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Claudio Roditi

17 jan. 2020
28 mai 1946, Rio de Janeiro – 17 janvier 2020, South Orange, N.J.
© Jazz Hot 2020

Claudio Roditi © photo X, coll. Jazz Hot




Claudio Roditi © photo X, coll. Jazz Hot


L'annonce du décès de Claudio Braga Roditi à un peu plus de 73 ans a été un choc dans le milieu international des trompettistes bop et classiques. On sait que ces instrumentistes sont surtout des enthousiastes pour des virtuoses moins tant pour des considérations musicales que pour les compétences techniques. Toutefois chez Claudio Roditi les deux choses sont liées et d'égale importance. Sa curiosité pour la facture des instruments, trompette et bugle, et des embouchures détermine sa conception du son, élément fondamental de son style. Il était aussi très lucide sur le plan musical quant aux compatibilités réelles des «métissages» de genres qui se sont imposés dans une bonne part de son activité artistique. Il savait, contrairement à nombre d'autres, qu'il n'est pas rythmiquement valide de tout mélanger n'importe comment. 
La trompette n'est pas seulement difficile à dompter, comme tous les instruments, elle l’est aussi à endurer physiquement d'où des générations, surtout à partir des années 1970, qui assimilent le jeu de trompette à un «jeu olympique» avec une devise: higher, faster, louder (plus haut, plus vite, plus fort)! C'est dans ce contexte pourtant que surgit Claudio Roditi qui oppose à ce mot d'ordre l'amour du son et la recherche d'un jeu plus lyrique et plus économique en notes bien choisies. C'est progressivement qu'il en est venu à combiner un style hard bop issu de Fats Navarro, Lee Morgan et Freddie Hubbard à un concept de sonorité venue en droite ligne d'une tradition germanique illustrée par Martin Kretzer, Konradin Groth, les frères Läubin et Max Sommerhalder, sources qu'il a lui-même mentionnées. Claudio Roditi était abordable et très enclin à parler de musique et de technique. Cet hommage pourra paraître un peu technique aux néophytes, mais c'est indispensable pour le comprendre.




Claudio et ses parents, Alberto et Deise, en 1947 © photo X, coll. Michel Laplace

Claudio et ses parents, Alberto et Deise, en 1947
© photo X, coll. Michel Laplace



Claudio Roditi est né à Rio de Janeiro, mais il a grandi à Varginha, au Brésil. Il a débuté la pratique musicale à l'âge de 5 ou 6 ans par le piano. Claudio continuera la pratique du clavier, avec modestie: «Through the years I developed a little technique, but Tom Harrell and Arturo [Sandoval] both have real piano abilities (au cours des années j'ai développé une petite technique, mais Tom Harrell et Arturo [Sandoval] ont tous deux une véritable habileté au piano)».
C'est à l'âge de 9 ans que Claudio Roditi est irrésistiblement attiré par la trompette. Il y avait dans une école catholique une harmonie qui répétait juste derrière chez lui. Il allait l'écouter et, un jour, il est entré dans la salle de répétition. En voyant une trompette, il s'est dit: «Je veux jouer de cet instrument.» Il aura donc une trompette, et c'est un tromboniste à pistons de cette harmonie qui lui montre comment jouer quelques morceaux. Claudio Roditi a d'ailleurs déclaré qu'au Brésil, ce sont les trombonistes qui l'ont d'abord influencé. Après la découverte de l'instrument vient celle du jazz. En fait dès qu'il voyait une trompette sur la pochette d'un disque, il demandait à son père de le lui acheter. C'est ainsi que ses premiers disques sont des Harry James, Louis Armstrong et Ray Anthony disponibles au Brésil. Le premier disque qu'il a acheté lui-même, avec l'argent de poche que lui donnait son père, a une histoire. On lui avait recommandé Chet Baker. Lorsqu'il s'est rendu chez un disquaire, il n'y avait pas de disque de Chet, et on lui a proposé un disque de Dizzy Gillespie avec Roy Eldridge qui a bien sûr fait l'affaire.
En 1958, Claudio Roditi passe des vacances chez une tante maternelle à Bahia. Elle avait épousé un Américain qui avait des disques parmi lesquels Claudio découvre des enregistrements pour le label Dial par Dizzy Gillespie et par Charlie Parker avec Miles Davis, et un album qui le marquera plus encore de la série Stan Kenton Presents, Frank Rosolino avec le trompette Sam Noto. Lors de ce séjour à Bahia, Claudio a l'occasion de suivre des cours d'été donnés au conservatoire par un trompettiste allemand. Ce musicien utilisait une trompette à cylindres («rotary valve» en anglais qui signifie littéralement «piston rotatif»). Comme cet instrument va être déterminant dans la réputation de Claudio Roditi, il nous faut préciser. La trompette est devenue chromatique au XIXe siècle par la mise en circuit de tubulures actionnées par un système qui est soit un piston, soit un cylindre. Vous voyez sur les photos de 99% des jazzmen depuis Buddy Bolden, un cornet ou une trompette à pistons. La pulpe du doigt abaisse un piston pour la mise en circuit d'une tubulure qui par sa longueur modifie l'échelle de son. Le cylindre a un système rotatif interne qui a exactement la même fonction. Ce cylindre est actionné  à distance par l'abaissement d'une petite palette. Regardez les photos de Claudio Roditi pour observer ce système. On les appelle aussi «trompettes à palettes». Bref, les pays comme la France, l'Angleterre et les Etats-Unis ont, après une période d'hésitation, opté pour la trompette à pistons. L'Allemagne et l'Autriche pour la trompette à cylindres. Il est bien entendu que le cornet et le bugle ont aussi une version à pistons et une autre à cylindres. Pour l'instant, Claudio Roditi n'est pas intéressé, car ce qu'il voit sur les pochettes de disques et dans les magazines, ce sont des instruments à pistons.

