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Junas (Gard)

1 sep. 2013
Jazz à Junas 13 au 20 juillet 2013
© Jazz Hot n°664, été 2013
Arnaud Méthivier en ballon © Guy Reynard

Jazz à Junas fêtait cette année sa 20e édition avec un programme plus étendu dans le temps et plusieurs nouveautés. Après un premier essai au cours d'une édition précédente, plusieurs rues du village ont été rebaptisées pour un an des noms de musiciens présents dans cette vingtième édition. C'est ainsi que la rue menant aux carrières était devenue la rue Jan Garbarek et croisait la rue Ahmad Jamal. Le festival n'est pas une activité isolée mais le point d'orgue d'une saison qui propose des concerts toute l'année dans différentes villes et villages du Gard et de l'Hérault. Situé tout près de Sommières, Junas dispose de carrières désaffectées, cadre majestueux du festival où ainsi que le déclarait Steve Swallow à Radio Clapas, partenaire historique de la manifestation : « Ici, l'acoustique est très bonne parce que les rochers ont décidé de se déplacer eux-mêmes à la bonne place. » Effectivement, l'acoustique est excellente et permet d'éviter les amplifications tonitruantes. Chaque journée commence par une projection de film au cinéma de Sommières suivie d'un set gratuit au temple et par deux concerts payants dans les carrières. Enfin cette année, Daniel Humair a réalisé des vitraux pour le temple ; l'affiche du festival lui été confiée et sa nouvelle formation jouait presque en clôture de la manifestation.
Nous n'avons pu être présent le premier jour pour le concert de Jan Garbarek, qui a drainé une foule immense, le festival a donc commencé véritablement pour nous le deuxième jour.

Remi Ploton, Gabrielle Khoelhoffer, Airelle Besson, Pierre-Olivier Govin, Joël Allouche © Guy Reynard


Mercredi 17 juillet. Après le duo d'accordéon Arnotto (Arnaud Methivier – Otto Lechner) au temple, le batteur Joel Allouche a présenté son projet en hommage à Tony Williams. Le quintet se place évidemment dans la dernière période du batteur lorsqu'il est revenu à la musique acoustique avec en particulier Mulgrew Miller. L'instrumentation est bien évidemment la même avec Airelle Besson à la trompette, Pierre-Olivier Govin au sax-ténor et soprano, Remi Ploton au piano et Gabrielle Khoelhoffer à la basse. Cette période est certainement l'une des plus intéressante du batteur, une phase transition avant un depart vers une nouvelle direction que sa disparition brutale n'a pas permis de voir apparaître. Le quintet est bien soudé, le son d'ensemble très proche de celui du batteur disparu. Les solos sont bien construits et ne cherchent pas à se rapprocher de ceux de leurs illustres aînés ; au contraire chacun cherche à s'exprimer avec sa propre personnalité et sonorité. C'est particulièrement le cas d'Airelle Besson qui apporte une autre direction à la musique que celle proposée par Wallace Roney. Dans les parties d'ensemble la musique reste nettement plus proche de celle de Tony Williams. Il faut donner une mention spéciale découverte à Gabrielle Khoelhoffer prometteuse bassiste au jeu déjà particulièrement bien affirmé. Il manque juste à l'ensemble la possibilité de plus jouer cette musique en concert pour avoir une encore plus grande cohésion.

Steve Swallow-Carla Bley Sextet © Guy Reynard


Un bassiste dirigeait un autre quintet pour terminer la soirée. Steve Swallow a totalement renouvelé sa formation avec Chris Speed aux saxos, Steve Cardenas à la guitare, Jorge Rossy à la batterie et bien sûr Carla Bley à l'orgue Hammond. Il est devenu impossible aujourd'hui de séparer Steve et Carla qui forment une profonde union tant sentimentale que musicale. Le répertoire est composé de thèmes de Steve Swallow et Carla Bley se dit très heureuse de ne pas avoir à composer et préfère se reposer sur son rôle d'instrumentiste. A l'orgue Hammond exclusivement elle apporte un soutien constant où le swing est omniprésent, une base constante pour les solistes, complètant la basse très présente de Steve Swallow. Sur cette belle entente Jorge Rossy se révèle très à l'aise dans une musique où la tension toute intérieure convient parfaitement à son jeu de batterie. Chris Speed et Steve Cardonas peuvent alors s'exprimer dans différentes directions où le groove laisse parfois la place à des parties plus free mais sans jamais remettre en cause la structure de la musique. Le répertoire est celui du dernier disque du couple : « In the Woodwork ».


Jeudi 18 juillet. La programmation propose une véritable soirée fusion avec Ernst Reijseger au violoncelle, Mola Sylla aux percussions et le chœur sarde Cuncordu E Tenore de Orosei. Le concert commence à la buvette où les musiciens viennent chercher les retardataires et les accompagnent en acoustique jusqu'au lieu du concert avant de monter sur scène. Ensuite chacun s'exprime dans sa musique et il est parfois difficile d'éviter la juxtaposition même si l'entente entre le violoncelliste et le percussionniste est  évidente.


