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Sète

1 oct. 2012
Jazz à Sète, 12 au 18 juillet

Wayne Shorter et Danilo Perez

Créé en 1985, Jazz à Sète fêtait cette année sa 16 e édition. Le festival dispose d’un lieu tout à fait idéal pour le jazz avec le Théatre de Mer, situé juste en dessous du cimetière marin célébré par Paul Valéry et Georges Brassens. Ses quelques 1650 places surplombent la mer offrant aux spectateurs un horizon sans limite derrière les musiciens. Une programmation cohérente et variée a permis de remplir presque complètement tous les soirs le théâtre qui affichait complet. Une mauvaise surprise pour les imprévoyants qui tentaient à la dernière minute d’entrer au Théâtre de la Mer pour écouter Terez Montcalm et Stacey Kent le 12 juillet. Les deux chanteuses sont dans deux registres totalement différents. La québécoise Terez Montcalm est tout en énergie, avec une voix qui rappelle plus les chanteuses de rock que celle de jazz, mais le répertoire demeure entre la variété et le jazz avec une prédominence jazz. Ses accompagnateurs Pierre de Bethmann (p), Christophe Wallemme (b) et surtout Géraldine Laurent (as) avec laquelle s’instaurent de puissants et solides dialogues, donnent une solide assise à la chanteuse avec l’appui de Jean-Sébastien Williams (g) et Steve Williams (dm). Cela donne un excellent set énergique, avec beaucoup de tonus, même si parfois plus de sérénité serait bienvenu. Stacey Kent au contraire est une chanteuse de jazz beaucoup plus classique dans la lignée de Julie London et Anita O’Day. La voix possède une belle élégance. D’un répertoire de standards de jazz et de compositions et arrangements de son mari le saxophoniste Jim Tomlinson, elle a ajouté quelques chansons françaises et beaucoup de chansons brésiliennes dont l’une chantée en français ne vaut pas la version originale en brésilien. Ce glissement progressif de répertoire n’enlève aucune des qualités de Stacey Kent. Elle demeure d’une grande élégance alliant qualité de la diction à un rigoureux placement rythmique. Sa musique largement détendue ne manque pas de rigueur.
L’instrumentation adoptée le 13 juillet par Sylvain Beuf laissait présager une musique de fusion assez électrique. Mais c’est mal connaître le saxophoniste qui reste fidèle à ses racines fortement ancrées dans le hard bop. Certes Julien Charlet (dm) distille quelques phrases bien funk à la batterie, Philippe Buissonet est à la basse électrique et Michel Felberbaum (g) propose quelques envolées très blues, le saxophonsite ne se laisse guère détourner de son chemin habituel et construit de beaux développements, conservant sa sonorité. Sylvain Beuf continue de tracer son chemin sans esbrouffe. Il dirige ses propres formations avec une belle imagination et un bonheur évident de jouer cette musique.
Le trio de Didier Lockwood (vln) avec Bireli Lagrene (g) et Diego Imbert (b) qui succède à Syvain Beuf ne semble pas avoir beaucoup évolué. Si Diego Imbert assure, Bireli Lagrene la casquette vissée sur le crâne semble assez peu concerné ; il assure et lorsque Lockwood lui laisse un solo, il se retrouve très vite en panne d’imagination au grand désarroi de ses partenaires. Didier Lockwood n’a rien perdu de ses qualités de soliste, mais pourquoi s’obstine-t-il à reprendre inlassablement ses effets électroniques usés (mouettes, boucles patiemment créées sur lesquelles il improvise, jeu au milieu du public). C’est dommage car ce trio a de grandes possibilités.
« Le jour du quatorze juillet, Je reste dans mon lit douillet »… Ce n’est pas pour suivre le sétois Georges Brassens que ce 14 juillet ne permettra pas d’entendre de musique, mais bien pour laisser la place au Tour de France qui traverse la ville en passant par le mont Saint-Clair et rend Sète totalement inaccessible.
La fièvre funk du samedi soir est donc remise au dimanche 15. Le Soul Rebels Brass Band est un produit typique de New Orleans qui combine toutes les traditions de la Cité du Croissant : orchestre de cuivres, il mélange jazz, R’n’B, blues, musique cubaine dans le chaudron des rythmiques funk avec pas moins de deux batteurs. Pas de subtilité dans cette musique, mais une redoutable efficacité qui laisse place à quelques solos et interactions entre les musiciens, même si les parties d’ensemble sont privilégiées. C’est une musique à danser. Le public ne s’y trompe pas et envahit le devant de la scène jusqu’à la fin du concert. Il y demeura d’ailleurs pour le set de Stanley Clarke (b) et Stewart Copeland (dm) avec Ruslan Sirota (kb) et Brady Cohen (g). Le bassiste fut l’un des fondateurs du groupe de jazz rock Return to Forever et le batteur l’une des stars du groupe Police. Alors que l’on pouvait craindre une musique très binaire, les deux musiciens proposent un jazz très mélodique avec certes les succès du bassiste (dont « School Days » et « No Mystery » de Chick Corea), mais aussi un superbe et très émouvant « Goodbye Pork Pie Hat ». Stanley Clarke prend la plupart des solos et ceux de Stewart Copeland sont plutôt des interactions batterie-basse qui deviennent, non des morceaux de bravoure rythmique, mais plutôt un prolongement mélodique du thème. Un morceau est réservé aux claviers et au guitariste dans un esprit nettement plus rock progressif. Un concert passionnant de bout en bout.