De retour chez lui, il fréquente un cousin de son père, Moises Sion, pianiste qui anime des jam sessions chez lui, à Santos, avec son fils Roberto Sion, saxophoniste. En 1959, le père de Claudio décède et la famille retourne à Rio. Là, il entre à la Escola Nacional de Musica puis au Conservatoire National où il étudie la trompette classique avec Rubins et Waldomiro. Claudio s'abonne à la revue Down Beat et collectionne les disques de hard bop. Il est impressionné par Miles Davis et un peu par Chet Baker. Il se dit d'emblée influencé par Art Farmer. Puis il découvre le Lee Morgan des Jazz Messengers d'Art Blakey. Il aime à ce point Lee Morgan que lorsqu'il entend pour la première fois un disque de Clifford Brown, il trouve le style trop chargé en notes. Mais il ne lui faudra pas trop de temps pour corriger le tir: «I came to understand how fantastic he was. Yes, he played a lot of notes in his phrases, but his melodic beauty made sense (j'ai ensuite compris à quel point il était fantastique. Oui, il faisait des phrases avec beaucoup de notes mais leur beauté mélodique donnait un sens)». Claudio aura la même réaction en deux temps envers Booker Little. Moins habituel, Claudio s'est aussi intéressé à Dupree Bolton.

Déjà en 1964, il participe à l'enregistrement d'un disque du pianiste Antonio Adolfo. Antonio Adolfo avait sa propre école de musique et a rédigé un livre sur la musique brésilienne. Le percussioniste Dom Um Romao participe aux mêmes morceaux que Claudio.

Au décours de son cursus, Claudio obtient en 1966 la possibilité d'aller à l'Université de Graz en Autriche pour se soumettre à un concours organisé par Friedrich Gulda et qui sera remporté par Franco Ambrosetti, trompette bop suisse. Art Farmer y était membre du jury et Claudio créa des liens d'amitié avec lui. A cette époque, Claudio Roditi était en quête d'un bugle à pistons parce qu'il avait vu une photo d'Art Farmer avec cet instrument dans un Down Beat. A Vienne, où il étudie auprès d'Aurino Perreira et du Pr Koerner qui utilise une trompette à cylindres, Claudio est très déçu car dans les boutiques on ne lui propose que des bugles à cylindres. Après le concours, il est allé jusqu'à Munich, mais c'était la même chose. Par chance, lors du concours, il a lié amitié avec un saxophoniste belge qui l'a invité à Bruxelles et, là, Claudio trouve le bugle à pistons qu'il convoitait. Claudio Roditi retourne ensuite au Brésil où il devient musicien de studio (1967-1969). Puis, il se rend à Mexico pour des engagements commerciaux. Il chante des boléros en espagnol. Claudio préfère chanter en portugais et en espagnol. Il lui arrive de chanter «Triste», une chanson d'Antonio Carlos Jobim, en portugais («In English, it seems like I don't have the right feel for the language, to sing. It feels abnormal (En anglais, c'est comme si je n'ai pas le bon feeling pour la langue dans le chant. C'est ressenti comme anormal.»)

