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Chroniques CD-DVD








Au programme des chroniques
 

Rémi Abram Act Big Band Antonio Adolfo Cyrille Aimée Monty Alexander • Louis Armstrong Aurore Quartet • Dmitry Baevsky • Emmanuel Baily • Kenny Barron • Count Basie • Lionel Belmondo Trio • Belmondo Family Sextet • B.F.G. • François Biensan Octet Ran Blake • Claude Bolling Céline Bonacina • Frederic Borey • Bossa Nova in USA • Christian Brazier • Katie Bull • Jean-Yves Candela • Frank Catalano / Jimmy Chamberlin • Joan Chamarro & Andrea Motis • Tom Chang • Fred Chapellier • Cyrus Chestnut • Pierre Christophe Popa Chubby • Philippe Crettien Dal Sasso-Belmondo Big Band • Miles Davis • Miles Davis • Pierre de Bethmann • Dee Dee Bridgewater • Riccardo Del Fra • Jean-Pierre Derouard • Aaron Diehl • Lucy Dixon • Doré Marthouret Quartet • Philippe Duchemin Trio • Mark Elf • Andy Emler MegaOctet • Emler / Tchamitchian / EchampardEuropean Jazz CoolEuropean Jazz Sextet José Fallot Claudio Fasoli • Nicola Fazzini • Fiorini-Houben Quartet • Ella Fitzgerald • Chico Freeman • George Freeman & Chico Freeman • Larry Fuller • Champian Fulton • RichardGalliano / Jean-Charles Capon • Red Gardland Trio • Melody Gardot • Erroll Garner • Viktoria Gecyte / Julien Coriatt Orchestra Stan Getz • Aaron GoldbergJeff Hackworth Rich Halley • Scott Hamilton • Phil Haynes • Ian Hendrickson-Smith • Fred Hersch • Robert Hertrich • Lisa Hilton Chris Hopkins & Berndt Lhotzky • Ramona Horvath • Hot Club de Madagascar Abdullah Ibrahim Chuck Israels JazzAccordéon Nicole Johänntgen Quincy Jones • Kassap / Touéry / Duscombs • Manu Katché • Hetty Kate • L'Ame des Poètes • La Section Rythmique • Christophe LabordePrince H. Lawsha & Frédérique Brun • Le Jazz à l'écran LG Jazz Collective • Susanna Lindeborg • Frédéric Loiseau • Jean-Loup Longnon • Isabella Lundgren • Claude Luter / Barney Bigard • Tom McClung • Pete McGuinness • Cécile McLorin Salvant • Mack Avenue SuperBand • Richard Manetti • Manhattan School of Music • Roberto Magris Septet • Perrine Mansuy • Delfeayo Marsalis • Fabien Mary Merlaud / Rebillard • Laurent Mignard Duke Orchestra • Antoinette Montague • Jean-Marc Montaut • Christian Morin • No Vibrato • Kevin Norwood • Austin O'Brien • Jean-Philippe O'Neill • On Air & Fabrizio Bosso • Paris-Calvi Big Band • Paris Jazz Big Band • Michel Pastre • Jeb Patton • Pierrick Pédron • Lucky Peterson • Valerio Pontrandolfo • PG Project Eric Reed • Walter Ricci / David Sauzay Quintet • George Robert • Duke Robillard • Justin Robinson • Manuel Rocheman / Nadine Bellombre • David Sanborn • Julie Saury / Felipe Cabrera / Carine Bonnefoy • Eric Séva • Ben Sidran • Frank Sinatra • Steve Slagle & Bill O'Connell • Wadada Leo Smith • Curtis Stigers • Lew Tabackin • Ignasi Terraza • Virginie Teychené • Claude TissendierThe Cookers • Samy Thiébault Sarah Thorpe Baptiste Trotignon • René Urtrerger • Jacques Vidal • André Villéger / Philippe Milanta • Heinrich Von Kalnein / Michael Abene Reggie Washington • Miguel Zenón


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Bonne lecture!



Des extraits de certains de ces disques sont parfois disponibles sur Internet. Pour les écouter, il vous suffit de cliquer sur les pochettes signalées par une info-bulle.


© Jazz Hot 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEmmanuel Baily
Night Stork

Aria, East Coast West Coast, Les Feuilles Mortes, Night Stork, Goma, Sahel Al Mumtanah, Bossa de l’Hiver, Letter From Home, Bron-Yr-Aur

Emmanuel Baily (g), Lambert Colson (cornet à bouquin), Jean-François Foliez (cl), Xavier Rogé (dm), Khaled Aljaramani (oud, voc)
Enregistré en mars 2015, Bruxelles

Durée: 41' 06''

Igloo Records 265 (Socadisc)


En totale adéquation avec les objectifs des Jeunesses Musicales du Luxembourg Belge, de Jean-Pierre Bissot et du Gaume Jazz Festival le projet d’Emmanuel Baily prône la mixité. Nous aurions pu nous passer de chroniquer cet album dans une revue spécialisée «jazz». Toutefois le projet d’Emmanuel est tellement original par les couleurs qu’il développe qu’il nous apparait intéressant d’attirer votre attention. Dès l’écoute d’ «Aria», l’étonnante association de la clarinette et du cornet à bouquin interpelle pour l’évidence harmonique. Avec «East Coast West Coast», qu’il aurait pu intituler «Nord-Sud», on sent déjà l’appel des grandes dunes sahariennes (l’oud). Le chant de Khaled Aljaramani sur «Sahel Al Mumtanah nous impose l’humilité; le solo d’oud est joliment porté par l’accompagnement du guitariste ouvrant sur les entrelacs des souffleurs. Un peu plus au Sud, sur l’équateur, il nous invite à onduler du popotin congolien, comme un message d’espoir parmi les viols et le génocide («Goma»). Le poétique «Night Stork» s’inspire des battements d’ailes d’une cigogne … noire, d’après l’auteur; majestueuse, quoi qu’il en soit (re-recording de guitares)! L’originalité des «Feuilles mortes» réside d’abord dans une longue intro à la gratte à laquelle succède l’union des vents. Xavier Rogé (dm) poursuit par des rythmes mats qui ouvrent sur un solo bien inspiré du clarinettiste. Avec «Bossa de l’Hiver» et le druming hypnotique et binaire de Rogé, Emmanuel Baily se sent pousser des ailes. Le délicieux «Letter From Home» vient nous rappeler d’où il les tient! Pour conclure sur un country sound, Emmanuel Baily fait un tribute à Jimmy Page («Bron-Yr-Aur»). Ce sera l’ultime témoignage (pour cette fois) d’un guitariste doué, d’un musicien ouvert et d’un arrangeur d’une grande sensibilité. Non, mais! On n’a pas d’œillères, nous, Monsieur!
Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueValerio Pontrandolfo & Harold Mabern Trio
Are You Sirius?

Twenty, You, Touched, Tongue Out, Recado Bossa Nova, Make Believe, Are You Sirius?, Rakin' & Scrapin, Tune Up

Valerio Pontrandolfo (ts), Harold Mabern (p), John Webber (b), Joe Farnsworth (dm)
Enregistré le 11 septembre 2014, Vignola (Italie)
Durée: 40' 22''
In Jazz We Trust 001 (www.valeriopontrandolfo.it)


Ce n’est pas sur le livret (à quoi servent-ils aujourd’hui) que vous apprendrez quoi que ce soit sur Valerio Pontrandolfo. Ce natif (24 avril 1975) de Potenza (Basilicata), dans le sud de l’Italie, installé depuis 20 ans à Bologne, a étudié le saxophone avec Piero Odorici puis a suivi l’enseignement si recherché de Barry Harris, et pris des cours avec Steve Grossman et George Coleman. Il a côtoyé sur scène (festivals européens, clubs) beaucoup de beaux musiciens de jazz comme Steve Grossman, Alvin Queen, Andrea Pozza, et bien sûr beaucoup de la scène italienne du jazz. Le parcours est donc jalonné de références solides, et d’une certaine manière on l’entend dans cet enregistrement très jazz, c’est-à-dire pétri dans le blues, le swing et l’expression hot. Comme le remarque l’auteur des quelques mots d’introduction du livret, le ténor Eric Alexander, habituel compagnon du trio très new-yorkais qui accompagne la découverte de ce disque, Valerio puise aux meilleures sources, celles de Sonny Rollins souvent ou de ses maîtres successifs. Nul doute qu’il aime le jazz, et qu’il s’est fait un énorme plaisir à jouer avec une section ryhtmique de rêve ou l’evergreen Harold Mabern est soutenu par la paire complice et puissante de John Webber et Joe Farnsworth. Beaucoup de standards, les bonnes compositions sont recommandées quand il s’agit d’un disque de présentation, et les quatre originaux sont très «classiques», dans le même esprit. Valerio est d’ailleurs très concentré sur son sujet, il ne se laisse pas aller (les thèmes tournent autour de 4 minutes dans un disque de 40 minutes), et on peut le comprendre, un maître du jazz l’accompagne. Un introduction donc sympathique qui s’écoute avec plaisir d’un musicien qui n’a pas la prétention d’inventer le jazz, même s’il a l’audace d’être le leader d’un trio qui habite à l’étage supérieur.
A suivre..
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Erroll Garner
The Quintessence

Just You, Just Me, The Petite Waltz Bounce, Honeysuckle Rose, The Way You Look Tonight, It's the Talk of the Town, Caravan, Cheek to Cheek, Look Ma-All Hands!, (There's) No Greater Love, Lullaby of Birdland, I've Got My Love to Keep Me Warm, Groovy Day, A Cottage For Sale, That Old Feeling, Misty, Afternoon of an Elf, I'll Remember April, Autumn Leaves (Les Feuilles Mortes) , Mambo Carmel, The Man I Love, Time on My Hands, Passing Through, The Way Back Blues, Soliloquy, You'd Be So Nice to Come Home to, French Doll, The French Touch, Mack The Knife

Erroll Garner (p) et selon les thèmes: Oscar Moore (g), Nelson Boud (b), Teddy Stewart (dm), John Simmons (b), Shadow Wilson (dm), Wyatt Ruther (b), Eugene Fats Heard (dm), Eddie Calhoun (b), Denzil Best (dm), Al Hall (b), Specs Powell (dm), Kelly Martin (dm)
Enregistré de 1948 à 1962, New York, Carmel, Los Angeles
Durée : 1h 12' 24'' + 1h 11' 55''
Frémeaux et Associés 3063 (Socadisc)


Dans The Quintessence, la collection des compilations de grande consommation (on l’espère pour la maison Frémeaux, c’est mérité), voici le deuxième volume consacré à Erroll Garner qu’on retrouve ici en solo, trio, quartet. Un bon texte d’Alain Gerber raconte toute l’incompréhension du cas Garner qu’on peut résumer par un génie «naturel» et modeste. Par «naturel», il faut entendre «culturel», car toute la force de Louis Armstrong, Fats Waller ou Erroll Garner était bien de donner naturellement à entendre l’essence d’un jazz inspiré par des siècles de culture.
Alain Tercinet s’occupe de la sélection retenue et de son commentaire, et remarque (en les citant) que la plupart des pianistes ont adoré Erroll Garner. Il rappelle que son talent fut apprécié par Boris Vian et Charles Delaunay en France. Il faut aussi se souvenir que, parfois, son plaisir de plaire au public le privait de celui de plaire à une critique faussement «intellectuelle». La variété du répertoire, l’absence de barrière (technique, de tonalité, d’a priori stylistique et autres) ont fait d’Erroll Garner un pianiste universellement apprécié, d’abord des producteurs (il n’avait pas besoin de plusieurs prises) et pas seulement des amateurs de jazz. Beaucoup ont fredonné ses interprétations sans avoir de notions très précises de ce qu’était le jazz, ce qui le rapproche à nouveau de Louis Armstrong.
Erroll Garner se place bien entendu dans un ensemble culturel identifié, notamment par son lieu de naissance, Pittsburgh, Pennsylvanie, une ville bénie pour le piano jazz (de Mary Lou Williams à Ahmad Jamal), dans un moment où l’art du piano atteint des sommets d’expression et de virtuosité, mais la préexistence de Fats Waller, Earl Hines, Teddy Wilson, Art Tatum, Nat King Cole et quelques autres, qui l’ont tous inspiré, ne l’empêche pas de développer son style à nul autre pareil: un style orchestral avec ses introductions légendaires, ses développements sur tempos doublés («The Man I Love»), un délié et une attaque puissante du clavier et de chacune des notes, avec ses redoublements, un jeu en blocks chords légendaire, avec ce petit décalage-retard qui détermine un jeu d’une souplesse extraordinaire et qui est sa marque de fabrique, une musicalité rhapsodiante, une gamme de nuances sans limite du lento-pianissimo au forte-allegro et un swing qui, comme celui de Basie, pourrait servir d’exemple parfait d’une des composantes essentielles du jazz. Le piano de Garner, c’est le jazz en cinémascope. Pianiste de culture, son oreille était capable de tout saisir (y compris chez ses contemporains de Bud Powell à Oscar Peterson) et d’en faire du Erroll Garner. Le génie du jazz est aussi là. De fait, Erroll Garner a influencé, même à leur insu, tous les pianistes de jazz (comme le remarque Jimmy Rowles dans une des citations du livret) et au-delà.
Bon, les amateurs auront déjà dans l’oreille beaucoup de ces chansons qu’il a fait siennes ou qu’il a composées («Misty», «Mambo Carmel»), mais pour les plus jeunes ou les moins spécialisés, cet enregistrement sera une ouverture sur un monde merveilleurx, si l’auditeur est capable, lui aussi, d’écouter ce musicien extraordinaire sans les a priori sonores du jour.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Melody Gardot
The Currency of Man

It Gonna Come, Preacherman, Morning Sun, Same to You, Don’t Misunderstand, Don’t Talk, If Ever I Recall Your Face, Bad News, She Don’t Know, Once I Was Loved + Palmas da Rua, No Man’s Prize, March for Mingus, After the Rain, Burying My Trouble (sur la version The Artist’s Cut)

Melody Gardot (voc, p, g), Gary Grant (tp), Irwin Hall (as), Dan Higgins (ts, bs), Andy Martin (tb), Pete Kuzma, Larry Goldings (org), Mitchell Long, Dean Parks, Jesse Harris, Reese Richardson (g), Chuck Staab, Vinnie Colaiuta (dm), Pete Korpela (perc), Heather Donavon, Clydene Jackson, Julia Waters, Maxine Waters (bck voc)

Durée: 48' 52''

Enregistré à Los Angeles, date non communiquée

Decca 4724682 (Universal)


Quatrième pépite pour la native de Philadelphie et une nouvelle fois la finesse et la profondeur de sa musique sont au rendez-vous. Melody Gardot joue un jazz qui puise aux sources du blues et de la soul en y apportant ses couleurs faites d’esthétique, de fashion week et de joaillerie. Sur la galette cela se traduit par des compositions toujours aussi fortes en émotion, une instrumentation sophistiquée avec des cuivres et des cordes à volonté et un line-up de haute qualité. En plus d’Irwin Hall (as), Mitchell Long (g) et Chuck Staab (dm), ses musiciens habituels, Larry Goldings (org), Dean Parks (g) et Vinnie Colaiuta (dm) apportent leur expérience et leurs connaissances à la formation constituée pour l’occasion. La jeune femme, pour qui la musique a été une thérapie, conduit son navire vers les destinations qui lui correspondent tout à fait. L’album est à la fois hot, tendre et spicy avec un clin d’œil au free qui mérite d’être souligné. Currency of Man (version longue) ouvre avec «Don’t Misunderstand», comme si l’artiste voulait nous extraire des champs de coton du Delta profond pour nous amener sur la route d’une certaine libération, avec l’orgue en soutien d’une voix gorgée de sensualité. La Gardot dit des choses fortes sur une musique suave («Don’t Talk») ou plus funky («It Gonna Come»). Aux détours de l’album, on retrouve le Philly Sound qui constitue la base principale de la production de Larry Klein, qui avait produit My One and Only Thrill, ainsi que Herbie Hancock et Joni Mitchell. «Preacherman» est le morceau déclencheur de cette direction. Lors de la tournée 2013 pour son album The Absence, Miss Gardot jouait déjà cette pièce, dédiée à Emmett Till, jeune Afro-Américain assassiné en 1955. Un désir de parler d’une période qui est malheureusement toujours d’actualité outre-Atlantique. Le son est à présent plus rond, un choix esthétique qui se combine fort bien avec les autres morceaux franchement soul («Same to You») et cette référence à sa ville natale. Sur «She Don’t Know», Melody Gardot joue avec les mots. En fait, sur ses chansons elle parle de la vie qu’elle perçoit à travers sa propre existence. En cela elle est jazz et le témoigne par certaines orchestrations et certaines interventions de son fidèle Irwin Hall. Ce dernier devenant par instants un Roland Kirk du présent avec ses deux saxos en bouche («Bad News»). Enfin, comment ne pas évoquer «March for Mingus», un extrait d’à peine une minute, pour rendre hommage au grand contrebassiste, mais qui sur scène se transforme en plus de dix minutes d’intenses échanges jazziques. Un choix défendu par la chanteuse, malgré les réticences de la maison de disques.

Au final, on stage, le public peut être pas forcément féru de la note bleue, découvre une musique qui peut lui paraître lointaine grâce à l’excellent travail de la guitariste signée par Gibson. Pour les fans, il y a encore «Burying My Trouble», et cette sensation que Melody vous parle en direct pour vous dire l’essence de son existence. Ce dialogue ne peut vous laisser insensible. C’est la magie de Melody. Rendez-vous pour un nouvel opus qui semble-t-il pourrait avoir la couleur du Brasil d’Astrud, Antonio et Stan?

Michel Maestracci
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueThe Katie Bull Group Project
All Hot Bodies Radiate

The Crazy Poet Song, Venus on the A Train, Koko's Can Do Blues, Ghost Sonata, The Drive to Woodstock, If I Loved You/ What if?, Torch Song to the Sub, Love Poem for Apollo, I Guess This Isn't Kansas Anymore, Some Perfume Home, Ding Dong the Witch Is Dead, Rapture for the David, The Sea Is Full of Song
Katie Bull (voc) Jeff Lederer (ss, ts), Landon Knoblock (p), Joe Fonda (b), George Schuller (dm)
Enregistré en avril 2013, Paramus (New Jersey)
Durée: 1h 04’ 54’’
Corn Hill Indie (www.katiebull.com)


Katie Bull, poétesse d'avant-garde, compositrice et arrangeuse, est fortement impliquée dans la défense de la nature et est très préoccupée par les changements climatiques. Dans ce CD sous-titré «Love-Nature-The Nature of Love», elle psalmodie (plus qu'elle ne les chante) ses textes sur fond d'une musique de jazz tout aussi intransigeante, car, l'engagement musical est total, et plus proche des véhémences du free jazz que des candeurs du «flower power».
Si la section rythmique ne mérite que des éloges, Jeff Lederer, le saxophoniste, magnifique musicien, fortement influencé par Ayler, sideman occasionnel de Buster Williams ou de Gunther Schuller et conseiller pédagogique du Jazz at Lincoln Center est, quant à lui, digne d'encore plus de compliments. Ce disque étant avant tout un manifeste militant et ne conviendra pas vraiment à une écoute familiale apaisée de fin de week-end.... Mais il rappelle à bon escient, s'il en est encore temps, que le jazz a aussi une dimension politique
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Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueEric Séva
Nomade sonore

Graffiti Celtique, Guizeh, Rue aux fromages, Nomade sonore, Monsieur Toulouse, Popa, Kamar, Matin rouge, Sur le pont de Gazagou, Cheeky Monkey
Eric Seva (ss, bs), Daniel Zimmerman (tb), Bruno Shorp (b)
Enregistré à Maison Alfort, date non communiquée
Durée: 59' 33'
Gaya Music Production ESGCD001 (Socadisc)


Le saxophoniste Eric Seva a le sens des titres qui font mouche pour décrire sa démarche. Après Folklores imaginaires (en 2005 avec Didier Malherbe au doudouk) et Espaces croisés (en 2009, avec Lionel Suarez au bandonéon), voici Nomade sonore, son dernier album. Ayant grandi dans un milieu très concerné par le bal musette, il eut le privilège d'être initié au jazz dès l'enfance par un grand expert en la matière, son voisin Jean, l'immense (et si tendre) dessinateur Cabu. Oui, celui là-même qui nous manque tant. Enfin, après de solides études musicales, Eric Seva eut, la chance d'être choisi comme élève par Dave Liebman. Alors, question métissages, il en connait un rayon. D'autant que ponctuée de rencontres miraculeuses, sa carrière l'a conduit à enregistrer avec l'ONJ, Khalil Chahine, Didier Lockwood, Sanseverino, Maxime Leforestier, Dick Annegarn ou... Céline Dion (pour faire court).
Difficile de décrire sa musique tant elle déborde d'influences diverses mêlant, parfois au sein d'un même morceau, un folklore désuet revitalisé par les «notes bleues», au jazz le plus swinguant. Ecriture précise, larges plages d'improvisations, climats et rythmiques combinant moments de tension et de plénitude dans un tourbillon frénétique rempli de rebondissements, ne cessent de surprendre. Les très beaux sons de soprano et de sax baryton s'accordent à merveille avec la variété des timbres du trombone (la prise de son est remarquable), tandis que la basse et la batterie tiennent avec légèreté et une grande complicité leur rôle indispensable de gardien du cap. C'est tout simplement captivant!
Ce disque est dédié aux douze victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. On comprend pourquoi
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Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Julie Saury / Carine Bonnefoy / Felipe Cabrera
The Hiding Place

Harufe, Laissez-moi, Through the Clouds, Desde Abrit, Samuel, The Hiding Place, Horns and Horses, Vertigo, Un p'tit moi, Stars Fell on Alabam

Julie Saury (dm), Carine Bonnefoy (p), Felipe Cabrera (b)

Enregistré les 3, 4 et 5 octobre 2013, Videlle (91)

Durée: 1h 00' 42''

Gaya Music Production 021 (Socadisc)


Quel est donc ce lieu évoqué par le titre de l'album? Si c'est celui de l'origine géographique des membres de ce trio "mixte" (deux filles et un garçon) venant d'horizons si différents, il faudra se plonger dans un atlas et se livrer à de sacrés calculs... Car si Julie Saury est parisienne et Felipe Cabrera cubain (ou parisien?), Carine Bonnefoy a des origines polynésiennes, mais a grandi en Provence... Quel casse-tête! Peu importe, ils se sont trouvés et bien trouvés. Chacun a apporté ses compositions, et le choix du seul standard (dédié à Maxim... dont le nom de famille n'est pas un vrai secret et qui est joué avec beaucoup de tendresse), n'a pas dû faire débat tant l'entente de ce trio semble totale. Thèmes d'une grande qualité, mises en place découpées au scalpel (en trio on ne peut guère parler «d'arrangements»), écoute de tous les instants, respect de la parole de l'autre, changements de climats soudains et inattendus, interactions éclairs, ostinatos furtifs, choix harmoniques audacieux et surprises rythmiques diaboliquement maîtrisées. Bref, tout ce qu'il est normal d'attendre d'un trio de "vieux briscards", rompus par des années de tournées est là. Evident.

Ce CD est un prodige d'invention de grâce et d'authenticité. Enregistré dans le confort d'un studio on dirait presque un live. Une vraie réussite!

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jean-Yves Candela
Lucie

Baiao loco, Quel chic, Blue Samba, Il pleut bergère, Astor, Lucie, Aria pour Michèle, Anatelius, Petite valse, Suite pour piano et quatuor à cordes, Like a child
Jean-Yves Candela (p), François Arnaud, Bertrand Cervera (vln),Vincent Aucante (avln), Thierry Amadi (cello), Marc Bertaux (b), Realcino Lima Filho dit Nenê (dm)
Enregistré en mai 2006, Paris
Durée: 51’ 58’’
JMS 111-2 (Sphinx Distribution)


La guimauve n’étant pas son fort, c’est toujours avec un peu d’appréhension que le chroniqueur reçoit un disque de jazz «avec cordes». Mais à l’écoute de celui-ci, les craintes sont vite dissipées. Malgré un penchant certain pour le côté fluide et nostalgique des harmonies de la musique brésilienne, le pianiste, Jean-Yves Candela y signe des compositions énergiques et des arrangements dénués de mièvrerie. Le trio piano, contrebasse, batterie emporte l’enthousiasme par le dynamisme, la précision, et la richesse harmonique de cette musique élégante et lyrique. Thèmes de toute beauté, improvisations pertinentes et mises en place redoutables de finesse ne souffrent aucunement de la présence des cordes, celles-ci n’étant pas, comme si souvent, placées en renfort ou en fond de scène. Mais, postées à point, et parties prenantes du discours, elles participent pleinement à sa réussite.
Signe des temps, malgré les références de son auteur (Les Etoiles, Elisabeth Kontomanou, Babik Reinhardt, Christian Escoudé, Sylvain Luc, Richard Galliano, André Ceccarelli, JM Jafet, les frères Belmondo…), remarqué par André Francis dès 1989, son disque sort presque dix ans après avoir été enregistré… Dur dur de faire carrière quand on vit en province…

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueCéline Bonacina Crystal Quartet
Crystal Rain

Smiles for Serious People, Cyclone, Child's Mood, Crystal Rain, Shanty Trails in the Sky, Crossing Flow, Two Sides, On the Road, Vantan
Céline Bonacina (bs, ss), Gwilym Simcock (p), Chris Jennings (b), Asaf Sirkis (dm) 
Enregistré du 25 au 27 août 2015, Meudon (92)
Durée: 55’ 07’’
Cristal Records 245 (Harmonia Mundi)

Céline Bonacina, saxophoniste baryton et soprano de 40 ans, originaire de Belfort, s’est formée dans les conservatoires, cursus dont elle est sortie diplômée et qui lui a permis d’enseigner pendant sept ans sur l’île de la Réunion. De retour dans la métropole en 2005, elle crée son propre trio jazz et autoproduit un premier album, Vue d’en haut. Suivent deux disques en trio parus chez ACT, Way of Life (2010, avec la participation de Nguyên Lê) et Open Heart (2012, avec en invités Mino Cinelu, perc, et Pascal Schumacher, vib). Trois opus marqués par la volonté d’intégrer au jazz des influences world music.

