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Antibes - Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes)

1 sep. 2013
Jazz à Juan, 16 juillet 2013
© Jazz Hot n°664, été 2013


Un soir à Juan

Il pouvait paraître paradoxal et risqué de programmer, sur la même scène et le même soir
du 16 juillet 2013, le quartet de Wayne Shorter, au personnel identique depuis treize ans, et le Lincoln Center Jazz Orchestra dirigé par Wynton Marsalis qui va bientôt fêter ses 20 ans. Seule, la pérennité rapproche les deux formations. La destination et l'esthétique sont très différentes. De plus, présenter le quartet porteur d'une musique plus difficile en ouverture pouvait provoquer au mieux une indifférence polie et au pire un rejet radical. Or rien de tout cela ne s'est produit, et on pourrait presque espérer que chacun connaît l'évolution du jazz et les différentes directions prises par la musique.

Wayne Shorter et Danilo Perez, John Patitucci, Brian Blade © Guy Reynard

D'emblée, le quartet de Wayne Shorter se lance dans une longue exploration de « Zero Gravity ». Nous sommes loin du disque Without a Net où les morceaux sont courts et ne rendent pas compte de la réalité des concerts. Ce premier thème va être longuement exploré. C'est tout d'abord Wayne Shorter qui lance le thème au saxo ténor appuyé sur les trois autres musiciens. Il donne des pistes qui vont être explorées tant par Danilo Perez que par John Pattitucci ; Brian Blade n'accompagne pas vraiment mais apporte des couleurs, des décalages rythmiques qui à la fois mettent en déséquilibre les solistes et les stimulent afin de ne jamais tomber dans une routine. Chacun est tour à tour soliste et peut largement explorer le thème dans une voie personnelle. Le bassiste joue aussi bien pizzicato qu'à l'archet et Wayne Shorter utilise aussi bien le ténor que le soprano. Après vingt-cinq minutes, le morceau se termine sans que les quatre musiciens ne donnent l'impression d'avoir épuisé les possibiltés du thème. Lors de la tournée en duo avec Herbie Hancock, certains avaient utilisé le titre générique de Forensic Tour (la tournée autopsie des morceaux). C'est dans cette voie que le quartet s'est dirigé : chaque thème joué est trituré, disséqué pour en extraire toutes les possibilités. C'est ainsi que seront traités ensuite « Orbits », « Lotus », « Plaza Real » et en rappel « Adventures Aboard the Golden Mean ». Ce dernier est le seul à ne pas dépasser les dix minutes même si sa durée demeure malgré tout respectable.
En fait, la balance (réglage du son et de la lumière) a permis de voir le fonctionnement du trio. Car Wayne Shorter ne paticipe plus à ces réglages. Pendant que Brian Blade installe avec beaucoup de soin sa batterie, le pianiste et le bassiste explorent des pistes possibles du morceau. Danilo Perez paraît le plus impliqué, et sa connivence avec John Patitucci est extrêmement poussée. Puis, lorsque le batteur a réglé sa batterie, les trois musiciens se lancent dans une longue répétition où, visiblement, ils essaient des combinaisons qui seront proposées au saxophoniste lors du concert. Seule, la longévité de ce quartet permet un travail qui utilise à fond les personnalités de chaque musicien. Et lorsque l'un d'eux est absent comme Brian Blade l'année dernière, c'est tout l'ensemble qui en souffre. Certes l'ensemble ne se base pas toujours sur le swing, mais présente une remarquable cohérence d'idées et d'intention.

Lincoln Center Jazz Orchestra 2013 © Guy Reynard

Il est certain que le swing était présent lors de la deuxième partie avec le Lincoln Center Jazz Orchestra dirigé par Wynton Marsalis. Mais, assez vite, un malaise s'installe. Habituellement, l'orchestre explore une direction précise : Duke Ellington, Louis Armstrong, John Coltrane et d'autres ont vu leurs œuvres reprises par cette formation. Ici au contraire, Wynton Marsalis semble faire le tour de ce qui a déjà été exploré. C'est une bonne idée de jouer des suites soit personnelles (« Inferno - Insatiable Hunger ») soit de Duke Ellington (« Far East Suite ») ou du tromboniste Chris Crenchaw. Mais pourquoi n'en donner que des extraits et ne pas en donner l'intégralité ? Le répertoire tourne au patchwork et une routine semble s'installer. De plus, plusieurs musiciens sont absents et les remplaçants semblent rechercher la cohésion nécessaire avec l'ensemble. Dan Nimmer est pourtant présent depuis plusieurs années, mais il ne peut tout jouer avec le même enthousiasme. C'est particulièrement évident lorsque sur « Calle de Oro », une composition du bassiste Carlos Henriquez, il est remplacé par Danilo Perez, la connivence s'installe dans la section rythmique, et le morceau est le plus réussi du concert. Le départ de Sean Jones n'a pas été pallié, et Wynton Marsalis retrouve le poste de premier trompette. « Light Blue », le thème de Thelonious Monk, n'est guère plus satisfaisant tant il est éloigné de l'esprit du pianiste. Mais le concert a aussi compté quelques bons moment comme l'extrait de la suite « God's Trombone » où Chris Crenshaw s'est particulièrement distingué par sa sonorité et son enthousiasme. Tout orchestre présente des jours sans et visiblement ce jour-là en était un. Qui aime bien châtie bien dit-on, et c'est certainement la raison qui incite à être plus exigeant avec un orchestre dont attend beaucoup.
Guy Reynard

Wayne Shorter Quartet : Wayne Shorter (ss, ts), Danilo Perez (p), John Patitucci (b), Brian Blade (dm)

Lincoln Center Jazz Orchestra. Wynton Marsalis (cond)
Wynton Marsalis (tp), Ryan Kisor (tp), Kenneth Rampton (tp), Marcus Printup (tp)
Elliott Mason (tb), Christopher Cranshaw (tb), Vincent Gardner (tb)
Paul Nedzela (bs), Walter Blanding (cl, ts), Sherman Irby (as), Craig Handy (ts), Victor Goines (ts)
Daniel Nimmer (p), Carlos Henriquez (b), Ali Jackson (dm)