C'est le saxophoniste brésilien, décédé très jeune, Victor Assis Brasil, entré à la Berklee School de Boston en 1969, qui lui conseille de s'y inscrire. Ce qu'il fait donc à 24 ans avec déjà une culture en matière de trompettistes bop. Il arrive aux Etats-Unis en septembre 1970. A cette époque, Claudio joue une trompette Conn modèle Connstellation 8B, comme Lee Morgan et Freddie Hubbard. Ce modèle était disponible au Brésil. Claudio étudie à Berklee auprès de Ray Kotwicka, pendant le premier semestre, et de Lonnie Johnson que Roger Guérin surnommait «la joue» chez Quincy Jones (1960). En effet, Lonnie Johnson ne gonflait qu'une joue, ce qui ne l'empêchait pas d'être un superbe premier trompette de section. Quoi qu'il en soit, Lonnie Johnson enseignait le jeu en douceur ce qui est plus difficile que de jouer fort. Claudio Roditi a regretté de ne pas s'être inscrit aux cours d'arrangement d'Herb Pomeroy. Il a en revanche pris quelques cours auprès de Jeff Stout. Mais Claudio a commencé à avoir un problème d'embouchement et, pour le régler, comme Freddie Hubbard avant lui, il a consulté Avram David (né Allan Dexter Kemler), né en 1930, trompettiste, pianiste et compositeur, protégé de Margaret Chaloff, mère de Serge. L'expérience sera heureuse pour Claudio.

A Boston, Claudio joue quelques gigs avec Victor Assis Brasil et le pianiste Kenny Werner ainsi que pour Joe Lovano dans des clubs. Il a joué dans un nonet d'Alan Dawson aux côtés de Lonnie Johnson, et il a codirigé un big band avec le trompette Mark Harvey. Freelance à Boston, il est aussi professeur à la School of Contemporary Music (1970-1971). Après avoir vécu six ans à Boston, le trompettiste Jerome Callet lui trouve un appartement dans son propre immeuble à New York. C'est l'occasion pour eux d'échanger sur la musique. Puis, Claudio Roditi s'installe à Brooklyn pendant 17 ans. 
C'est grâce à Bob Mover qu'il décroche son premier engagement de hard bopper au Sweet Basil de New York avec rien moins que Kenny Barron (p), Ron McClure (b) et Ben Riley (dm). Claudio a suivi les cours du gourou Carmine Caruso qui, selon lui, ne lui ont rien apporté. Il passe dans le club du saxophoniste Mike Morgenstern, le Jazzmania.
 
Claudio Roditi au trombone à pistons accompagnant Paquito D'Rivera, en 1983 à la Grande Parade de Nice © photo X by courtesy, coll. Jazz Hot

Claudio Roditi au trombone à pistons accompagnant Paquito D'Rivera, en 1983 à la Grande Parade de Nice
© photo X by courtesy, coll. Jazz Hot


C'est surtout en 1976 que la carrière de Claudio Roditi prend son envol. Il joue pour le saxophoniste Charlie Rouse qui s'intéressait alors à la musique brésilienne pour son disque Cinnamon Flower arrangé par le pianiste brésilien Dom Salvador. Après la sortie du disque, Charlie Rouse a amené le groupe en tournée. C'est ainsi que Rouse et Roditi ont développé une amitié. Charlie Rouse a également joué au Tin Palace avec Claudio Roditi et le guitariste brésilien Amaury Tristao (1977). Mais c'est son engagement dans la formation du flûtiste Herbie Mann en 1978-1981 qui attire l'attention sur lui. En 1982, le guitariste Thiago de Mello présente Claudio à Paquito D'Rivera. Herbie Mann et Paquito D'Rivera ont engagé Claudio pour sa connaissance de la musique brésilienne. Lorsque Claudio entre dans le groupe de D'Rivera, il y a Ignacio Berroa à la batterie et Daniel Ponce aux congas; ils sont impliqués dans la musique cubaine. Même s'il y a une samba, «Red on Red» dans le premier disque que Claudio réalise sous son nom avec D'Rivera (1984), il est obligé de s'adapter à l'expression rythmique cubaine: «But that was fine for me, to get involved in their tradition and to try to understand it, because I must say Cuban rhythms are very, very complex (Mais c'était bien pour moi d'être impliqué dans leur tradition et d'essayer de la comprendre, car je dois dire que les rythmes cubains sont très, très complexes.)» A noter que la pochette Red on Red est une photo prise par Hal Oringer de Claudio avec une trompette à cylindres qui n'est pas celle qu'il utilise dans le disque qui est un modèle Sovereign de Boosey & Hawkes. 