Avec Crystal Rain elle nous présente son nouveau quartet acoustique, formation qui conserve une teinte world, et qui porte une musique essentiellement écrite par son leader. Les accents boisés du baryton de Céline Bonacina sont mis au service de compositions aériennes, comportant des préoccupations esthétiques et une tonalité qu’on pourrait qualifier de contemplatives et spirituelles (référence au cristal qui dans la mouvance New Age est le prisme permettant une certaine ouverture au monde). Si les notes chaleureuses du baryton prédominent, Céline Bonacina utilise aussi le soprano au travers de contrastes plus appuyés sur des plages atmosphériques mettant en valeur le jeu inspiré des cymbales d’Asaf Syrkis. L’imaginaire est fortement sollicité à l’écoute de cette musique dont l’onirisme ne se dément pas, mais l’apparentement au jazz s’exprime ici principalement par les arrangements et l’interplay présent entre les instrumentistes. 

Ce Crystal Quartet utilise des mesures composées, et bien qu’un véritable sens du collectif anime l’album, la pulsation rythmique ne permet que sporadiquement la mise en valeur des contributions propres à un musicien en particulier. Du coup, l’univers des joutes instrumentales est à peu près absent du vocabulaire usité sur ces pistes, remplacé par l’ambition d’élaborer un discours musical inédit, basé sur les émotions. On ressent d’ailleurs clairement la présence d’autres courants musicaux que le jazz parmi les influences de la saxophoniste (d’où une quasi absence de swing), et surtout un véritable sens de l’ornementation qui ne relève jamais de l’enluminure gratuite, de plus assorti de breaks bienvenus, qui émaille les titres les plus audacieux de ce Crystal Rain.

Le CD se clôt joliment sur «Vantan», une ballade mémorable du contrebassiste, et paradoxalement c’est peut-être sur ce titre (en dehors, bien sûr, de «Crystal Rain») qu’on ressent le plus l’âme d’enfant sous l’égide de laquelle Céline Bonacina a voulu placer son œuvre.

Jean-Pierre Alenda
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jean-Philippe O'Neill Quartet
Willie'O

Emile Saint Saëns, Willie’O, The Stalker, You Make Me Feel so Crazy, Latina, Billy Hart, Brook, Studio 16, Be Bop à Lulu

Jean-Philippe O’Neill (dm), Ronald Baker (tp, voc), Philippe Petit (p), Peter Giron (dm)

Enregistré du 1er au 4 février 2014, Paris

Durée: 48’ 39’’

Black & Blue 798.2 (Socadisc)

 

A tous ceux qui n’entendent la créativité en jazz qu’en le dénaturant de son essence, Jean-Philippe O’Neill oppose un démenti incontestable. Soit Willie’O, un album uniquement constitué d’originaux, dans une tonalité globalement bop. Ceux qui fréquentent les clubs parisiens, en particulier le Caveau de La Huchette, on pu repérer ce joyeux gaillard aux côtés de Ronald Baker. Une enfance au Mexique, une adolescence à Paris et une dizaine d’années à New York (il est diplômé de la Rutgers University) ont par ailleurs donné au batteur des horizons larges et une solide maîtrise du swing. Et c’est justement de cette rencontre avec l’ami Ronald – nous explique-t-il dans la (trop) courte notice du CD – qui a jeté les bases de ce quartet (ce qui ne nous étonne guère, tant ce projet paraît cousin des albums de l’excellent Ronald Baker Quintet), lequel est fort bien complété par l’une des Rolls parisiennes de la contrebasse, Peter Giron, et le groovissime Philipe Petit.

Outre la qualité des interprètes, celle des compositions – signées par les trois sidemen – et des arrangements sont à souligner. Les ambiances sont variées, allant de l’évocation de la musique d’Horace Silver (excellent «Emile Saint Saëns» de Petit) à un détour par Cuba («Latina» de Baker), tandis que l’on compte quelques jolies ballades portées par la sensibilité aiguë du trompettiste, en particulier sur les deux meilleurs titres de cet opus: «Billy Hart» (un hommage bienvenu sur un disque de batteur!) et «Brook», tous deux écrits par Peter Giron.

Willie’O est ainsi une œuvre collégiale dans laquelle le leader ne se met pas en avant: à peine nous gratifie-t-il d’un solo en ouverture de «Latina» (où le duo avec Philippe Petit, tout aussi percussif, fonctionne à merveille). Un excès de modestie peut-être. Mais on ne va pas se plaindre que la belle cohésion du groupe ni des couleurs subtiles que Jean-Philippe O’Neill distille du bout des baguettes.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAustin O'Brien Big 5 Band
My Time Is Now

My Time Is Now, Ride On, Ballade for Kele, What Do You See?, Dirty Old Town, Happy, Main Street, She Moves Through the Fair, D’iazz Song, That’s True, Now and Then, My Dear Friend, And I Ask You Why, Love for Two
Austin O’Brien (voc), Michel Pastre (ts), Christian Brun (elg), Philippe Petit (org), François Laudet (dm)
Enregistré en 2014, Meudon (92)
Durée: 56’ 39’’
Autoproduit (www.austinobrienmusic.com)


Les habitués du Caveau de La Huchette ont forcément déjà croisé sa haute silhouette au bar, dans le public et évidemment sur scène. Car cela fait dix ans que cet Irlandais à la forte personnalité fréquente le club de Dany Doriz. Entertainer se réclamant de la tradition des Harry Connick Jr, Frank Sinatra et Tony Bennett, Austin O’Brien propose un album qu’il présente avant tout comme un compagnonnage amical et musical avec Michel Pastre, François Laudet, Christian Brun et Philippe Petit, ce dernier étant l’auteur des arrangements. La qualité du groupe qui entoure le chanteur n’est effectivement pas le moindre des atouts de ce projet (le son hawkinsien de Pastre est tout simplement magnifique) comprenant à une large majorité des originaux, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour un disque de swing. Ces compositions sont toutes signées ou cosignées par le leader avec Petit, Brun, Michel ou César Pastre (on doit notamment au jeune fils du ténor  – par ailleurs, excellent pianiste – une jolie ballade: «D’iazz Song») et elles sont de bonne facture (avec une mention spéciale pour «That’s True», concoctée par O’Brien et Petit). Côté reprise, on retiendra une surprenante version du tube R’n’B de Pharrell Williams,
«Happy», – si bien jazzifié qu’on le prendrait pour un standard –, alors qu’avec le traditionnel irlandais, «Dirty Old Town», l’opération paraît artificielle. Résultat des courses: un disque fort sympathique porté par un interprète qui mérite de l’attention.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Kenny Barron Trio
Book of Intuition

Magic Dance, Bud Like, Cook's Bay , In the Slow Lane, Shuffle Boil, Light Blue, Lunacy, Dreams, Prayer, Nightfall
Kenny Barron (p), Kiyoshi Kitagawa (b), Johnathan Blake (dm)
Enregistré les 4 et 5 juin 2015, New York
Durée: 1h
Impulse! 477 0129 (Universal)


Kenny Barron en trio, c’est un classique du jazz, l’un des meilleurs de l’histoire. Il a aussi enregistré en solo (At Maybeck), en duo (Together avec Tommy Flanagan, Red Barron avec Red Mitchell, Two As One avec Buster Williams, People Time avec Stan Getz,Night and the City avec Charlie Haden), en quartet (la série des Sphereavec Charlie Rouse, Buster Williams et Ben Riley), voire en plus grande formation, toujours de magnifiques disques, parce que Kenny Barron est l’un des piliers du jazz d’aujourd’hui, un musicien qui a magnifié l’histoire du jazz depuis sa jeunesse, aux côtés de Dizzy Gillespie dès 19 ans pour un parcours d’excellence sans le moindre égarement.
En trio, comme dans tous les formats, c’est un géant, et la connivence entre musiciens comme la large place laissée à l’expression de chacun de ce format réduit, ont fait de cet échange à trois celui qu’il utilise le plus en tournée. On se souvient, mieux, on se les repasse fréquemment, de ses trios avec Buster Williams et Ben Riley (Green Chimneys, IMO Live), avec Ron Carter et Michael Moore (1+1+1), avec Cecil McBee et Al Foster (Landscape), avec Ray Drummond et Ben Riley, un trio au long cours avec lequel il a souvent tourné, l’une des plus belles réunions de l’histoire (Lemuria), avec Rufus Reid et Victor Lewis (The Moment), avec Charlie Haden et Roy Haynes (Wanton Spirit)… On pourrait s’étendre, mais il vaut mieux retourner à son interview du n°575 de Jazz Hot, avec la discographie détaillée qui vous donnera des idées et des envies de disques de Kenny Barron.
L’essence du jazz y est dans toutes ses dimensions: la qualité de l’expression (plénitude, nuances, récit), le blues, un swing jamais contraint, l’originalité absolue et un sens rare de la mise en place, une sorte de perfection harmonique et rythmique qui ne se départit jamais d’un langage naturel, accessible. En homme de la mémoire du jazz, il n’oublie jamais ceux qu’il admire (Thelonious Monk, représenté dans ce disque par deux thèmes) ou qu’il a côtoyés: un beau thème très nostalgique («Nightfall») est dédié à Charlie Haden, et bien entendu Kiyoshi y a une partie réservée.
Kenny Barron a, derrière sa science infinie du jazz et du clavier, l’ouverture et l’humilité de servir le jazz, la musique avec naturel, de mettre à la disposition de toutes les oreilles, même les plus profanes, la beauté de cette musique avec son talent d’artiste accompli. Comme les plus grands du jazz, Kenny Barron rend le jazz accessible à tous, et toujours avec une modestie, une allure anti-star qui incarne l’esprit du jazz dans ce qu’il a de meilleur. L’idéal artistique.
Dans ce disque, avec des partenaires triés sur le volet et qu’il élève au sommet de l’expression, Kiyoshi Kitagawa (1958, Osaka) et Johnathan Blake (1976, Philadelphie), il délivre encore une œuvre parfaite. Il suffirait d’écouter le seul «Lunacy» pour s’en persuader, mais chaque thème est une merveille, et le disque est d’une certaine manière encore plus abouti que la prestation en concert à Paris (cf. nos comptes rendus), car chaque thème profite d’une forme d’économie et de rigueur (de temps et d’espace) qui confère plus d’intensité, comme dans «Prayer» où Kiyoshi Kitagawa nous gratifie d’un très beau jeu à l’archet et Johnathan Blake de ses nappes aux cymbales comme des voiles jetés sur les notes perlées d’un Kenny Barron extatique.
On devrait encore s’arrêter sur ce «Bud-Like», sur chacun des thèmes, sur la construction du disque qui alterne thèmes aériens et intense, tempos médiums et tempos rapides, originaux et classiques, avec l’art consommé de Kenny Barron de savoir faire respirer la musique et l’auditeur, pour la beauté de l’une et l’attention de l’autre. Kenny Barron est un sommet de l’art du trio aujourd’hui, tant mieux pour le jazz et pour nous!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Ella Fitzgerald
Live in Paris. 1957-1962

64 titres
Ella Fitzgerald (voc) avec:
8 mai 1957: Don Abney (p), Herb Ellis (g), Stuff Smith (vln), Ray Brown (b), Jo Jones (dm)
30 avril 1958: Lou Levy (p), Max Bennett (b), Gus Johnson (dm)
23 février 1960: Paul Smith (p), Jim Hall (b), Wilfred Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
28 février 1961 et 11 avril 1961: Lou Levy (p), Herb Ellis (g), Wilfred Middlebrooks (b), Gus Johnson (dm)
16 mars 1962: Paul Smith (p), Wilfred Middlebrooks (b), Stan Levey (dm)
Enregistré à Paris
Durée: 1h 16’ 03” + 1h 14’ 21” + 1h 17’ 39”

Frémeaux & Associés 5476 (Socadisc)


Dans le cadre de la collection «Live in Paris: la collection des grands concerts parisiens», dirigée par Michel Brillié –qui rédige le texte du livret– et Gilles Pétard, le directeur de feu la bonne collection Classics (intégrales chronologiques du jazz, par musicien), voici le volume consacré à Ella Fitzgerald, après Miles Davis, Quincy Jones, Ray Charles, Count Basie, et d’autres sont à venir sans doute, sous le parrainage bienveillant du label de Patrick Frémeaux, qui continue son œuvre. Puisse-t-on trouver la solution pour le conserver au jazz dans la glace, mais actif, pour le siècle entier.
En particulier, parce que ce coffret de trois disques est un événement majeur du jazz et de l’art –puisqu’on parle d’Ella Fitzgerald– même si personne d’autre que Jazz Hot ne le dit. On espère quand même, après cette chronique, que les lignes bougeront… Les enregistrements sont indiqués comme étant dus à l’équipe d’Europe 1 et crédités comme produits par Norman Granz, Frank Ténot et Daniel Filipacchi. A ce propos, si l’essentiel des titres du volume consacré à Count Basie était déjà paru à un titre près (chez Magic-Awe et Laserlight, cf. discographie), cette mention d’une coproduction pour Ella est mystérieuse car deux des trois sont morts et ne nous le diront pas, et que ce volume semble intégralement inédit pour tous les discographes, ce qui en fait un diamant pour tous les amateurs de jazz et de chant et de la First Lady, et ils sont nombreux.
En effet, la consultation des discographies d’Ella, alors qu’elle mentionne beaucoup des concerts européens enregistrés lors de ces tournées de 1957 à 1962 (Berlin, Rome…), produits par Verve, et donc enregistrés avec l’aval de Norman Granz à l’époque, ne mentionne aucun des enregistrements d’Ella à Paris inclus dans ces trois disques. Il est d’ailleurs douteux autant pour Ella que pour le Count que l’enregistrement des concerts de 1957 soit dû aux techniciens d’Europe 1. A cette époque, Europe 1, dont l’émetteur est au-delà de la frontière française, en Sarre qui a choisi l’Allemagne (en raison du monopole des ondes en France), vient à peine de commencer à émettre depuis 1955, et non sans difficultés car le message est brouillé (cf. Dictionnaire de la Radio, Pug), étant à l’époque une radio-pirate (sans accord formel d’émission et attribution d’une longueur d’onde). La sulfureuse Europe 1, en 1960-1962, bien qu’émettant alors, est encore au centre d’un conflit juridique interne sur le nom même de son propriétaire qui provoquera un conflit entre la France et la Principauté de Monaco (Histoire de la Radio en France de René Duval, Alain Moreau). Une «guerre» que la France gagnera (pour une fois) mais qui n’est pas plus à son honneur que celle d’Algérie.
Frank Ténot, dans son histoire Radios Privées-Radios Pirates (Denoël), qui reprend souvent les informations telles quelles de René Duval, élude cette fois l’épisode de 1960-62, et signale en forme d’épitaphe que le fondateur d’Europe 1, Charles Michelson, un industriel juif, mourut ruiné en 1970. Notre imagination et quelques informations indiquent qu’il fut doublement spolié de sa création (qui tire des racines lointaines en 1936), d’abord en 1940 par Laval, en personne, puis en 1962, lors de ces épisodes juridico-rocambolesques qui ont bercé la naissance d’Europe 1, qui mêlèrent en dehors de Michelson, Sylvain Floirat, industriel au passé sulfureux, les Etats français et allemands, la Principauté de Monaco, le monde de la finance de cette époque, l’Assemblée nationale française, et brassèrent quelques milliards au total. C’est une vieille histoire, aujourd’hui oubliée, qui dépasse l’imagination, et nous en rappelle d'autres, plus actuelles.
Pour revenir donc à notre disque, qui nous a permis de replonger dans une histoire à la Dumas-père, mais qui se termine, selon notre imagination, moins bien pour le bon que pour le truand, on peut imaginer que les actifs Ténot et/ou Filipacchi, amateurs de jazz et activistes de la radio, pionniers du show business et à l'orée d'un empire des médias (Pour ceux qui aiment le jazz, et Salut les copains sur Europe 1), aient enregistré, avec leur Nagra III (apparition déterminante en 1958 d’un petit enregistreur à bande de haute qualité entièrement transistorisé) ces concerts d’Ella Fitzgerald, en se passant du consentement de Norman Granz qui veillait jalousement sur sa perle rare et sur tous ses enregistrements. Le livret rappelle justement l’attention extrême que Norman Granz portait à Ella Fitzgerald. Cela expliquerait, on peut aussi l’imaginer, que Norman Granz n'ait pas publié lui-même cet enregistrement, et qu’on ait attendu la disparition de Norman Granz et plus de 50 ans de délai pour voir apparaître ces enregistrements précieux.
L’auteur d’un livret sympathique mais insuffisant vu la réalité exceptionnelle de cet enregistrement – qui a pu aussi circuler entre collectionneurs, n’en doutons pas, dans des éditions pirates non connus des discographes – raconte d’ailleurs, en trouvant succulente l’anecdote, que l’un des jeux du 28 février 1961 consista à berner Norman Granz qui réclamait pour Ella, sous peine d’annulation – Ella à qui on avait réservé pour toute loge un coin des coulisses et un paravent – une loge équivalente à celle d’Edith Piaf, la sauveuse de l’Olympia, alors en difficulté sur le plan économique. On trouva l’astuce d’un faux panneau Edith Piaf sur une porte de placard. L'histoire fait «sourire jaune».
On imagine (encore) que les relations d’alors avec Norman Granz n’étaient pas à la coproduction d’un enregistrement d’Ella, comme l’indique le livret plus de 50 ans après. Et si tel avait été le cas, on suppose que ces enregistrements auraient fini dans les archives de Verve, comme ceux des autres pays d’Europe, et seraient disponibles depuis cinquante ans.
Mais bon, tout ça n’est que de l’imagination, et le résultat est là…
On découvre avec bonheur, la grande, la splendide, la surnaturelle Ella Fitzgerald, au sommet de son art, pour plus de trois heures trente minutes de musique inédite, au moins pour la plupart des amateurs. Merci à ceux qui ont dévoilé ces merveilles du jazz.
La First Lady, non pas du jazz, mais of Song, au singulier, mérite ce titre. Elle reprend non seulement quelques blues, avec autant de grâce que de gouaille, Ellington, Monk, Strayhorn, Ray Charles, etc., mais encore le grand livre de la chanson populaire américaine (Irving Berlin, George Gershwin, Cole Porter, Johnny Mercer, Rodgers & Hart…) que justement Norman Granz l’a incité à explorer dans le courant des années cinquante. Elle est en ce début des années soixante et restera jusqu’à son décès en 1996, une icône du jazz, un absolu du chant, l’équivalent de Maria Callas dans l’art lyrique classique.
Il ne sert à rien d’isoler un thème dans cet ensemble d’un niveau exceptionnel. Il suffit simplement de se rendre compte qu’un inédit d’Ella Fitzgerald, trouvé dans la poussière du temps, doit être un événement artistique majeur de la planète, comme le serait la découverte d'inédits de Maria Callas, ou la découverte d’un tableau de Van Gogh dans un grenier.
Ce serait alors un événement médiatique, un best-seller… Avec notre imagination, on peut le souhaiter à la maison Frémeaux, elle le mérite pour ce travail exceptionnel autour de la mémoire du jazz.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Steve Slagle & Bill O'Connell
The Power of Two

Good News, One Life, Peri's Scope, I'll Wait and Pray, A New Day, KD JR. (In Memory of Kenny Drew, Jr.), The Power of Two, The Duke, Circle Into Your Grace, Whistling Spirits
Steve Slagle (as, fl), Bill O’Connell (p)
Enregistré le 12 septembre 2014, Paramus (New Jersey)
Durée: 53’ 23”
Panorama Records 005 (
www.steveslagle.com)

Cet album a vu le jour à partir de l’idée d’un hommage de Steve Slagle à son ami Kenny Drew, Jr., pianiste de grand talent, prématurément décédé, à 56 ans, en 2014. Steve et Kenny ont partagé plusieurs aventures musicales ensemble, dont celle du Mingus Big Band, et Kenny avait participé à des enregistrements de Steve (Reincarnation, 1994, chez SteepleChase). C’est l’occasion également pour Steve de retrouver un autre vieux compagnon de route, Bill O’Connell, et de permettre aux amateurs d’écouter cette musique de la nuance, de la profondeur, intime mais également puissante et émouvante comme l’évoque le titre.
Dans le jazz, la musique en duo laisse beaucoup de place à l’expression de chacun et permet un dynamisme et une grande spontanéité par le dialogue et bien sûr par la légèreté de la formule. Sur un répertoire majoritairement de Steve Slagle, avec deux compositions de Bill, un standard du jazz et deux compositions de Miles Davis et Dave Brubeck, Steve et Bill se répondent avec complicité, vérité, et c’est tout l’intérêt de la rencontre.Du beau jazz, où l’émotion est omniprésente, joué par deux excellents musiciens.
Steve Slagle alterne la flûte et l’alto – cela enrichit la palette du duo d’autant que Steve Slagle y excelle –, et donne la pleine mesure de ses qualités expressives qu’on apprécie depuis tant d’années (belle sonorité). Bill O’Connell est à l’écoute, soutient ou intervient avec un sens mélodique confirmé, un toucher très fin dans la grande tradition du beau piano jazz si riche et élaborée. Un plaisir de disque de jazz (avec tous les accents swing et blues) pour nous rappeler le regretté Kenny Drew, Jr., qui partageait avec ces deux musiciens le sens de la musicalité. Des musiciens au service de la musique et du jazz: excellent!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Lew Tabackin
Soundscapes

Afternoon in Paris, Garden at Life Time, B Where It’s At, Minoru, Yesterdays*, Day Dream, Sunset and the Mockingbird, Three Little Words
Lew Tabackin (ts, fl), Boris Kozlov (b), Mark Taylor (dm)

Enregistré les 20 mars* et 20 avril 2015, New York

Durée : 1h’

Autoproduit (www.lewtabackin.com)


S’il enregistre peu, joue à Paris une fois par an, à peu près jamais en régions ni dans les festivals de jazz, Lew Tabackin est pourtant bien présent. Il revient avec un excellent album, autoproduit et enregistré dans les conditions du live au Drum Shop de Steve Maxwell (le 20/04/15), à New York, avec le photographe/ingénieur du son Jimmy Katz à la coproduction (un titre, «Yesterdays» ayant été enregistré un mois plus tôt à son domicile).
Pour ce trio sans pianiste, le format qu’il préfère, le ténor s’est entouré de ses fidèles compagnons de route, Boris Kozlov et Mark Taylor, présents aussi sur Tanuki's Night Out (2002) et Live in Paris (2008). Il joue depuis une dizaine d’années avec le bassiste et plus de trente ans avec le batteur. C’est donc ici l’album d’un vrai groupe de jazz, avec une complicité musicale très solide.

