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William Chabbey

23 sep. 2018
Three Ways for a Soul

William Chabbey, Festival Jazz à L'amirauté, Pléneuf-Val André, 11 juillet 2017 © Yves Sportis
William Chabbey, Festival Jazz à L'amirauté, Pléneuf-Val André, 11 juillet 2017 © Yves Sportis


William Chabbey est de ces musiciens qui, avec talent et modestie, animent la vie du jazz à Paris et en constituent l’âme. Lors d’une précédente interview (Jazz Hot n°625, 2005), il nous avait raconté son parcours, notamment marqué par des débuts sous la férule du grand batteur George Brown1. Après avoir tenu pendant quinze ans une jam-session bimensuelle au club Autour de Midi… et Minuit, à Montmartre –entre autres activités–, il a transposé ce rendez-vous du jeudi soir Au Port du Salut, un établissement historique, près du Panthéon. A 51 ans, il sort un nouvel album en leader, Three Ways for a Soul (Disques DOM), en trio avec Guillaume Naud (org) et Mourad Benhammou (dm). Une formation à l’entente évidente, et que le guitariste souhaite faire vivre sur le long terme. Un second album est d’ailleurs déjà en gestation… Nous l’avons rencontré à l’issue d’un concert, avec ses comparses, sur la terrasse de la péniche Le Marcounet (Paris 4e).

Propos recueillis par Jérôme Partage
Photos Yves Sportis et Photo X by courtesy of William Chabbey

© Jazz Hot n°685, automne 2018





Jazz Hot: Comment s’est formé le trio?

William Chabbey: Cela fait une quinzaine d’années que je joue avec Mourad Benhammou dans diverses formations. Nous avons accompagné plein de gens ensemble. Et il y a cinq ou six ans, j’ai rencontré Guillaume Naud sur un concert de David Sauzay (ts). Je me suis alors dit qu’il fallait que je réunisse Guillaume et Mourad. Au premier concert, en 2016, je me souviens de la sensation que j’ai eue, ce sentiment que c’était ça que je cherchais. On a enchaîné les concerts et on a enregistré le disque dans l’année qui a suivi. L’enregistrement a d’ailleurs été facile: tout a été bouclé en une journée et demie. C’est un trio, mais il sonne comme une grande formation, ce qui nous permet de nous aventurer dans différents styles: blues, bop, etc. C’est notamment dû à la présence de l’orgue qui est un instrument orchestral, même si Guillaume a un jeu serré et sensible. C’est d’ailleurs pour ça que j’aime jouer avec lui. Quant à Mourad, c’est un batteur très sûr au niveau du tempo et en même temps très libre, capable de casser les codes. Je me sens donc très à l’aise avec lui. En outre, mon jeu de guitare est depuis toujours posé sur la batterie. C’est sans doute en raison de mon expérience avec George Brown. Et il y a de l’amitié entre Mourad et moi, ainsi qu’une grande sensibilité. Nous sommes toujours sur la corde raide. La musique que nous jouons a l’air facile, mais en fait nous sommes en permanence sur le fil du rasoir.

Guillaume Naud, Mourad Benhammou et William Chabbey, Festival Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val André, 11 juillet 2017 © Yves Sportis
Guillaume Naud, Mourad Benhammou et William Chabbey, Festival Jazz à l'Amirauté,
Pléneuf-Val André, 11 juillet 2017 © Yves Sportis

L’album compte six compositions de votre main sur douze titres. Comment travaillez-vous l’écriture?

Le plus souvent, une mélodie me vient, alors que je suis en voiture ou dans une quelconque situation, et je trouve ensuite les harmonies qui vont avec. L’inspiration que m’a fournie le groupe a orienté mes compositions vers cette formule guitare-orgue-batterie qui d’ailleurs était chère à Wes Montgomery. Elles sont donc venues assez rapidement pour l’enregistrement.

Certaines sont dédiées à des guitaristes que vous admirez, comme B.B. King et John Scofield…

B.B. King, parce que le blues est le cœur de notre musique. Et parce que j’adore ces musiciens qu’on reconnaît à la première note. C’était vraiment quelqu’un d’admirable. Quant à Scofield, je trouve qu’il mûrit formidablement au fil de ses albums. Sa musique est de plus en plus forte. Evidemment, l’écoute des disques impacte mon travail de composition.

On sent chez vous la double influence de Wes Montgomery et de Django Reinhardt…

J’ai écouté Django très jeune, et je l’aime toujours autant. Il a un génie musical qui dépasse les styles. S’il avait vécu plus longtemps, je suis certain qu’il se serait tourné vers de nouvelles choses; au même titre que Jimi Hendrix d’ailleurs. Je fais le saut entre les deux car ils ont, chacun à leur façon, changé la guitare. Quant à Wes Montgomery, je l’aime parce que c’est avant tout un bluesman. Il a une force dans le son que je trouve extraordinaire. Encore une fois, pour moi le blues, c’est la base. Même si la musique a évolué par la suite. Au demeurant, les gens comme Coltrane, Miles, Sonny Rollins, Kenny Burrell, sont passés par le blues et ont continué à en jouer tout au long de leur carrière.

