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Frederick Douglass par Samuel J. Miller (entre 1947 et 1952)


JAZZ, ROOTS & WORDS





« Sur la route, ils faisaient retentir les bois épais de leurs chansons étranges qui révélaient à la fois la plus grande joie et la plus profonde tristesse. Ils composaient et chantaient en allant, sans s’inquiéter ni de la mesure ni de l’air. La pensée qui se présentait à l’esprit était exprimée sinon par des paroles au moins par des sons – aussi fréquemment d’une manière que de l’autre. Ils chantaient quelquefois le sentiment le plus touchant du ton le plus animé, le plus pathétique. (…) Ils chantaient alors d’un air de triomphe les paroles suivantes :

I’m goin’ away to the Great House farm! o, yea! O, yea! O !

Ces paroles servaient pour ainsi dire de refrain à d’autres mots qui sembleraient à certaines personnes un jargon inintelligible, mais qui étaient cependant pleins de sens pour eux-mêmes. J’ai quelquefois pensé que ces chansons-là, rien qu’à les entendre, pouvaient faire sentir à quelques esprits la nature horrible de l’esclavage, mieux que ne sauraient le faire la lecture de plusieurs volumes entiers de réflexions à ce sujet.»

Frederick Douglass, Narrative of the Life of Frederick Douglass, an American, Slave. Written by himself. 
Première édition aux Etats-Unis en 1845, première traduction et édition en France en 1848.



Le jazz et les mots, le son et la parole, c'est une vieille complicité depuis l'origine du jazz, aussi belle que celle de la photo et du jazz, pour un art populaire dont l'expression, hot comme l'a qualifiée notre revue pour la distinguer des expressions commerciales et/ou académiques, est directement déterminée par la sincérité et la conviction.
Cette complicité commence dans l'expression elle-même, comme en témoigne Frederick Douglass, dans ces chants dont les paroles, intelligibles ou pas, portaient en elles cette fondamentale authenticité, cette conviction, cette vérité du vécu qui ont donné et donnent encore à la musique afro-américaine cette dimension à la fois populaire et savante, une perfection de l'expression. Cette musique est transmise par les mille fils de la vie des humains qui ne peuvent se codifier dans des ouvrages, des académies, qui ne restent, même quand elles sont de qualité, que des simplifications-rationalisations destinées à l'apprentissage. L'expression tire sa substance des vécus, individuels autant que collectifs, et de la mémoire des peuples. C'est par cette authenticité fondée sur une expérience difficile d'affranchissement qui réunit la condition humaine universelle, si bien relatée par Frederick Douglass, que le jazz a jeté les passerelles pour enrichir le monde de ses sons et de ses mots. L'adhésion populaire universelle explique que des amateurs du monde entier ait très vite, parfois plus vite que dans le pays de naissance du jazz, eut le besoin de le diffuser, d'en partager la philosophie généreuse autant que la pratique.
De là est née la critique de jazz, cette revue Jazz Hot en particulier, et même si, depuis, la marche du monde, la normalisation, l'esprit malade des dominants, parfois la paresse des peuples, ont perverti, contrarié ou mis en danger cette incroyable histoire populaire, artistique et humaine du XXe siècle, nous restons attachés à la philosophie humaniste qui s'en dégage, si complexe et si critique de l'état du monde.
Dans Roots & Words, cette extension du site de Jazz Hot, nous relions les éléments du quotidien universel à cette expression jazz, si formatrice et dynamique, pour ceux qui en ont les clés de sensibilité – car le jazz n'est pas un jeu aussi savant soit-il…