Les standards choisis par Tabackin et ses compositions personnelles ont une histoire et racontent une histoire:
«Afternoon in Paris» est un titre de John Lewis avec qui il jouait régulièrement, et enregistra l’album Duo en 1981. C’est aussi une composition qu’il interprète souvent, en tournée, et c’est l’hommage à Paris après les deux attentats, ville avec laquelle il a noué de fortes attaches, et dont il ne manque jamais de saluer en concert l’importance historique dans l’histoire du jazz. Pour sa «trilogie» japonaise, «Garden at Life Time» évoque la fois où le patron du club de jazz Garden Cafe Lifetime, à Shizuoka, avait demandé au musicien d’accompagner à la flûte le spectacle «Hagoromo», une des plus célèbres pièces de théâtre Nô ; «B Where It’s At» est un hommage au club de jazz B Flat, à Tokyo, où il joue depuis des années;«Minoru» salue la mémoire de Minoru Ishimari, réparateur de saxophones qui «sauva la vie» du musicien à de nombreuses reprises lors de ses tournées au Japon.
Cette sélection de titres et ce va-et-vient entre le ténor et la flûte ressemblent bien à un des puissants sets de Tabackin qu’on peut entendre en club. Comme il nous le racontait dans son interview (dans ce numéro 675), son approche des deux instruments change du tout au tout. Et c’est bien deux voix qu’on entend, deux personnalités distinctes: un ténor qui rugit, au gros son qui envahit la salle, nourri de Coleman Hawkins, Ben Webster, Sonny Rollins, Zoot Sims (son «grand frère»), avec ses improvisations intenses, brûlantes, et un flûtiste, au son très personnel, qui apporte d’autres textures, d’autres couleurs, dans un mélange de jazz et de tradition orientale, japonisante, classique. Si le jeu du musicien est élégant, intègre et sans concession, il a d’autant plus de charisme et de présence qu’il joue en totale confiance, soutenu par deux excellents musiciens, très swing, toujours mis en valeur par le leader.
Si les interprétations au ténor suffisent à elles seules à faire de cet album une réussite, celles jouées à la flûte poussent le niveau d’un cran supérieur: «Garden at Life Time» est plein de cette tension dramatique qu’on peut imaginer sur la scène d’une pièce Nô, et son superbe «dérangement» de «Sunset and the Mockingbird», s’il est, dit-il, sa façon de taquiner les puristes de Duke Ellington en incorporant autant de Charlie Parker que possible, il est surtout l’affirmation profonde d’un musicien complet, inspirant, bouleversant et la preuve que le jazz est un art bien vivant.
Mathieu Perez
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Chuck Israels Jazz Orchestra
Joyfull Noise: The Music of Horace Silver

Sister Sadie, Moonrays, Creepin’ in, Doodlin’, Cool Eyes, Opus de Funk, Strollin’, Cookin’ at the Continental, Peace, Home Cookin’, Room 608
Chuck Israels (b, dir), Charlie Porter (tp), John Moak (tb), Robert Crowell (as, bar, fl), John Nastos (as), David Evans (ts), Dan Gaynor (p), Christopher Brown (dm)
Enregistré les 1-2 septembre 2014, Portland (Oregon)
Durée: 1h 09’ 37”
Qoulsatch Music 7827724472 (www.soulpatchmusicproductions.com)


Pour ceux qui se souviennent du beau parcours de Chuck Israels depuis les années cinquante entre Eric Dolphy, George Russell, Cecil Taylor et Bill Evans durant les années soixante avec qui il enregistra beaucoup de disques remarquables, cet hommage à Horace Silver pourrait paraître curieux. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’étonne pas. Chuck Israels avait parlé de jazz dans une interview accordée à Jazz Hot (n°654), en 2010, et raconté comment il était né dans une époque extraordinaire, peuplée de musiciens d’une intensité remarquable, et il raconte dans le texte de livret comment lui et ses copains, dans cette époque, se précipitaient pour acheter les premiers le dernier disque d’Horace Silver, toujours entouré de la génération dorée de hard boppers, Art Blakey, Curley Russell, Lou Donaldson, Clifford Brown, etc.
Sa discographie, surtout en sideman, a aussi montré qu’il a enregistré avec Coleman Hawkins, Stan Getz, Barry Harris, Herb Ellis, et il a joué avec tant de musiciens de jazz extraordinaires… Il raconte sa première rencontre avec Horace Silver, comme auditeur d’un enregistrement de studio à la fin des années cinquante, et sa profonde admiration pour le grand compositeur, dont il reprend ici un florilège, et pour l’homme, une nature ouverte, joyeuse et généreuse, d’où le titre de cet album, Joyful Noise. Et on ne peut qu’acquiescer, car si un musicien a autant donné à la fois par son rôle de transmission au sein de ses splendides orchestres, et par son talent de magnifique compositeur et arrangeur, c’est bien le grand Horace Silver (cf. Jazz Hot n°528, 1996, avec une discographie) disparu en 2014. Sa musique très personnelle, swingante («Room 608»), joyeuse («Doodlin’», «Sister Sadie») et parfois si émouvante («Peace»), a tellement été reprise que cet hommage à l’un des très grands compositeurs du jazz est évident pour tout amateur de jazz, et Chuck Israels en reste un, au-delà de sa grande carrière.
Le bassiste natif de New York, installé à Portland dans l’Oregon, a fait appel à des musiciens de la scène locale, soit qu’ils y soient nés comme Robert Crowell (McMinnville, à côté de Portland), John Nastos, Christopher Brown, Dan Gaynor (Portland) ou installés comme John Moak (Oklahoma), Charlie Porter (New York), David Evans (Alabama). Les arrangements sont très respectueux de l’original (Gaynor respecte lui-même le jeu de piano de Silver dans son phrasé), et le disque est excellent avec ce qu’il faut de dynamique pour cette musique, et des instrumentistes de qualité. John Moak est un beau trombone qui donne ici d’excellents chorus; Charlie Porter, qui a suivi les enseignements de la Juilliard (jazz et musique classique) est un trompette percutant, et chacun des saxophonistes apporte sa couleur. Mais cette musique, conçue comme une sauce de grand chef étoilé, vaut par la couleur des arrangements.
Chuck Israels remarque un des attributs essentiels du jazz dans les années cinquante, l’intensité des musiciens d’alors. Il est certain que c’est aujourd’hui difficile de la retrouver dans une revisite, mais on passe plus d’une heure de plaisir à l’écoute de ces belles musiques fort bien réinterprétées, avec exigence, et nul doute que Chuck Israels s’est fait et nous a fait un grand plaisir avec cette relecture de grande qualité.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

George Freeman & Chico Freeman
All in the Family

Dark Blue, Interlude V-2, Latina Bonita, Interlude V-6, My Scenery, Interlude V-9, Five Days in May, Vonski, Interlude, Inner Orchestrations, Percussion Song Two, Chico, Interlude V-5, What's in Between, Essence of Silence, Interlude V-4, A Distinction Without a Difference, Interlude V-10, Angel Eyes, Percussion Song One, Marko*, Chico & George Introductions
George Freeman (g, voices*), Chico Freeman (ss, ts), Kirk Brown (p, clav), Harrison Bankhead (b, voc), Hamid Drake (dm), Reto Weber (hang, perc), Mike Allemana (g), Joe jenkins (dm), Joannie Pallatto (voices)*
Enregistré de septembre 2014 à janvier 2015, Chicago
Durée: 1h 18’ 55”
Southport 0143 (southport@chicagosound.com)


Un album de famille sans nul doute, et plus encore si on étend cette notion de famille à la ville qui a vu naître l’oncle et le neveu, George et Chico, car on retrouve dans cette production exceptionnelle, l’ensemble des composantes musicales qui font de Chicago l’équivalant, au bord des Grands Lacs du nord des Etats-Unis, du Gumbo néo-orléanais au sud, au bord du Mississippi. Ici, à Chicago, les influences, musicales et plus largement humaines, culturelles, viennent de loin: de New Orleans justement et de toute cette vallée fertile du grand fleuve (le Delta) que les hommes ont remonté peu à peu pour vivre, apportant leur joie de vivre, leurs peines, leurs traditions, leur culture. Chicago, la Cité du vent, est aussi celle du blues, mais encore celle des grands orchestres, d’une tradition du jazz qui remonte aux débuts du jazz, quand King Oliver, Freddie Keppard, Earl Fatha Hines et Louis Armstrong en étaient déjà les rois, et peu après de Benny Goodman. La descendance est riche. Chicago est enfin, sur le plan musical, la ville qui compte une centaine de chorales religieuses, avec un nombre d’obédiences sans égal aux Etats-Unis. Le fait religieux y est fort, quelle que soit la religion; l’Islam, en particulier, y a son plus fort développement.
La dureté de la vie, du travail, y a aussi créé une tradition de révolte, de force, qui a fait de ce pôle, l’un des plus remuants politiquement, culturellement, religieusement des Etats-Unis, et des plus radical en matière de combats pour les droits civiques. C’est un représentant de l’’Illinois, Barack Obama, qui est le premier Président des Etats-Unis d’origine africaine et américaine.
La vie culturelle est protéiforme, et toujours particulière, avec une importante marginalité acceptée, et dans le jazz-blues, très tôt dans l’après-guerre, des musiciens ont privilégié leur ville plutôt que New York, encore à l’instar de ce qui s’est passé pour New Orleans, un signe d’une forte identité culturelle au sens large de la mégapole du nord. Chicago est toujours restée une étape importante de la reconnaissance artistique aux Etats-Unis, en particulier sur le plan musical.
C’est dans ce contexte qu’ont vécu les Freeman, et la famille Freeman, dans son ensemble peut être choisie comme exemplaire de cette ville (George Freeman vient de faire la couverture du Chicago Tribune). Le grand-père, George, policier de son état, joue du piano et chante dans le registre de Bing Crosby; la grand-mère joue de la guitare et chante parfaitement. A la maison, on héberge Louis Armstrong, l’ami de la famille, lors de son arrivée puis de ses passages; on reçoit Earl Hines, Fats Waller et Art Tatum… George amène le premier disque de Charlie Parker à la maison. Les enfants vont évidemment en retirer le goût de la musique. Bruzz devient batteur, Von saxophoniste et George Jr., ici présent, guitariste. Plus tard, la troisième génération donne Chico Freman, le fils de Von, et on ne connaît pas le reste de la famille, bien qu’on sache par ce disque que Mark Freeman, le frère de Chico, n’est pas étranger au jazz. Cela rappelle encore cette tradition familiale néo-orléanaise, et cet enregistrement Fathers & Sons réunissant Ellis et Wynton Marsalis, Von et Chico Freeman. Comme Ellis, Von et George sont restés dans leur ville de naissance, jouant le rôle de passeur, de conservateur de la mémoire, mais également d’innovateur, de professeur pour la nouvelle génération. Ils ont accueilli Charlie Parker que toute la fratrie (Bruzz, Von et George) a accompagné, comme la plupart des grands musiciens de passage, Lester Young, Coleman Hawkins, Coltrane, sans aucun distingo générationnel. Chico, dans l’interview du Jazz Hot n°675 nous raconte sa détermination à jouer avec Elvin Jones, McCoy Tyner.
Leur manière d’aborder le jazz n’est pas celle de New York ou de New Orleans. C’est un condensé de cette ville où les racines les plus profondes (le blues, l’Afrique) jouxtent la modernité la plus radicalement décalée (de Sun Ra à toutes les composantes de l’AACM créée en 1965). On retrouve chez Von et George, et par ailleurs Fred Anderson (même génération) qui n’ont jamais fait partie de l’AACM par choix, les caractères d’une musique de recherche qui va devenir à l’AACM (à laquelle adhère Chico) un élément d’un discours, parfois même d’un système pour certains. Ils sont dans l’esprit nécessairement free de ce temps des Droits civils et de cette ville rebelle, sans adopter l’esprit de système dont Chico est lui-même distant. Leur musique vient toujours des racines, le blues y est une donnée essentielle, ce qui n’empêche pas la liberté individuelle et la recherche de ce qui différencie, de ce qui fait que chacun est unique.
Ce disque, construit comme une rencontre familiale sur un trimestre (les photos dans la cuisine le disent aussi), est ainsi une sorte de réunion de tout ce qui fait le caléidoscope chicagoan, le beau son, les racines blues, africaines, la novation, le jeu, la recherche, la famille au sens large, et la présence d’Harrison Bankhead (qui nous gratifie d’un interlude à la Slam Stewart, basse et voix à l’unisson), d’Hamid Drake, de Reto Weber indique encore que la famille chicagoane à l’esprit large, et est toujours capable de se réunir, de proposer une synthèse musicale, sans esprit de chapelle et avec ce grain d’originalité qui la rend si précieuse (George est une rareté du jazz).
Le répertoire est composé d’originaux de George (4), Chico (7), d’un standard («Angel Eyes») et d’interludes (9) où la tension alterne avec la gravité, la sérénité ou la bonne humeur, avec un thème ludique sans doute dédié à Mark Freeman, le frère («Marko») avec les voix de George et de la productrice en toute familiarité.
Une synthèse aussi de professionnalisme et de vie quotidienne qui évoque encore le pôle sud du jazz, New Orleans.
Au-delà de la musique, cet album, dédié par George à toute sa famille, et par Chico à Von et Ruby (sa mère), est essentiel pour la leçon de sociologie musicale, ce qui ne nous étonnera pas de ce personnage étonnant qu’est Chico Freeman qui cache derrière son art de musicien, une joie de vivre et un rire éclatant, les attributs d’un excellent professeur. Ses interventions lors de l’anniversaire de Jazz Hot, en mars 2015, comme en de nombreuses autres occasions depuis 40 ans, témoignent toujours d’un esprit aiguisé et particulièrement brillant, en matière de jazz en particulier. Bon sang ne saurait mentir!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

José Fallot & Friends
Another Romantic. Volume 2

Jumeaux, Mister Jazz*, No Blues°, Limelight, Old Trip, Argot, D’une étincelle, Atmosphère, Chuiquita
José Fallot (b), Pierre Olivier Govin (s), Franck Avitabile (p)°, Renaud Palisseaux (p), Mike Stern (g)*, Etienne Brachet, (dm), Carole Sergent (voc)

Enregistré dans l’été 2014, Vannes (56)

Durée: 47’08’’

Sergent Major Company 130 (EMI/The Orchard)

José Fallot est un stakhanoviste de la musique. Né en 1955, il baigne très tôt dans l’univers musical : son grand-père maternel pratiquait le cornet à pistons, ses parents jouaient du piano. Au début des années soixante-dix, attiré par les sonorités du British Blues il opte pour la six-cordes. Sa première formation joue le répertoire des Stones et des Beatles, avec un goût affirmé pour le jeu de Paul McCartney. Il commence à s’intéresser au jazz, suit des cours avecYvon Gardette (org) et Pierre Urban (g).C’est avec ce dernier qu’il commence à «tourner». En 1987, il fait ses premiers clubs parisiens, passe à la basse cinq puis six cordes, frettée ou non. Les tournées et festivals s'enchaînent, notamment en compagnie de la chanteuse Carole Sergent, avec qui il enregistre trois albums. Dans la foulée, il produit des spectacles dont un Tribute to Duke Ellington, avant de devenir le bassiste du cirque Gruss. Il rajoute une nouvelle corde à son arc en devenant programmateur (les Lundis Jazz et au Théâtre Montansier à Versailles). Avec une telle expérience il se lance enfin comme musicien leader et enregistre en 2009, Another Romantic. Le bassiste revient à la production discographique avec un deuxième volume à son opus de 2009. Entouré de ses fidèles musiciens de tournée, Pierre Olivier Govin (s), Renaud Palisseaux (p) et Etienne Brachet, (dm), il s’adjoint aussi les services de Carole Sergent (voc), Franck Avitabile (p) et Mike Stern (g). Le guitariste américain apporte sa touche particulièrement flottante sur «Mister Jazz», dans la foulée de la prestation de Pierre Olivier Govin, omniprésent. La chanteuse se fait entendre de façon très subtile sur trois titres dont le très doux «D’une étincelle». Quand au pianiste invité, il excelle dans l’art de raconter une histoire («No Blues»). Le maître de Another Romantic vol.2 reste tout de même le bassiste qui charpente bien son projet par une présence forte et mélodique de tous les instants. Renaud Palisseaux (p) maintient un haut degré de prestation («Old Trip). L’entente avec son batteur reste de très bonne facture tout au long des neuf plages qui constituent un bel album, dans une veine très traditionnelle aux légers accents «fusion».
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Heinrich Von Keilnen / Michael Abene
Dreamliner

8 titres: voir livret
Heinrich Von Kalnein (ts-afl), Michael Abene (p)

Enregistré les 12 et 13 décembre 2014, Udine (Italie)

Durée: 57’ 30’’

Natango Music 613-2 (www.natangomusic.com)


Le saxophoniste-flûtiste Heinrich Von Kalnein a poursuivi une carrière pas tout à fait jazz, mais il a travaillé avec le Vienna Art Orchestra de 1996 à 2004, Le Jazz Big Band Graz et quelques pointures.Le pianiste américain Michael Abene, né en 1942, est surtout compositeur et arrangeur, ayant été le Chefdirigent du WDR Big Band of Cologne. Il a fourni des arrangements à une foule de grosses pointures du jazz.
Les voici réunis en duo. Ils se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années et ont pensé qu’ils feraient un duo dans les vingt années à venir. Voilà, c’est fait! Que dire? Les deux musiciens s’entendent bien, ont manifestement du plaisir à partager leur musique, ils sont parfaits du point de vue technique, mais de l’uniformité naquit l’ennui. Tous les morceaux ou presque sont pris sur tempo moyen avec le même déroulement. Le saxophoniste possède un son ample et chaud, il reste dans le médium et le grave, joue sans fioritures, sans frime, mais hélas sans flamme, sans passion: c’est très plan-plan. A la flûte il est d’essence classique. Seuls deux morceaux sortent du lot: ««Sippin’ at Duke’s» avec un parfum Duke Ellington, et «The Wind Cries Mary» d’influence blues et le pianiste qui décolle un peu
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Perrine Mansuy
Rainbow Shell

Dîner flottant, Danse avec le vent, Fly On, Magic Mirror, The River of No Return, Rainbow Shell, Tomettes et plafond haut, Paying My Dues to the Blues, Three Rivers and a Hill to Cross, Ending Melody, Le Songe du papillon
Perrine Mansuy (p), Jean-Luc Difraya (perc, voc), Rémi Décrouy (g), Eric Longworth (cello), Mathis Haug (voc)

Enregistré en 2015, Solignac (87)

Durée: 48’ 06’’

Laborie Jazz 28 (Socadisc)


Revoici Perrine Mansuy pour son onzième disque avec un nouveau groupe plutôt original et de très bionne facture. On retrouve les qualités de la pianiste, un son de cristal où pointe la sonorité de Keith Jarrett, un phrasé limpide et aéré, la richesse harmonique, et par dessus tout l’amour de la mélodie. La nouveauté vient surtout de l’emploi du violoncelle, souvent à l’archet d’inspiration baroque-romantique, ou pizzicato façon Oscar Pettiford, très sage ici, mais essentiel. Dès le premier morceau «Dîner flottant» on entre dans le nouveau son de groupe, avec toujours une belle mélodie au piano sur contrechant de violoncelle, puis guitare et batterie occupent l’espace.
Des interventions vocales avec Mathis Haug sur «Fly on» plein de charme, et Perrine dans les chœurs, le classique «The River of No Return» pris rubato lent par le chanteur très crooner à la belle voix grave, accompagné avec délicatesse par le piano; et encore «Paying My Dues To The Blues» version personnelle du blues de la part de Perrine, où le chanteur dévoile toutes ses possibilités vocales, un beau solo de piano puis la guitare entre en jeu, ils finissent tous en chœur avec claquements de mains et quelques vocalises de Difraya. Ils ont très bien payé leur dette au blues.

«Rainbow Shell» beau duo piano violoncelle à l’archet puis percussions et guitare, un texte dit, tenues de guitare, le tout dans une riche et belle harmonisation: morceau très prenant. L’art du trio n’est pas oublié avec «Ending Melody» où l’entente et le partage piano, violoncelle et batterie est parfait. Le disque se termine sur un duo piano violoncelle de toute beauté.
Un disque plein de charme, réjouissant, qui brise un peu les frontières avec une fraîcheur roborative.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueNicole Johänntgen
Moncaup

Donnerwetter, Fragile, Sunday Pony Blues, Waves, Flugmodus, Hello, Cocaine, When You Breathe, The Owl, Flying Leaves, Nicha’s Blues
Nicole Johänntgen (as, ss), Marc Méan (p), Thomas Lähns (b), Bodek Janke (dm), Nehad El Sayed (oud), Amro Mostafa (duff, riq), Robertson Head (voc, g)

Enregistré en 2015, Allemagne

Durée: 1h 03’ 34’’

Household Ink Records 149 (www.nicolejohaenntgen.com)


Pour son nouvel album, la jeune saxophoniste allemande (voir notre interview dans ce n°675) frappe fort et joue dans la cour des grands. Son mentor, Dave Liebman, ne tarit pas d’éloge sur son exceptionnelle énergie ajoutant qu’elle joue comme si sa vie en dépendait. Egalement compositrice elle est l’auteur de tous les morceaux de ce CD sauf «Sunday Pony Blues».
Le pianiste, né en Suisse en 1985 n’est pas un inconnu chez nous, ayant participé au Concours de la Défense en 1997 avec le groupe No Square; il fut à la tête d’un très bon trio à partir de 2009. Le bassiste, né en Suisse en 1981, a joué avec Dave Liebman, Greg Osby, Wolfgang Puschnig, Glenn Ferris. On le voit assez souvent en France. Le batteur percussionniste est né en 1979 en Pologne dans une famille de musiciens, il commença par le piano à l’âge de 3 ans, étudia la percussion au conservatoire de Karlsruhe, et obtint un master au City College de New York. Lui aussi a joué avec Dave Liebman, et beaucoup d’autres à travers le monde, dont Olivier Ker Ourio (hca) en France. Voilà donc un quartet européen avec des musiciens de la même génération, pour le meilleur.

Dans son jeu de saxophone Nicole Johänntgen est à la croisée de Charlie Parker, John Coltrane et Jan Garbarek, pour la situer, non pour la comparer. A l’alto elle a un jeu de ténor avec un gros son. Une maîtrise technique absolue, arrivant même à jouer à l’alto la mélodie dans le suraigu comme sur «When You Breathe». Au soprano c’est un son ample et généreux également, avec une souplesse de phrasé remarquable. Le thème qui ouvre le disque «Donnerwetter» (un orage avec des éclairs, en allemand) est très coltrannien avec le pianiste endossant les habits de McCoy Tyner, d’ailleurs le thème aussi est d’inspiration Coltrane, par contre le jeu du bassiste est très personnel. Et puis une musicienne qui joue le blues comme ça, il faut la promouvoir. Elle est fabuleuse en duo avec le contrebassiste sur «Nicha’s Blues», à la fois dans la tradition et sa conception du genre, et un autre blues qui décoiffe «Sunday Pony Blues» du guitariste invité Robertson Head, inspiré de Charley Patton et J.J.Cale, arrangé par la saxophoniste: en plein dans la tradition blues, mâtinée rock, déviée jazz, et mené tambour battant par le guitariste chanteur; et la saxophoniste ne laisse pas sa place. Robertson Head est né en Ecosse en 1956 (le vieux de la bande!); il a fait partie de Thin Lizzy et Motörhead.

On trouve une série de morceaux très aérés, dans lesquels la musique respire, prend son temps, laisse passer le lyrisme des mélodies comme sur «Cocaine», «When You Breathe», «Flying Leaves», «The Owl» avec pour ce dernier un épatant solo de piano les deux mains en contrepoint.

A noter un morceau particulier, un peu en dehors du jazz, avec en invité Nehad El Sayed, au oud dont il apprit à jouer au Caire; il a obtenu un master de composition et jazz à Berne. Il a beaucoup joué dans tout le Moyen Orient et en Afrique du Nord, il fut l’invité de l’institut arabe à Paris. Ici, dans ««Flugmodus» il intervient magnifiquement, assez à la façon d’Anouar Brahem; là encore la saxophoniste et la rythmique assistée par Amro Mostafa au Duff et au Riq (des tambourins), font merveille; et ça chauffe d’enfer.
On l’aura compris, ce quartet devrait faire parler de lui, pour le meilleur du jazz.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Jacques Vidal
Cuernavaca

Better Git Hit in Your Soul, Wednesday Night Prayer Meeting, Cuernavaca, Devil Woman, Eclipse, Strange Man, O.P., Ecclusiastics, For Lester, Goodbye Porkpie Hat
Jacques Vidal (b), Isabelle Carpentier (voc), Pierrick Pedron (as), Daniel Zimmermann (tb), Xavier Desandre-Navarre (dm, voc), Nathalie Jeanlys (ss), Stéphanie Bowring (voc alto), Allen Hoist (voc ténor), Thierry François (voc basse)

Enregistré les 2, 3, 6 et 9 mai 2014, Paris

Durée: 45’ 34’’

Soupir Editions 227 (Abeille Musique)


On connaît l’amour et les affinités du contrebassiste Jacques Vidal pour la musique de Mingus. On peut dire qu’il lui rend ici un bel et grand hommage avec six thèmes de contrebassiste sur les neuf, les trois autres étant du leader. «Better Git Hit…» joué façon blues/gospel nous met tout de suite dans l’ambiance. Un autre morceau «Devil Woman» est pris avec bonheur lui aussi blues-gospel avec le chœur des quatre chanteurs. Le contrebassiste possède un gros son bien rond, et des attaques nettes et tranchantes: un régal. Le tromboniste est de la race des trombonistes d’Ellington avec quelque chose de Gary Valente, c’est dire! L’altiste et le batteur sont au-dessus de tout soupçon. «Eclipse» chanté par Isabelle Carpentier sur contrechant de trombone mélange les couleurs Mingus/Ellington. «Strange Man» de Vidal, introduit par lui-même à l’archet, mélange aussi les atmosphères Mingus/Ellington avec un solo d’alto qui semble faire en passant un petit clin d’œil à Johnny Hodges. «Ecclusiastics» sur un arrangement qui mélange Carla Bley et Mingus est un chef d’œuvre avec l’échange trombone-altosur rythmique basse/batterie pour terminer sur le chœur scat dans un chase de grand cru, le tout là encore dans une ambiance gospel. Le disque se termine par un hommage à Lester Young sur «For Lester» de Vidal avec une intro basse archet de facture classique très expressive, une voix féminine dit en français sur contrechant à l’archet un texte profond sur Lester «Lester est mort et Mingus joue son dernier chorus…» qui s’enchaîne avec un «Goodbye Porkpie Hat» (le chapeau de Lester) plein de nostalgie, et un magnifique solo de l’altiste qui se termine avec le chœur très Double-Six.
Voilà comment il faut interpréter la musique des anciens et le blues quand on veut les faire revivre, et être soi-même
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueIgnasi Terraza
Imaginant Miró

Imaginant Miró, El Segador, Nocturn, Polaritats, Noia, Jacints i Futbol, Van Gogh, Improvisació Serial, Dança Tribal, Caricies Sinusoidals, Espirals Cósmiques
Ignasi Terraza (p, comp, arr), Horacio Fumero (b), Esteve Pi (dm)

Enregistré les 27 et 28 février 2014, El Vendrell (Espagne)

Durée: 46’ 59’’

Swit Records 17
(www.switrecords.com)


