Misha (parfois écrit Misja) Mengelberg, pianiste et compositeur, né le 5 Juin 1935 à Kiev, en Ukraine alors soviétique, nous a quittés le 3 mars 2017. Ses parents, hollandais, choisissent de retourner aux Pays-Bas en 1938. C'est une
famille de musiciens classiques de haut niveau: sa mère est harpiste dans un
orchestre classique, son père, Karel, et son oncle, Willem, sont chefs d’orchestre et compositeurs.
Misha Mengelberg a d’abord voulu être architecte comme son grand-père.
Mais le virus familial de la musique est vite devenu sa priorité. Il a étudié la
théorie, le contrepoint, la composition au Conservatoire de La
Haie, aux Pays-Bas, de 1958 à 1964. Il a commencé le piano à
l’âge de 5 ans, mais il a dit ne pas aimer le piano qu’il le pratiquait très peu pendant ses
études. Ce qui ne l’a pas empêché de
devenir un pianiste émérite,
influencé à ses débuts par Duke Ellington, Bud
Powell et Thelonious Monk qu’il rencontra. Il continuait à
dire qu’il n’était pas pianiste, que ce n’était
que son «véhicule» pour jouer, parce
qu’il était incapable de jouer d’un autre
instrument (alors qu’il jouait aussi du violon). «C’est
d’ailleurs pour ça que je suis très changeant
dans mon jeu, disait-il, je peux jouer exotique, exubérant,
fou ou minimaliste». Il ne manquait pas d’humour! Exemples: un duo avec son perroquet (Eeko), et des prestations sur
scène en imperméable défraîchi, la cigarette au
bec à la Prévert.
En
1961, il fonde un quartet avec notamment le batteur Han Bennink
auquel se joignait parfois Johnny Griffin. C’est à cette
époque qu’il rencontre le mouvement Fluxus qu’il
compare au mouvement Dada, et qui lui a servi d’inspiration pendant un temps.
Il
fut en rapport avec Eric Dolphy qu’il aida à faire venir
en Europe, et à créer un groupe dont il fut le
pianiste, participant à l’enregistrement du premier disque du saxophoniste, flûtiste (Last Date, 1964) sur ICP Records, le dernier
disque d’Eric Dolphy qui devait mourir trois semaines plus tard.
C’est
avec Han Bennink, Willem Breuker et d’autres qu’il fonda
d’abord le ICP Orchestra (Instant
Composers Pool Orchestra), une sorte de coopérative, avec
laquelle ils ont rendu hommage à Herbie Nichols (1983),
Thelonious Monk (1986) et Duke Ellington (1992). A la fin des années
70 le ICP Orchestra devenait parfois le ICP Tentet. ICP devint
également un label de disque.
Il a eu également une intense production de compositeur marqué dès
ses débuts par Stravinsky; il avait obtenu la
Gaudeamus International Composers
Award en 1961. Il s’intéressait
également à la musique contemporaine, et on peut signaler sa rencontre avec John Cage à Darmstadt en 1958.
il a eu une grande période d’activité avec les
musiciens d’avant-garde: Derek
Bailey, Peter
Brötzmann,
Evan
Parker, Anthony
Braxton, Sunny
Murray, Steve Lacy, Rosewell Rudd, John Tchicai, Don Cherry, Enrico Rava, Mario Schiano,
Giancarlo Schiaffini.
Il
participe à la grande formation d’Alexander
Schlippenbach, le Berlin
Contemporary Jazz Orchestra en
1989, et, dans les années 2000, il continue à tourner avec
l’ICP Orchestra. A
partir de 1982 il est professeur au conservatoire d’Amsterdam.
Il
était un grand connaisseur de toutes les formes de musique, en
particulier du jazz depuis ses origines, jusqu’à la
musique dite «contemporaine», en passant par la classique bien sûr.
Sa musique était truffée de trouvailles et de
références qui n’excluaient pas les clichés.
Son jeu de piano est assez particulier, ancré au début
sur le boogie-woogie puis se développant du côté
bop et surtout de l'univers de Monk, devenant de plus
en plus «contemporain», dans une mosaïque
assez cocasse et roborative. Il lui arrivait parfois d’émettre
des sons vocaux, des grognements, de faire des grimaces. Un musicien
totalement facétieux à la façon de son compère
Han Bennink, mais un sacré musicien!
Atteint de la maladie d’Alzheimer, il s’était mis en retrait du métier, auprès
de sa femme, à qui nous présentons nos plus sincères
condoléances.
C’est une grande figure de la
musique, une nature comme on dit, une personnalité originale qui nous a quittés.
Serge
Baudot
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