Le 16 juillet se voulait la soirée de la trompette avec en ouverture Stéphane Belmondo (tp, flh) à la tête d’un quartet avec Kirk Lightsey (p), Sylvain Romano (b) et Billy Hart (dm). Avec cette superbe rythmique le trompettiste propose une musique totalement maîtrisée et parfaitement en place. Il ne recherche pas la virtuosité à tout prix, et la musicalité s’en trouve accrue. Ce quartet très uni semble parfois se diriger vers des sonorités West Coast.
Roy Hargrove fut une profonde déception. Le brillant trompettiste semble vraiment à bout de souffle et assure seulement quelques morceaux à la trompette. Le reste du temps il chante et sa musique devient de plus en plus proche de la variété soul-funk avec quelques échappées vers le R’n’B. Il est pourtant poussé par un groupe de jeunes musiciens et l’excellente Renee Neuville (kb, voc).
Le mardi 17 juillet est certainement la soirée la plus attendue des amateurs de jazz avec tout d’abord le quartet des frères Moutin les jumeaux de la rythmique avec Pierre de Bethmann (p) et Rick Margitza (ts). Le saxophoniste qui réside très souvent en France est bien connu de la scène jazz de notre pays. Il a développé une généreuse sonorité et l’un de ses solos n’est pas sans rappeler le Coltrane de la période Prestige. Il s’entend parfaitement avec Pierre de Bethmann le pianiste à l’aise dans ce contexte où les frères Moutin tirent un peu la couverture à eux, au détriment de la musique. Même s’ils sont parfois un peu trop démonstratifs (en paroles et en musique), le quartet demeure d’un bon niveau.
Brian Blade a été l’absent omniprésent du quartet de Wayne Shorter. Là où le batteur apportait sa parfaite osmose avec la musique du saxophoniste et son sens rythmique très personnel, Jorge Rossy assure sans plus et semble parfois énerver Wayne Shorter. Danilo Perez (p) et John Patitucci (b), membres permanents du quartet sont heureusement présents (« It’s Wayne » nous dira Billy Hart avec qui nous avons eu la chance de partager ce concert). Wayne Shorter lui-même se charge de pallier l’absence de son batteur fétiche en donnant un set d’une très grande tenue avec une relecture approfondie de ses compositions (une véritable autopsie d’une musique vivante diront certains, avec comme toujours un magnifique « Aung San Suu Kyi »). Depuis maintenant plus de dix ans le saxophoniste a trouvé la formule idéale pour continuer à développer sa musique et chaque concert est un nouveau pas d’un géant du jazz.
Le festival se termine le 18 juillet avec toujours autant de spectateurs. Le trio de Philippe Villa a gagné le concours du tremplin Jazz à Sète et joue pour la première partie de cette soirée. Le trio sonne parfois comme celui de Keith Jarrett, souvent proche de la musique classique qui fut sans doute sa formation et Jacques Loussier n’est pas très loin. Mais le trio est solide et avec le temps et une affirmation nette de sa personnalité, peut sans nul doute devenir une formation intéressante. Bobby McFerrin est un phénomène vocal et musical et aucune de ses associations ne peut paraître incongrue. Les YellowJackets, vieux groupe de fusion, a été complètement remanié avec certes toujours Bob Mintzer (cl, ts) et Russell Ferrante (kb), mais avec le remplacement (réussi) de Jimmy Haslip par Félix Pastorius (b) et le batteur William Kennedy. Mais c’est Bobby McFerrin qui mène le bal en lançant la musique dans différentes directions : un thème de Charlie Parker que Bob Mintzer détourne totalement, des prouesses vocales et, si Russell Ferrante est toujours l’âme du groupe, Felix Pastorius s’affirme comme un excellent musicien, plein d’idées et qui aime également rebondir sur les discours d’autres musiciens (sa reprise du thème de Charlie Parker, quelques morceaux après Bobby McFerrin, a permis à ce dernier de se relancer et de développer au pied levé une nouvelle improvisation). Un concert intéressant qui a permis de découvrir Félix, le fils de Jaco Pastorius.
Jazz à Sète a été un festival parfaitement réussi avec une programmation équilibrée et ambitieuse, une ouverture sur les différents styles du jazz et une présence conséquente des musiciens français. Le public a répondu nombreux et avec enthousiasme pour faire de cette édition une réussite.
Guy Reynard
Danilo Perez et Wayne Shorter à Sète, photo©Guy Reynard