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Gerry Teekens

31 oct. 2019
5 décembre 1935, La Haye, Pay-Bas - 31 octobre 2019, Enschede, Pays-Bas
© Jazz Hot 2019

Gerry Teekens  © Ethan Iverson, by courtesy of Criss Cross Jazz-Jerry Teekens, Jr.







Gerry Teekens

© Ethan Iverson, by courtesy of Criss Cross Jazz-Jerry Teekens, Jr.







C'est une grande figure de la production phonographique dans le jazz et créateur 
en 1981 d'un label singulier au nom Monkien, Criss Cross Jazz, qui vient de nous quitter à l’âge de 83 ans. 
Son fils Jerry Teekens, Jr. a annoncé le décès. Gerry Teekens, véritable artisan du jazz, a consacré sa vie à enrichir la grande histoire du jazz en immortalisant l’œuvre de musiciens de talent dans plus de 400 disques. Qui n'a pas eu entre les mains un album du label Criss Cross Jazz lors de ces quarante dernières années, entre légendes et découvertes, de Chet Baker, Warne Marsh et Melvin Rhine à Benny Green, Gary Smulyan, Mike LeDonne, Steve Davis ou Peter Bernstein parmi beaucoup d'autres?




Né en 1935 à La Haye, Gerry (Geert) Teekens découvre le jazz à l’âge de 12 ans dans un pays où l’influence de la culture américaine, arrivée avec la Libération et l'armée américaine, est omniprésente comme il le remarque en 2005: «Même les filles dans la rue connaissaient Lee Konitz et Stan Kenton». Il devient batteur professionnel dans les années 1960, parcourant l’Europe avant de faire une carrière universitaire dans l’enseignement de l’allemand.

Jimmy Raney, Raney '81,  Criss Cross Jazz 1001




Toutefois, le jazz reste le fil conducteur de son existence car dès la fin des années 1970, il devient producteur et organisateur de tournées de jazzmen américains. Lors d’une tournée qu’il organisa en février 1981 avec les guitaristes Jimmy et Doug Raney, il décide de les enregistrer dans un studio à Hilversum aux Pays-Bas entourés d’une belle rythmique européenne avec Jesper Lundgaard (b) et Eric Ineke (dm). Le résultat est un succès, et l'enregistrement devient ainsi le premier disque du label Criss Cross (1001), le seul enregistré en Europe car désormais Gerry Teekens va à New York dénicher de jeunes musiciens prometteurs s’exprimant dans le registre bop et hard bop qui correspond à sa génération et à ses goûts. A ce sujet, il note: «
Je préfère enregistrer des gars qui sont vraiment désireux de jouer que de mettre en vedette de grands noms qui ont déjà enregistré de nombreuses fois. Il y a beaucoup de flamme parmi les jeunes musiciens

Benny Green, In This Direction




A l’image des grands producteurs indépendants qui ont fait l'histoire du jazz, comme Alfred Lion chez Blue Note ou Bob Weinstock chez Prestige, il cultive une passion pour le jazz de culture dont l’élément moteur restent le swing et le blues. Tous les semestres, il se rend à New York et, sur les conseils de musiciens confirmés, propose des contrats d’enregistrements à une nouvelle génération talentueuse à l’image des pianistes Bill Charlap, Orrin Evans, David Hazeltine, Benny Green, Mile Le Donne ou des saxophonistes Don Braden, Kenny Garrett, Chris Potter, Ralph Moore, Javon Jackson sans oublier les valeurs sûres tels Kenny Barron, Slide Hampton, Clifford Jordan, Tom Harrel, Ralph Lalama, le regretté Richard Wyands (cf. nécrologie) et tant d’autres. D’ailleurs, en mai dernier son catalogue avait allègrement dépassé les 400 titres, une moyenne de 10 par an.