A l’occasion de l’exposition Joan Mir
óà Washington (DC) en 2012, Ignasi Terraza reçut la commande d’une composition évoquant l’œuvre du peintre catalan. Etant aveugle depuis l’âge de 9 ans, avec l’assistance Carlota Polo, qui lui décrivit l’exposition, il en transposa l’imaginaire dans sa musique. Il proposa ses Tableaux d’une exposition Miro en une poésie amoureuse imaginée par Ellington. Cet album, Imaginant Miró, présente un contenu musical très abouti de cette Suite de huit pièces avec introduction, «Imaginant Mirò», transition, «Van Gogh», et conclusion, «Duke’s Visit». Le livret fournit les explications qui, selon le compositeur et le critique d’art, fondent sa création. La progression des pièces comme l’agencement formel des mouvements en deux parties obéissent à un souci de mise en cohérence à la fois esthétique et chronologique. Son langage à mutilpes sens fait référence à l’univers poétique du peintre qui, depuis son arrivée à Paris au début des années 1920, s’était rallié au Surréalismetriomphant dans les cercles intellectuels de la capitale française; il invoquait le registre de l’imaginaire comme fondement de sa création.
Les cinq premières pièces obéissent rythmiquement aux exigences du swing stricto sensu et harmoniquement au jazz d’avant la mutation modale coltranienne; toutes ces pièces traitent de tableaux réalisés avant 1940. Les cinq dernières, toujours très ellingtoniennes, sont plus libres et commentent des tableaux réalisés ultérieurement ou de facture plus abstraite que surréaliste. «
Duke’s visit», une mélodie pleine de Duke, est le terme de la visite solitaire, aussi nostalgique que déférente, du Maestro au Maître de l’exposition. Elle prit souvent des allures de voyages dans le temps. Réflexion musicale inspirée, ce chant superbe joué presque ad libitum en piano solo est le retour méditatif du poète qui clôt sa ballade.
La musique de Imaginant Mir
óest très belle. C’est même de la grande musique en ce qu’elle comporte d’assimilation des héritages musicaux dont elle se réclame avec justesse. C’est du jazz, du très beau jazz avec tous les ingrédients qu’on est en droit d’attendre d’un compositeur et d’un musicien qui s’en réclame: swing, feeling… et connaissance de la grande littérature de la musique afro-américaine. Tous les musiciens sont à la hauteur de la tâche. Esteve Pi (dm), que nous avons entendu très bon dans d’autres contextes, révèle ici des qualités qu’on ne soupçonnait pas: énorme écoute et belle sensibilité au service d’un art consommé des nuances. Le bassiste Horacio Fumero est la découverte de l’album. Lui aussi contribue grandement à la réussite de cet album. Quant à Ignasi Terraza… il est tout simplement exceptionnel. C’est un vrai musicien, qui possède un art consommé de la composition. Cet artiste ne se contente pas d’écrire la musique; il lui donne vie en l’interprétant avec tout le talent que nous lui connaissions déjà pour celle des autres. Le pianiste possède la technique et la musicalité des grands concertistes: mise en place, clarté du toucher, respiration dans l’articulation du discours.
Après avoir enregistré Imaginant Mir
ó, au mois d’août 2014 à Jazz in Marciac, Ignasi Terraza avait tenté de faire partager au public de l’Astrada, son expérience de l’écoute de la musique dans le noir absolu. Jazz in the Dark avait bouleversé de nombreux spectateurs qui en étaient ressortis bouleversés. Je ne doute pas que la beauté de ces Tableaux d’une exposition de Miro, qui invitent au voyage en poésie surréaliste, ne vous émeuve tout autant.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Louis Armstrong
Live in Paris. 24 avril 1962

When It's Sleepy Time Down South, Indiana, A Kiss to Build a Dream on, My Bucket's Got a Hole in It, Tiger Rag, Now You Has Jazz, High Society Calypso, When I Grow too Old to Dream, Tin Roof Blues, Yellow Dog Blues, When the Saints, Struttin' With Some Barbecue, Nobody Knows the Trouble I've Seen, Blueberry Hill, The Faithful Hussar, Saint Louis Blues, After You've Gone, Mack the Knife
Louis Armstrong (tp, voc), Trummy Young (tb), Joe Darensbourg (cl), Billy Kyle (p), Bill Cronk (b), Danny Barcelona (dm)

Enregistré le 24 avril 1962, Paris

Durée: 1h 16’ 02’’

Frémeaux et Associés 5612 (Socadisc)


Ces plages ne sont pas inédites: en 1999, Europe 1 avait donné une première édition (RTE 1001); et en 2002, Laserlight (17438) avait proposé en Allemagne une réédition de cet enregistrement public. Elles n’en sont pas moins importantes à plus d’un titre. Dans sa récente chronique consacrée à Count Basie, Live in Paris. 1957-1962, Michel Laplace déplorait, fort justement, «l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la "mémoire”». En effet, ces faces sont le témoignage de la résistance du jazz à la tendance uniformisatrice que les phénomènes de mode tentaient de lui imposer. Depuis la fin de la guerre, au nom d’une modernité mal comprise et d’un dogme du progrès pervers plus encore, cette musique subissait les effets de la tentative hégémonique de la part d’une coterie au bénéfice d’un courant nouveau, le bebop qui, pour être de qualité, n’en était pas moins aussi excessif qu’injustifié. Ce concert enregistré établit que, résistant à cette dictature culturelle ambiante, le public n’en continuait pas moins à recevoir cet art nouveau dans toutes ses composantes et, notamment de la part d’un des ses créateurs, Louis Armstrong.

Depuis la fin des années 1940, Satchmo tournait en Amérique et dans le monde avec une petite formation, Louis Armstrong and His All Stars, qui proposait au public une anthologie de la musique qui avait fait sa renommée mais aussi et surtout un échantillon du jazz dont il était le créateur vivant. Au cours de cette période, les membres de cette formation ont changé; il y eut Earl Hines, Barney Bigard, Jack Teagarden, Cozy Cole, Arvell Shaw… Mais hormis le contrebassiste souvent différent, depuis le milieu des années 1950, Trummy Young et Billy Kyle, ici présents, furent des cadres permanents de l’orchestre; Joe Darensbourg et Dany Barcelona arrivés en 1960 renforcèrent la stabilité du groupe. Le spectacle était bien rôdé et le répertoire parfaitement maîtrisé. Sans être innovant, le concert fut de belle facture, explorant pour une large part le style Nouvelle-Orléans dont Louie était l’emblématique représentant parmi les créateurs. Car les musiciens étaient au diapason de leur leader, si tous n’avaient pas la renommée et le lustre de leurs illustrissimes devanciers. La musique est belle. Elle se suffit à elle-même. Le trompettiste de 61 ans, parvenu à une sorte de perfection classique, joua «à sa main», sans jamais en rajouter. Le chanteur avait conservé sa verve populaire authentique. C’est beau de simplicité. Dans ces conditions, point n’est besoin de longs commentaires pour découvrir et apprécier le jazz hot et le swing dont Louis Armstrong and His All Stars donnaient en ce 24 avril 1962 de si brillants exemples.

Louis Armstrong, Live in Paris. 24 avril 1962
est un superbe album que Frémeaux & Associés met à disposition de ceux qui n’eurent pas la possibilité de voir et d’entendre cet immense artiste
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDmitry Baevsky
Over and Out

Poinciana, Reflection, Over and Out, Chega de Saudade, Brilliant Corners, The Feeling of Jazz, In the Know, Turquoise, Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face, Circus, Silver Screen, Stranger in Paradise
Dmitry Baevsky (as), David Wong (b), Joe Strasser (dm)

Enregistré le 21 janvier 2014, New York

Durée: 1h 09’ 00’’

Jazz Family 002 (Socadisc
)

Dmitry Baevsky a, depuis 2004, produit cinq albums: Introducing Dmitry Baevsky (Lineage Records, New York 2004), Some Other Spring (Rideau Rouge, New York et France 2009), Down With It (Sharp Nine Records, New York 2010), The Composers (Sharp Nine Records, New York 2011). Over and Out (Jazz Family, New York, 2014) est son dernier opus. Nous devons à Fabien Mary, qui le fréquente sur la scène new-yorkaise, d’avoir fait découvrir ce saxophoniste brillant au public français, notamment au Caveau de La Huchette au mois de septembre 2010.
Cet album est certainement le plus ambitieux de ceux qu’il a enregistrés. La formule, sax/contrebasse/batterie, fait immanquablement référence à celle, exigeante, de Sonny Rollins (ts) dans les années 1950 (avec Ray Brown, b, et Shelly Man, dm; Donald Bailey, b, et Pete La Roca, dm; Wilbur Ware, b et Elvin Jones, dm - 1957).
Cubic’s Monk (ACT 9536-2, 2012) de Pierrick Pédron avec Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm) s’inscrivait dans le même esprit. Au-delà des trois pièces originales, «Over and Out», titre éponyme de l’album, «In the Know» et «Silver Screen», compositions récentes (années 2012/2014), l’altiste se collette avec un répertoire souvent joué par des musiciens qui en ont laissé des versions de référence. Mis à part les deux titres «exotiques», «Poinciana» et «Chega de Saudade», qui lui donne l’occasion de «chanter» son improvisation comme l’y autorisent ces deux thèmes à la mélodie bien charpentée, les autres faces empruntent aux classiques du jazz: un Ray Bryant un peu oublié de 1958, «Reflection» bien venu, un de Monk «Brilliant Corners» (1956), deux d’Ellington – un cosigné par Mercer – peu souvent repris «The Feeling of Jazz» (1962) et «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» (1943), un de Cédar Walton, «Turquoise» (1967), un standard, «Circus» (Louis Alter, Bob Russell – 1949) et une pièce classique de Borodine, «Stranger in Paradise», remise au goût du jour dans les années 1950.
Le programme est équilibré. La musique est de qualité; jouée avec beaucoup d’aisance et sans effet ostentatoire par des musiciens qui se connaissent et se font confiance. Le trio tourne comme une horloge. Dmitry Baevsky possède une jolie sonorité, très personnelle, et une technique parfaite (qui évoque par la rigueur et la maîtrise le regretté Phil Woods). Le musicien connaît sa discipline: les compositions sont équilibrées et dans la forme qui convient à l’album pour sa cohérence et son unité. David Wong (b) qui travaille souvent avec le leader joue un rôle essentiel dans la réussite de l’album; sa mise en place est un plaisir tant il permet au soliste de liberté. Ses soli, de vraie contrebasse dans la tessiture de l’instrument, sont simples et bien construits; ça chante quand et comme il convient. Joe Strasser (dm) est d’une grande discrétion tout en étant très présent et relançant avec beaucoup de finesse le saxophoniste.
L’album, peut-être un peu austère pour le public actuel peu habitué à une attention soutenue devant une musique exigeante, est de très bonne facture. C’est solide avec quelques instants très libres de récréation qui laissent respirer l’ensemble («Poinciana»). Ça swingue et ça chante avec les exigences de la musique de chambre, sans bruit ni fracas («Stranger in Paradise»). Over and Out comporte de vraiment beaux moments: «Turquoise», de jolies phrases dans l’improvisation sur la composition d’Antonio Carlos Jobim; et l’interprétation de «Tonight I Shall Sleep With a Smile on My Face» est remarquable. Alors que demander?
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°675, printemps 2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueCyrille Aimée
Let's Get Lost

Live Alone and Like It, There's a Lull in My Life, Estrellitas Y Duendes, Lazy Afternoon, Three Little Words, T'es beau tu sais, Let's Get Lost, Samois à moi, Nine More Minutes, Laverne Walk, That Old Feeling, Each Day*, Words
Cyrille Aimée (voc), Matt Simons* (voc), Adrien Moignard (g), Michael Valeanu (g), Sam Anning (b), Rajiv Jayaweera (dm)

Enregistré en 2015, New York

Durée: 42’ 15’’

Mack Avenue Records 1097 (Harmonia Mundi)


Après It’s a Good Day (qui succédait à plusieurs autoproductions, dont deux chroniquées dans Jazz Hot n°667), Cyrille Aimée propose son second album chez Mack Avenue, Let’s Get Lost, enregistré au Flux Studio de New York. Comme la plupart des disques actuellement enregistrés par les chanteuses, le programme est varié; sur la structure maîtresse de quelques standards de Tin Pan Alley des années 1930 et 1940 («There's a Lull in My Life», «Lazy Afternoon», «Three Little Words», «That Old Feeling» et le titre éponyme, «Let's Get Lost»), s’agrègent quatre pièces personnelles («Samois à moi», «Nine More Minutes», «Each Day» et «Words»), une chanson de Broadway («Live Alone and Like It»), une rumba caraïbe («Estrellitas Y Duendes), une jolie mélodie de Georges Moustaki sur des paroles bien tournées d’Henri Contet. Et pour conserver une certaine jazzité d’ensemble à ce patchwork musical, un duo voix/contrebasse sur une composition écrite à Paris en 1958 par Oscar Pettiford, «Laverne Walk» (originalement «Montmartre’s Blues»).
La chanteuse, qui a découvert le jazz à Samois, en a conservé l’ambiance; elle a choisi de se faire accompagner par un trio de cordes (deux guitaristes et un contrebassiste) et un batteur. Le ton d’ensemble est original et tranche dans le monde des chanteuses de jazz en général sur la formule piano/basse/batterie. Le résultat est dans l’ensemble agréable à entendre. Chanteuse de son temps, Cyrille Aimée interprète des chansons dont la musique est rythmée; ce n’en est pas pour autant toujours ce qu’on est en droit de qualifier de jazz: la rumba, le merengue, la habanera, formes musicales qui ont engendré quelques chefs d’œuvre, n’appartiennent néanmoins pas à la même syntaxe. La chanteuse possède la voix gracile d’une adolescente, voire un peu nasillarde d’enfant qu’elle semble parfois cultiver. Le lolitisme n’est pas que littéraire…Elle est en tous cas accompagnée par de très bons musiciens qui lui déroulent un tapis; leur musique travaillée fait un bel écrin. Et le guitariste Adrien Moignard y apporte un plus avec sa couleur Django.

Le label améri
cain Mack Avenue semble ainsi s’être fait une spécialité des chanteuses françaises: après la révélation Cécile
McLorin Salvan, voici Cyrille Aimée. Toutes les deux ont la particularité de posséder une double culture, ce qui leur a conféré une grande capacité d’adaptation à la culture mondialisée de notre temps. Cyrille Aimée est le versant éclairé de la face sombre et certainement plus enracinée de Cécile. A découvrir
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChampian Fulton
Change Partners

You Made a Good Move, Change Partners, Lover Come Back to Me, The Boy Next Door, Bring Enoug Clothes, After You've Gone, It's a Sin to Tell a Lie, Social Call, Get out of Town
Champian Fulton (voc, p), Cory Weeds (ts), Jodi Proznick (b), Julian MacDonough (dm)

Enregistré les 1er et 2 mai 2014, Edmonton (Canada)

Durée: 1h 02’ 36’’

Cellar Live 050114 (www.cellarlive.com)

Champian Fulton
After Dark

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disque

Ain't Misbehavin'*, That Old Feeling, What a Difference a Day Made, Blue Skies*, Keepin' out of Mischief now, A Bad Case of the Blues*, Travelin' Light*, Mad About the Boy, All Of Me, Baby Won't You Please Come Home, Midnight Stroll
Champian Fulton (voc, p), Stephen Fulton* (tp, flh), David Williams (b), Lewis Nash (dm)
Enregistré le 17 août 2015, Paramus (New Jersey)
Durée: 54’ 30’’
Gut String Records 022 (www.champian.net)


En 2012
, le public de JazzAscona avait découvert une jeune pianiste-chanteuse de 27 ans, Champian Fulton, qui faisait l’une de ses premières apparitions sur le Vieux continent. Fille du trompettiste Stephen Fulton, un proche de Clark Terry, elle était attendue avec curiosité par les amateurs qui ne mirent pas longtemps à reconnaître son talent. La demoiselle a depuis fait du chemin et passe par Paris chaque printemps.

Son album
Change Partners (sorti l’année dernière) correspond à la sélection de neuf moments des deux concerts donnés par la pianiste dans le club du saxophoniste ténor et producteur de Cellar Live, le canadien Cory Weeds, The Yardbird Suite, installé dans la capitale de la province de l’Alberta, Edmonton. L’artiste construit son programme autour des songs qui lui fournissent matière à chanson. Les pièces de jazz proprement dites, («You Made a Good Move» de Frank Wess, «Bring Enoug Clothes» de Stephen B. Fulton, «Social Call») sont en revanchetraitées en tant qu’œuvres de musique. Elle ouvre d’ailleurs son album avec une pièce totalement instrumentale, celle de Frank Wess avec lequel elle eut souvent l’occasion de se produire au début de sa carrière. La composition de son père, dans la tradition du bop, est aussi totalement instrumentale. C’est l’occasion de l’entendre dans un style pianistique qu’on lui connaît moins dans ses concerts; alors qu’habituellement sa manière est classique, empruntant à Garner parfois, elle évoque, dans ce thème, Red Garland surtout dans la façon d’utiliser les blocks chords. C’est dans la composition de Gigi Gryce, avec les paroles de Jon Hendricks qu’elle réalise la forme la plus aboutie de son projet musical, associant chant et musique dans un esprit «lied». Elle est bien entourée, tant par Cory Weeds, un ténor bien dans l’esprit de sa musique, que par le reste de la rythmique; le batteur joue bien et «fait ce qu’il faut et ce qu’il doit». La contrebassiste, Jordi Proznicki est parfaite.
Un an plus tard, avec After Dark, le ton d’ensemble est différent, plus orienté production commerciale. Il n’en est pas moins agréable, sinon plus travaillé. Comme dans le précédent, nous retrouvons la part de
songs de Tin Pan Alley («That Old Feeling», «What a Difference a Day Made», «Blue Skies», «Mad About the Boy», «All Of Me»), qui permet à la chanteuse d’œuvrer avec un certain talent dans son dialogue avec le piano, ne manquant jamais d’évoquer quelques versions rendues célèbres par quelques grands – «That Old Feeling», manière Garner bien exécutée ou «What a Difference», dans un accompagnement façon King Cole à l’articulation des phrases. Cependant les autres pièces, plus enracinées dans la tradition du jazz, lui permettent de faire valoir ses qualités de chanteuse-musicienne et de pianiste nourrie et avertie de la littérature du jazz. Sa composition, «Midnight Stroll», un blues bien assis en piano solo, est une bonne illustration de cet héritage. C’est dans les thèmes walleriens, dont elle a parfaitement assimilé les subtilités, qu’elle est le plus à son affaire, et qu’elle relit de manière ludique en traitant son instrument dans l’esprit Hank Jones (Ain’t Misbehavin, 1978).
Dans cet opus, la jeune chanteuse s’essaie à reprendre des thèmes interprétés par Dinah Washington qu’elle semble particulièrement apprécier: «Baby Won't You Please Come Home» ou « (I’ve Got) a Bad Case of the Blues» (version Mercury 1959) en attestent. Néanmoins sa tessiture de voix ne semble pas convenir à cet objectif; son amplitude comme sa puissance ne lui permettent pas de transcrire la dramaturgie des textes; alors qu’elle s’en acquitte fort bien musicalement, avec beaucoup de réussite même. Sur quatre faces de l’album, Champian a invité son père, Stephen Fulton. Son style très lyrique constitue un très bon contrepoint à sa voix («Ain’t Misbehavin’» ou «A Bad Case of the Blues»). Ses soli sont également de très belle facture, que ce soit en medium tempo («Blue Skies», «A Bad Case of the Blues») où le musicien laisse à ses notes tendrement voilée la totale liberté d’emplir l’espace qu’en tempo soutenu («Travelin’ Light») où sa filiation avec Clark Terry devient indubitable. Plus que tout, c’est la complicité musicale entre père (parfois intimidé) et fille (qui s’affirme avec et contre lui) qui fait plaisir à entendre. Au-delà de ce duo à l’intérieur de l’album, qui lui donne une couleur particulière, c’est la qualité de la section rythmique qu’il convient de souligner. Que ce soit David Williams ou Lewis Nash, Champian a choisi deux merveilleux musiciens qui excellent dans cette fonction d’accompagnateur qui exige présence et discrétion à la fois. Par ailleurs, ils sont aussi brillants solistes (à l’archet sur «Blue Skies» ou pizzicato sur«All of Me» DW; 4/4 de LN sur «Travelin’ Light»). Leur mise en place est un modèle du genre.

Change Partners
et surtout After Dark sont deux très bons albums de jazz. Et si Champian Fulton n’entre pas dans la catégorie des légendes vocales, la chanteuse livre un résultat impeccable. En revanche, la pianiste a un vrai talent: c’est plus qu’agréable à écouter!
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Count Basie
Live in Paris. 1957-1962

Whirlybird, Little Pony, Corner Pocket, Lovely Baby, Bleep Blop Blues, Nails, The Kid from Redbank, Well, Alright, OK, You Win; Roll’ Em Pete, Gee, Baby Ain’t I Good to You, One O’Clock Jump, Shiny Stockings, H.R.H. , A Little Tempo Please , Makin’ Whoopee, Who Me, In a Mellow Tone, Blues in Hoss’ Flat, Splanky; Segue in C, Why Not, Easy Money, Vine Street Rumble, Discomotion, Mama’s Talking Soft, Jumpin’ at the Woodside, Easin’ It, Basie, Lil’ Darlin’, Toot Sweet, You’re Too Beautiful, Bleep Blop Blues, April in Paris, The Song is You, Stella by Starlight, Cute, I Needs to Be Bee’d With, Nails, The Blues, One O’Clock Jump
Count Basie (p), Wendell Culley, Snooky Young, Sonny Cohn (tp1), Joe Newman, Thad Jones, Al Aarons (tp), Henry Coker, Benny Powell, Al Grey, Quentin Jackson (tb), Marshall Royal (as1, cl), Frank Wess (as, ts, fl), Frank Foster (ts, cl), Eddie Davis, Billy Mitchell (ts), Eric Dixon (ts, fl), Charlie Fowlkes (bs), Freddie Green (g), Eddie Jones (b), Sonny Payne (dm), Joe Williams, Irene Reid (voc)

Enregistré entre le 9 novembre 1957 et 5 mai 1962, Paris

Durée: 2h 33’ 32’’

Frémeaux & Associés 5619 (Socadisc)

