Mike Longo est l’un des premiers musiciens de jazz
américains emporté par le Covid-19. Depuis la seconde quinzaine de mars, il frappe en effet de plein fouet
les Etats-Unis, dont les dirigeants, comme en France et ailleurs, tant par
négligence que par cynisme, ont exposé leurs populations et plus cruellement
encore les personnes fragiles, à commencer par les plus âgées et celles à la
santé déjà atteinte, comme c'était le cas de Mike Longo. Le pianiste de 83 ans est mort le 22 mars 2020, alors qu'il
venait de rentrer à l'Hôpital Mount Sinaï de New York. Avec sa disparition, c'est
toute la communauté du jazz new-yorkais qui est touchée et qui perd l'un des
siens, considéré comme un véritable passeur de mémoire. Connu comme étant l'un
des pianistes de Dizzy Gillespie de 1966 à 1993, les qualités humaines de ce disciple d'Oscar Peterson étaient
aussi importantes que son talent de musicien.
Le pianiste Mike LeDonne évoque «une personne qui faisait non seulement
partie de l'histoire de cette musique mais aussi du tissu de la communauté du
jazz ici à New York. Non seulement il était un grand musicien et auteur de
livres pédagogiques, mais son enseignement reste à mes yeux l'essentiel de son
héritage. Tous ses étudiants ont vraiment aimé sa personnalité attachante et
profondément humaine. Il était tellement cool et réfléchi sur tout ce qu'il
disait. Perdre des gens comme lui est toujours triste car ils sont rares de nos
jours. Mes pensées vont à sa famille et ses amis proches comme Ray Mosca et
Paul West qui ont joué dans son trio pendant des années». «Il était un
musicien accompli et un pédagogue dévoué» se souvient le contrebassiste
Paul West avec lequel il avait joué depuis 1968 au sein de la formation de Dizzy
Gillespie. En février dernier, ils étaient ensemble sur la scène du Mezzrow,
dont le propriétaire et pianiste, Spike Wilner, salue «un musicien qui jouait toujours avec swing
un bop authentique malgré ses problèmes de santé».
Né en 1937 à Cincinnati, dans l'Ohio, Michael
Josef Longo est issu d'une famille de musiciens. Son père jouait de la
contrebasse et sa mère du piano et de l'orgue à l'église. Il y avait toujours
des disques autour de lui, surtout ceux de Count Basie et de Fats Waller. C'est d’ailleurs
lors d'un concert de Basie que le jeune Mike Longo se met à s’intéresser au piano
et surtout au style boogie-woogie du jeune Sugar Chile Robinson qui assure la
première partie. Ses parents l'inscrivent plus tard au Conservatoire de
Cincinnati. Peu de temps après, sa famille s'installe à Fort Lauderdale, FL, et
Mike Longo, qui gagne un concours à 12 ans, participe à divers groupes locaux et débute dans l'orchestre de son père, qui engage parfois Cannonball Adderley. Mike Longo a, par la suite, l’occasion de jouer avec Cannonball Adderley en Floride, et il l’accompagne même à l’église (une transgression des barrières ségrégationnistes
exceptionnelle pour l’époque). Cannonball l’engage lorsqu’il se produit au Porky's,
club de la région de Miami, en 1955-56, alors que le jeune Mike est encore étudiant. Par
ailleurs, il continue son éducation musicale à l'Université Western Kentucky
jusqu'à l'obtention de sa licence.
Il travaille ensuite avec le
saxophoniste Hal McIntyre, puis avec le guitariste de Nashville Hank Garland,
avant de s'installer à New York en 1960. Il obtient rapidement un emploi au Midtown
Metropole Cafe où il se retrouve auprès de légendes vivantes telles que Red
Allen et Coleman Hawkins. C'est à cette époque qu'il assiste aux concerts du
JATP où il entend son nouveau mentor, Oscar Peterson. En 1961, il intègre
l'Advanced School of Contemporary Music qu'Oscar Peterson met en place à
Toronto. Il confie en 2001: «C'était
l'expérience la plus intense de ma vie, musicalement parlant. A ce moment-là,
j'avais déjà obtenu mon diplôme de bachelor en musique, mais il n'y avait pas de
programmes de jazz, donc c'était du piano entièrement classique. A l'école de
Peterson, j'ai découvert que je jouais mal de l'instrument toutes ces années. J'ai
dû pratiquer treize heures par jour pour changer toute mon approche du piano. En
termes de technique, de toucher, je jouais avec des poignets verrouillés et
trop de technique de bras. La principale chose que j'ai obtenue de Peterson
était de savoir comment jouer du piano et comment être un pianiste de jazz –textures,
voicings, toucher, tempo et sonorité sur l'instrument. C'était un environnement
créatif incroyable car l'école était composée d'environ vingt personnes de tous
âges qui étaient vraiment motivées pour faire de la musique. C'était 24 heures
par jour d'un intense concentré artistique. J'ai eu quatre ou cinq leçons par
semaine avec Peterson, pendant six mois, et il m'a donné la clef de son studio
pour que je puisse pratiquer sur son piano.» (cité dans All About Jazz).
