Nouveauté-Indispensable CD1 :
Newtopia Project. 9 titres (voir livret) Raphaël
Imbert (s), Yaron Herman (p), Zim Nggawana (s, fl), Stephan Caracci
(vb), Simon Tailleu (b), Cedrick Bec (dm) Enregistré
du 23 au 25 Juillet 2006, Pompignan (30) Durée :
56' 45'' CD 2 :
Bach-Coltrane. 21 titres (voir livret) Raphaël
Imbert (s, bcl), André Rossi (org), Jean-Luc Di Fraya (perc, voc),
Michel Pérès (b), Quatuor Manfred : Marie Béreau-Luigi
Vecchioni (vln), Vinciane Béranger (viola), Christian Wolf (cello) Enregistré
du 2 au 6 juillet 2007, Saint André de Bouc Bel Air (13) Durée :
1h 10' 19'' CD 3 :
13 titres (voir livret) Raphaël
Imbert (s), Joe Martin (b), Gerald Cleaver (dm) Enregistré
du 12 au 14 janvier 2009, New York Durée :
1h 06' 11'' Zig-Zag
Territoires 323 (Outhere Music)
Dans ce
coffret sont réunis trois disques d’expressions différentes mais
tout aussi riches l’une que l’autre, avec des musiciens
différents menés par l’incroyable et magnifique Raphaël Imbert.
Il y a une unité malgré tout dans ces trois expressions, c’est le
leader lui-même, qui, quel que soit le contexte, est toujours égal
à lui-même, avec ce lyrisme de feu, cette impétuosité, qui le
caractérisent. Le mieux me semble-t-il est de chroniquer chaque
disque séparément. La
longue ouverture de la Suite Elégiaque qui justement ouvre le 1er
disque avec ce son large et généreux des saxes d’Imbert n’est
pas sans rappeler l’ouverture du film de Kubrick 2001, Odyssée de
l’Espace sur la musique de Richard Strauss, il y a là comme la
naissance du monde sur un rythme lancinant, puis l’éveil de la
nature avec le piano et le vibraphone. Le deuxième mouvement
intitulé « Les Ancêtres » démarre dans un calme absolu
flûte-piano, puis un sax entre en jeu, et la tension va monter
jusqu’au délire du ténor bien suivi par tout le groupe, jusqu’à
la transe, au cri. Puis un retour au calme avec la reprise du thème.
C’est la démarche typique de Raphaël Imbert. Dans le troisième
mouvement de « Regard face à la lumière » on
entend un solo de vibraphone qui sort des sentiers battus avec des
tenues très vibrées et un phrasé très personnel, puis un duo
sax-batterie avec Zim Nggawana très rageur, qui mord dans le son,
épaulé à la clarinette basse, et le piano entre dans la danse, là
encore on est dans la rage. « Eternité douce/amère »
commence avec une ligne de basse aérée très posée derrière le
piano, puis sur ce fond les soufflants à l’unisson exposent le
très joli et très prenant thème mélodique, c’est très calme,
puis le piano chante sa chanson sur contrechant du vibraphone, puis
ça enfle dans un emportement lyrique très prenant, tout en restant
toujours très mélodique, puis vient le retour à la douceur. 2e disque : au cours des ans, quelques jazzmen se sont colletés à
la musique de Bach comme Jacques Loussier avec son Play Bach, qui
consistait essentiellement à mettre une rythmique sur des airs de
Bach, plus près de nous Richard Galliano s’y est attaqué à
l’accordéon, restant très classique, les Swingle Singers,
Piazzola avec l’ONJ, Django/Grappelli pour le 1er mouvement du
« Concerto en Ré mineur », Edouard Ferlet au piano qui
déclarait à propos de son Think Bach : « … L'écriture
de Bach est d'une grande pureté. De surcroît, je relève la mise en
place naturelle du swing, un rythme sous-jacent dans les ostinatos,
un groove en progression.…Bach se révèle d'un secours étonnant
pour l'apprenti-improvisateur. Il part de deux-trois notes, maintient
le propos, ne s'égare pas. En outre, les mesures sont inscrites dans
le stock de mémoire de chacun…On peut engager l'improvisation en
injectant un simple dièse dans un ostinato de départ…Avec Bach,
décomplexion totale. On peut même se permettre de transgresser
Bach… » Ce que fait Raphaël Imbert, notamment en créant un
parallèle avec John Coltrane. Le disque est enregistré dans