Comme Paquito D'Rivera, Claudio Roditi est hostile à l'étiquette «latin». Ils nomment cette bouillie «guaracha-sambo-mambo», tout dans un rythme («all one rhythm»). Pour Claudio Roditi, ce qu'il entend en général est une «sort of a second-hand version of an American-version of Brazilian rhythms (une sorte de seconde main d'une version américaine des rythmes brésiliens).» Mais en bon professionnel, Claudio a tiré son épingle d'une sauce (salsa) servie avec des talents divers par Mario Bauzá, Candido, Mongo Santamaria, Eddie Palmieri et beaucoup d'autres. Il a toujours pensé: «It's really best to keep Cuban music Cuban and Brazilian music Brazilian, as far as rhythm is concerned (c'est vraiment mieux de laisser la musique cubaine être cubaine et la musique brésilienne être brésilienne d'un point de vue rythmique)
1983. Paquito D’Rivera, Live at Keystone Korner



Paquito D'Rivera a un style d'alto très brillant, proche du jeu de trompette, et il a trouvé en Claudio une compréhension artistique. Il fallait contraster par rapport à l'approche de Paquito. Du coup, Claudio a doublé au trombone à pistons. On peut entendre Claudio jouer, outre la trompette Boosey & Hawkes, du trombone à pistons dans l'album de Paquito D'Rivera, Live at Keystone Korner, Columbia 38899 (1983). Malheureusement une grosse embouchure pour trombone a interféré avec son embouchement pour jouer de la trompette et du bugle. Il a cessé de doubler sur le trombone, et pour être sûr que Paquito ne lui demande plus de le jouer, il l'a vendu à Rich Willey! Malgré la déception de Paquito D'Rivera («I think he was one of the greatest valve trombonists I ever heard in my life (Je pense qu'il fut l'un des plus grands trombonistes à pistons que j'ai entendus dans ma vie).» ils travaillent ensemble jusqu'en 1992.
Au milieu des années 1980, Claudio Roditi a joué la trompette V. Bach modèle 72, au son assez brillant, avec une embouchure Bach 3C. Il l'utilise dans les albums Explosion (1986) et Celebration (1988) de Paquito D'Rivera, ainsi que dans son propre album Gimini Man (1988). Dans Slow Fire (1989), Claudio Roditi joue un des premiers modèles Monette. Et dans son album Claudio!, il joue une trompette Jerome Callet (1985). Tout comme dans l'album Why Not! de Paquito D'Rivera (1984). 
Parallèlement Claudio Roditi assure des engagements ou des enregistrements de disques avec Buddy Montgomery (1987), Chris Connor (1986-1987), le Concert Jazz Band de George Gruntz (1987) et Charlie Rouse (1988).


Claudio Roditi et son bugle à pistons © photo X, coll. Michel Laplace


Claudio Roditi et son bugle à pistons
© photo X, coll. Michel Laplace


C'est après avoir vu des émissions télévisées du Philharmonique de Berlin dirigé par Karajan qu'il constate que toute la section de trompettes utilise des instruments à cylindres en obtenant une sonorité d'ensemble superbe: «It's got a broader sound and it's a little mellower, in a sense (dans un sens, il obtient un son plus large et un peu plus moelleux).» Et c'est l'idée que Claudio a du son de trompette, il adopte alors ce système (cf. première photo, plus haut). Il n'abandonne pas pour autant le bugle à pistons de marque Kanstul puis Inderbinen et en 2005 il déclare à Bob Bernotas: «I play the piston flugelhorn, which I still think is a beautiful looking instrument, but I think the rotary trumpet is also a beautiful looking instrument as well as nice sounding (je joue le bugle à pistons que je trouve encore beau à regarder, mais je pense que la trompette à cylindres est aussi un bel instrument à regarder aussi bien qu'agréable à entendre).» Il ajoute: «As far as the sound, it is a trumpet, but it is a trumpet with a thicker sound (concernant le son, c'est une trompette, mais c'est une trompette avec un son plus épais).» C'est en tout cas ainsi que Claudio l'entend. Pendant la période 1984-1988, Claudio expérimente des trompettes à cylindres mais n’en joue pas en concert ou sur ses disques. C'est son ami Jerome Callet qui a ramené d'Allemagne une trompette Melton à cylindres. Le problème était alors de trouver une embouchure compatible. C'est dans le Big Band de Paquito D'Rivera que Claudio Roditi teste une trompette Ganter à cylindres (1988).