De retour à New York en 1962, il devient un accompagnateur recherché par les
vocalistes (Nancy Wilson, Gloria Lynne, Joe Williams) et il est embauché, en 1965,
au club Embers Wes, pour accompagner Roy Eldridge (tp) avec son trio, qui comprend Paul Chambers à
la contrebasse. C’est d’ailleurs le contrebassiste qui conseille à Dizzy
Gillepie de venir voir jouer le pianiste que Dizzy avait déjà remarqué avec Red Allen au Metrople. Ainsi débute la longue collaboration
entre Mike Longo et Dizzy Gillespie qui lui confie officiellement, à partir de
1966, la direction musicale de son quintet puis de son big band au sein duquel il
partage notamment la scène avec James Moody. On peut l'entendre sur Sweet Low, Sweet Cadillac (1967,
Impulse!). En 1980, Mike Longo composera une suite en hommage à Diz, A World of Gillespie, qui est d'abord
jouée à New York par le Henry Street Settlement Symphony Orchestra puis par le
Detroit Symphony Orchestra avec Dizzy Gillespie en soliste principal.
La carrière de leader de Mike
Longo traverse différents courants, mainstream, bop, funk et latin jazz où l'on retrouve
d'excellents sidemen, dont les trompettistes Randy Brecker, Virgil Jones, Jimmy
Owens et Jon Faddis, les trombonistes Curtis Fuller et Slide Hampton, les
saxophonistes Joe Farrell, Junior Cook , Frank Wess, James Moody, Bob Mintzer,
David Sanchez, les bassistes Sam Jones, Santi Debriano, Ron Carter, Bob Cranshaw ou les batteurs Mickey Rocker,
Lewis Nash. Il signe un contrat dès 1970 avec Meanstream Records puis fonde son
propre label en 1979, CAP (Consolidated Artists Productions). De 1970 à
1972, il prendra également des cours de
composition avec le pianiste Hal Overton connu pour son travail d'arrangeur et
de compositeur classique aussi bien que jazz (il avait notamment collaboré avec
Thelonious Monk, cf. The Jazz Loft Story, Jazz Hot n° 651). A la tête de son fidèle trio –formé de Paul West et Ray Mosca–
ou de son big band le New York State of the Art Jazz Ensemble qu'il
fonde en 1998, il donnait des concerts tous les mardis soirs, depuis 2004, à
l'auditorium John Birks Gillespie du New York City Baha'i Center à Greenwich
Village, car il était comme Dizzy Gillespie adepte de la religion Baha'i qui
promeut l'unité de l'humanité.
L'autre facette de sa
personnalité était son engagement dans la transmission par l'enseignement. Il
intègre ainsi le Sarah Lawrence College et publie divers ouvrages dont Systematic Harmonic Substitution (1976)
et How to Sight Head Jazz and Other
Syncopated Type Rhythms (1983), sans oublier la série de DVD The Rhytmic Native of Jazz
(www.jazzbeat.com). Il a été intronisé en 2002 au Wall of Fame de la Western
Kentucky University et s'apprêtait à enregistrer un nouvel album le mois prochain.
Il avait récemment encouragé ses élèves à continuer de pratiquer et était
apparu pour la dernière fois au New York City Baha'i le 10 mars.
