cordes sont en osmose totale. « Song of Praise » de Coltrane est associé au « Jésus que ma joie demeure » et c’est très beau : d’abord des chuchotements des cordes et le ténor, dans le grave, émerge lentement, ainsi que le chant, et en sort un lyrisme à fleur d’âme. On trouve aussi un « Choral de Mi » œuvre de l’organiste qu’il interprète avec les cordes et la clarinette, puis en solo. A noter aussi un passage impressionnant sur le « Reverend King » de Coltrane qui débute par l’orgue et la clarinette basse, auquel se mêle la voix, et va crescendo vers l’épanouissement. Certes ce n’est pas du jazz dans son acceptation pure et dure, mais l’essentiel est jazz, par le phrasé, le son, et aussi la présence du blues, du spiritual. De toutes les façons c’est de la très grande musique, et un exemple de ce qu’on peut faire en s’appropriant des musiques quand on en a la maîtrise complète, ce qui est le cas de Raphaël Imbert. Rappelons que ses recherches sur le spirituel dans le jazz lui avaient valu la distinction de la Villa Médicis Hors les Murs.

Avec le 3e disque, retour au jazz pur canne à sucre en trio. Au soprano Imbert possède un son ample et anguleux à la fois, très particulier. Le disque démarre en tempo rapide par « Echoes of Harlem » de Duke Ellington, avec une intro basse/batterie et le sax se lance, suivi par un solo de contrebasse dans la même lignée, le tout sur un foisonnement des peaux. Dans « Lullyby From The Beginning » sur tempo lent, Imbert a des inflexions à la Johnny Hodges, autre clin d’œil au Duke. Mais sur « Cloisters Sanctuary » on a affaire au Raphaël Imbert en colère, ça monte crescendo, ça chauffe du feu de dieu sur un motif répétitif et retour au calme sur le thème du départ. « Albert Everywhere » sur tempo lent permet au sax ténor, épaulé au début par la contrebasse à l’archet, d’exprimer son grand lyrisme avec une délicatesse infinie, et l’on entend un solo très riche du batteur. L’agilité des doigts, la fluidité du phrasé, font merveille sur « My Klezmer Dream », sur un rythme ad hoc, et puis ça part en toute folie à trois. « The Zen Bowman » en quatre parties débute par Imbert qui joue de deux saxes à la fois, à l’unisson, pour des tenues incantatoires, la deuxième partie est ultra rapide, le sax joue sur toute la tessiture, avec l’explosion de notes graves comme jetées dans le flot dévastateur, encore la marque de Raphaël, puis en troisième partie s’élabore un dialogue sax/batterie très aéré, et là encore on s’achemine vers la transe, la basse entre en jeu sur un staccato rapide, et retour au calme avec des tenues dans l’aigu. Le disque se termine par « Central Park West », tempo medium/lent, avec toute la délicatesse du ténor et ça s’enfle jusqu’à devenir étale, pour finir totalement apaisé dans un presque silence. Trois musiciens au sommet, d’une entente parfaite dans l’échange et la stimulation.

Serge Baudot