1990. Dizzy Gillespie, United Nation Orchestra, Live at the Royal Festival Hall.jpg


L'United Nation Orchestra a d'abord été conçu pour deux trompettes de section (Jon Faddis, Vaughn Nark) et Dizzy Gillespie, devant, en soliste vedette. Dès le premier engagement, Nark était indisponible, pris avec les Airmen of Note. Paquito D'Rivera et sa femme Brenda ont proposé leur copain Claudio Roditi et sa trompette Ganter à cylindres pour le remplacer. Au bout du troisième remplacement, Claudio était engagé comme titulaire de cet orchestre dans lequel il a joué de 1988 à 1992. Quand Faddis a quitté l'orchestre, c'est Arturo Sandoval qui l'a remplacé comme premier trompette alors qu'il était encore citoyen cubain. C'est en partant en tournée avec l'United Nation Orchestra qu'Arturo a pu quitter Cuba. Claudio Roditi avoue avoir beaucoup appris du papa du bebop, car Dizzy saisissait toutes les occasions pour se mettre au piano et enseigner à... Slide Hampton, James Moody et les autres. En revanche, et peu le savent, Claudio a amené quelque chose au vieux Maître qui depuis plus de 30 ans jouait la même embouchure Al Cass qui a une cuvette relevée («shallow-cup») pour toucher les aigus. Or, étant placé juste derrière lui, Claudio entendait que Dizzy avait des difficultés à jouer le registre grave. Claudio a demandé à la Black Hill Company de faire pour Dizzy une embouchure identique à sa Al Cass pour les bords et la cuvette, mais avec une perce de queue élargie («backbore»). En tournée, Claudio a offert cette embouchure à Dizzy qui le remercie. Mais il n'a pas voulu l'essayer. James Moody est intervenu, et Dizzy, un soir, a placé cette nouvelle embouchure dans la branche de sa trompette pour un morceau. Il l'a gardé pendant tout l'engagement, puis il n'a plus utilisé qu'elle. Claudio a résolu le problème que Dizzy rencontrait avec le registre grave sans modifier son confort de jeu. Paquito D'Rivera se souvient qu'en 1989, lorsque l'United Nation Orchestra a joué à Marciac, Claudio a dû s'absenter un court moment. A son retour, Dizzy lui a dit: «I miss your warmth a lot (ta chaleur humaine m'a manqué).» ce qui l'a ému aux larmes.

1990. Gary Bartz, West 42nd Street



1991. McCoy Tyner, Blue BossaParallèlement à cette aventure en big band avec Dizzy, Claudio joue pour Joe Henderson, Gary Bartz (1990), Slide Hampton à la New York Brass Conference de Charles Colin (avril 1990), avec Ricky Ford (1991), Larry Gales (1991), McCoy Tyner (1991), avec le trompette argentin Gustavo Bergalli (1991), en section avec Byron Stripling et Freddie Hubbard à la Stanford University (1992), pour Tito Puente (1992). Claudio Roditi fait lui-même remarquer un point essentiel concernant l'album Live at the Village Gate de Tito Puente: «You can hear as change from Latin feelings to swing feelings and back (vous pouvez entendre comme ça change du feeling latin au swing et inversement).» Il n'y a pas de «latin jazz», mais un collage car les natures rythmiques sont différentes. A propos de la musique brésilienne, le très pointilleux Claudio Roditi insiste: «If you swing the notes like you're playing jazz, it doesn't match. Even in Cuban and Puerto Rican styles it doesn't go together (si vous swinguez les notes comme quand vous jouez jazz, ça ne cadre pas. Même dans les styles cubain et portoricain, ça ne va pas ensemble).» C'est ce que Dizzy Gillespie disait déjà dans les années 1940 à propos de son cubop. Pour Claudio chaque musique est une langue différente. Il est possible d'en parler plusieurs si on connait la syntaxe rythmique. Claudio se considérait polyglotte («multilingual») car il a tenté de jouer chaque langue sans accent étranger. Son expression musicale préférée étant le hard bop.


Claudio Roditi fait la tournée To Diz With Love (1992-1993), et il joue pour Jimmy Heath (1992), Jon Faddis (Village Vanguard, 1993), les Jazz Masters de Slide Hampton (1993-1994). Brésilien ayant grandi et trempé dans l'ambiance musicale locale, Claudio Roditi a fait un album sous son nom, Jazz Turns Samba (1994), qui peut servir de leçon aux partisans du mélange. Roditi précise que la samba est écrite en 2/4 (comme le ragtime), ce qui impose une mise en place «one-two-one-two» qui est anti-swing. Lorsqu'on veut jouer la samba ou improviser sur une samba, il faut bien sentir la différence. Pour cet album, Claudio a reformulé les standards pour les rendre compatibles avec une métrique de samba («Giant Steps», «Moanin'», «Come Rain or Come Shine», etc.). Il n'y a pas qu'une différence rythmique, il y a aussi une différence de phrasé comme il l'a exprimé: «You cannot articulate the same way you would articulate a bebop song or American standard because it simply won't fit properly with the rhythms (vous ne pouvez pas articuler de la même façon que vous articulez un thème bebop ou un standard américain tout simplement parce que ça n'entre pas correctement dans le rythme).» Il précise pourquoi: «There's more tonguing. You tongue a phrase more often than you do playing a bebop tune (Il y a plus d'attaque. Vous attaquez les notes dans une phrase plus souvent que lorsque vous jouez un morceau be bop).» 