L’auteur de ces lignes déplore l’abandon des rééditions, après l’âge d’or des années 1990, outils indispensables à la «mémoire» et aussi à l’éducation des plus jeunes qui n’abordent de nos jours ce qu’ils croient représentatif d’un genre que par les nouveautés, dernières émanations pour l’essentiel éloignées du cœur du sujet. Peut faire le même office, la sortie, comme ici, d’inédits des maîtres qui outre les mêmes nécessités, combleront aussi les «jazzfans» chevronnés (du moins, ce qu’il en reste).
Voici donc d’inespérés trésors que nous devons à Frank Ténot, Daniel Filipacchi et Norman Granz, enregistrés en direct à l’Olympia (onze des quinze titres des 9 et 12 novembre 1957 -quelques jours après la mise en boîte de l’album historique Atomic Basie- et vingt morceaux du 5 mai 1962 –tout le CD2) et au Palais de Chaillot (neuf titres, 29 mars 1960), grâce aux équipes techniques de la radio Europe 1 (pas terrible en 1957).
Lorsqu’il célébra les 25 ans de l’orchestre, en 1960, Count Basie (1904-1984) était au sommet de sa popularité internationale. C’est plus que de l’éducation que ce genre de disques permet, c’est de la rééducation des oreilles (et du cerveau) sur ce qu’est la nature même du swing. L’arrivée exubérante de Sonny Payne, qui surclasse son bon prédécesseur Gus Johnson, y est pour beaucoup. Pour Basie: «Comment swinguer? C’est la façon de jouer qui fait tout» (livret). En plus, l’orchestre Basie, à toutes ses époques et surtout celle-là, est une constante démonstration du jeu décontracté (même dans l’effervescence), agrémentée d’une parfaite maîtrise des dynamiques (exemple: la fin de «Segue in C»), des contrastes entre les pupitres.
L’écoute des amateurs (parfois chevronnés) comme des consommateurs de jazz, trop soumise à la performance des solos (l’improvisation n’est qu’un plus, et non un but), passe donc souvent à côté d’un intérêt primordial de l’art des grands ensembles, celui de l’orchestration (d’où l’importance des arrangeurs comme Neal Hefti, Ernie Wilkins, Buster Harding, Frank Foster, Thad Jones, Quincy Jones, Benny Carter).
Le plaisir de l’auditeur doté d’une bonne oreille éduquée est de percevoir au-delà d’un résultat sonore global, tous les détails de traitement du son et du rythme, pupitre par pupitre, voir des alliages (exemples: passages de flûte et trompettes avec des sourdines différentes dans «Segue in C»; background au solo de basse dans «Mama’s Talking Soft» par deux flûtes –Wess et Dixon-, clarinettes –Royal et Foster- et clarinette basse –Fowlkes-; stop chorus écrit pour la section de trompettes dans «Discomotion»). On regrette donc que le livret ne donne pas le nom des arrangeurs qui le méritent autant que chaque musicien exécutant, artisan de pupitre comme artiste soliste.
Chez Basie tout porte à l’excellence collective que le «live» préserve autant que la technicité en studio. Il est dommage aussi que les noms des solistes ne soient pas mentionnés, car Basie ne les annonce que rarement (Frank Foster, ts, dans «Little Pony»; Eddie Jones, b, dans «Nails» dont le solo est truffé de citations en 1957 comme en 1962 –même band vocal–) et il est douteux qu’aujourd’hui un nouveau venu sache identifier tel trompettiste même au jeu considéré, hier, comme personnel (exemple: Snooky Young, au style swing et percutant avec plunger dans «Who Me»).
L’album Atomic Basie, d’octobre 1957, sur des arrangements essentiels de Neal Hefti («Lil’ Darlin’», «Splanky», etc.), pour le label Roulette nouvellement lancé, marqua une nouvelle étape pour cet orchestre qui disposait d’une belle phalange de solistes (Joe Newman, tp, Henry Coker, tb, Eddie Lockjaw Davis, ts), de premiers pupitres (Wendell Culley et Snooky Young, tp, Marshall Royal, as) et d’une rythmique de rêve (Basie, Freddie Green, g, Eddie Jones, b, Sonny Payne, dm) pour son image de marque, le swing. Peu après celui de Duke Ellington (à Newport en juillet 1956, avec notamment les 27 chorus de Paul Gonsalves sur Diminuendo in Blue and Crescendo in Blue), le grand orchestre de Count Basie ressurgit donc sur le devant de la scène jazz internationale, prouvant s’il en était besoin (pour les Hodeir et disciples en tout cas) que la nouveauté n’a nul besoin de renoncer à la raison d’être d’un genre expressif.
A cette même époque charnière 1956-57, Dizzy Gillespie aussi dirigeait un excellent big band, mais il ne s’imposera pas durablement contrairement à celui de Count Basie qui a, avec succès, chez les solistes, joué l’assimilation/intégration d’une approche bop (Thad Jones, tp, Benny Powell, tb, Frank Foster, ts-cl-arr, Frank Wess, as-ts-fl –ces deux derniers recommandés à Basie par Billy Eckstine). Remarquons la stabilité du personnel en 1957-62, clé d’accès à la perfection, pour la rythmique et pour la section de sax à un ténor près (Lockjaw Davis en 1957, puis Billy Mitchell -1960- et enfin Eric Dixon, également flûtiste -1962-). Celle-ci est menée par le premier alto «chantant» Marshall Royal. Sa sonorité donne la couleur et la personnalité de toute la section («Lovely Baby» -où le baryton de Charlie Fowlkes donne du poids-, «One O’Clock Jump» -générique de fin de concert-, «H.R.H», «Easy Money», «April in Paris», etc.). Marshall Royal, musicien de culture classique, était directeur musical, et Count Basie se reposait sur lui. Si Count Basie aimait singulièrement son équipe de 1957 («Quand on avait Joe Newman, Thad Jones, Snooky Young et Wendell Culley là-haut dans la section de trompettes, on était tranquille», in Good Morning Blues, p43 –section malheureusement desservie ici par l’enregistrement: «Bleep Blop Blues», CD1-Joe Newman, tp solo et très difficile passage pour la section menée par Snooky Young), le prélude à sa renaissance est déjà dans l’album April in Paris pour Verve (enregistré les 26 juillet 1955 et 4 janvier 1956) dont des morceaux se sont inscrits durablement à son répertoire et que nous retrouvons ici en 1957 («Corner Pocket» de Freddie Green, arrangé par Ernie Wilkins, donne à entendre Thad Jones –qui reprend la citation de «Cherry Pink» comme dans le disque- et Frank Wess), en 1960 («Shiny Stockings» avec un solo bop de Thad Jones, le piano économe du chef et des breaks de Sonny Payne) et en 1962 («April in Paris», arrangé par Hefti avec sa célèbre fausse coda). On constate qu’au cours des deux concerts de 1957, deux titres seulement viennent de l’Atomic Basie: «Whirly-Bird» (où, concurrence du syndrome Ellington/Gonsalves, Eddie Lockjaw Davis fait monter la «sauce») et «The Kid From Red Bank» bien sûr pour le piano de Basie en vedette (on notera les riffs de trompettes en détaché, et la coda qui prouve que sans un 1er trompette et un batteur de classe il n’y a pas de bon big band)!
En 1960, il joue encore «Splanky» de Thad Jones (thème en appel-réponse des sections de cuivres et de saxophones, solo véhément de Billy Mitchell, ts, et les trois notes du chef en clôture).
En 1962, l’incontournable «Li’l Darlin’» d’Hefti d’Atomic Basie est toujours là, avec son solo de trompette écrit, souvent assumé par le premier pupitre (qui rappelons-le n’est pas le soliste attitré qui le plus souvent est 2e à 4e pupitre, mais le meilleur technicien de l’équipe, pas forcément bon improvisateur, responsable de l’esprit musical à donner à l’ensemble) et qu’une multitude de trompettistes professionnels et amateurs, de par le monde, ont joué et rejoué note pour note. Ce solo créé en 1957 par Wendell Culley (avec la sourdine harmon avec tube et du vibrato) fut repris, comme ici (librement), par Sonny Cohn qui a remplacé Culley dès 1960. Basie aimait beaucoup Joe Williams  qu’il présenta dans un album de 1955 Count Basie swings–Joe Williams Sings (Barclay GLP 3561) et qui deviendra une vedette auprès du grand public. Joe Williams, inspiré par Big Joe Turner et Billy Eckstine, chante juste, avec une bonne diction et un certain swing. Il apparaît ici dans trois titres: «All Right Okay You Win» qui lui convient bien, «Roll ‘Em Pete» (solo de Frank Wess, ts), deux blues, et le «Gee, Baby» de Don Redman (1957).
C’est Quentin Jackson qui a remplacé Al Grey, parce que «Base» voulait qu’il y ait toujours un spécialiste du plunger dans la section de trombone. Et Quentin Jackson nous donne là de belles démonstrations: «Makin’ Whoopee», «Segue in C» (qui vaut aussi pour le véhément sax ténor au son charnu, Billy Mitchell). Quentin Jackson dispose d’excellents collègues de pupitre bons solistes: le bopper Benny Powell («A little Tempo Please») et surtout Henri Coker, puissant («In a Mellow Tone» où il débute sur des notes pédales; «Blues in Hoss’ Flat», morceau de Basie et Foster pour l’album Roulette Chairman of the Board de 1958, rendu célèbre par le sketch de Jerry Lewis, avec ici un Snooky Young, méchant et growleur avec le plunger).
On ne compte plus les big bands qui ont joué «Cute» de Neal Hefti destiné à mettre en valeur le batteur et lancé par l’album Basie Plays Hefti (avril 1958, Roulette Records R52011). Mais rares sont ceux qui avaient un artiste comme Sonny Payne aux balais (ici, en 1962 –Frank Wess, fl-). Bien entendu les critiques conventionnels n’en avaient que pour Max Roach et Art Blakey (qui sont passés en 1956-57 par un sommet dans leur genre), sans porter assez attention à Sonny Payne, un transfuge de l’orchestre Erskine Hawkins qui a beaucoup joué au Savoy pour les danseurs. Il swingue de façon directe, intense. Un atout de Basie est dès lors le jeu furieux de Sonny Payne à la fin de nombreux titres («Lovely Baby» -notez le «shake» du premier trompette-, «In a Mellow Tone», ««Splanky», «Bleep Blop Blues», etc).
En 1962, Count Basie mélange vieux succès («Jumpin’ at the Woodside» -bon solo avec citations de Frank Foster-) et nouveautés du moment tirées de The Music of Benny Carter (7 septembre 1960, Roulette 52056) et From the pen of Benny Carter (2 novembre 1961, Roulette 52086), respectivement «Vine Street Rumble» (en vedette: le Count et Eric Dixon, disciple de Paul Gonsalves) et «Easy Money» (solos de Thad Jones et Benny Powell).
Dans «Toot Sweet», on retrouve les préoccupations d’alliage sonore présentes dans l’album Impulse! The Kansas City 7 (mars 1962): la trompette avec sourdine de Thad Jones et la flûte de Frank Wess (ils sont aussi solistes dans «Why Not»). Dans «Easin’ It» de Frank Foster, toute la section de cuivres est à l’honneur (alternatives, dans l’ordre: Henry Coker, ouvert, Quentin Jackson, plunger, Benny Powell, sourdine soft, puis Al Aarons, Sonny Cohn, Snooky Young, Thad Jones).
Le méconnu Eric Dixon (1930-1989) est soliste dans «Basie» d’Ernie Wilkins et dans la ballade «You’re Too Beautiful» (influence de Ben Webster).
Quentin Jackson (plunger) est soliste dans «I Need to Be Bee’d With» de Quincy Jones (qui vaut aussi pour Basie) et en contre-chant d’Irene Reid dans «The Blues» (lent), tandis que le bopper Benny Powell est en vedette dans «The Song is You», un standard qui a pour pendant «Stella by Starlight» pour un remarquable trompette concurrent d’Harry James en Sonny Cohn (vibrato, beaux aigus!). Cette nouveauté, puisqu’il s’agit d’inédits, intéressera les jazzophiles vétérans qui retrouveront les principes de leur formatage (et l’ambiance des concerts du Count), mais aussi les apprentis batteurs, les orchestrateurs et ceux qui aiment que ça swingue de façon ludique sans chercher, contrairement à cette chronique, à savoir qui fait quoi.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJeb Patton
Shades and Tones

Jeb Patton (p), D. Wong (b), Lewis Nash (dm), Albert Tootie Heath (dm) + Elena Pinderhugues (fl), Michael Rodriguez (tp), Dion Tucker (tb), Dmitri Baevsky (as), Pete Van Nostrand (dm)
Make Believe, Gigi, Rise & Fall, Cool Eyes, Orpheo’s Wish, Holy Land, Hidden Horizons, I’ll Be Around, Foreign Freedom, Violets for Furs, Juicy Lucy

Enregistré en 2014, New York

Durée: 1h 03’
Cellar Live 010515 (www.cellarlive.com)

Même s’il a dépassé la quarantaine Jeb Patton est pour nous une découverte. Nous sommes face à un brillant pianiste qui, tout en ayant un toucher moderne, joue un jazz ancré dans la tradition et avec le swing. Jeb tire ses connaissances des enseignements de Sir Roland Hanna. Les prestations en trio offrent un grand dynamisme et mettent en évidence toutes les qualités de Patton: virtuosité sans effet inutile, percussivité. Son jeu main droite déborde de vivacité. Jeb offre pour ce travail en trio notamment deux excellents thèmes de Horace Silver et un de Jerome Kern. Ses partenaires, s’inscrivant parfaitement dans le travail de Jeb, sont économes en soli mais dans ce domaine Nash est excellent sur «Cool Eyes». Patton sait aussi se montrer maître dans la ballade comme il le fait savoir sur «Violets for Furs». On doit noter également que le trio joue de la même manière que ce soit Nash ou «Tootie» qui manient les baguettes.
Les cinq compositions personnelles révèlent également les possibilités du pianiste dans cet art. Il y inclue trompette, flûte, saxo ou trombone. Sur «Gigi», «Rise and fall» et «Orpheo’s wish» on relève la présence de la flutiste Elena Pinderhugues. Une petite vingtaine d’années et un grand talent. Si elle est ici à disposition du pianiste (avec un beau solo sur le dernier de ces thèmes); en d’autres circonstances on peut l’entendre exprimer pleinement toute sa classe. Elle a déjà côtoyé quelques pointures comme Hancock, Barron, Spalding, «Maraca», Redman…

Le trompettiste Michael Rodriguez rejoint les partenaires de Patton dès que la géométrie du groupe dépasse le trio. C’est un bon interprète qui, dans un solo, se hisse à la hauteur de son leader; il est époustouflant sur «Hidden Horizons». Dion Tucker (tb) s’incorpore à la formation sur plusieurs des compositions de Jeb, ainsi que Dmitri Baevsky (as) sur «Foreign Freedom» ce qui transforme sur ce thème la formation en un beau quintet. On notera que sur quatre des cinq compositions de Jeb Patton les batteurs attitrés disparaissent au profit de Pete Van Nostrand et que le bon contrebassiste David Wong est présent sur l’ensemble des titres
.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Antonio Adolfo
Tema

Antonio Adolfo (p), Marcelo Martins (fl, ss), Leo Amuedo (elg), Claudio Spiewak (g), Jorge Helder (b), R. Barata (dm, perc), Armando Marçal (perc)
Alegria for all, Natureza, Phrygia Brasileira, Sambojazz, Alem mares, Sao Paulo Express, Todo dia, Trem da Serra, Melos, Variations on a Tema Triste

Enregistré à Rio de Janeiro (Brésil), date non précisée
Durée: 52’
AAM Music 0708 (www.aammusic.com)


Antonio Adolfo a exhumé plusieurs de ses travaux de la fin des années soixante, pour certains en collaboration avec Tiberio Gaspar, Xico Chaves. Il les a, cinquante ans après, à la lumière de la maturité, retravaillés, réarrangé
s, transformés en versions instrumentales et enregistrés avec des musiciens actuels. On est dans l’ensemble en présence de versions qui prennent leur liberté face à la MPB qui nous est bien connue comme le «Phrygia Brasileira» inspiré pourtant du folklore. Antonio Adolfo est un excellent pianiste au style très percussif comme le montre «Sambo Jazz». Sur ce dernier thème il s’adjoint les percussions de samba offertes pas Hugo Sandim.
Le disque recèle d’autres bonnes plages à l’image de «Alegria for all», «Sao Paolo Express» ou encore «Trem da Serra». Parmi ses excellents partenaires signalons le très bon travail des percussionnistes et l’interprétation de Leo Amuedo (elec.g) sur «Sao Paolo Express» et «Sambo Jazz» auquel se joint celui qui au long du disque tient la guitare acoustique, Leo Spiewak, pour ce dernier thème à la basse électrique. Quant à M. Martinez nous le préférons nettement au saxophone soprano plutôt qu’à la flûte.

Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

European Jazz Sextet
Live at the International Jazzfest in Viersen

V'S Groove, D'NA, Lonnies's Lament, Impressions, Chasin' the Trane
Alan Skidmore (ts), Gerd Dudek (ts,ss), Jiri Stivin (as, fl), Steve Melling (p), Ali Haurand (b), Clark Tracy (dm)
Enregistré le 27 septembre 2013, Viersen (Allemagne)
Durée: 48' 18''
Konnex 5309 (www.konnex-records.de)


Selon une formule assez inhabituelle (deux sax ténor dont un joue aussi du soprano, et un sax alto également flûtiste, devant une section rythmique conventionnelle), ce sextet, enregistré en public au festival Jazzfest de Viersen fait preuve d'un bel enthousiasme. Il reprend trois thèmes de John Coltrane (issus des albums Crescent, Chasin' the Trane et Impressions) et développe, dans la même veine, deux thèmes composés par le pianiste (évidemment, très influencés par McCoy Tyner). L'univers est connu, mais semé d'embûches, tant on a usé de pointes de lecture sur nos platines vinyles en écoutant les versions originales. Pourtant, ces cinq musiciens natifs de Grande Bretagne, d'Allemagne, de République Tchèque, et de Pologne, semblent avoir pour langue maternelle un «esperanto» du jazz contemporain familier et savant.
Magie, magie... car, où et quand se retrouvent-ils donc pour répéter, choisir les thèmes et définir les arrangements? tant l'alchimie de cette rencontre fonctionne bien. Les arrangements subtils et efficaces, le drive d'enfer et les solos très inspirés emportent l'enthousiasme (les spectateurs ne s'y trompent pas et applaudissent à tout rompre, affolant, parfois, les aiguilles des potentiomètres). Le résultat est tout simplement stupéfiant: un hommage et une re-création de l’œuvre de Coltrane d'un tel niveau mérite l'admiration. Bravo messieurs!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Frank Sinatra
Live in Paris. 5/7 juin 1962

Goody Goody, Imagination, At Long Last Love, Moonlight in Vermont, Without A Song, Day-In Day-Out, I've Got You Under My Skin, I Get a Kick Out Of You, The Second Time Around, Too Marvelous for Words, My Funny Valentine, In the Still of the Night, April in Paris, You're Nobody Till Somebody Loves You, They Can't Take That Away From Me, All the Way, Chicago, Night and Day, One for My Baby, I Could Have Danced all Night, A Foggy Day, Ol' Man River, The Lady Is a Tramp, I Love Paris, Come Fly With Me
Frank Sinatra (voc), Bill Miller (p), Al Viola (g), Emil Richards (vb), Harry Klee (as, fl), Ralph Pena (b), Irv Cottler (dm)
Enregistré 5 et 7 juin 1962, Paris
Durée 1h 18' 51''
Frémeaux & Associés 5470 (Socadisc)


Comme on célèbre le centième anniversaire de sa naissance, Frank Sinatra se retrouve opportunément à la une de nombreux de magazines censés incarner le bon goût en matière de Culture. «The Voice» est donc de nouveau en cour. «C'est dur d'être aimé par des cons!» aurait pu titrer le regretté Cabu, grand connaisseur du jazz. Oubliées donc ses relations troubles avec la mafia, ses rapports tumultueux avec les Kennedy et ses frasques scandaleuses. Dix-sept ans après sa disparition, Frankie est pardonné; il n'est même plus ringard...
On se réjouira, à l'inverse, de l'initiative des éditions Frémeaux de mettre à notre disposition ce live de 1962. A 46 ans, Sinatra est alors au sommet de sa gloire et c'est la première fois qu'il se produit à Paris (au Lido le 5 juin et à l'Olympia le 7 juin), au cours d'une tournée mondiale, entièrement à sa charge (car à but caritatif). Etait-ce pour redorer son image? Sur des arrangements de Neal Hefti, il est accompagné par le sextet du pianiste Bill Miller pour un show millimétré, (identique tout au long de sa tournée) et impeccable de bout en bout, devant le «tout Paris». Juliette Gréco, Fernand Raynaud, Tino Rossi et Henri Salvador, étaient-là, dit-on. La noblesse de ses intentions ne l'empêchera pas toutefois de passer quelques moments privilégiés et privés (heureux homme) avec les «Bluebell Girls», ces danseuses sculpturales du cabaret du Lido. Certes, il reviendra quatre fois à Paris entre 1975 et 1991, mais les fans inconditionnels du «crooner aux yeux bleus», ne manqueront pas de porter une oreille attentive aux vingt-cinq chansons de ce CD.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Bossa Nova in USA
1961-1962

3 CDs: titres et personnels détaillés dans le livret
Enregistré entre 1959 et 1962, principalement en Californie

Durée: 1h 09’ + 1h 02’ 26’’ + 1h 07’ 56’’

Frémeaux & Associés 5482 (Socadisc)


Plus de 50 titres, soigneusement sélectionnés, répartis sur seulement deux années permettent d’avoir une bonne vision de ce qu’a pu être la vogue de la bossa nova aux USA. Si le livret présente le célèbre concert du Carnegie Hall du 21 novembre 1962 comme l’événement fondateur de cet engouement, il n’est pas le point de départ de l’intérêt des jazzmen américains pour la musique brésilienne et la bossa nova. Mentionnons, parmi d’autres, la visite à Rio, dès 1959, de Sarah Vaughan puis celle, l’année suivante, de Lena Horne qui se lance dans l’interprétation de «Bim Bom» de Joao Gilberto au club Copa. La même année, Charlie Byrd s’intéresse au genre puis Tony Bennett et Don Payne qui, captivé par les explications qu’on lui donne et la musique qu’il écoute, rapporte à Stan Getz tout ce qu’il a pu apprendre et acquérir. Herbie Mann et de nombreux jazzmen sont présents à Rio de Janeiro pour l’American Jazz Festival en juin 61. Le flûtiste a aussi passé de longues journées en Californie avec Joao Donato. Dans l’univers des jazzmen, la table bossa nova est mise depuis quelques mois lorsque le fameux concert est organisé et le grand public conquis.
Le coffret présenté par Frémeaux & Associés rassemble ainsi une très grande majorité d’enregistrements antérieurs au concert de novembre 62, qui, mis sur le marché quasiment à la sortie des studios, étaient donc à disposition du public américain. Tout était prêt pour le raz-de-marée populaire. Des thèmes précèdent même les dates indiquées par le coffret: celui de Bud Shank (signalé 1959) est en réalité enregistré en mars 1958 à Los Angeles; ceux du vocaliste Jon Hendricks sont de 1961. D’autre part, la date de 1962, proposée pour «Speak Low» (CD2) de Laurindo Almeida, nous semble une erreur car le WP 1412 dont il serait issu est une réédition du PJ 1204 enregistré en avril 1954. Petite erreur aussi, Charlie Rouse enregistre sa version pleine de swing de «Samba de Orfeu» (CD3), non pas en 1960, mais juste après le concert du Carnegie, le 26 novembre 1962 à New York.
Qui sont les jazzmen ayant enregistré la bossa nova et pourquoi cet intérêt? Notons qu’à l’exception de Dizzy Gillespie, fasciné par tout ce qui est latin, Charlie Rouse, Coleman Hawkins et Jon Hendricks tous les autres acteurs proviennent du jazz «blanc». Et il y a une certaine logique.
La bossa nova est le produit musical d’une jeunesse brésilienne blanche, certes en rupture mais issue de milieux aisés et raffinés qui vit hors des quartiers noirs, principalement vers les plages. Imprégnés de culture européenne ces jeunes écoutent pourtant le jazz, celui de la Côte Ouest des Etats-Unis, Rogers, Mulligan, Baker, Brubeck… mais aussi du bebop. Tous sont de brillants musiciens avec une solide formation classique, académique. Ils composent une musique de qualité, avec de belles harmonies, des arrangements raffinés, des paroles soignées offertes pas des auteurs de talent. (Jon Hendricks voulait toujours en connaître le sens avant de s’en emparer).
De par leur culture et leur formation, les jazzmen du style dit West Coast sont les plus attirés par cette jeune génération brésilienne et les plus sensibles à la bossa nova – très clairement un polissage du samba populaire – et c’est grâce à eux que la bossa a pu sortir de la confidentialité et du Brésil.

Stan Getz est bien entendu le chef de file du «mouvement». Il offre sur ces disques cinq thèmes, abondamment diffusés par ailleurs, dont trois de son tout premier enregistrement avec Charlie Byrd en mars 1962. Dave Brubeck était incontournable et ses cinq titres sont tous issus de l’album sorti début 1963. On relève également le très bon Zoot Sims dont le son convient bien au genre sur l’historique «Maria Ninguém» (CD3) et les moins connus «Ciume» (CD2), «Recado bossa nova» (CD2), «Cantando a Orquestra» (CD3) le tout provenant de la même session d’enregistrement du mois d’août 1962.

Herbie Mann est sans aucun doute l’un des plus prolixes de l’année 62, il enregistre la Bossa à tour de bras en mars, avril et octobre. Sa présence à Rio de Janeiro dans les mois antérieurs et le fait qu’il s’installe en studio en octobre dans la cité carioca lui ont permis de rassembler autour de lui des noms comme Baden Powell (g), Sergio Mendes (p), Durval Ferreira (g), Paulo Moura (as), Carlos Jobim (p et voix), Dom um Romao (dr)… Les cinq morceaux présentés ici sont issus de trois sessions successives de ce dernier mois avec des personnels différents. On en goûte la richesse rythmique particulièrement dans « Deve ser amor» (CD1), «Influênza do jazz» (CD1).

Deux noms très discutés chez les amateurs de jazz, ceux de Cal Tjader et de George Shearing ne pouvaient faire défaut. De Tjader cinq morceaux nés en mars 62 à Hollywood figurent sur les CDs. Ils font partie d’un ensemble comprenant aussi des thèmes mexicains montrant la versatilité de Carl et son flair quant à surfer sur les modes. Shearing apporte sa version du célèbre «Manha de Carnaval» (CD1) avec une interprétation qui correspond assez bien à l’atmosphère de la musique originale du film de Marcel Camus plus qu’à une version jazz et «One note samba» (CD1).

Coleman Hawkins enregistre en septembre des disques qui ne sortiront qu’au début de l’année suivante. On apprécie le jazzman qui prend le pas sur la musique brésilienne. Hawkins a su déceler dans le réservoir de la Bossa un titre clé de celle-ci «O Pato» (CD2) et en donner une version très personnelle.

D’autres interprètes peut-être moins connus méritent d’être écoutés comme le Brésilien Laurindo Almeida dont le rôle a été important dans l’implantation de la musique brésilienne en Californie avant même la naissance de la Bossa Nova puisqu’en 1952 il pratique déjà une fusion jazz-choro avec Bud Shank. Il offre ici l’excellent «Speak low» (Cd1) (1954). On retrouve d’ailleurs sur le CD1 Laurindo avec Bud pour «Lonely» non en 1959 comme le précise le livret mais à Hollywood en mars 1958. Figure aussi sur les différents disques Bob Brookmeyer avec «Chora sua tristeza» (CD1) d’août 1962. Le trombone swingue bien et les guitares et percussions brésiliennes donnent l’ambiance. «A Felicidade» nous semble bien moins intéressant. On trouve encore cinq thèmes interprétés par le pianiste argentin Lalo Schifrin.

La prestation de Gillespie à la trompette est excellente mais il propose une introduction puérile dans «Chega de Saudade» (CD1). C’est son partenaire Lalo Schifrin (p) qui apporte le back ground brésilien car Dizzy joue jazz. Cela vaut pour «Desafinado» (CD2).

Il est surprenant de ne pas avoir choisi pour cette compilation d’inclure Cannonball Adderley qui, en décembre 1962 à New York, enregistre magnifiquement des thèmes moins classiques permettant de prendre une liberté et de se montrer moins cool que ne le sont Getz, Brubeck et autres.

Nous avons aussi aimé pourvoir comparer les diverses versions d’un même thème proposées par le coffret. Ecouter «Desafinado» par Getz, Dizzy, Hawkinsoffre la possibilité d’apprécier la manière dont chacun aborde la Bossa et la ressent. C’est vrai aussi pour «Samba de uma nota so» par Brubeck, Mann, Shearing, Hawkins; «Chega de Saudade» par Hawkins et Gillespie. On aurait aimé une autre version de «Meditação» en plus de celle de Tjader.

On ne peut que recommander ce très beau coffret qui rassemble bien l’essentiel des amours entre jazz et bossa nova
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Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueSarah Thorpe
Never Leave Me

Just Say Goodbye, Better Than Anything, I’m Gonna Leave You, Mack The Knife, Where’d It Go, Nowhere to Go, Jive, Nerver Leave Me, Para Raio, The End of the Line
Sarah Thorpe (voc), Olivier Hutman (p, arr), Darry Hall (b), Philippe Soirat (dm) + Ronald Baker (tp, flh), Guillaume Naturel (ts, fl)

Enregistré les 29-30 décembre 2014 et le 14 janvier 2015, Maurepas (78)

Durée: 41' 58''

Spirit of Jazz Productions / Elabeth ST001 (www.spiritofjazz.fr)


Pour ce premier enregistrement, Sarah Thorpe nous offre une promenade sensible entre standards et titres moins courus. Formée par Daniela Barda et Sarah Lazarus, elle a également suivi l'enseignement de Joe Makholm, Michele Hendricks et Géraldine Ros. Entourée par un quintet monté pour cette session, la chanteuse impose son univers particulier, entre jazz et rythm'n'blues, sur les arrangements inspirés d'Olivier Hutman, qui compte également à son actif une prestigieuse carrière d'accompagnateur (Clifford Jordan, Steve Grossman, Clark Terry, Stéphane Grappelli, etc.). On lui doit notamment ici un «Mack the Knife» métamorphosé et sur lequel Sarah Thorpe a posé de nouvelles paroles. Il en ressort une ballade brillante, sans doute le morceau de bravoure de cet album.