l’église de Saint André de Bouc-Bel-Air, d’où une certaine
réverbération qui ajoute encore au caractère recueilli, voire
sacré, de l’œuvre. Le disque débute par « l’Art de la
fugue BWV 1080 », le saxophone agit comme un tuyau
supplémentaire à l’orgue d’église. Le largo du « Concerto
n° 5 en fa mineur » se déroule avec l’orgue et les cordes
du Quatuor Manfred, puis le thème est repris par le saxophone qui
termine sur une improvisation. Pour la partie issue de Coltrane,
Imbert s’est emparé du Spiritual « He Never Said a Mumbalin
Word », hymne sur la Crucifixion, donné en 5 parties, et
s’appuie aussi sur diverses pièces de Bach où l’on entend
l’orgue, les cordes, et la voix de haute contre de Jean-Luc Di
Fraya, qui est aussi le batteur. L’organiste classique y fait
preuve du même engagement que les jazzmen ; la clarinette basse
l’orgue et les cordes sont en osmose totale. « Song of
Praise » de Coltrane est associé au « Jésus que ma joie
demeure » et c’est très beau : d’abord des
chuchotements des cordes et le ténor, dans le grave, émerge
lentement, ainsi que le chant, et en sort un lyrisme à fleur d’âme.
On trouve aussi un « Choral de Mi » œuvre de l’organiste
qu’il interprète avec les cordes et la clarinette, puis en solo. A
noter aussi un passage impressionnant sur le « Reverend
King » de Coltrane qui débute par l’orgue et la clarinette
basse, auquel se mêle la voix, et va crescendo vers
l’épanouissement. Certes ce n’est pas du jazz dans son
acceptation pure et dure, mais l’essentiel est jazz, par le phrasé,
le son, et aussi la présence du blues, du spiritual. De toutes les
façons c’est de la très grande musique, et un exemple de ce qu’on
peut faire en s’appropriant des musiques quand on en a la maîtrise
complète, ce qui est le cas de Raphaël Imbert. Rappelons que ses
recherches sur le spirituel dans le jazz lui avaient valu la
distinction de la Villa Médicis Hors les Murs. Avec le
3e disque, retour au jazz pur canne à sucre en trio. Au soprano
Imbert possède un son ample et anguleux à la fois, très
particulier. Le disque démarre en tempo rapide par « Echoes of
Harlem » de Duke Ellington, avec une intro basse/batterie et le
sax se lance, suivi par un solo de contrebasse dans la même lignée,
le tout sur un foisonnement des peaux. Dans « Lullyby From The
Beginning » sur tempo lent, Imbert a des inflexions à la
Johnny Hodges, autre clin d’œil au Duke. Mais sur « Cloisters
Sanctuary » on a affaire au Raphaël Imbert en colère, ça
monte crescendo, ça chauffe du feu de dieu sur un motif répétitif
et retour au calme sur le thème du départ. « Albert
Everywhere » sur tempo lent permet au sax ténor, épaulé au
début par la contrebasse à l’archet, d’exprimer son grand
lyrisme avec une délicatesse infinie, et l’on entend un solo très
riche du batteur. L’agilité des doigts, la fluidité du phrasé,
font merveille sur « My Klezmer Dream », sur un rythme ad
hoc, et puis ça part en toute folie à trois. « The Zen
Bowman » en quatre parties débute par Imbert qui joue de deux
saxes à la fois, à l’unisson, pour des tenues incantatoires, la
deuxième partie est ultra rapide, le sax joue sur toute la
tessiture, avec l’explosion de notes graves comme jetées dans le
flot dévastateur, encore la marque de Raphaël, puis en troisième
partie s’élabore un dialogue sax/batterie très aéré, et là
encore on s’achemine vers la transe, la basse entre en jeu sur un
staccato rapide, et retour au calme avec des tenues dans l’aigu. Le
disque se termine par « Central Park West », tempo
medium/lent, avec toute la délicatesse du ténor et ça s’enfle
jusqu’à devenir étale, pour finir totalement apaisé dans un
presque silence. Trois musiciens au sommet, d’une entente parfaite
dans l’échange et la stimulation.
Serge Baudot
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