Son ami Mark Feldman du label Reservoir Records se souvient d’un homme qui avait un profond respect de la tradition du jazz et des artistes de toutes générations qui composent son label, et de son rythme d'enregistrement: «Les premières années, il a enregistré huit séances sur une période de 10 à 14 jours et, plus récemment, il est passé à quatre séances.» Même s’il revendiquait une certaine esthétique du jazz, il avait ses dernières années ouvert son catalogue à des musiciens à l’approche plus contemporaine à l’image du trompettiste Alex Sipiagin, du saxophoniste David Biney, du bassiste Matt Brewer, du saxophoniste Noah Preminger ou des guitaristes David Gilmore et Lage Lund.


Etha Iverson, The Purity of the Turf


Comme beaucoup de musiciens qui ont côtoyé Gerry Teekens, le pianiste Ethan Iverson, grand connaisseur aussi de l'univers du jazz, et qui a enregistré sur le label de Gerry Teekens The Purity of the Turf (Criss Cross Jazz 1391) avec Ron Carter et Nasheet Waits, a été très touché par cette disparition.

Sam Newsome, Sam I Am




Le témoignage du saxophoniste ténor et soprano Sam Newsome sur son blog (https://sopranosaxtalk.blogspot.com) est très émouvant sur la manière Gerry Teekens:
 Sam Newsome, qui a suivi l'enseignement du Berklee College et qui est un ancien élève du pianiste de Memphis Donald Brown, démontre l'attachement du producteur à une certaine vision du jazz toujours authentique où le swing reste l'élément moteur ainsi que sa confiance dans la jeune génération: «A l'automne 1988, dit-il, le pianiste Benny Green m'a appelé dans mon appartement de Rego Park, dans le Queens, pour me dire qu'un type d'un label hollandais était intéressé à m'entendre jouer et éventuellement me faire enregistrer pour son label. Cet homme, bien sûr, était Gerry Teekens, le fondateur et président de Criss Cross Records. Un an plus tard, après de nombreux échanges téléphoniques, j'ai enregistré mon premier et unique enregistrement en tant que leader au saxophone ténor portant l'étiquette du label de Gerry. L'enregistrement était intitulé de manière appropriée Sam I' Am avec Mulgrew Miller (p), Steve Nelson (vib), James Genus (b) et Billy Drummond (dm). (…) A l'époque, j’étais un des nombreux jeunes musiciens à avoir signé un contrat avec Criss Cross comme Javon Jackson, Don Braden, John Swana, Mike LeDonne, pour n'en nommer que quelques-uns. Ceux qui travaillaient avec Gerry à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix savaient qu'il aimait deux choses: l'enregistrement d'un jazz qui swingue avec une thématique où les standards sont au cœur du projet, et les musiciens jeunes ou confirmés qui n’étaient pas médiatisés. (…) J’ai eu quelques conflits esthétiques avec Gerry, mais je respectais son engagement envers ce qu'il aimait et sa volonté d'enregistrer des musiciens uniquement parce qu'il aimait leur façon de jouer. Gerry était différent de beaucoup de gars de labels européens qui préféraient des musiciens pratiquant une musique plus expérimentale. Son goût à l'époque était un jazz plus étroitement lié à la culture noire (hard bop, en particulier), et il enregistrait tous ceux qui souhaitaient créer dans ces domaines esthétiques. (…) En plaisantant, je l'appelais "Oncle Gerry" pour me moquer de la façon dont il se promenait en ville pendant les vacances de Noël avec un sac rempli de contrats d'enregistrement. Dans de nombreux cas, il venait à New York, séjournait au Seafarer & International House, un hôtel deux étoiles situé à Union Square, réservait un studio pendant deux semaines et commençait à enregistrer un disque par jour, avec son partenaire l’ingénieur du son et batteur Max Bolleman. A l'époque, tous ses enregistrements étaient en live sur deux pistes, sans overdubs ni mixage. Il valait mieux être prêt! (…).» 

Gerry Teekens laisse une épouse, un fils et deux petits-enfants. C'est désormais son fils Jerry Teekens, Jr., qui conduit l’histoire de cet excellent label. Nous partageons leur peine.

David Bouzaclou
Photo © Ethan Iverson, by courtesy of Criss Cross Jazz-Jerry Teekens, Jr.





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