L'entracte est assez long car Arnaud Methivier devient l'accordéoniste perché : accroché à un ballon captif déplacé par quatre opérateurs, il est déplacé au dessus du public et de tout l'ensemble du lieu pour une musique plus répétitive qu'aérienne.


Tigran Hamasyan avait quatorze ans lorsqu'il vint pour la première fois à Junas. Il en a aujourd'hui 26 et c'est un musicien confirmé qui se présente à la tête d'un quintet à l'esthétique bien affirmée. Avec Nate Wood son fidèle batteur, Ben Wendel est aux saxophones et Sam Minae à la batterie. Areni Agbabian est une jeune chanteuse arménienne. Tout au long du concert la musique oscille entre le jazz et une musique plus éthnique où les sons de son Arménie natale sont de plus en plus présents. Les deux tendances sont toujours présentes et souvent, lorsque le jazz se développe la mélopée orientale vient s'interposer et crée des ruptures pas toujours évidentes. Il est toujours difficile de fusionner deux musiques aussi éloignées l'une de l'autre.

Bojan Z et Paolo Fresu © Guy Reynard


Vendredi 19 juillet. Retour au jazz avec le duo Bojan Z-Paolo Fresu. Le trompettiste sarde et le pianiste serbe ont des personnalités assez éloignées l'un de l'autre. Autant Paolo Fresu joue avec les couleurs, les textures et les ambiances autant Bojan Z est plus porté sur la dynamique et l'énergie de la musique. Aucun des deux ne rejette le swing, mais ce n'est pas l'élément essentiel de leur musique. Ils se retrouvent tous les deux dans l'improvisation et le dialogue. Autant l'énergie se trouve dans la musique de Bojan Z autant celle ci se retrouve dans les attitudes scéniques du trompettiste. Alors que le pianiste reste concentré sur sa musique, c'est de tout son corps que Paolo Fresu accompagne ses solos. Ainsi il joue assis sur une chaise, mais il se contorsionne, bouge constamment et joue en direction du retour qui lui envoie le son de son partenaire. Et malgré ces différences les deux musiciens parviennent à se trouver en un dialogue parfaitement réussi.

Philip Catherine Quartet © Guy Reynard


Le quartet du guitariste Philip Catherine est beaucoup plus habituel avec Nicola Andreoli au piano, Philippe Aerts à la basse et  Antoine Pierre à la batterie. Appartenant au 70th Birthday Tour, ce concert tient toute ses promesses. A 70 ans Philip Catherine poursuit une carrière où le romantisme un peu rêveur ne se départit jamais du swing dont il pimente sa musique. Quelques standards, les nouvelles compositions de son dernier disque composent un répertoire parfaitement adapté aux cordes de ce quartet. S'il est le leader naturel du groupe, il laisse largement la place à ses musiciens pour s'exprimer tout au long d'un concert parfaitement réussi.

Daniel Humair © Guy Reynard


Samedi 20 juillet. A 75 ans, Daniel Humair continue à chercher de nouvelles formules pour dynamiser sa musique. Après le Baby Boom avec deux saxophonistes et un guitariste, le voici avec une formule tout aussi originale avec Emile Parisien aux saxophones, Vincent Peirani à l'accordéon et Jérôme Regard à la contrebasse. Menée parallèlement à sa carrière de musicien, sa carrière de graphiste suit des chemins où le jeu sur la couleur poursuit celui des recherches de la batterie. Il apporte au quartet son expérience de musicien qui a joué avec la plupart des grands du jazz tandis que les jeunes musiciens lui apporte la fraîcheur d'une vision plus actuelle de la musique. Sa musique demeure très libre sans être free. Vincent Peirani apporte une sonorité tout à fait intéressante tandis que Emile Parisien propose des pistes nouvelles qui enrichissent le groupe. Le quartet propose une musique en devenir, à laquelle Daniel Humair semble trouver beaucoup de plaisir.


Le festival a trouvé sa conclusion en un quintet insolite avec deux trompettistes et trois cordes (basse, guitare et violon) et beaucoup d'électronique. Jon Hassell et Paolo Fresu ont proposé une musique qui n'est pas sans rappeler « In a Silent Way » écrit par Joe Zawinul pour Miles Davis. Les deux trompettistes et les trois cordes proposent de très longues phrases qui portent leur propre rythme interne sans s'appuyer sur une section rythmique externe. La musique est largement hypnotique et l'électronique en modifie perpétuellement les couleurs. Comme dans la musique répétitive l'évolution est très lente et l'absence de batterie est parfois déconcertante. Mais il est nécessaire de se laisser entraîner par la cohérence interne pour suivre les chemins suivis par les musiciens.


Jazz à Junas a dignement fêté sa 20e édition avec un public fidèle et ouvert aux divers courants du jazz. Avec une programmation tournée vers les musiques innovantes plus que vers le courant principal du jazz, Junas s'inscrit comme l'une des étapes obligées des festivals de l'été. Steve Swallow a ouvert ce compte rendu laissons lui le conclure par cette belle phrase : « Lorsque le swing est là, le monde est vraiment un endroit merveilleux. »
Guy Reynard