1995. Free Wheelin’: The Music of Lee Morgan



1995. Ettore Stratta & the Royal Philarmonic, Symphonic Bossa Nova.jpg
En 1995, il a été nominé à un Grammy Award pour Symphonic Bossa Nova enregistré par le Royal Philharmonic sous la direction d’Ettore Stratta (Teldec Classics 4509-90877-2). Dans son album Free Wheelin': The Music of Lee Morgan (1995, Reservoir 136), Claudio utilise une trompette Yamaha à cylindres. En fin de carrière, Claudio possédait encore une trompette à pistons Calicchio-John Duda. Mais, surtout, il a fait faire une trompette par Hans Kromat (tromboniste de Dowids) avec des cylindres réalisés par Bernhard Zirnbauer, un ouvrier de chez Schagerl, avec une perce plus large que sur les instruments allemands usuels. Il jouait aussi une trompette et un bugle Schagerl à cylindres.



2004. Claudio Roditi, Light in the Dark


Dans son album Light in the Dark (2004), il utilise un bugle à cylindres réalisé par Kromat et une trompette Schagerl avec cylindres Zirnbauer (perce 11,2mm). Claudio Roditi a été conseiller pour la conception d'une trompette Scherzer à cylindres (perce 11,5mm). Claudio faisait faire ses embouchures par Jim New de chez Kanstul et par Greg Black dans le New Jersey où il vivait depuis 1999. Ce sont des embouchures larges, une combinaison de la Bach 1B et la Schilke 24.
Après tous ces essais sur la facture instrumentale et d'embouchure, il s'est rendu à la réalité depuis ses premiers disques des années 1960: «OK, the phrases are different, but the tone itself –the core of the sound- it's pretty much the same. I think all along I've had my own sound but I didn't really know it (OK, les phrases sont différentes, mais la sonorité elle-même –le centre du son– c'est vraiment la même. Je pense que j'ai tout le temps eu le même son mais je ne le savais vraiment pas).»




1992. United Nation Orchestra, To Diz With Love



Nous convions le lecteur à écouter attentivement le CD réalisé en janvier 1992 pour le Diamond Jubilee de Dizzy Gillespie au Blue Note de New York (Telarc 83307). Dans deux titres, trois trompettistes se succèdent, Dizzy Gillespie, Claudio Roditi et Wallace Roney. Malgré ce que l'on écrit partout, Claudio n'a pas une sonorité sombre germanique. Dans «Billie's Bounce», Dizzy, grâce à l'embouchure que  Claudio a conçue pour lui, et Wallace Roney, imitant Miles Davis, ont un son plus épais. Claudio qui prend son solo entre eux deux, a non seulement une sonorité plus brillante, mais aussi des attaques de note bien centrées, nettes qui participent à la personnalité de son phrasé. Ce détaché précis des notes est peut-être brésilien, c'est en tout cas identique à la façon de formuler les notes par les meilleurs trompettistes classiques. L'excellente version de «Night in Tunisia» par cette fine équipe confirme cette différence tranchée entre ces trois stylistes.



Claudio Roditi, Note by Note Transcriptions, Editions Charles Colin


Contrairement à d'autres, je ne dirais pas que Claudio Roditi a introduit l'utilisation des trompettes et bugles à cylindres dans le jazz, car j'ai en mémoire un fameux concert à la salle Pleyel en 1968 du big band de Dizzy Gillespie qui nous a présenté un jeune Jimmy Owens muni d'un bugle à cylindres. Avant cela, nous avons pu voir le très oublié Wilbur Harden avec un engin à cylindres dont il tirait des sons «mellow» (pochette de Don't Take Your Love From Me, 1958).

Claudio Roditi fut un remarquable instrumentiste, exigeant envers lui-même et envers les façons d'aborder les musiques honnêtement. Son art est la traduction de sa perception du son. Le hard bop est son fil rouge. Sa sonorité, son phrasé, sa créativité dans l'improvisation le placent parmi les maîtres de la trompette au cours des vingt dernières années du XXe siècle. Son travail a fait l'objet d'un recueil de transcriptions édité par Charles Colin.

Claudio Roditi, atteint d'un cancer de la prostate s'est éteint chez lui.

«Claudio doesn't even try to be original and he is (Claudio n'essaye même pas d'être original et il l'est).» a dit Paquito D'Rivera. On peut résumer Claudio Roditi par sa ligne de conduite: «I never play to impress, I play for the music (je ne joue jamais pour impressionner, je joue pour la musique).» On ferait bien de s'en inspirer.

Michel Laplace
Photos Michel Laplace et photos X, coll. Jazz Hot et Coll. Michel Laplace




Source:
 Le Monde de la Trompette et des Cuivres par Michel Laplace (DVD-Rom).