Jouez-vous avec les guitaristes de la tradition Django?

Pas très souvent. J’adore jouer cette musique mais je n’y excelle pas. Toutefois, j’ai beaucoup travaillé par le passé avec Jean-Yves Dubanton.

La guitare est une affaire de famille chez vous: votre père et aujourd’hui votre fils, Jonathan…

J’ai essayé de ne pas être trop sur son dos, et il a pris de moi les bonnes choses en laissant les mauvaises. C’est comme ça que les générations évoluent! J’aime beaucoup son jeu qui est très organique et sensible. Il a fait son chemin dans un monde plutôt hendrixien et dans le blues. Cependant, il a une grande culture jazz, et il a participé à l’enregistrement du disque.

Une autre de vos compositions, sur l’album, est dédiée au club Autour de Midi… et Minuit2 qui a cessé ses activités jazz en mai 2017, et dans lequel vous avez animé une jam-session pendant plusieurs années…

Peu après l’ouverture du club, au début des années 2000, le patron, Yves Faucher, m’a engagé, et nous nous sommes liés d’amitié. On a fait beaucoup de beaux concerts là-bas, et j’ai fini par animer une jam, un jeudi sur deux. Ça a duré environ quinze ans, jusqu’à la fin. Les musiciens étaient très attachés à cet endroit. C’était chez nous. Un de mes souvenirs les plus marquants est l’hommage à George Brown que nous avons monté dans le club –où j’avais souvent joué avec lui–, en compagnie de Mourad, d’Alain Jean-Marie et d’autres musiciens qui avaient travaillé avec lui. C’était une très belle soirée.

William Chabbey avec George Brown, en 1999 © Photo X, by courtesy of William Chabbey
William Chabbey avec George Brown, en 1999 © Photo X, by courtesy of William Chabbey

Parlez-nous de vos années avec George Brown…

Je l’ai rencontré très jeune. Je le voyais régulièrement en concert car il était, avec Alain Jean-Marie et Alby Cullaz, de ces rythmiques qui accompagnaient les Américains de passage dans les clubs parisiens. Et il se trouve qu’il était en couple avec ma tante qui me l’a présenté. D’emblée, on s’est très bien entendu. Musicalement aussi d’ailleurs, même si je n’avais pas alors le niveau pour jouer avec un batteur de ce calibre. Mais il a été très généreux avec moi. Je me souviens du premier concert avec lui, j’avais 18 ou 19 ans: le temps était tellement large que j’étais perdu. Je ne savais pas où me placer. J’avais peur de jouer… Puis, ça s’est rapidement mis en place. C’est un musicien qui a eu une carrière avec des hauts et des bas, mais qui a vécu l’époque où on ne jouait pas simplement la musique, on l’inventait. On a travaillé ensemble une dizaine d’années. Je l’ai accompagné dans diverses formations, et je l’ai invité sur un de mes premiers disques, Jazz Horizons. J’ai énormément appris avec lui. Sa ride m’est restée dans la tête.

Quels autres musiciens vous ont marqué?

En France, on a un pianiste fantastique qui s’appelle Alain-Jean-Marie3. On a eu l’occasion de jouer ensemble à différentes reprises et j’ai même enregistré avec lui pour le saxophoniste suisse Moriz Peter. Et puis il y a eu aussi Wayne Dockery (b), Alby Cullaz, Tom McClung (p), ou les grands batteurs comme Ted Hawke, Oliver Johnson4… Et j’aime beaucoup jouer avec Rick Marguitza (ts), Gilles Barikosky (ts), David Sauzay (sax, fl), Ronald Baker (tp), Fabien Mary (tp) ou encore Patrick Villanueva (p, org) avec lequel j’ai joué aux côtés de George Brown

Mourad Benhammou et William Chabbey, Festival Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val André, 11 juillet 2017 © Yves Sportis
Mourad Benhammou et William Chabbey, Festival Jazz à l'Amirauté, Pléneuf-Val André, 11 juillet 2017 © Yves Sportis

Où vous produisez-vous?

Dans tous les clubs qui existent encore! De fait, il y a de moins en moins de vrais clubs à Paris. Mais je préfère cette proximité avec le public plutôt que les grandes scènes. Après, il y a beaucoup de bars et de restaurants qui emploient des musiciens. Si on m’accueille correctement, ça ne me pose aucun problème d’y jouer. Et même les soirées privées: les concerts d’appartement, c’est très sympa’. Du moment que les gens sont heureux d’entendre notre musique. Quand Autour de Midi s’est arrêté, j’ai posé mes valises dans un nouvel endroit qui s’appelle Le Port du Salut, rue Saint-Jacques. J’y anime régulièrement une jam depuis un an. Par exemple hier, on a eu John Betsch (dm) que je connaissais un peu, et on a passé un excellent moment. Ça m’a rappelé la grande époque des batteurs, qui avaient un son très particulier. A mes jams, je vois beaucoup de jeunes musiciens très doués et qui ont une bonne culture jazz. Je pense donc que cette musique a encore de l’avenir. J’accompagne aussi beaucoup de chanteuses, notamment dans la musique brésilienne. Je fais beaucoup de choses. George Brown me disait:«Il faut que tu paies énormément pour la musique, si tu veux qu’elle te paie un peu un jour.» J’ai la chance de vivre de ma musique. Quand je sors de chez moi avec ma guitare, je suis toujours très heureux.