C'est que la vocaliste franco-britannique, a, en effet, et avant tout, le talent de s'être très bien entourée: Darryl Hall, une référence de la scène jazz internationale (Benny Golson, Kirk Lightsey, Mary Stallings, Eric Reed, Dianne Reeves, etc.), un excellent batteur parisien, Philippe Soirat, et deux très bons guests, Ronald Baker et Guillaume Naturel. Portée par ce line-up de luxe, Sarah Thorpe tire son épingle du jeu sur les tempos lents, qui lui permettent de jouer sur l'émotion. On a sinon plaisir à entendre le solo de Darryl Hall en ouverture de «Better Than Anything», les interventions de Philippe Soirat sur «Jive» ou l'élégante sourdine de Ronald Baker sur «Just Say Goodbye».
Le disque se termine avec une vibrante reprise de Nina Simone, «The End of the Line», qui contribue à en faire de l'ensemble un beau moment d'évasion.
Patrick Martineau
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Mack Avenue SuperBand
Live From the Detroit Jazz Festival 2014

Introduction, Riot, The Struggle, A Mother's Cry, Santa Maria, For Stephane, Introduction to Bipolar Blues Blues, Bipolar Blues Blues
Tia Fuller (as, ss), Kirk Whalum (ts, fl), Aaron Diehl (p), Rodney Whitaker (b, dir), Evan Perri (g), Carl Allen (dm), Warren Wolf (vib)
Enregistré le 1er septembre 2014, Detroit (Michigan)
Durée : 59’ 12’’
Mack Avenue 1096 (www.mackavenue.com)


Enregistré en live lors d’un grand festival américain, avec un orchestre a priori de rêve quand on note la présence de Carl Allen, Rodney Whitaker et Aaron Diehl, le résultat est très décevant, en dépit des applaudissements, avec trois premiers thèmes très démagogiques (on est à Detroit) quand on connaît la valeur de ces musiciens.
Sort du lot le «Santa Maria» d’Aaron Diehl qui fait briller ses talents de compositeur et de grand concertiste sur la première composition digne de ce nom qui fait d’ailleurs la différence avec le thème suivant «For Stephane» qui tire pourtant son inspiration de la même source. La touche finale sur «Bipolar Blues Blues» de Kirk Whalum, plus rhythm’n’blues, a pu faire danser sur place, mais reste assez pauvre pour l’écoute en disque, bien que plus épicé que la plupart des autres thèmes. Et pourtant la section rhytmique est vraiment de rêve et en donne quelques moments sur «Bipolar Blues Blues». C’est dommage!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Ran Blake / Ghost Tones
Portraits of George Russell

Autumn in New York , Alice Norbury*, Living Time*, Paris, Telegram From Gunther, Biography, Stratusphunk, Jack's Blues, Manhattan, Ballad of Hix Blewitt, Cincinnati Express, Vertical Form VI, Jacques Crawls*, Lonely Place, Ezz-Thetic*, You Are My Sunshine, Autumn in New York (alt. take)
Ran Blake (p, elp*) + Peter Kenagy (tp), Aaron Hartley (tb), Doug Pet (ts), Eric Lane (p, elp), Jason Yeager (p), Ryan Dugre (g), Dave Knife Fabris (g), Rachel Massey (vln), Brad Barrett (b), David Flaherty (dm, perc), Charles Burchell (dm, perc), Luc Moldof (electronic)
Enregistré les 24 et 26 août 2010, Boston (Massachusetts)
Durée : 1h 04’ 43’’
A-Side 0001 (www.a-siderecords.com)

Ran Blake / Christine Correa
The Road Keeps Winding: Tribute to Abbey Lincoln Volume Two

Straight Ahead, The Heel, The River, Throw It Away I, When Autumn Sings, In the Red, Love Lament, Midnight Sun, Driva Man, Throw It Away II, Living Room, Evalina Coffey (The Legend of)
Ran Blake (p), Christine Correa (voc)
Enregistré les 15 et 27 juin 2011, Boston
Durée : 50’ 55”
RedPianoRecords 14599-4415-2 (www.redpianorecords.com)


Ran Blake (Jazz Hot n°667) consacre ce premier volume à un portrait de George Russell dont il fut un fan de la première heure, qui devint un ami personnel et plus largement de la famille Blake. Ran milita ainsi, le terme n’est pas trop fort, auprès des musiciens et personnalités les plus réputées du jazz pour que le Jazz Workshop de George Russell (RCA-Victor), épuisé en 1959, fût réédité, et il obtint ainsi les signatures de Jaki Byard, Harry Sweets Edison, Nesuhi Ertegun, Ornette Coleman, Charles Mingus, Thelonious Monk, et de beaucoup d’autres, qu’il fit parvenir à George Avakian (cf. Jazz Hot n°671), sans succès, puisqu’il fallut attendre 1987 pour une réédition. 50 ans après, pour ce portrait, Ran Blake évoque son admiration de jeunesse, avec un hommage de son cru à sa musique, parfois jazz, parfois bruitiste, et, sur le livret, par les signatures prestigeuses qui acceptèrent de soutenir son enthousiasme juvénile.
Ayant accompli son parcours de musicien au milieu des George Russell, Gunther Schuller et des avant-gardistes comme Bill Dixon, Ran Blake est un musicien contemporain au sens naturel du terme, sans esprit de système, qui aime le jazz mais aussi les belles musiques, et cela s’entend. Sa démarche est intéressante et reste de qualité, authentique, correspondant à une personnalité simplement sans frontière musicale. Ce disque, au charme certain, est donc difficilement classable, le jazz s’y glisse parfois, mais c’est du Ran Blake authentique, exigent, délicat, atmosphérique, dévoué à une évocation de George Russell avec l’inévitable «Ezz-Thetic».
Changement de registre, dans le second CD, avec ce Tribute to Abbey Lincoln Volume Two. Christine Correa a très bien écouté Abbey («Driva Man»), et elle en restitue les accents pugnaces avec beaucoup de conviction et de qualités (expression, clarté, justesse). C’est un registre plus jazz que le premier disque, même si Ran Blake conserve sa manière très contemporaine d’accompagner ou en soliste, organisant un très beau contraste entre la voix enracinée et son jeu impressionniste, qui n’est pas sans rappeler parfois certaines idées de Martial Solal («The Heel»). Christine Correa, dans sa façon de shouter, à la manière d’Abbey Lincoln, en appel-réponse, évoque aussi curieusement une autre voix, Cab Calloway («The River») pour s’adresser au ciel. Elle est aussi à l’aise pour fondre l’univers d’Abbey Lincoln dans un style théâtral moins marqué par le jazz, genre «Opera de Quat’ Sous» («In the Red»), en s’appuyant sur le style très narratif de Ran Blake, et en jouant d’une hyperexpressivité à la fois inspirée et distanciée d’Abbey Lincoln. C’est une belle rencontre, un disque passionnant
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAaron Diehl
Space, Time, Continuum

Uranu, The Steadfast Titan, Flux Capacitor, Organic Consequence, Kat's Dance, Santa Maria, Broadway Boogie Woogie, Space, Time, Continuum
Aaron Diehl (p), David Wong (b), Quincy Davis (dm) + Joe Temperley (bs), Benny Golson (ts), Stephen Riley (ts), Bruce Harris tp), Charenée Wade (voc)
Enregistré à New York, date non pécisée
Durée : 55’ 33’’
Mack Avenue1094 (www.mackavenue.com)


Aaron Diehl est l’un de ces miracles dont le jazz a toujours le secret. Né en 1985, dans un cadre déjà marqué par la musique (un grand-père musicien), il est à 30 ans l’un des pianistes les plus prometteurs de sa génération, et déjà un musicien de jazz accompli, possédant son blues et son swing sur le bout des doigts. Remarqué dès 2002 dans le cadre des manifestations du Lincoln Center de découvertes des nouveaux talents, il a été, l’année suivante, invité par le septet de Wynton Marsalis, et il est l’artiste le plus jeune commissionné par le Monterey Jazz Festival en 2014. Ses collaborations avec beaucoup de jazzmen confirmés, de Lew Tabackin à Wycliffe Gordon, et sa complicité fertile avec un autre miracle du jazz des années 2000, la chanteuse Cécile McLorin Salvant (elle signe ici les paroles du dernier thème), récemment nominée aux Grammy Awards, font d’Aaron Diehl un indispensable de la nouvelle génération.
Son parcours s’est déroulé dans l’excellence, et après une formation classique solide, c’est la rencontre d’Eldar Djangirov, son contemporain (1987), autre prodige du piano, russe d’origine installé aux Etats-Unis, qui l’a paradoxalement orienté vers le jazz. Aaron a suivi par la suite les enseignements de la Juilliard School (Kenny Barron, Eric Reed, Oxana Yablonskaya), et sa très solide éducation musicale n’en a pas fait un surdoué virtuose mais un beau musicien au service de la musique comme en témoigne cet enregistrement, son troisième semble-t-il après Live at Carammoor (2008) en solo, et Live at the Players (2010) avec deux trios.
Dans cet enregistrement, Aaron Diehl a invité, autour de son trio habituel déjà présent en 2010 (David Wong et Quincy Davis), de jeunes complices, Stephen Harris, très beau son de ténor feutré dans «Kat's Dance», Bruce Harris, un jeune trompettiste que Wynton Marsalis a distingué parmi ses pairs, Charenée Wade, une belle voix de plus dans la nouvelle génération («Space, Time, Continuum») dans la filiation de Betty Carter.
Aaron Diehl a également intégré dans ce projet deux toujours jeunes que sont les octogénaires Joe Timperley, auteur d’une splendide intervention sur «The Steadfast Titan», et Benny Golson, toujours à son aise avec sa sonorité de velours sur des compositions originales d’Aaron Diehl, dans le ton d’aujourd’hui, mais avec ce qu’il fallait de référence à l’Ancien comme  ce beau «Organic Consequence».
Il reste à vous parler du leader, pianiste de l’essence du jazz, sans mensonge, orchestral dans son jeu, maître de son langage, doué d’une technique hors norme, compositeur et arrangeur, toujours à l’écoute de ses invités pour faire que cet objet artistique qu’est un disque de jazz soit une œuvre. Pour le plaisir du piano, on hésitera entre le powellien «Broadway Boogie Woogie» (époustouflant) ou l’atmosphérique boléro «Kat’s Dance» ou le rhapsodique «Santa Maria» avec citation de Pierre et le Loup de Prokofiev ou le blues and swing «Space, Time, Continuum»… En fait, Aaron est parfait, tout le temps. Les commentaires avisés et précis d’un aîné, Ethan Iverson, le pianiste du groupe The Bad Plus, viennent nous en dire un peu plus sur la confraternité musicale des pianistes et l’admiration qu’il a pour Aaron Diehl. Aaron est aussi, paraît-il, pilote d’avion, à ses heures qu’il ne consacre pas au jazz. C’est la seule inquiétude qui plane sur son talent stratosphérique.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueJeff Hackworth
Soul to Go!

Soul to Go, Autumn Nocturne, The Feeling of Jazz, Wise One, Blues In Few, Litlle Girl Blue, Live And Learn, Under a Strayhorn Sky, Vaya Con Dios
Jeff Hackworth (ts), Ed Cherry (g), Radam Schartz (org), Vince Ector (dm)
Durée: 55' 37''
Enregistré le 18 avril 2013, Clark (New Jersey)
Big Bridge Music 1006 (www.jeffhackworth.com)


En lui donnant une petite touche de modernité, le saxophoniste ténor new-yorkais Jeff Hackworth, s'inscrit dans la grande tradition des «combos sax ténor - orgue Hammond B3- guitare - batterie» initiée dès la fin des années 50 par les organistes Brother Jack Mc Duff, Jimmy McGriff, Richard Groove» Holmes (entre autres) et dont Jimmy Smith représenta, sans doute, la quintessence.
Outre ses propres compositions, il reprend ici quelques standards du répertoire, et y adjoint, ce qui est moins courant, une composition de l'album Crescent publié en 1964 de John Coltrane, dont il est par ailleurs un admirateur et un fervent disciple.
Si les thèmes en tempo rapide sont «groovy» à souhait, le swing est constant même dans les ballades. L'orgue évite soigneusement les registres trop flatteurs, la guitare évoque, sans les imiter, Kenny Burrell ou Wes Montgomery, et la batterie lie la sauce sans effets superflus. Une leçon de bon gout et d'élégance par quatre musiciens pas du tout complexés de s'exprimer dans la mouvance d'un jazz main stream qui n'a pas encore décidé de se laisser jeter aux oubliettes.
Un CD tout simplement délicieux!
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueSamy Thiébault
A Feast Friends

Riders on the Storm, The Hitchhiker, Telluric Movements, Light My Fire, The Movie, People Are Strange, Invocation, The Crystal Ship, Petition The Lord With Prayer, The Soft Parade, Blue Sunday, Blue Words, The Blue Bus, Hara, Tribal Dance
Samy Thiébault (ts, fl), Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dm), Nathan Wilcocks (voc)
Durée : 57' 06''
Enregistré en mai 2014, lieu non communiqué
Gaya Music Production STGCD005 (Socadisc)


Dois-je l'avouer, même dans ma folle jeunesse, je n'ai jamais été un fan de la musique des «Doors». Il m'aura donc fallu attendre la sortie de ce CD pour enfin m'y intéresser. Toutefois, après ré-écoute, l'original me séduit beaucoup moins que sa re-création par le quartet de Samy Thiébault.
En effet, à part quelques inserts vocaux superflus, on n'est plus ici dans le registre d'une musique «pop» plus ou moins d'avant garde (pour son époque), mais dans celui d'un jazz contemporain de grande facture. Peu importe, pour une fois ses sources d'inspiration (qui se soucie encore du sort des vraies demoiselles de la rue d'Avignon?), cette musique est là, vivante, vibrante, enthousiasmante, magistrale, et «définitive», comme aurait dit Christian Garros, musicien d'un autre monde et expert en métissages, à l'issue d'une fructueuse répétition.
Du jazz comme je l'aime.
Daniel Chauvet
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueOn Air & Fabrizio Bosso
Michel on Air

Cantabile, Little Piece in C for You, Guadeloupe, Hidden joy, Chloe Meets Gerswin, Play Me, Thirteen, Take the "A" Train, It's a Dance, Brazilian Like, In a Sentimental Mood, I Wrote You a Song
Fabrizio Bosso (tp), Alessandro Collina (p), Marc Peillon (b), Rodolfo Cervetto (dm)
Enregistré en octobre 2013, Gênes (Italie)
Durée: 59' 47''
Egea Records INC183 (www.egeamusic.com)


Découvert au festival Sotto le stelle d'Ospedaletti l'été dernier, «Michel on Air», est un projet fort bienvenu pour raviver la mémoire de Michel Petrucciani, pianiste subtil autant qu'énergique, disparu en 1999, et aujourd'hui bien injustement négligé. Quatre musiciens de la Riviera italienne et française, revendiquant à ce titre les mêmes racines méditerranéennes que leur modèle et mentor, nous proposent de redécouvrir quelques unes des pièces favorites de son répertoire.
A l'exception de «Take the "A" Train» et de «In a Sentimental Mood», deux standards fétiches qu'il a très souvent joués, tous les thèmes choisis sont en effet des compositions de Michel Petrucciani. Excellemment accompagné et mis en valeur par une impeccable section rythmique, soudée par une longue pratique collective et une solide amitié, et où chacun se montre tour à tour très habile soliste. Fabrizio Bosso (Jazz Hot n°671) a ainsi les coudées franches, déploie des prodiges d'invention et de lyrisme que lui permettent une fabuleuse technique et un son superbe.
Fait remarquable, l'enregistrement garde l'intensité dynamique du concert (et a, paraît-il, beaucoup de succès aux Etats-Unis... nul n'est prophète en son pays). Un bel envol pour Michel on Air!
Daniel Chauvet
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disquePG Project
Back From N.O.

L'Air de rien, Eteignez vos portables, For Lena l'aînée, March à suivre, Jambon beurre shuffle, Introduction Back From N.O., Back From N.O., The Blessing, C'est quand qu'on arrive, MACH1N N1, Milled Quiet Moon, Après le calme, la tempête, The Groove Merchant
Pierre Guicquéro (tb, comp, arr), Julien Silvand (tp), Davy Sladek (as, ss), Franck Pilandon (ts, bs), Bruno Martinez (p), Dominique Mollet (b), Marc Verne (dm)

Enregistré du 22 au 25 avril 2014, Clermont-Ferrand (63)

Durée: 1h 02’ 05’’

Black & Blue 800.2 (Socadisc)


Pierre Guicquéro est de ces musiciens effacés mais brillants qui peuplent les différents orchestres français de jazz: nous l’avons entendu au sein de l’Anachronic Jazz Band, du Paris Swing Orchestra, du Julien Silvand All Stars, des Be Bop Stompers, de Sac à Pulses, du Big Band de Jean-Loup Longnon… et du Montier Guicquéro Quintet (le MGQ!). Cette énumération, longue mais non exhaustive (car il est n’est pas rare de le retrouver à «faire des remplacements» au sein d’autres grandes formations), dit tout son talent et sa capacité d’adaptation aux contextes les plus divers, ainsi que de sa connaissance assimilée des univers musicaux du jazz. Il a d’ailleurs une bonne vingtaine d’albums à son actif en tant que sideman de formations plusieurs fois primées.
Arrivé à l’âge de raison et avant de souffler sa dernière bougie de quadra (il est né à Vitry-Sur-Seine en 1968) et profitant de l’opportunité d’enregistrer à l’opéra de Clermont-Ferrand, Pierre Guicquéro s’est enfin décidé à sortir de l’ombre rassurante du musicien pour musiciens aux fins de réaliser en tant que maître d’œuvre cet album Back From N.O. Avec ce P.G. Project, il nous expose sans fard un panorama de son imaginaire musical avec pas moins de onze compositions personnelles sur treize que compte cet album (les deux autres étant empruntées à deux auteurs non négligeables, Ornette Coleman et Jérôme Richardson). Toutes ces créations, qui puisent à la meilleure tradition du swing, sont bien écrites. Les thèmes solides manifestent un réel sens de la mélodie. Sans être simples, les arrangements bien construits conservent une parfaite clarté. Ce septet sonne d’ailleurs souvent comme une grande formation («The Groove Merchant»).
Tous les musiciens de cette formation sont à féliciter pour la qualité de leur participation; les ensembles sont parfaitement équilibrés tout en étant joués avec une belle générosité. L’intervention de chacun en tant que soliste n’est pas moins remarquable. Le Toulousain Julien Silvand est particulièrement brillant («Marche à suivre», «Introduction Back from N.O.», «Back from N.O.», «Jambon, beurre, shuffle»). Franck Pilandon au ténor et au baryton («Eteignez vos portables») fait preuve d’une belle maîtrise instrumentale. Davy Sladek a un beau phrasé («Après le calme la tempête» et le chase «March à suivre»). Bruno Martinez est un pianiste sûr; son accompagnement et ses liaisons sont parfaits; quant à ses interventions elles ont la belle élégance de la concision («C’est quand qu’on arrive»). Marc Verne est présent et bien présent («Marche à suivre», «Jambon beurre shuffle»). Dominique Mollet possède une très belle musicalité; c’est un contrebassiste qui mérite à être connu («Milled Quiet Moon»). Sa mise en place est remarquable et son accompagnement en duo avec Guicquéro sur la pièce d’Ornette Coleman, un modèle du genre, est l’un moment fort de cet album. Tout au long de son opus, le tromboniste fait montre de sa grande maîtrise instrumentale et d’un grand sens musical: excellent soliste, il sait également établir les équilibres musicaux.
Pour réaliser Back From N.O., Guicquéro a dû, comme beaucoup d’artistes actuellement, faire appel à une souscription. Remercions les personnes qui ont permis l’enregistrement de ce magnifique album dans lequel tous les musiciens servent cette musique de qualité avec une ferveur amoureuse.
Félix W. Sportis
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Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChico Freeman 4-tet
Spoken Into Existence

Seven Steps to Heaven, Free Man, India Blue, Black Inside, Dance of Light for Luani, Nia’s quest, N’Tiana’s Dream, lara’s Lullaby, Erika’s Reverie, Soft Pedal Blues, Niskayuna, The Crossing, Ballad for Hakima
Chico Freeman (ss, ts), Antonio Farao (p), Heiri Känzig (b), Michael Baker (dm)
Enregistré à Munich et Nuremberg, date non précisée
Jive Music 2080-2 (www.jivemusic.at)

Chico Freeman / Heiri Känzig
The Arrival

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disque

One for Eddie Who 2, Early Snow, The Essence of Silence, Ancient Dancer, Will I See You in the Morning, Dat Dere, Song for the Sun, Just Play, Eye of the Fly, After the Rain, To Hear a Teardrop In the Rain, Chamber's Room
Chico Freeman (ts), Heiri Känzig (b)
Enregistré les 13-14 décembre 2014, Winterthur (Suisse)
Durée: 1h 00’ 20’’

Intakt 251 (www.intaktrec.ch)


Bien qu’il paraisse toujours jeune, Chico Freeman est un son du saxophone qui s’impose depuis la fin des années 1970. Fils du grand et regretté Von Freeman, il a fait partie de cette belle génération musicale qui a gardé au jazz sa capacité d’inventivité et son authenticité à travers le temps. De son parcours enraciné dans la tradition chicagoane du père et dans l’expérimentation de l’AACM, où il développa aussi une partie de ses recherches musicales, il a au cours du temps donné un exemple original d’ouverture d’esprit: ne reniant jamais, contrairement à une partie de ses pairs de l’AACM, la grande tradition du jazz, des beaux sons, du récit et des standards appris auprès de son père, il a quand même su faire sienne un esprit d’aventure propre à la Cité des vents, ne récusant pour autant ni le blues, ni le rhythm & blues, ni la soul, ni même parfois des formes plus «commerciales» de l’expression musicale afro-américaine. Il a conservé ainsi un jeu naturel, direct et pourtant sophistiqué, comme le jazz, et un souci d’originalité dans tous les formats qu’il a fréquentés, au sein de ses quartets, de ses groupes comme les leaders.
Aujourd’hui Européen d’adoption, on le retrouve ici sur deux enregistrements en quartet et en duo saxophone-basse avec des musiciens européens, l’excellent Antonio Farao (p) et une découverte, le bassiste autrichien Heiri Känzig, plus Michael Baker à la batterie. C’est la formation, à l’exception du batteur remplacé par le vieux et brillant compagnon Billy Hart, qui s’est produite l’été 2015 à Jazz à Vienne au Théâtre de minuit, alors qu’elle aurait tout aussi bien pu prétendre à la grande scène au milieu de la soirée la plus jazz de la quinzaine.

Le disque en duo est composé essentiellement de ballades originales soit de Chico soit de Heiri, parfois des deux, plus deux standards, «Dat Dere» (Bobby Timmons) et «After the Rain» (Coltrane). Le beau son feutré de Chico et la contrebasse chantante d’Heiri ont beaucoup de place pour s’exprimer sans pression, avec beaucoup d’écoute réciproque, de complicité, sans abstraction. L’atmosphère de certaines compositions est propre à l’univers apaisé habituel de Chico Freeman que l’on connaît depuis ses débuts: sérénité, sensualité, spiritualité, et le contrebassiste se coule avec adresse dans cet environnement.
Le disque en quartet propose essentiellement des compositions originales de Chico Freeman (huit) dont cinq belles compositions dédiées à ses cinq filles, plus deux d’Antonio Farao, une de Heiri Känzig, une de Miles Davis et un blues de Stanley Turrentine. L’ensemble du disque appartient au climat jazz de la fin du XXe siècle, avec parfois un petit manque de relief, d’impulsion. En live, la formation semblait plus tendue...
Yves Sportis
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Claude Luter / Barney Bigard
The Paris Session

Struttin' With Some Barbecue*, Mood Indigo*, Double Gin Stomp, Sweet Lorraine*, Royal Garden Blues, Doobooloo Blues, Honeysuckle Rose, China Boy*, "C” Jam Blues*, Sobbin' and Cryin'*, S' Wonderful*, Promenade aux Champs-Elysées*
Barney Bigard (cl), Claude Luter (cl), Eddie Bernard (p), Roland Bianchini (b), Teddy Martin (dm)

Enregistré les 14 et 15* février 1960, Paris

Durée: 53’ 25’’

Milan 399 349-2 (Universal)


Voici enfin réédités des enregistrements effectués en France par des musiciens français de jazz et un américain qui méritent le qualificatif d’historiques et d’indispensables. Précisons que deux titres de ce Paris Session ne concernent que Barney Bigard («Sweet Lorraine» et «S' Wonderful»). Mis à part deux originaux cosignés (1960) par les deux clarinettistes, le programme est puisé dans un répertoire ancien composé entre 1919 et 1951: des pièces faisant référence au style new orleans évidemment, mais également deux compositions tardives (1947 et 1951) de Sidney Bechet, ainsi que d’Ellington, de Waller, de Gershwin sans oublier une révérence à Jimmy Noone («Sweet Lorraine»).
Dans le livret, Fabrice Zammarchi rappelle les circonstances qui permirent l’enregistrement de ces faces: la réalisation du film Paris Blues, qui vers la fin du quatrième trimestre de 1960 réunirent dans la capitale les orchestres du Duke et de Louie, dont faisait partie Barney Bigard. Charles Delaunay ne fut pas étranger à l’opération et s’activa pour rendre possible cette rencontre. Il fit en sorte de mobiliser un studio sur plusieurs jours «pour engranger de la matière», disait-il.
Lors de la session, Barney Bigard, âgé de 54 ans, était en pleine possession de ses moyens. Son style tout de sérénité était parvenu à une sorte de perfection classique qui faisait de lui le représentant emblématique encore vivant, de la grande école des clarinettistes de New Orleans. Claude Luter avait 37 ans; il était en pleine force de l’âge et tout juste sorti de sa période de gloire, mais aussi de formation, avec Bechet. Et la réunion a tenu toutes ses promesses.