David Bouzaclou
MIKE LONGO et JAZZ HOT: n°261-1970
SELECTION DISCOGRAPHIQUE
Leader LP 1966. A Jazz Portrait of
Funny Girl, Clamike Records 1000
CD 1971. Matrix, Meanstream
Records 334/Solid Japan 45229
CD 1972. The Awakening,
Meanstream Records 357/Solid Japan 45273
CD 1974. Funkia, LRC 9081
CD 1974. 900 Shares of the
Blues, LRC 9081
LP 1976. Talk With the Spirits,
Pablo 2310-769
CD 1978. New York '78, CAP 915
LP 1981. Solo, CAP 100-A
CD 1990. The Earth Is But One
Country, CAP 900
CD 1995. I Miss You John, CAP
912
CD 1997. Dawn of a New Day, CAP
927
CD 1999. Explosion, CAP 945
(avec le New York State of the Art Jazz
Ensemble)
CD 2000. Aftermath, CAP 956
(avec le New York State of the Art Jazz
Ensemble)
CD 2000. Still Swingin', CAP 959
CD 2002. Live Detroit
International Jazz Festival, CAP 971
CD 2004. Oasis, CAP 982 (avec le
New York State of the Art Jazz Ensemble)
CD 2005. Float Like a Butterfly,
CAP 1006
CD 2009. Sting Like a Bee, CAP 1018
CD 2011. To My Surprise, CAP
1030
CD 2012. A Celebration of Diz and
Miles, CAP 1033
CD 2013. Live From New York, CAP
1041 (avec le New York State of the Art
Jazz Ensemble)
CD 2014. Step on It, CAP 1046
CD 2014. Mike Longo Trio,
Celebrates Oscar Peterson Live, CAP 1048
CD 2017. Only Time Will Tell, CAP 1054
Sideman
CD 1967. Dizzy Gillespie, Swing
Low Sweet Cadillac, Impulse! 11782
CD 1968. Dizzy Reece, Nirvana,
The Zen of Jazz Trumpet, Jazz Vision Records,
CD 1968. Dizzy Gillespie, In
Milan, 1968, Hobby & Work Italiana Editrice 005
CD 1968. Dizzy Gillspie and His
Big Band, Live, Blu Jazz 01
LP 1968. The Dizzy Gillespie Big
Band, November 1968, Beppo Records 509
CD 1969. The Dizzy Gillespie
Reunion Big Band, 20th and 30th Anniversary, MPS Records 0211554
CD 1969. Roy Eldridge, Dizzy
Gillsepie, Buck Clayton Quintet, The Trumpeters: Live in June 1969 at the New
Orleans Jazz Festival, Scotti Bros 72392 75246-2
CD 1970. Dizzy Gillespie,
Portrait of Jenny, Breathless 52008
CD 1970. Dizzy Gillespie, The
Real Thing. Featuring James Moody, Breathless 52004
CD 1970. Dizzy Gillespie Quintet,
Live, Blu Jazz 031
LP 1971. Dizzy Gillespie, The
Great Modern Jazz Trumpet, Musidisc 222
LP 1972. James Moody, Heritage
Hum, Perception Records 22
CD 1972. Astrud Gilberto, Now,
P-Vine Records 8026
CD 1973. Dizzy Gillespie, Live
at Singer Concert Hall 1973, The Lost Recordings, Fondamenta Records 1704028
CD 1973. Dizzy Gillespie, Live
at Ronnie Scott's Volume 1-2-3-4, CAP 1042
CD 1975. Lee Konitz, Chicago 'N'
All That Jazz, Groove Merchant/Solid Japan 45924
CD 1977. Jazzberry Patch, JBP
Records, P-Vine Records 22228
LP 1983. John Richmond Quartet,
Round Once, Consolidated Artists Productions 101
LP 1985. Nabil Totah, Double
Bass, Consolidated Artists Productions 520736
CD 1993. Adam Rafferty and the
Mike Longo Trio, First Impressions, CAP 905
CD 1997. Judy Rafat, Con Alma. A
Tribute to Dizzy Gillespie, Timeless Records 448
CD 2007.
Fabian Zone Trio, The Masters Return!, CAP 1010
VIDEOS
1968. Dizzy Gillespie Reunion Band, «Ding a Ling» Dizzy Gillespie (tp), James Moody (ts), Mike Longo (p), Paul West (b), Candy Finch (dm) https://www.youtube.com/watch?v=WHf_96wp32k
1988. Concert en l'honneur de Dizzy Gillespie, «Con Alma» Dizzy Gillespie, John Faddis (tp), Slide Hampton (tb), James Moody (ts), Mike Longo (p), Paul West (b), Charli Persip (dm) https://www.youtube.com/watch?v=nIAjkIkoNpE
2019. Mike Longo Trio, «A Night in Tunisia», Maureen's Jazz Cellar, Nyack, NY Mike Longo (p), Paul West (b), Steve Johns https://www.youtube.com/watch?v=xjw4X4EAG14
2010-2018. Mike Longo, DVD The Rhythmic Nature of Jazz
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