Notes:
1. George Brown (6 novembre 1940, Grand Rapids, Michigan-25 juillet 2007, Paris) a débuté dans le trio de Wes Montgomery, avec Mel Rhyne (org). On peut l’entendre sur l’album
Portrait of Wes (Riverside, 1963). On le retrouve plus tard aux côtés de Sonny Rollins, Roland Kirk, Chet Baker et J.J. Johnson. Il s’installe à Paris au milieu des années 1970, formant –notamment avec Alain Jean-Marie– la rythmique maison des clubs accueillant les musiciens américains de passage. A la même époque, il accompagne également Archie Shepp et Steve Grossman.

2. Autour de Midi… et Minuit a été ouvert en 2001 au 11, rue Lepic (Paris 18e). Comprenant un restaurant au rez-de-chaussée et une cave à jazz au sous-sol, ce lieu à l’ambiance chaleureuse a accueilli la scène bop parisienne (mais aussi blues, tradition Django, swing…) et des jam-sessions, trois soirs par semaine (notamment animées par William Chabbey, Laurence Masson et Laurent Epstein), jusqu’en mai 2017. Le patron du club, Yves Faucher, a alors passé la main à un repreneur qui n’a pas poursuivi l’activité de concerts jazz.

3. Cf.
Jazz Hot n°681 où Alain Jean-Marie est en couverture.
4. Oliver Johnson (Oakland, CA, 1944-Paris, 2002), qui a disparu tragiquement assassiné à Paris, à proximité du Châtelet.

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2017. William Chabbey, Three Ways for a Soul, Disques DOM

CONTACT:
www.williamchabbey.com

EN CONCERT: avec son trio à La Cantinallegra (Auxerre, le 19/10), Au Port du Salut (Paris, le 20/10), sur la péniche Le Marcounet (Paris, le 30/10), à Colombes Jazz (hauts-de-Seine, le 9/12), au Jazz Café Montparnasse (Paris, le 26/12); William Chabbey anime également un «apéro-jazz», tous les jeudis, de 19h à 21h, au Chapi Chapo (50 rue Descartes, Paris 5e) et une jam-session, un jeudi sur deux, à partir de 21h30, Au Port du Salut (163 rue Saint-Jacques, Paris 5e).


SELECTION DISCOGRAPHIQUE

Leader/Coleader
CD 1996. Meeting With the Cool, Sude Productions WCCD 001
CD 2002. Jazz Horizons, DOM 1125
CD 2005. Après la nuit, DOM 1133
CD 2008. At Home, Aphrodite 106015-6
CD 2011. Three for a Blues, Aphrodite 106023
CD 2014. A New Day, Black & Blues 796.2
CD 2017. Three Ways for a Soul, Disques DOM 1263

Sideman
CD 2000. Carlos Werneck, MMM Clave, autoproduction
CD 2001. Moritz Peter Quartet, Dex Mex, autoproduction
CD 2002. Catia Werneck, La Vie en rose, Pygmalion Records
CD 2003. Moritz Peter Quartet, Cafe Luz, AltriSuoni 161
CD 2003. Catia Werneck, Saudade de Paris, Possion Heads RBCS-2060
CD 2009. Moritz Peter Quartet, TCB Records 29602

2002. William Chabbey, Jazz Horizons, DOM   2005. William Chabbey, Après la nuit, DOM   2008. William Chabbey, At Home, Aphrodite   2014. William Chabbey, A New Day, Black & Blues

VIDEOS

2005. William Chabbey Trio, «Wes Groove», émission TV
William Chabbey (g), David Sauzay (fl), Emmanuel Chabbey (b), Mourad Benhammou (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=W9sHwe7336o

2015. William Chabbey Trio, le Crotoy Jazz Festival (Baie de Somme)
William Chabbey (g), Rémi Jeannin (org), Mourad Benhammou (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=43KiJPutPVI

2015. William Chabbey Trio, «Un Singe en hiver», Autour de Midi… et Minuit (Paris)
William Chabbey (g), Fabien Marcoz (b), Mourad Benhammou (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=2xEx2lSAjT4

2017. Leila Duclos & Friends, «Caravan», Paris
Leila Duclos (g, voc), Christophe Brunard (g), William Chabbey (g)
https://www.youtube.com/watch?v=PJUTY68zv7Q

2017. William Chabbey Trio, extrait de la séance d’enregistrement de Three Ways for a Soul
William Chabbey (g), Guillaume Naud (org), Mourad Benhammou (dm)
https://www.youtube.com/watch?v=03axQrDze00

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