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Jazz Hot n°686, John BETSCH © Jacky Lepage



Sur la route des
Gilets Jaunes


Il y a des obstacles, bien entendu, et le premier obstacle, l'actuel, est le piège tendu par le pouvoir macronien et ses soutiens qui veulent diviser les Gilets Jaunes, les isoler, en leur demandant d’abandonner leur lieu de solidarité, de rencontres, de débats, les ronds-points, les routes, les rues, pour participer à des tables rondes avec les serviteurs de l’oligarchie, des roublards de la politique, de la manipulation, de la perversité, habitués à ruser toute l’année, entre courbettes, mensonges et trahisons.
Ce que veulent les Gilets Jaunes, c’est mettre la condition humaine au cœur de la politique. C’est parfaitement connu et détesté de l’oligarchie et de ses serviteurs macroniens qui mettent le profit, la domination des très riches et l’argent au centre de leur projet. Ce que veulent les Gilets Jaunes est exactement à l’opposé de la société macronienne, la « startup» du petit prince engendré par l’oligarchie après 60 ans de Ve République dont la constitution n’a rien de républicain et tout de monarchique comme le titrait déjà l’Humanité le 21 août 1958 («De Gaulle fait adopter sa constitution monarchique»). Ce que veut ce président, il l’a dit et répété, c’est la société verticale qui ruisselle de suffisance et de richesses, qui laisse quelques gouttes, quelques miettes à «ceux qui ne sont rien».
La force des Gilets Jaunes aujourd’hui est de ne pas sortir des ronds-points, de ne pas négocier, de ne pas s’attabler avec les dominants et de répondre par oui ou par non à des actes, de ne pas croire aux promesses et au provisoire. La force des Gilets Jaunes est de parler de ce qu’ils constatent dans leur vie, sur leur fiche de paie et dans leur assiette, tout en gardant la force de la solidarité sur les ronds-points, dans les rues et sur les avenues ouvertes de la République, à l’air libre pour que le débat reste clair, transparent pour l’ensemble du peuple.
Il y a mille thèmes déjà clairs, qui témoignent de cette réflexion collective, évoqués, comme la justice sociale, fiscale, la justice tout court, le droit de choisir par des mécanismes utiles au fonctionnement d’une vraie démocratie républicaine, une société fondée sur des principes simples, ceux de la République: égalité, liberté, fraternité.
L’oligarchie fait seulement semblant de ne pas savoir, pour obliger les Gilets Jaunes à sortir de leurs places fortes, la rue, les avenues, les ronds-points, les entraîner sur un terrain hostile et réduire le mouvement des Gilets Jaunes à quelques délégués, isolés arbitrairement et soumis à leur pression.
Le catalogue n’est pas compliqué, mais il est long tant la planète et les hommes-femmes en France en particulier ont été avilis depuis 60 ans. Les Gilets Jaunes ne veulent pas de
ces inégalités extraordinaires (le smic a augmenté de 16% en 10 ans depuis 2007 pendant que les 10 plus grandes fortunes françaises ont grandi de 250%, que les plus riches en général sont toujours plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres), on ne veut pas de cette misère qui côtoie le luxe obscène, de ces rues sans poésie issues de ces délires architecturaux fondés sur la corruption des empires du béton qui gangrènent le paysage, de cette société de consommation de masse uniformisante et qui corrompt, de cette technocratie méprisante, de cette bureaucratie qui persécute au quotidien, de cette spéculation foncière qui appauvrit les plus pauvres, de cette spéculation financière qui enrichit les plus riches, de ces taxes indifférenciées, les mêmes pour les riches et les pauvres, qui entretiennent un train de vie royal de l‘Etat, et qui pompent le fruit du travail des pauvres, des classes moyennes pour distribuer des dividendes aux plus riches (la France est championne du monde), de cette société de privilèges insensés qui a détruit le contrat social.
