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Javea, Alicante (Espagne)

1 sep. 2013
Xàbia Jazz Festival, 3 au 5 août 2013
© Jazz Hot n°664, été 2013

Pour la clôture du XIIIe Xàbia Jazz, le 5 août, la chanteuse madrilène Carmen Cuesta était programmée. Spécialisée dans la bossa nova, Carmen est loin de nous avoir enthousiasmés. Sa prestation est à l’image de ce qu’elle laisse apparaitre dans sa tenue et dans son jeu de scène : fade. Le répertoire, en grande partie puisé chez Jobim, n’en ressort pas grandi mais le maître en survira. La voix n’a pas de saveur et la bossa sans étincelle. En ce qui concerne les compositions personnelles elles ne respirent pas non plus l’ambiance carioca. La chanteuse est accompagnée de trois noms, le batteur Guillermo McGill faisant défaut. Evidemment le guitariste Chuck Loeb est attendu ! Depuis son passage chez Stan Getz à la fin des années quatre-vingt et sa participation au disque qui a fait basculer la vie de Cuesta, il est considéré comme un spécialiste du genre. De l’eau a coulé sous les ponts… Dans le premier thème, emprunté à Milton Nascimento, purement instrumental, nous avons pu avoir un aperçu de son talent qui devient moins perceptible par la suite. Mario Rossy est un excellent contrebassiste de jazz mais il donne l’impression de coller à sa partition et de surveiller d’un œil un Chuck Loeb qui le guide. Faisait-il son entrée dans la formation ? Au piano et clavier Matt King a bien soutenu le travail de Loeb, et Carmen s’en sort grâce à ces deux musiciens. Seul le « Chega de Saudade » joué plutôt comme un samba nous a plu.


La veille, 4 août, le directeur artistique du festival Kiko Berenguer – enfant du pays – s’était autoprogrammé pour présenter son dernier travail Aire. Le projet avait été rodé dans les jours précédents au festival de Jazz de Valence puis au Polisònic de Gandía. A Javea, il bénéficiait d’une bonne sonorisation qui lui a permis de sortir un excellent son tant au ténor, que nous avons préféré, qu’au soprano. Il semble désormais que le chemin des musiciens de jazz espagnols doive passer obligatoirement par un travail à partir du flamenco. De la source « découverte » par Pedro Iturralde dans les années soixante, au moins deux rivières sont nées. L’une est celle de Chano Domínguez et Jorge Pardo, deux artistes dont la vie est totalement imprégnée tant du jazz que du flamenco, et qui arrivent à créer un langage propre où les deux genres sont parfaitement intégrés. L’autre voie est suivie par tous les musiciens qui, pour la plupart des jazzmen, ont une connaissance théorique du flamenco. Cette voie a tendance à travailler par collage. On y perçoit où finit le jazz et où commence le flamenco. Des recherches de ce type peuvent constituer des réussites. Ainsi dans ce même festival, on avait pu découvrir il y a quelques années un beau travail mené par le saxophoniste valencien Perico Sambeat. Le projet de Berenguer – qui s’inscrit dans cette lignée – articule une section flamenca (l’excellent guitariste Juan de Pilar, les voix et palmas des frères Amador et un faible joueur de cajón) avec son travail personnel de saxophoniste de jazz. Il appuie celui-ci sur la basse électrique de Rogelio Campos (soutien également de la guitare flamenca) et sur une batterie aussi faiblarde que le cajón (même instrumentiste). A cette double facette, Kiko a ajouté un accordéon confié au musicien portugais Joao Frade. Bon musicien, celui-ci semble toutefois livré à lui-même. Il s’inscrit dans les intervalles, improvisant sans lien apparent ni avec les passages jazz (sauf sur « Kiss in Paris ») ni avec la section flamenca. Cette dernière, que nous avons trouvé motivée, pleine de vie, a un rôle moteur lorsqu’elle intervient, impulsant à Kiko plus d’énergie. Il peut alors entraîner sa formation dans un dynamisme plus marqué que lorsque nous l’avions écouté deux jours plus tôt à Gandía. Ainsi les thèmes « Aire », « Canela y Menta » emportent-ils l’adhésion du public. Nous avons aussi apprécié « Granadella » certainement le thème où s’unissent le mieux le soprano de Berenguer, la guitare et les palmas. Une « vedette » de son spectacle, Tomasito, danseur invité, semble bien connu du public. Il nous a paru plus proche d’une attraction touristique que du véritable baile flamenco.
Omar Sosa, Childo Tomas, Ernesto Simpson © Patrick Dalmace

Pour l’ouverture du Festival, le 3 août, Berenguer avait fait un choix excellent en programmant le trio d’Omar Sosa. La prestation du pianiste cubain (plus Fender Rhodes, effets et voix live) et de ses partenaires Ernesto Simpson (Cuba, Londres) à la batterie et Childo Tomas (Mozambique, Espagne) basse, voix et instruments divers, a été magistrale. Omar développe une musique qui intègre ses vécus divers, cubain, jazz, musique africaine. Une création permanente émerge de la personnalité qu’il s’est forgée intégrant au plus profond toutes ces dimensions. Bien qu’il ait quitté l’île depuis un certain temps et parcouru le monde, Sosa conserve des traits spécifiques aux pianistes de Cuba, percussivité, vélocité, puissance, et n’a rien à envier aux chefs de file du piano cubain Chucho Valdés, Gonzalo Rubalcaba et Ernán López Nussa. A la puissance dégagée dans certains thèmes, succède dans d’autres un toucher délicat auquel se plient merveilleusement ses deux partenaires. La complicité est totale. On perçoit que les trois hommes vivent une même idée, un même projet, qu’ils sont passionnés. Chacun peut improviser en restant dans cette idée : l’Afrique, la spiritualité et l’amour de l’Homme en sont les points d’ancrage. Sa prestance sur scène laisse voir le grand musicien qu’est Sosa. Aucun besoin d’en rajouter, son seul jeu, ses paroles simples suffisent, et son respect du public n’est pas feint : « Sans vous les musiciens ne sont rien. » Omar et ses partenaires, qui, pour cette soirée, ont parcouru les derniers albums du pianiste, terminent par une magnifique composition « Luz en el cielo ». Sommes-nous en présence de jazz ? Ces derniers temps, on entend beaucoup : « Le jazz c’est la liberté… » et cela justifie tout. Le jazz, c’est aussi un lien avec l’histoire d’un peuple. Quelques-uns l’ont encore en eux. Inévitablement, il s’estompe au fil des décennies, mais des musiciens, des créateurs, parfois hors du terrain de naissance du jazz, ont intégré pleinement l’ensemble de cette histoire et, si leur musique prend des libertés, la philosophie qui les anime les inscrit dans le genre. Omar Sosa est de ceux-là.
En marge du Xabià Jazz, quelques échanges avec des directeurs de festivals révèlent – ça ne surprend personne – les difficultés dans lesquels se débattent les « petites » manifestations. Même si beaucoup d’artistes font de gros efforts pour être accessibles financièrement, il demeure que les budgets s’étiolent (le mot est faible parfois) de plus en plus ; mais, comme le dit Eudald González, directeur du Polisònic de Gandia dont les entrées n’excédent pas 5€, Il faut résister par tous les moyens. Celui qui renonce aujourd’hui ne s’en remettra jamais. Il faut donc souhaiter à Kiko, Eudald et leurs collègues le courage de résister.
Patrick Dalmace