DISCOGRAPHIE

Leader
2006. Claudio Roditi, Impressions1984. Red on Red, Greene Street 2001
1985. Claudio!, Uptown 27.27
1988. Gemini Man, Milestone 9158
1989. Slow Fire, Milestone 9175
1991. Two of Swords, Candid 79504
1992. Milestones, Candid 79515
1993. Day Waves, Terra Musica (Brésil) 50 001-2
1994. Jazz Turns Samba, Groovin' High 10122
1995. Free Wheelin'-The Music of Lee Morgan, Reservoir 136
1995. Samba – Manhattan Style, Reservoir 139
1996. Claudio Roditi-Metropole Orchestra, Mons Records 874-767
1996. Claudio, Rio & Friends, Groovin' High 1013
1997. Double Standards, Reservoir 148
2003. Three for One, Nagel Heyer 2028
2004. Light in the Dark, Nagel Heyer 2047
2005. Reflections, Nagel Heyer 2065
2006. Smile, Nagel Heyer 2072
2006. Impressions, Sunnyland 1190
2008. Beyond Question, Nagel Heyer 2086
2009. Brazilliance X 4, Resonance 2002
2010. Dedication, Nagel Heyer 2095
2010. Simpatico, Resonance 2008
2011. Bons Amigos, Resonance 2010
2014. For a Long Time, HGBS Musikproduktion CD/DVD 20040

Sideman
1976. Charlie Rouse, Cinnamon Flower
1965. Pery Ribeiro, Pery, Odeon 3418
1967. Milton Nascimento, Travessia, Ritmos 13.004
1967. Victor Assis Brasil, Trajeto, Equipe 6004
1967. Primo Quinteto, Bailando Bossa Nova en el Camichin, RVV 035
1973. Mongo Santamaria, Fuego, Vaya 518
1976. Charlie Rouse, Cinnamon Flower, Casablanca 7044
1976. Dom Um Romao, Hotmosphere, Pablo 2310-777
1978. Herbie Mann, Sunbelt, Atlantic 19204
1978. Bob Mover, Mover, Vanguard 79408
1978. David Schnitter, Goliath, Muse 5153
1979. Michael Franks, Tiger in the Rain, Warner Bros. 56 612
1981. Herbie Mann, Mellow, Atlantic 16046
1983. Paquito D'Rivera, live at Keystone Korner, Columbia 38899
1984. Paquito D'Rivera, Why Not!, Columbia 39584
1984. German Pifferrer Super All-Star (Chocolate Armenteros, Steve Turre, Paquito D'Rivera, Tito Puente), Caiman 902
1985. Dizzy Gillespie, Live at the Jazz Plaza Festival, Yemaya 9438
1986. Paquito D'Rivera, Explosion, Columbia 40156
1986. Chris Connor, Classic, Contemporary 14023
1986. Graciella-Mario Bauza and Friends, Afro-Cuban Jazz, Caiman 9017
1987. Paquito D'Rivera, Manhattan Burn, Columbia 40583
1987. Herbie Mann and Jasil Brazz, Herbie Mann Music 401
1987. Buddy Montgomery, Ties of Love, Landmark 1512
1987. Mark Murphy, Night Mood, Milestone 1067
1988. Paquito D'Rivera, Celebration, Columbia 44077
1988. Michael Carvin, First Time, Muse 5352
1988. Chris Connor, New Again, Contemporary 14038-2
1989. Michele Hendricks, Keepin' Me Satisfied, Muse 5363
1989. Paquito D'Rivera, Return to Ipanema, Town 516
1989. Dizzy Gillespie, Live at the Royal Festival Hall, Enja 6044-2
1990. Gary Bartz, West 42nd Street, Candid 79049
1990. Don Sickler, An Uptown Christmas, Uptown 2733
1991. Larry Gales, A Message from Monk, Candid 79503
1991. McCoy Tyner, Blue Bossa, LRC 9033
1991. McCoy Tyner, Double Exposure, LRC 9040
1991. Barbara Carroll, Live at the Carlyle, Cabaret 91407
1992. Paquito D'Rivera, La Habana-Rio Connexion, Messidor 15820-2
1992. Dizzy Gillespie, To Diz with Love, Telarc 83307
1992. Trio Da Paz. Brasil, from the Inside, Concord Picante 4524
1992. Tito Puente and the Golden Latin Jazz All-Stars. Live at the Village Gate, Tropijazz 80879
1992. Jimmy Heath, Little Man Big Band, Verve 314 513 956-2
1992. Ricky Ford, Hot Brass, Candid 79518
1993. Charlie Rouse, Soul Mates, Uptown 27.34
1993. Slide Hampton and the Jazz Masters, Dedicated to Diz, Telarc 83323
1994. Paquito D'Rivera, A Night in Englewood, Messidor 15829-2
1994. Paquito D'Rivera, A taste of, Columbia/Legacy 57717
1994. Trio Da Paz, Black Orpheus, Kokopelli Records 1299
1994. Ettore Stratta and the Royal Philharmonic, Symphonic Bossa Nova, Teldec Classics 4509-90877-2
1994. Nick Brignola, Like Old Times, Reservoir RSR 133
1994. Jeanie Bryson, Tonight I Need You So, Telarc 83348
1995. Candid Jazz Masters. For Miles, Candid 79710
1995. Eddie Engels, New Beginning, Habiba 1036-1
1996. Horace Silver, the Hardbop Grandpop, GRP/Impulse! 192
1996. David Valentin, Primitive Passions, Tropijazz 82001
1997. Herbie Mann, Celebration, Lightyear 54185-2
1997. Herbie Mann, America/Brasil, Lightyear 54233-2
1997. McCoy Tyner, Autumn Mood, LaserLight 17 121 
1997. Arkadia Jazz All-Star, Thank You John! Our Tribute to John Coltrane, Arkadia 70002
1997. Klaus Ignatzek, African Flower-Live in Rome at Alexander Platz, Acoustic Music 319.1125.2 
1997. Jim Hall, Textures, Telarc 83402
1998. Rich Willey, Rich Willey & Boptism, Boptism 765481709520
1998. Chuck Israels, Eindhoven Concert, Azica 72206
1998. Jiggs Whigham, Blue Highway: The Music of Paul Ferguson, Azica 72207
1998. Unterbiberger Hofmusik, Made in U.S.A., Himpsl Records 9901
1999. McCoy Tyner and the Latin All-Stars, Telarc 83462
2000. Northern Illinois University Jazz Ensemble, Swingin' into the Millennium, NIU
2001. Nancy Wilson, A Nancy Wilson Christmas, Telarc 1008
2001. Jean-Louis Rassinfosse. Crossworlds, Igloo Records 156
2002. Paquito D'Rivera, Brazilian Dreams, MCG 1010
2002. Paquito D'Rivera with the WDR Big Band, Big Band Time, Primienta 245 360 559 2
2002. Dizzy Gillespie Alumni All-Star Big Band, Things to Come, MCG 1009
2002. Unterbiberger Hofmusik, the 4th, Himpsl Records 0201
2002. Jim Hall, Down Beat Critics' Choice, Telarc 83557
2002. Slide Hampton, Slide Plays Jobim, Alleycat
2012. Steve Turre, Woody's Delight, HighNote 7228
2013. Marlene VerPlanck, Ballads...Mostly, Audiophile 343
2013. Kenny Barron & the Brazilian Knights, Sunnyside 3093
2013. Swiss Jazz Orchestra, Live at Jazzfestival Bern, Mons 06458
2015. Don Braden, Luminosity, Creative Perspective 3003