Tout est possible pour les Gilets Jaunes, parce qu’au fond leurs demandes ne coûtent rien à la collectivité, c’est une simple répartition égalitaire, conformément à la constitution, des richesses qui sont produites par la collectivité. Rien n’est possible en revanche pour l’oligarchie et son représentant Macron, car ils ne veulent pas partager. Ce qu’ils proposent, c’est encore de faire payer à la collectivité la prime d’activité, de faire payer à la collectivité les exonérations de charges et d’impôts sur les primes et les retraites après lui avoir demandé de financer la pollution à la place de ceux qui la génèrent. Dans cette proposition du président, déjà décidée, rien ne sortira de la poche des plus riches, mieux, cette poche se gonflera un peu plus des exonérations de charges et fiscales.
Parmi les demandes fondamentales des Gilets Jaunes, ils en ont d’ailleurs déjà pris une partie, la partie immatérielle, en toute innocence et sans calcul: la parole, la dignité, la visibilité, la lutte, le courage retrouvé, la liberté de penser enfin leur avenir, la solidarité… Ce n’était pas facile, et d’abord parce que la corruption sous toutes ses formes irrigue jusqu’aux plus pauvres, et fortement dans la société de consommation de masse depuis 30 ans: elle instille les poisons de la soumission et de la dépendance.
L’avenir sera ce qu’il sera, le pouvoir macronien est dur, sans compassion et sans vergogne; ce qui restera de ce moment exceptionnel, même si tous les médias sans exception le dénigre (à des degrés divers, jusqu’au Canard enchaîné, assez triste par son corporatisme et ses préjugés de caste), est un grand moment de démocratie à l’air libre, sur les ronds-points et les routes, qu’ont établi les Gilets Jaunes dans un pays d’abord endormi; puis stupéfié par le courage des Gilets Jaunes; puis consterné par l’arrogance du prince face à la misère de ses concitoyens qu'il méprise et qui le lui rendent bien; enfin en colère contre l’inégalité érigée en principe éthique, économique et politique, contre la violence sociale et maintenant policière sans retenue, maintenant visibles.  Les forces de l’ordre en ont été récompensées, mais n’auront certes pas le souci d’en remercier les Gilets Jaunes à qui elles doivent pourtant cette récompense: le salaire de la peur. La France n’est pas le monde, mais comme d’habitude elle attire les regards; des Gilets Jaunes apparaissent de ci de là dans le monde, autre signe de l’universalité de ce mouvement qui réunit femmes et hommes, jeunes, adultes et vieux, classes populaires, pauvres, moyennes et parfois même classes aisées car il n’est pas interdit d’avoir un confort matériel décent, de rester honnête, solidaire, équitable et humain.
Les Gilets Jaunes rêvent encore et font rêver, tant mieux! Ils sont sur ce plan incommensurablement plus riches, humainement riches, que tous les Macrons de la terre, leurs serviteurs et leurs rejetons, dont l’imagination s’arrête aux chiffres de la finance internationale, des comptes en banque et aux calculs savants pour truander le plus grand nombre. Les Gilets Jaunes sont sur la route, dans les rues, leur sauvegarde est d’y rester, toujours, c’est le plus bel endroit, à l’air libre, pour exister, respirer, revendiquer, marcher… Ce pourrait être une vraie stratégie de reconstruction individuelle et collective d’une société française où le collectif redevient l’indispensable complément de la liberté individuelle. C’est pourquoi le pouvoir macronien tient absolument à vider les ronds-points par la force, d’ici le 31 décembre répète-t-il sur toutes les chaînes TV et radio. Il s’y emploie avec ses forces de polices au mépris de toute humanité et de tout respect, au mépris de la liberté de manifester et de se réunir, bien réduite depuis 60 ans et particulièrement depuis les présidences Sarkozy, puis Hollande où exerçait déjà l’actuel prince-président Macron. Son objectif est bien d’enfermer le débat dans des salles confinées choisies par ses soins: le monde clos de la corruption.