Dans ces enregistrements, Claude Luter s’affirme comme un disciple de Sidney Bechet/clarinettiste, celui de «Blue Horizon» (1944), de «Egyptian Fantasy» (1941), et de «Old Stack O Lee Blues» (1946). Il évoque beaucoup le Bechet du début des années 1940; on y retrouve le vibrato du maître sur le blues, («Doobooloo Blues») mais également dans les tempi soutenus (cf. «China Boy» avec Sidney Bechet/Muggsy Spanier mars 1940). Comme lui, dans cet album, Luter «attaque» la clarinette (traitement «hot» du son de l’instrument), il la traite à la manière d’un soprano, lui donnant une expressivité mâle voire agressive. Le vibrato Claude est moins ample, moins soutenu, moins véhément que celui de Bechet. Il n’en demeure pas moins que son style rugueux lui permettait de conduire le discours musical. Au-delà de la très forte présence musicale de Bechet, Luter était en position d’infériorité dans son orchestre par rapport au maître qui utilisait un soprano plus puissant. Or en jouant à égalité, sur le même instrument que son partenaire, Claude Luter pouvait rivaliser et réalisa une session exceptionnelle, dont il avait raison de dire qu’elle constituait son grand œuvre, la «plus grande réussite de sa carrière».

Quant à Barney Bigard, il est impérial tant dans ses solos («Double Gin Stomp», «Doobooloo Blues»), dont la rigueur et la poésie sans affectation constituent la puissance d’évocation, que dans ses dialogues avec Luter et surtout dans sa manière de réinventer à l’infinie la polyphonie néo-orléanaise par la volubilité de son discours léger et la fluidité exquise de son expression. Zammarchi parle de sa part de «féminité» qu’il oppose à la masculinité de Luter; je préfèrerais parler de la tradition d’élégance créole (Lorenzo Tio, son mentor) dont son style témoigne dans ces faces que j’opposerais à la rusticité policée de Luter, héritée celle de Dodds créolisée par le lyrisme de Bechet. Dans les deux titres où il joue en quartet, Bigard nous présente une autre lecture musicale de l’école créole: sur «Sweet Lorraine», très personnelle et différente de celle de Jimmie Noone, son aîné de dix ans qui fut également l’élève de Tio; sur «‘S Wonderful», par la structuration classique acquise à New York auprès d’Ellington.

Les deux solistes sont certes brillantissimes, mais leur prestation doit également beaucoup à la section rythmique qui leur déroule un tapis. Claude Luter disait, à juste titre, que ce fut la meilleure de sa carrière. Roland Bianchini (b) accompagne et soutient à la perfection. Teddy Martin (dm) est présent sans gêner; son accompagnement est rigoureux et ses interventions en solo sont de bonne facture. Mais la pièce maîtresse de cette formation est Eddie Bernard. Au-delà de l’amitié qui unissait les deux hommes, on comprend que Claude Luter ait été très affecté par la disparition d’un artiste de cette trempe. Il y est exceptionnel: dans ses introductions, où il installe des tempi parfaits, dans ses accompagnements aussi stimulants qu’intelligents et justes dans l’esprit de la pièce. Son jeu d’une grande finesse évoque ceux de Teddy Wilson et d’Ellis Larskins. Bernard n’était pas qu’un pianiste «
stride», technique qu’il fut l’un des premiers en France à posséder dans toute sa complexité; sa connaissance de la littérature du jazz et sa maîtrise du clavier en faisait tout simplement un grand pianiste. Ses interventions en solo sont dignes des plus grands solistes. «Mood Indigo» est un joyau de cette perfection, au plan de la musicalité et du toucher d’une clarté et d’une densité formidables. Quant à ses deux faces en quartet, Bigard lui doit d’y être sublime; on comprend qu’il l’ait sollicité pour graver ce superbe «Sweet Lorraine» et son étincelant «‘S Wonderful»: le soutien d’un Fats à l’élégance française. M. Edouard Bernard était un immense pianiste: ces enregistrements lui doivent vraiment beaucoup.
En France au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le caractère festif de la musique new orleans a, peut-être, éclipsé, voire occulté la beauté intrinsèque de cette école. Or, ici Bigard et Luter jouent la musique de la musique de
Crescent City, en intimité, en communion, en l’absence de toute relation avec l’extérieur, d’où la densité extrême de ces moments superbes: jubilatoires dans «China Boy», «Struttin’», «Honeysuckle Rose» ou «C Jam Blues»; jusqu’à l’extase parfois dans l’exposition du thème de «Mood Indigo» ou le final de «Doobooloo Blues».
Une des albums les plus importants de l’histoire du jazz
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueDee Dee Bridgewater / Irvin Mayfield / The New Orleans Jazz Orchestra
Dee Dee's Feather

One Fine Thing, What a Wonderful World, Big Chief, Saint James Infirmary, Dee Dee's Feathers, New Orleans, Treme Song/Do Whatcha Wanna, Come Sunday, Congo Square, C'est ici que je t'aime, Do You Know What it Means, Whoopin' Blues
Dee Dee Bridgewater (voc), Irvin Mayfield (tp) and The New Orleans Jazz Orchestra: Bernard Floyd (tp), Ashlin Parker (tp, voc), Eric Lucero (tp), Leon Chocolate Brown (tp, voc), Michael Watson (tb, voc), David L. Harris (tb), Emily Frederickson (tb), Khari Allen Lee (as), Rex Gregory (as, cl), Derek Douget (ts), Edward Petersen (ts), Jason W. Marshall Sr. (bs, bcl), Victor Atkins (p), Don Vappie (g, bjo) , Jasen Weaver (b), Peter Harris (b), Adonis Rose (dm), Bill Summers (perc), Glen David Andrews (voc), Branden Lewis (tp), etc. + Dr. John (voc)
Enregistré du 23 au 25 mars 2014, New Orleans
Durée: 1h 07' 18''
DDB Records / Okeh 88875063532 (Sony)


Dee Dee Bridgewater est devenue une Néo-Orléanaise d’adoption, et comme on a pu le constater en France, quand Dee Dee aime, ce n’est pas à moitié… Elle consacre beaucoup de temps donc, non seulement à faire ce qu’elle sait très bien faire, chanter et animer une scène ou une séance avec un big band, comme ici, mais aussi à promouvoir tout ce qui contribue à faire que New Orleans retrouve la splendeur non seulement de son âme musicale mais que s’y développent de nouvelles initiatives à même de rendre la joie de vivre à la belle Cité du Croissant, un véritable art de vivre. De la France à la ville la plus française des Etats-Unis, il n’y avait qu’un pas et elle a rencontré un des acteurs les plus actifs de ce renouveau néo-orléanais en la personne de l’excellent trompettiste et leader, Irvin Mayfield, qui non seulement dirige plusieurs formations dont ce magnifique big band, mais aussi un club et maintenant un Jazz Market, sorte de centre culturel à l’américaine, où l’on retrouve, depuis son inauguration au printemps dernier, tout ce qu’un amateur de jazz peut souhaiter, des disques, des partitions, un auditorium… On vous en parlera mieux dès qu’un rédacteur de l’équipe l’aura visité.
C’est à cette occasion que Dee Dee et Irvin ont réalisé, pour l’inauguration, un enregistrement, au départ avec cette seule ambition. Conjoncture aidant (10 ans que l’Ouragan Katrina a dévasté la ville), mais aussi excellence de cette rencontre, l’album est devenu un vrai projet discographique, et a reçu un incroyable accueil aux Etats-Unis où il a été placé en têtes des hits du jazz. C’est donc cet album, cet orchestre et la renaissance de New Orleans qu’étaient venus nous présenter, en septembre 2015 à l’Olympia, à Paris, Dee Dee Bridgewater et Irvin Mayfield, soutenus par une opération de communication du New Orleans Convention et Visitors Bureau. Le concert fut un beau succès, d’assistance et d’atmosphère (voir notre compte rendu).
Cet enregistrement est à la hauteur de l’attente et de l’événement. Le big band néo-orléanais, peuplé de musiciens du cru de haut-niveau, dont certains sont déjà des protagonistes de premier plan du renouveau musical de la ville depuis des années (Don Vappie, Adonis Rose…) et même des stars (Bill Summers, Dr. John), tourne à merveille avec cette souplesse d’articulation, ces sonorités qui font encore du New Orleans sound un cas à part dans le jazz, aussi bien sur le plan rythmique que sur le plan du phrasé et de la sonorité. Dee Dee retrouve en cette occasion le punch et la conviction qui sont ses qualités essentielles. Avec son naturel, son exubérance qui se marient si bien à l'esprit de New Orleans, elle transpose littéralement l’amour qu’elle porte à cette ville et à sa musique, très directement, sans maniérisme. Elle possède aussi, sur scène, une énergie et un savoir-faire rares, qui en font une actrice à part entière dans la veine des grands devanciers comme Cab Calloway.
Le répertoire, de standards et de hits néo-orléanais, n’a rien de nouveau et ce n’est pas un problème car les arrangements comme l’interprétation et les interventions sont parfaits, originaux, partageant avec tous et dans l’excellence – la recette de son succès – un patrimoine, aujourd’hui commun, de l’humanité. Une bonne manière de rappeler que New Orleans lives! plus que jamais et qu’il suffit de l’exposer à la lumière pour que nouveaux bourgeons explosent de sa nature exubérante.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Fred Hersch
Solo

Olha Maria/O Grande Amor, Caravan, Pastorale, Whirl, The Song Is You, In Walked Bud, Both Sides Now
Fred Hersch (p)
Enregistré le 14 août 2014, Windham (New York)
Durée : 1h 00' 36''
Palmetto Records 2180 (www.palmetto-records.com)


Fred Hersh est un excellent artiste, pianiste classique par la culture (une dédicace est faite à Robert Schumann dans ce disque ainsi qu’à Suzanne Farrell, une grande ballerine américaine née en 1945) qui aura choisi de vivre son art et de se produire comme un artiste de jazz par l’esprit. Il a derrière lui une belle carrière et un production soutenue d’enregistrements (c’est son 10e album en solo), toujours de grande qualité, où, en véritable artiste, il joue ce qu’il a mûri, pénétré de l’intérieur, maîtrisé. Et son répertoire n’est pas exclusif: il est amateur de belles musiques, et son choix s’écarte du piano classique au jazz ou aux beaux thèmes de la musique populaire (le premier de cet enregistrement par exemple est brésilien) et des standards de jazz bien entendu.
Là, commence sa création, son apport. Il ne jouera pas comme un musicien classique, car il apporte ce qu’il est, son vécu, réharmonisera, enrichira les mélodies tout en les respectant; il apportera même quelques inflexions rythmiques dans l’esprit du jazz quand le morceau ne peut s’en passer («In Walked Bud»), et nous entendons parfois ici par exemple une manière de jouer qui fait référence à Randy Weston («Caravan»). Mais Fred Hersch ne swingue pas et le blues est absent de sa manière, son toucher du clavier appartient à une autre tradition. Ce n’est pas une incapacité technique, car c’est un grand pianiste qui pourrait «faire semblant» comme d’autres (Jarrett et Mehldau…) qui arrivent à tromper qui le veut bien par des artifices.
Fred Hersch se respecte; sa musique est de lui; c’est du très beau piano; c’est un choix artistique, humain, d’une honnêteté radicale qui fait plaisir, d’autant que ses interprétations sont toujours très touchantes de sincérité et captivantes d’inventivité, virtuoses, émouvantes, sans tromperie, sans boursoufflure de l’égo. C’est un musicien savant qui a toujours écouté les artistes avec attention, et qui sait honorer ses sources. Il précise dans la notice que, parmi ses enregistrements en solo, c’est le troisième disque en live, prévu d’abord pour ses archives personnelles, mais qui, répondant à ses critères de cœur, d’esprit et de technique (a first class recording), est ainsi publié, sans que cela ait été prévu. On ne peut mieux décrire une démarche artistique
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

La Section Rythmique
La Section Rythmique

Just a Closer Walk With Thee, Hard Times, Buddy Bolden's Blues, Elijah Rock, Saint James Infirmary, It Ain't My Fault, Girl of My Dreams, The Mooche, The Nearness of You

David Blenkhorn (g), Sébatien Girardot (b), Guillaume Nouaux (dm)

Enregistré les 4 et 5 mai 2014, Créon (33)

Durée: 43' 26''

Frémeaux & Associés 8514 (Socadisc)


Sur des thèmes «standardisés» dans les années 1950/1960 par des interprètes majeurs du jazz, les faces de cet album illustrent et revisitent toutes les formes de l’expression musicale afro-américaine du Sud au sens large du terme : de la marche funèbre – « Saint James Infirmary » (1928) – à la danse/transe ritualisée – «It Ain’t My Fault» (Smokey Johnson 1964); du negro spiritual – «Elijah Rock» immortalisé par Mahalia Jackson en 1962 – au rhythm & blues – «Hard Times» (Paul Mitchell) magnifié en 1958 par David «Fathead» Newman et Ray Charles; de la bluette – «The Nearness of You» (Hoagy Carmichael, 1937) song sublimé par le duo Ella/Louis en 1956 – au blues néo-orléanais – «Buddy Bolden’s Blues» (1923); de la romance – «Girl of My Dreams» (Sunny Clapp, 1928), transfigurée par Erroll Garner en 1956 et adaptée au gout du jour des années 60 par Etta James – à la parade – «Just a Closer With Thee» (
traditional, 1885); du jazz standard – «Night Train» (Jimmy Forrest, 1952) – au jungle style – «The Mooche» (Duke Ellington, 1929).

Mis à part les traditional et «Buddy Bolden Blues», ces thèmes, souvent révélés ou immortalisés dans/par les musical tours en Louisiane, ont été composés par des musiciens originaires du Middle-West (Jimmy Forrest, Smokey Johnson, Hoagy Carmichael…): effet de l’économie culturelle nomade aux Etats-Unis dès les années 1920.

Par ailleurs, cet album mêle intelligemment les univers sacré et profane qui habitent la tradition musicale afro-américaine; la musique jouée par ces musiciens est inspirée et sentie, profonde, même si elle conserve toujours cette part d’extraversion qui constitue un des caractères essentiels de cette tradition: gospel song joué lors des enterrements, «Just a Closer Walk With Thee», est traité avec beaucoup de sensibilité à la manière d’une danse rituelle ; et «Hard Times», qui relève du work song profane, est joué en recourant à la strette, selon la logique responsorielle de la liturgie incantatoire des chants religieux.

Certes David Blenkhorn, qui vit le jour à Tamworth en 1972, et Sébastien Girardot, né à Melbourne en 1980, sont Australiens; mais Guillaume Nouaux, qui naquit à Arcachon en 1976, est Français. Et il est remarquable que ses deux collègues océaniens aient éprouvé le besoin de s’installer, comme beaucoup d’autres, dans notre pays pour jouer cette musique de jazz. Je partage totalement l’hommage que leur rend Evan Christopher dans le livret; ce trio de musiciens a un palmarès de sidemen auprès du gratin du jazz de Crescent City tout à fait exceptionnel. Et l’on comprend pourquoi en écoutant La Section Rythmique. Car leur talent ne réside pas seulement en un «simple travail de reproduction», fût-il brillant; ils ont assimilé l’idiome musical de cette tradition au point de le faire leur et de le rendre vivant en continuant cette tradition dans une relecture innovante permanente. Par leur traitement propre, chaque pièce est une œuvre en soi et leur agencement rend l’album pertinent Les trois compères sont formidablement unis dans cet ouvrage; c’est un ensemble d’une homogénéité rare au regard du fonctionnement actuel des formations de jazz. C’est une section rythmique très soudée. On comprend ainsi pourquoi elle est si souvent sollicitée pour accompagner des musiciens aux univers jazziques si différents que Michel Pastre et Cécile McLorin Salvant. L’accompagnement est l’école de l’exigence; les musiciens s’y révèlent. Dans cet album, dont ils sont à la fois leaders et sidemen, solistes et accompagnateurs, le talent de chacun explose à tout instant.

David Blenkhorn est un guitariste assez exceptionnel. Il connait de manière évidente et approfondie la littérature de son instrument et du jazz. C’est un technicien impressionnant. Sébastien Girardot n’est pas moins brillant. Dans cet album, il joue un rôle essentiel, étant à la fois second élément rythmique et harmonique, d’une part, et deuxième voix mélodique (exposition du thème et solo dans «Hard Times»), d’autre part. Guillaume Nouaux est tout bonnement extraordinaire dans ce volume. Il joue la musique qu’il aime comme il la sent et sans retenue avec tous les moyens dont il dispose («It Ain’t My Fault») qui sont immenses. C’est un rythmicien d’exception – un des rares européens à savoir jouer les rythmes et les tempi de New Orleans – en tant qu’accompagnateur et un vrai partenaire dans le groupe. Il joue de la musique sur ses tambours avec toutes les nuances qu’on est en droit d’attendre d’un interprète.

La Section Rythmique est une œuvre jubilatoire; pour ceux qui jouent, pour celui qui écoute. L’auditeur est à chaque instant sollicité, dans sa curiosité comme dans son intelligence; ces trois gars font découvrir et redécouvrir la musique américaine dans sa diversité complexe mais également et plus spécifiquement l’entièreté composite de la civilisation du jazz dans sa branche afro-américaine: de sa sociologie et son histoire à ce qui fait sa spécificité musicale, le swing.
Félix W. Sportis
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David Sanborn
Time and the River

A la Verticale, Ordinary People, Drift, Can’t Get Next to You, Oublie-moi, Seven Days Seven Nights, Windmills of Your Mind, Spanish Joint, Overture
David Sanborn (as), Roy Assaf (p, key), Marcus Baylor (dm), Javier Diaz (perc), Marcus Miller (b), reste du personnel détaillé dans le livret
Enregistré à Brooklyn, date non précisée
Durée: 42' 24’’
Okeh 88875063142 8 (Sony Music)


C’est par «A la verticale», une composition de la Parisienne Alice Soyer et de Sylvain Luc que débute ce CD. Au cœur du disque on trouve aussi «Oublie-moi». Dans cette dernière Sanborn et son saxo alto, hors du jazz, offre l’ambiance poétique, sensuelle, chère à Alice, en jouant cool et en laissant traîner les notes. La délicatesse du clavier de Roy Assaf contribue à l’atmosphère. «A la verticale» est plus dynamique avec deux sax, trompette et trombone, un travail percussif plus marqué et une belle participation d’Assaf. Deux thèmes sont de Sanborn lui-même. «Drift» joué en quintet (as, key, b, perc. dm) apparaît comme une sorte de ballade, de complainte, prise très slow tandis que pour «Ordinary People» le saxophoniste lance son armada avec Rhodes, Hammond B3, trombone, clarinette, sax, etc., mais le morceau, même avec un ton latino, conserve une nonchalance qui finit par peser. Le même ton se poursuit par «Seven Days, Seven Night» de l’autorité de Marcus Miller. La voix de Lary Braggs dans le funky «Cant’Get Next to You» plaira peut-être davantage aux amateurs de jazz/blues tout comme les «Moulins de mon cœur / Windmills of Your Mind » et la superbe voix de Randy Crawford. David Sanborn se coule dans l’ambiance tout comme l’accompagnement de Diaz qui s’illustre également sur «Spanish Joint», un thème bien plus dynamique avec un bon groove. Le thème final «Overture», en duo Sanborn-Assaf, reste dans cette mélancolie que l’on trouve tout au long du disque.
Finalement un disque qu’il faut consommer en plusieurs fois pour ne pas se lasser mais que l’on ne peut raisonnablement pas ranger dans les bons disques de bon jazz.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAaron Goldberg
The Now

Aaron Golberg (p), Reuben Rogers (b), Eric Harland (dm) + Kurt Rosenwinkel (g)
Trocando em miudos, Yoyo, The Xind in the Night, E-Land, Perhaps, Triste Baía da Guanabara, Background Music, Francisca, One’s a Crowd, One Life
Enregistré en 2009, Stalden (Suisse) et en 2014, New York
Durée: 53' 22''
Sunnyside 1402
(www.sunnyside.com)


Superbe disque! Utilisant le format du trio dans sa conception la plus traditionnelle  avec une section rythmique de talent (et le non moins talentueux guitariste Kurt Rosenwinkel sur le dernier thème),  rodée par quinze années de vie musicale partagée; Goldberg  propose un jazz renouant fortement avec le classicisme d’un Evans par exemple.
S’appuyant sur ses deux partenaires qui assurent parfaitement leur rôle, le pianiste est brillant, virtuose sans excès. Sur des tempi lents le trio dégage de la sérénité, de la spontanéité, du lyrisme et swingue  («Perhaps» en particulier) comme le jazz l’exige. Les trois partenaires jouent détendus et les soli de chacun s’enchaînent sans rupture au sein des morceaux. Le répertoire, éclectique, va du Brésil à Charlie Parker en passant par le folklore d’Haïti et les propres compositions de Goldberg. Ces compositions de Goldberg  sont les plus récemment enregistrées (2014). Dans « The Wind in the Night » Goldberg est le seul à s’exprimer, Rogers et Harland veillant à mettre le pianiste en évidence. Le court « E-Land » offre du dynamisme, le drummer est valorisé. A chaque phrase de «Francisca» on attend une voix… mais non le morceau est purement instrumental. Les balais de Harland contribuent à l’atmosphère feutrée. «One’s  a Crowd» avec un jeu plus percussif du pianiste est gorgé de swing et laisse un espace à l’expression personnelle de la contrebasse et de la batterie. Les autres thèmes étaient depuis plus de cinq ans en stand by. «Trocando» se déroule comme une marche majestueuse; «Yoyo» rythmé est parsemé de breaks. Du nostalgique «Triste Baía da Guanabara» émerge un beau solo de contrebasse. Pour «Back Ground Music» le trio prend un tempo d’enfer! Malgré le temps séparant les deux dates d’enregistrement The Now possède une unité car les thèmes d’auteurs sont bien assimilés et rendus avec personnalité, donnant une homogénéité à presque tout l’ensemble. Presque car l’introduction de la guitare sur «One Life» marque une rupture compte tenue de l’intervention de Rosenwinkel dont la guitare sonne parfois comme une flûte! Il est en effet la voix  principale du thème, le piano s’effaçant dans l’accompagnement, mais c’est ainsi que Goldberg a entendu «One Life» en le composant.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Stan Gtetz
The Quintessence. Volume 2

Titres et personnels détaillés dans le livret
Dates et lieux d’enregistrement détaillés dans le livret
Durée : 1h 12' 48'' + 1h 10' 52''
Frémeaux & Associés 3061 (Socadisc)