VIDEOS
1984. Claudio Roditi, «Red on Red» (disque)

1985. Paquito D'Rivera & Claudio Roditi

1989. Paquito D'Rivera & Claudio Roditi, Umbria Jazz, Italie

1989. Dizzy Gillespie, United Nation Orchestra au Royal Festival Hall, Londres (1h 30, concert complet)

1989. Claudio Roditi: «Night in Tunisia» (solo transcription)

1992. Tito Puente and the Golden Latin Jazz All-Stars, Live at the Village Gate

1992. Dizzy Gillespie, Claudio Roditi, Wallace Roney, «Billie's Bounce»

1992. Dizzy Gillespie, Claudio Roditi, Wallace Roney, «Night in Tunisia»

Jon Faddis, Byron Stripling, Michael Mossman, Claudio Roditi, «Tour de Force», Festival de Jazz de Vitoria-Gasteiz

1992. Freddie Hubbard, Jon Faddis, Red Rodney, Claudio Roditi, Roy Hargrove (tp), Antonio Hart (as), James Moody (as, ts), Jimmy Heath (ts), Slide Hampton (tb), Danilo Perez (p), George Mraz (b), Lewis Nash (dm) Vienne, «Ow»

2007. Dizzy Gillespie All Stars Big Band dirigé par Slide Hampton: Slide Hampton (dir, arr, btb), Claudio Roditi (tp), Roy Hargrove (tp, flh, voc), Frank Greene (tp), Greg Gisbert (tp), James Burton (tb), Jason Jackson (tb), Steve Davis (tb), Douglas Purviance (btb), Antonio Hart (as), Mark Gross (as), Bobby Lavell (ts), Anders Boiarsky (ts), Frank Basile (bar), John Lee (b), Roy Assaf (p), Dennis Mackrel (dm), Roberta Gambarini (voc): «Things to Come»,  B Jazz Burghausen Internationale Jazzwoche 2007
2007. Claudio Roditi, «Body and Soul»

2010. Claudio Roditi on a Scherzer piccolo trumpet, «Piccolo Blues»

2012. Claudio Roditi Group, Palmer Square Jazz Fest, «Joy Spring»

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