Gilets Jaunes
être ou ne pas être? Telle est la question…

Le 28 avril 1789: une plaque rappelant les premiers signes de la Révolution du 14 juillet, rue de Montreuil à Paris, événements auxquels nous devons d’être une République.
Le 28 avril 1789: une plaque rappelant les premiers signes de la  Révolution du 14 juillet,
rue de Montreuil à Paris, «émeute populaire durement réprimée» à laquelle  nous devons d’être une République.


Les partis de gauche (l'actuel parti socialiste est de droite), les syndicats, à l’exception peut-être d’Olivier Besancenot, quelques insoumis et une partie des syndiqués, ont mis trop longtemps à se solidariser avec les Gilets Jaunes. Que pensent-ils que fut la grande Révolution française? Un défilé syndical ou politique autorisé par la préfecture de police, sans incidents, sans violences (à commencer par celles du pouvoir)? Un ensemble de revendications, bien écrites et bien technocratiques, soumises en trois exemplaires à un pouvoir bienveillant? Un ensemble de personnes débitant le discours appris du militant de base syndical ou politique?

Cette gauche «installée» dans son confort manque de savoir historique, de conviction, de courage et d'imagination.
Il y a les démagogues, les faux-culs, du Front national rassemblé qui haïssent l’idée même d'égalité et de liberté, les tartuffes de la droite traditionnelle qui ont bafoué
la volonté du peuple en 2005 (qui refusa l’actuelle constitution européenne dont on constate aujourd'hui les effets au quotidien) ou du Parti socialiste qui a trahi, avec la participation de Macron, le mandat donné en 2012 par le peuple français, et qui ont enfanté le petit prince actuel. Tous prétendent «comprendre les Gilets Jaunes», mais ils rêvent seulement de profiter de la suppression des taxes injustes arrachée par les Gilets Jaunes, pour diffuser leur modèle ultralibéral oligarchique d'une société sans impôt pour les plus riches, sans redistribution, sans solidarité. Ça fait 60 ans, l’âge de la Ve République, que ces partis politiques enfoncent les Gilets Jaunes, leurs parents avant eux et leurs enfants après eux, si les Gilets Jaunes les laissent continuer; ça fait 60 ans qu'ils affaiblissent le pays, en l'endettant sur les marchés financiers depuis 45 ans en particulier (Loi bancaire dite «Rothchild», sous Pompidou et Giscard du 3 janvier 1973), en bradant le patrimoine collectif, immobilier et industriel, l’intelligence et le savoir-faire, les biens publics, sans développer l’appareil productif, sans créer des emplois, sans enrichir le peuple ni éponger la dette de l'Etat; l’explosion de la pauvreté en France en témoigne, comme les statistiques quand elles ne sont pas falsifiées par le pouvoir (exemple celles du commerce extérieur en 2017, celles du chômage, etc.). Mais c'est encore les plus pauvres, travailleurs, chômeurs et retraités, que le pouvoir macronien culpabilise, taxe et punit pour le climat, la dette, la désindustrialisation, la balance commerciale…

Tout dans ces ronds-points, dans ces rues, dit que c'est le lieu parfait, le seul possible en 2018, pour résister à cette société de privilèges, qui dysfonctionne dans tous ses rouages, parce que l’Etat a dévoyé ses principes républicains et démocratiques. Tout dit que ces Gilets Jaunes sont le peuple, le seul raisonnable dans ce moment, celui qui se révolte pour la justice sociale, fiscale, politique, le peuple humain, éduqué par son imaginaire et sa mémoire collective plus que par une école qui se délite, instinctivement intelligent par son vécu dans ses formulations parce que direct, concret, vrai, simple et franc. La faim et l'urgence de vivre mais aussi celles de manger déclenchent ces feux d'artifices de vérité, ces fulgureances qu’attendent depuis si longtemps les humanistes républicains attachés aux principes de la République et de la démocratie, et qui se sont déjà engagés au sein des Gilets Jaunes.
Au lieu de se joindre aux Gilets Jaunes sur les ronds-points, simplement, sans malice et sans a priori, sans se pincer le nez (un réflexe de classe), la gauche institutionnelle, à quelques exceptions près, en est encore à se méfier du peuple. Quelle faute tragique! Quand il faut en être, des Gilets Jaunes, pour y participer modestement, soutenir, aider à organiser, partager sans diriger, non plus dans les antichambres de l’oligarchie ou sur les parcours autorisés, mais sur les ronds-points, les rues, les grandes avenues de la liberté, les Champs-Elysées, pourquoi pas?
Si les Gilets Jaunes souffrent, encore ou parfois, du manque d’organisation après plus de 5 semaines de lutte sociale, c’est bien que la gauche institutionnelle est tellement affaiblie qu’elle ne reconnaît plus le peuple quand, par miracle ou plutôt par nécessité, il ressurgit dans l’Histoire de France –une habitude pourtant– parce que cette gauche n’est plus de gauche, parce qu’elle n’est plus populaire, plus humaniste. Il est peut-être déjà trop tard ou peut-être pas, ça se joue maintenant, non pas comme l’attendait dans son inconfort rassurant cette gauche institutionnelle, subventionnée par l’Etat pour un simulacre de démocratie, mais avec une sauvagerie, une spontanéité tranquille, naturelle, comme celle des Gilets Jaunes, pas formés en politique ni en droit, ni en discours, pas uniformes, mais pourtant tellement plus vrais, plus natures, plus essentiellement écologiques, plus authentiques que la quasi totalité des discours politiques et syndicaux, sclérosés dans des rapports de dominations.
Les Gilets Jaunes ne sont pas organisés? C’est leur force: incorruptibles par désorganisation! Pourtant, ils sont les seuls à pouvoir infléchir la régression macédonienne à marche forcée, on l’a vu, même si le monarque tente de biaiser, de tromper, sa seconde nature. Chacun peut apporter sa richesse à ce moment rare qui ne va pas durer; comme les grands moments de l'histoire des Français, qui ont pourtant irrigué et changé le monde; changer le monde est le rêve qui ne disparaît pas car le monde, tel qu’il est, d'inégalités extrêmes et de privilèges insensés, mérite d’être changé. C’est maintenant ou jamais, comme toujours.

Être ou ne pas être Gilet Jaune? Ce n’est plus une question, c’est une obligation, un devoir civique, éthique, humain, c’est être une part de ce peuple et de cette République, ce bien commun. Ne pas être solidaire des Gilets Jaunes, c’est servir et prolonger le règne des dominants, c'est abolir la république et asservir le peuple à la dictature financière de l’oligarchie.

Yves Sportis

couverture: John BETSCH © Jacky Lepage

© Jazz Hot n°686, hiver 2018-2019