Ce coffret fait suite au premier volume (1945-1951) et propose un ou deux thèmes (les meilleurs en principe) des principaux disques du saxophoniste Stan Getz couvrant la période 1953-1958. Après une époque californienne, puis ses passages au Storyville à Boston, Getz fait une «pause studio» dont les conséquences vont être très bénéfiques. Dans la foulée de sa participation au 25e anniversaire de Duke Ellington au Carnegie Hall, il enregistre en quintet à New York. «You Turned the Tables on Me» fait partie de cette session. Puis Stan retourne sur la Côte Ouest et, entre les jams au Lighthouse ou au Zardi’s et les tournées, il enregistre dans les studios de Los Angeles. De nouveau en quintet on découvre deux titres où figure l’excellent tromboniste Bob Brookmeyer que Stan a amené avec lui, «The Nearness of You» et «Pernod», chargés en swing.
«I Don’t Mean a Thing» (1953): treize minutes de régal. Les deux premiers titres étaient  plutôt cool mais cette fois avec le disque Diz & Getz with The Oscar Peterson Trio le saxophoniste se mêle aux grands boppers : Dizzy Gillespie (tp), Max Roach (dm), Oscar Peterson (p), Ray Brown (b), Herb Ellis (g) complètent le plateau. Stan répond à son aîné Diz sans jamais se soumettre, et l’association du trompettiste et du ténor fonctionne à merveille. Elle est encore meilleure trois ans plus tard lorsque Diz, Brown, Ellis reviennent avec Sonny Stitt (as), John Lewis (p) et Stan Levey (dm). Il en sort un bebop assez fou dans lequel Stitt cherche à tirer les marrons du feu… mais non, ce sont bien Stan et Gillespie – qui font preuve d’un mutuel  respect – les acteurs principaux. Max Roach est resté à L.A et récidive avec le quartet du saxophoniste : «Down by the Sycamore Tree» est une jolie ballade. Le batteur revient un an plus tard (1955). Les partenaires de Getz ne sont plus les mêmes et on découvre le remarquable Lou Levy (p) que Stan Getz va beaucoup apprécier et appeler dans ses formations. Les deux thèmes proposés sont très éloignés. «Shine» avec la trompette de Conte Candoli swingue. «A Handful of Stars », courte ballade, montre que Levy, bien qu’issu de Chicago, a su profiter en Californie de ses passages chez Woody Herman puis Shorty Rodgers. Levy a déjà collaboré avec Getz quelques jours avant lors de l’enregistrement que ce dernier réalise avec Lionel Hampton. Ils sont accompagnés par le batteur incontournable du west coast, Shelly Manne, et un bassiste non moins important Leroy Vinnegar, tous les deux s’adaptant facilement au jeu de vibraphoniste. Levy offre  un swing superbe sur «Cherokee». Hampton va crescendo jusqu’à se montrer déchaîné – comme souvent – et choisit alors de proposer, sans se calmer, un sensationnel dialogue avec le saxophoniste qui se prolonge trois bonnes minutes, ponctué d’interjections des musiciens qui jubilent!
A la fin de 1955, Stan Getz voyage en Suède et invite trois jazzmen autochtones pour enregistrer. Il en sort un surprenant «Over the Rainbow». On écoute ensuite trois thèmes en quartet, issus de l’album The Steamer. La section rythmique (Levy, Levey et Vinnegar) impressionne  sur «There’ll Never Be Another You» mais est bien tenue de le faire pour être à la hauteur de Stan qui mène un train d’enfer durant neuf minutes. Ce morceau contient de beaux échanges entre Getz et Levy et entre ce dernier et Levey. La suite est sur le second CD. «Blues  for Mary» est la première composition de Getz proposée dans cette Quintessence. Est-elle dédiée à son grand problème, la marijuana ou peut-être à la secrétaire de Norman Granz. L’interprétation regorge d’idées et de belles phrases. Le quartet enchaîne avec la jolie ballade « You’re Blasé ». Stan Getz  fait une infidélité à L.A. pour enregistrer The Soft Swing à New York, ce qui nous permet de l’écouter  avec un quartet différent  sur une autre composition personnelle «Down Beat». Interprétation très standard, pas de virtuosité, de chorus endiablés, ni de fioritures mais du bon jazz.
Oscar Peterson et son trio reviennent à Los Angeles en 1957 et Stan en profite. Il commence  avec le trio auquel il adjoint  Connie Kay (dm) et Jay Jay Johnson (tb), coleader, et se produit lors d’un concert, enregistré, dont sort une  très bonne version de «My Funny Valentine». C’est vivant et les interventions, parfaitement en symbiose, des deux hommes sont appréciées du public. Extraite du même concert on apprécie «It Never Entered My Mind». Cette fois Getz est à la barre. Peut-être une des plus belles ballades de Stan. Trois jours plus tard le saxophoniste se remet au travail en studio avec le trio. Contrairement à la première opportunité de 1953, l’enregistrement se fait sans batteur et l’on a encore le privilège d’écouter une superbe ballade, «I’m Glad There Is You», permettant de goûter la beauté du son que Getz sait faire surgir de son ténor. Herb Ellis offre également de bonnes interventions. Vraisemblablement le lendemain de cet enregistrement, Stan est invité par le même Ellis qui a en outre rassemblé dans le JATP all-stars Roy Eldridge (tp), Ray Brown et Stan Levey.  «Tin Roof Blues» est issu de cette session. Evidemment, la guitare et la trompette se sont mis successivement en évidence puis Getz intervient. C’est assez linéaire mais on y apprécie le son de chacun. Le jour suivant, Getz, gardant Levey et Brown rappelle Lou Levy pour inviter Gerry Mullignan (bs). Le coffret présente deux thèmes émanant de cet enregistrement capital. Entre Stan et Gerry c’est un véritable corps à corps… On  trouve de tout dans «This Can’t Be Love», improvisation conjointe, soli, dialogues, fantaisie… Cela tient de la jam-session. «Ballad» composition attribuée (à tort pensons-nous) à Getz permet aux deux hommes de calmer leurs ardeurs et de s’attacher à la mélodie en faisant couler lentement le meilleur de leurs instruments. Au risque de se répéter (mais cela prouve que l’on a bien là la Quintessence de Stan Getz) c’est du bonheur. 1958: Stan Getz et Chet Baker (tp) ne s’apprécient pas vraiment; pourtant les talents de négociateur de Norman Granz suffisent à convaincre le second d’enregistrer avec le premier et la session se passe à Chicago. Ni  Stan ni Chet n’offrent une prestation exceptionnelle. On assiste à une espèce de bagarre musicale sur un tempo  effréné que ne laissait pas présager les premières mesures de «Half Breed Apache» (composition de Getz), toute en délicatesse! Finalement c’est Getz qui déclenche un petit quart d’heure d’hostilités. Le coffret s’achève sur l’enregistrement de  Stockholm de septembre 1958. Getz réunit ses Swedish Jazzmen parmi lesquels Lars Gullin (bs) un excellent musicien de formation classique, passionné de jazz, partenaire dans des tournées européennes de Chet Baker, Zoot Sims, Lee Konitz, etc. Gullin écrit  «Stockholm Street». Il faut relever dans la formation la présence du trompettiste Benny Bailey, un Américain  installé en Suède à ce moment-là, partenaire de Diz pour le célèbre concert de la salle Pleyel. Du très classique. Getz s’exprime seul, les six Suédois n’assurant que l’accompagnement sur ce thème. Comme l’indique le livret, signé d’Alain Tercinet, le coffret se clôt alors que Stan Getz n’a que trente et un ans; certes avec quinze ans de carrière. Il est à la moitié de sa vie. Cela donne une idée de l’envergure de ce jazzman que ses détracteurs devraient réécouter.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Serge Merlaud / Jean-Pierre Rebillard
Bear on a Tightrope

Françou on My Mind, Bear on a Tightrope, Peau douce, Allô Romain*, Deep Passion*, Un verre de graves pour Françou, Anaïta, Dorémifanny, Kalimàt, No Way*, L'eau qui dort*
Serge Merlaud (g), Jean-Pierre Rebillard (b),
Claude Braud (ts)*
Enregistré les 11 et 12 juin 2014, Epinay-sur-Orge (91)

Durée: 45’ 58’’
Black & Blue 799.2 (Socadisc)

Que voilà un album original et attachant. Bien que l’œuvre de «vieux de la vieille», c’est une agréable «Découverte», même s’il n’est pas classable. C’est une belle conversation entre deux musiciens, le guitariste Serge Merlaud et le contrebassiste Jean-Pierre Rebillard, auxquels vient se joindre, sur quatre titres, le saxophoniste Claude Braud. Les amateurs de jazz ne sont pas habitués à les entendre dans un tel registre. Neuf de ces onze pièces, dont cinq composées par Jean-Pierre Rebillard et quatre par Serge Merlaud, les autres l’ayant été par Steve Swallow et Lucky Thompson, ne relèvent pas de l’idiome du jazz. La musique n’en étant pas moins superbe; et l’on se laisse rapidement envouté par l’ambiance intimiste de cette réflexion à plusieurs voix («Un verre de graves pour Françou»). Ressortent de cet ouvrage les versions de «Peau Douce» (Swallow), dans laquelle la délicatesse de Merlaud, dont la musicalité évoque Charlie Byrd, et la subtilité de Rebillard font merveille, et «Deep Passion» (Thompson) où la sensibilité de Braud s’épanouit dans une élégance réservée de bon aloi.
Un bel album à écouter au coin du feu.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Miguel Zenón
Identities Are Changeable

Miguel Zenón, (as), Luis Perdomo (p), Hans Glawischnig, (b), Henry Cole (dm), Will Vinson, Michael Thomas (as), Samir Zarif, John Ellis (ts), Chris Cheek (bs), Mat Jodrel, Michael Rodríguez, Alex Norris, Jonathan Powell (tp), Ryan Keberle, Alan Ferber, Tim Albright (tb)
De donde vienes?, Identities are changeable, My Home, Same fight, First language, Second generation Lullaby, Through
Culture and Tradition, De donde vienes?
Enregistré les 18 et 19 mars 2014, New York et en 2011, La Havane (Cuba)
Durée: 75’
Miel Music (www.miguelzenon.com)


Dans une très antérieure chronique nous avions souligné l’intérêt que montre Zenón, à travers sa Caravane Culturel, à diffuser le jazz dans les plus petits villages de son l’île, Puerto Rico. Aujourd’hui Zenón est plongé dans des recherches identitaires et s’attache au mouvement migratoire qui depuis plusieurs générations entraîne ses compatriotes vers les Etats-Unis. Les Portoricains constituent à New York une colonie de plusieurs millions de personnes. Ce disque assez étrange ne ressemble en rien à ce que l’on a l’habitude d’écouter. Miguel Zenón se livre à de nombreuses interviews de ces Portoricains vivant dans la gran manzana. Il les questionne sur leurs liens actuels avec Puerto Rico, leur façon de vivre etc... et superpose ces interviews sur les huit thèmes qu’il compose spécialement pour ce projet et dont les titres font référence à ces interviews.
Le quartet de Zenón et le Identies Big Band apparaissent donc en arrière plan chaque fois que les interviews se superposent à la musique. Les thèmes – à l’exception de l’introduction et de la conclusion – excédant les dix minutes on peut quand même percevoir le jazz de Zenón et de ses partenaires, percutant, au sein de laquelle éclatent les trois trombones, à la manière de certaines formations latines aux Etats Unis à l’apparition de la salsa. Toutefois Zenón les équilibre avec le pupitre des saxos et des trompettes. L’ensemble est donc puissant avec toute cette armada de metales. En filigrane très discret apparaissent les bases de la musique portoricaine historique, la plena, peut-être la bomba apportant une référence à la latinité correspondant aux personnes interrogées.
Ce disque s’adresse aux découvreurs de mystères… car pour connaître Zenón, d’autres disques sont plus à conseiller
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Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Hetty Kate
Dim All the Lights

The Thrill Is Gone, In the Still of the Night, Bewitched, Bothered and Bewildered, Answer Me, My Love, Why Don't You Do Right ?, Cry Me a River, Something Cool, Wives and Lovers, I Get Along Without You Very Well
Hetty Kate (voc), James Sherlock (g), Sam Keevers (p), Ben Robertson (b), Danny Farrugia (dm)
Enregistré le 15 mars 2013, Melbourne (Australie)
Durée: 40' 50''
ABC Jazz 378 2335 (www.hettykate.com)

Gordon Webster / Hetty Kate
Gordon Webster Meets Hetty Kate

Button Up Your Overcoat***, Blitzkrieg Baby, Peek-a-Boo, Shoo Fly Pie & Apple Pan Dowdy, How D'ya Like to Love Me ?, Eight, Nine & Ten, There's Frost on the Moon*, Busy Line, Sweet Lover no More, I Wanna Be Around, Hard Hearted Hannah, Bésame Mucho**, I Lost My Sugar in Salt Lake City****
Gordon Webster (p), Hetty Kate (voc), Mike Davis (tp), Cassidy Holden (g), Rob Adkins (b), Kevin Congleton (dm) + Joseph Wiggan (tap dancing), Shannon Barnett (tb)*, Adrien Chevalier (vln)**, Adam Brisbin (g)***, Evan Arntzen (cl)****, reste du personnel détaillé dans le livret
Enregistré en septembre 2013, New York
Durée: 49' 03''
Autoproduit
(www.hettykate.com)


En juin 2015, nous étions tombés sous le charme de la pétillante Hetty Kate, qui se produisait au Caveau de La Huchette (Jazz Hot n°672). Une rencontre à l'occasion de laquelle ses deux derniers albums en leader, enregistrés durant l'année 2013, à quelques mois d'intervalle, nous sont tombés sous la main. Originaire de Hampshire, en Angleterre, mais élevée en Australie, Hetty Kate vit à Melbourne. Elle appartient donc à cette scène lointaine jazz océanique dont nous avons quelques échos de temps en temps (Joe Chindamo, Jazz Hot n°596) et aussi quelques représentants qui ont leur rond de serviette dans les clubs parisiens : Chris Cody (p), Dave Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b) ou encore Wendy Lee Taylor (voc).
Dim All the Lights
est un album de ballades qui s'ouvre avec un «The Thrill Is Gone» joliment mélancolique et qui capte d'emblée l'oreille. La voix sensuelle de Miss Kate évoque le timbre de Peggy Lee, avec un phrasé qui épouse le swing. L'accompagnement du piano («In the Still of the Night») comme de la guitare («Bewitched, Bothered and Bewildered», sobre et élégant, met parfaitement en valeur la chanteuse. Les subtiles variations d'un titre à l'autre maintiennent notre intérêt de bout de bout : des ballades certes, mais les couleurs sont différentes entre «Why Don't You Do Right?», «Cry Me a River» ou «Wives and Lovers». Un disque très plaisant.
Sur le second opus, Hetty Kate partage l'affiche avec le pianiste Gordon Webster, émule canadien de Fats Waller, installé à New York. La rencontre des deux, sous le signe du swing, est des plus réjouissantes ! Webster et Kate nous embarquent dès le premier titre, «Button Up Your Overcoat» et nous convient à une joyeuse évocation du jazz des années trente et quarante, convoquant même un danseur de claquettes sur «Shoo Fly Pie & Apple Pan Dowly». Rien n’est artificiel ni ringard : on a affaire à de bons musiciens qui maîtrisent leur style (le groupe se révèle particulièrement alerte sur Eight, Nine & Ten» et sur «There's Frost on the Moon». Hetty Kate, portée par l’ensemble, est délicieuse sur «Peek-a-Boo», drôle sur «Busy Line», romantique sur «Hard Hearted Hannah» dévoilant ainsi une palette assez large. On ne peut que souhaiter la voir revenir bientôt sous nos climats pour profiter en scène de ses atours vocaux.
rôme Partage
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueFrederic Borey
Wink

Witchcraft, Bess You Is My Woman, You Don’t Know What Love Is, My Man’s Gone Now, Our Love Is Here to Stay, Get Out of Town, I Hear Music*, Blues in Green, Boplicity
Frederic Borey (ts, arr), Michael Felberbaum (g, arr*), Leonardo Montana (p), Yoni Zelnik (b), Fred Pasqua (dm) + Gildas Boclé (b)
Enregistré les 7 et 8 juin 2015, Videlles (91)
Durée : 58' 46''
Fresh Sound New Talent 486 (www.fredericborey.com)


Le clin d’œil de Frederic Borey passe, dans ce nouvel enregistrement, par une relecture de standards parmi les plus connus, revus au filtre d’une filiation hendersonienne (Joe), avouée dans les quelques notes de pochette. Les influences et admirations de Frederic Borey, né en 1967, ne s’arrêtent bien sûr pas là, et s’il est aujourd’hui mis en valeur par le label New Talent (Fresh Sound) de l’excellent Jordi Pujol, ne vous y trompez pas, c’est un musicien expérimenté, diplômé, enseignant lui-même, qui a déjà côtoyé d’excellents partenaires depuis plus de vingt ans sur les scènes du jazz. La présence de Gildas Boclé sur le premier thème, le soutien de Jerry Bergonzi et Lionel Loueke dans les notes de livret, confirment ce statut de musicien reconnu et expérimenté, et la musique jouée vient confirmer cette présentation rapide.
Nous évoquions l’influence de Joe Henderson, et elle est en effet marquante dans cette manière de diffuser un voile aérien de réharmonisations sur toutes les compositions pour créer un véritable univers, captivant. La sonorité même de ténor de Frederic Borey n’est pas sans rappeler l’élégance du regretté et grand saxophoniste de Lima (Ohio). Ses héritiers ne sont pas si nombreux, et c’est donc un plaisir supplémentaire de cet enregistrement.
On apprécie l’apport du très bon Michael Felberbaum, guitariste américain né à Rome et qui vit son actualité jazzique à Paris, tout à fait dans l’esprit de cette musique, particulièrement sur le très réussi « Our Love Is Here to Stay », et le soutien d’un Fred Pasqua à son aise dans cet univers, apportant juste ce qu’il faut avec délicatesse.
Les relectures métamorphosent plus ou moins les standards, mais dans l’ensemble, ce qui est remarquable est l’unité du ton, la création d’un ensemble musical à la personnalité certaine, à la tonalité originale, une construction d’une séance cohérente dans laquelle on s’immerge progressivement, conclue sur un « Boplicity » enlevé et joyeux : un cheminement qui contribue à faire de ce disque un excellent moment musical.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueLucy Dixon
Lulu's Back in Town

No Strings, Undecided, Shall We Dance, Lulu’s Back in Town*, Running Wild, Living in a Great Big Way, Get Happy*, Fascinating Rhythm, Darling je vous aime beaucoup, It Don’t Mean a Thing, After You’ve Gone, Nagasaki, When Somebody Thinks You’re Wonderful, When I Get Low I Get High, Me Myself and I
Lucy Dixon (voc, tap dance, dm), Samy Daussat (g), David Gastine (g), Sébastien Gastine (b), Laurent de Wilde (p), Steve Argüelles (dm, perc) + Umlaut Big Band* : Pierre Antoine Badaroux (as, arr), Louis Laurein (tp) Geoffroy Gesser (ts, cl), Fidel Fourneyron (tb)
Enregistré en mai 2014, Juillaguet (16)
Durée : 36' 38''
SideStreet Music (www.thelucydixon.com)


Lucy Dixon est anglaise, elle danse (les claquettes), elle possède un excellent drive, et comme vous pourrez l’entendre sur ce disque, sans trop de moyens apparents, elle a su réunir autour d’elle une bonne section dans l’esprit de Django, avec les excellents frères Gastine, et un Samy Daussat, toujours aussi brillant guitariste de cette tradition, augmentée quand il le faut de Steve Argüelles, qui produit le disque, et d’une section de cuivres.
Son répertoire va des standards à la tradition de Broadway, le tout marqué par l’empreinte de Django, à cause de Paris et du choix des musiciens qui l’accompagnent, et cela donne une résultat musical de belle facture. Lucy possède sur disque, nous ne l’avons pas écouté en live, une vraie personnalité, une belle voix juste, un phrasé swing ce qu’il faut pour ce registre et pose les paroles avec une vraie connaissance de ce répertoire. La mise en place est réussie, les musiciens connaissent leur Django sur le bout des doigts et en donnent une belle illustration tout au long de ce bon enregistrement.
Donc, ce qui pourrait paraître pour un disque promotionnel de plus, dans une présentation économique, en dépit d’une photo sympa et des renseignements de base, est en fait très prometteur, et mérite une attention certaine d’où le plaisir n’est pas exclu. Il évoque tout aussi bien la grande tradition populaire américaine que la tradition française marquée par Django. En direct, les claquettes ne seront pas non plus à dédaigner, car la dame semble se débrouiller parfaitement (« Nagasaki »). Donc si vous croisez ce groupe sur votre route, allez l’écouter et vous pourrez même conserver un souvenir de la bonne soirée
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Frank Catalano / Jimmy Chamberlin
Love Supreme Collective

Acknowledge of Truth, Resolution of Purpose, Pursuance and Persistence, Psalm for John
Frank Catalano (ts, ss), Jimmy Chamberlin (dm), Chris Poland (g), Adam Benjamin (key), Percy Jones (b)
Enregistré en 2012 et 2013, Chicago
Durée : 22'
Ropeadope 13833 (www.ropeadope.com)


Frank Catalano / Jimmy Chamberlin
God's Gonna Cut You Dawn

Shakin, Karma, Expressions (for John Coltrane), Tuna Town, God’s Gonna Cut You Down, Big Al’s Theme and Soul Dream
Frank Catalano (ts), Jimmy Chamberlin (dm), Demos Petropoulos (org), Scott Hesse (g), Eddie Roberts (g), Mike Dillon (vib)
Enregistré en janvier et février 2015, Chicago
Durée : 41' 05''
Blujazz 3434 (www.blujazz.com)


Handicapé par un accident, Frank Catalano reste toute l’année 2011 sans pouvoir s’exprimer musicalement. Il passe et repasse sans cesse la musique de John Coltrane qu’il a toujours aimée (voir notre interview dans ce numéro). Coltrane et l’album Love Supreme lui permettent de maintenir son cerveau en ébullition. Il ne pense alors qu’à rendre hommage à John et conçoit Love Supreme Collective. Catalano appelle pour cela son ami de longue date Jimmy Chamberlin qu’il considère comme le batteur adéquat pour son projet. Jimmy lui fait penser à Elvin Jones. Il invite également le bassiste Percy Jones, une vieille connaissance. Tous les trois s’enferment dans un studio pour enregistrer quasiment en live. Les parties de guitare sur « Psalm for John » et de clavier sur le premier thème et sur « Pursuance and Persistance » seront ajoutées par la suite après un long et méticuleux travail. Le disque ne constitue pas une reprise des quatre thèmes même si le saxophoniste attribue à ses quatre compositions les mêmes titres que celles de Coltrane. Ce que l’on retrouve, c’est la manière d’envisager le jazz, l’esprit, l’élan vital tout en notant que Catalano laisse percer sa propre personnalité, chacun des thèmes exprimant un sentiment différent. « Acknowlegment of the Truth » reste dans le même mode que celui de Coltrane. On retrouve la puissance de Coltrane, sa rapidité, mais avec un son qui frappe de plein fouet. Il ne faut pas aller chercher davantage de rapports avec le disque de Trane. Frank réalise bien un travail personnel exprimant sa propre intériorité du moment et c’est ce qui en fait son intérêt. Les choix sont d’ailleurs différents pour les trois autres compositions et l’écriture musicale est réalisée en fonction de ces sentiments. Dans « Resolution of Purpose », assez court, avec un son du ténor plus rond, moins agressif que pour le premier thème l’ambiance générale est plus nostalgique. « Pursuance and Persistence » comme chez Coltrane débute par la batterie mais ici le saxo entre de manière très précoce et reprend la violence et l’agressivité du premier thème. Là encore Frank Catalano impose une rapidité extrême. Il ouvre la porte au free jazz. Très vite le saxophoniste entraîne ses partenaires et les pousse à une grande vélocité. Chamberlin se déchaîne pour se mettre dans le tempo. Il démontre ses aptitudes au jazz, lui qui promène l’étiquette Smashing Pumkins. Le « Psalm » de John devient chez Catalano « Psalm for John ». Les effets offerts par Chris Poland et sa guitare donnent parfaitement le ton psalmique du morceau. Cette fois Frank joue plus cool, laisse trainer les notes. Ce qu’il a pu percevoir dans la musique religieuse lors de sa toute première jeunesse remonte en surface dans ce thème d’une grande beauté pour lequel le batteur se coule dans un moule différent. Co-leader de l’enregistrement Jimmy Chamberlin a un rôle fondamental à chaque fois. Il apporte une sonorité personnelle sur laquelle s’appuie parfaitement Percy Jones. Ils offrent à eux deux une base ferme pour le saxophone de Frank Catalano. Le travail de Chamberlin, bien que Catalano valorise sa proximité avec Jones, nous semble toutefois s’en éloigner malgré une énergie assez proche dans le premier thème. Jones est plus souple, moins brutal que Chamberlin dont la tonalité est sèche et le jeu explosif. Un choix de matériel sans doute aussi. Notons aussi que Chamberlin, jazzman au départ puis rocker et de nouveau jazzman, parvient dans ce périple musical à garder son identité.
God’s Gonna Cut You Down
rompt radicalement avec le Love Supreme Collective. L’objectif pour Catalano et Chamberlin étant de déposer sur disque la musique qu’ils jouent de manière plus régulière en clubs et en concerts. Catalano choisit le vieux thème de blues « God’s Gonna Cut You Down » que la version de Johnny Cash a toujours captivé. Frank et Jimmy s’accordent pour doubler le tempo original. Ce dernier apporte un groove funky et le Hammond B3 et la guitare maintiennent le fond blues du thème. C’est une des rares (peut-être la seule) reprise du thème par un jazzman. Tous les autres thèmes sont des compositions de Frank Catalano. « Big Al’s Theme and Soul », « Shakin » sont en 4/4 et appartiennent à un répertoire antérieur à la venue de Chamberlin. « Shakin » est marqué par la vélocité du saxophone. La batterie y apporte son groove particulier et s’illustre abondamment dans les soli. Le son de Petropoulos face au Hammond B3 souligne parfaitement le travail du batteur. « Karma » possède des caractéristiques proches. Sur « Tuna Town » Jimmy et Frank mettent aussi en valeur Petropoulos. Dans « Expressions », dédié à Coltrane, Catalano retrouve un peu le jeu déployé dans le premier disque avec la même vélocité, à peine moins d’agressivité. Chamberlin soutient le solo du Hammond. Ça groove encore comme dans « Tuna Town » ! Le solo de batterie permet de bien percevoir la sonorité spéciale, très sèche que montre Chamberlin dans le premier disque. « Big Al’s Theme and soul » intègre à peu près tout ce qu’offrent les autres compositions, un gros son du ténor, de la puissance, de la rapidité, du groove, un feeling un peu rock. Ce thème conclue le disque d’un musicien à découvrir car jusqu’ici sa présence en France a été trop rare.
Patrick Dalmace
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueAndy Emler MegaOctet
Obsession 3

Tribalurban 1, Doctor solo, Trois total, Balallade 2, La Megaruse, Tribalurban 2, Die coda
Andy Emler (p), Philippe Sellam (as), Guilaume Orti (as), Laurent Dehors (ts), François Thuillier (tba), Laurent Blondiau (tp), Claude Tchamitchian (b),Eric Echampard (dm), François Verly (perc, marimba)
Enregistré les 16 et 17 décembre 2014, Pernes-les-Fontaines (84)
Durée : 55' 30''
Label La Buissonne RJAL397024 (Harmonia Mundi)


Ce qui prime chez Andy Emler c’est l’écriture, donc l’expression du groupe comme un instrument global. Et dans cet Obsession 3, les morceaux semblent écrits en forme de concertos avec des cadences improvisées par les solistes, mais dont les solos s’insèrent parfaitement dans l’arrangement. Je veux dire que ce n’est pas un solo pour lui-même, ce qui est souvent le cas, et est tout aussi jubilatoire quand le soliste est bon. Par exemple « Doctor solo » est un concerto pour tuba et MegaOctet, qui me fait assez penser, dans sa conception, au « Concerto for Cootie » de Duke Ellington. Et les interventions du tuba sont de toute beauté. On a parfois des ensembles riches d’unissons très travaillés d’où éclatent les solos, « Trois total » avec les sopranos et la trompette, ou encore « Balallade 2 » avec des unissons allant crescendo comme lorsqu’on s’approche d’une cascade, avec un long et riche solo de trompette, et un solo de basse très tendre. Il y a des ruptures de tempos, de rythmes et d’atmosphères qui titillent l’écoute. « La Megaruse » s’ouvre sur une petite merveille de duo contrebasse-batterie sur lequel se greffe le piano, puis le ténor rageur sur tempo rapide, puis tout finit dans le calme et les aigus doux du ténor (un exploit) avec piano et orchestre. « Tribalurban 2» démarre par une intro du batteur pour s’ouvrir sur un long délire saxophone calmé par le piano et les tenues de l’orchestre. Le disque se termine par « Die coda », un dialogue entre l’orchestre et le piano. Attention après un long silence le piano plaque un dernier accord bref.
Le MegaOctet poursuit son chemin sur les hauteurs du jazz, un jazz certes savant, mais tout aussi roboratif.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Christian Brazier Quartet
Septième vague

D’Août, La Tête dans les étoiles, Sur le sentier de la guerre, Le Lac Majeur, Septième vague, French Riviera, J’sais pas quoi faire, Faux bond, Tex-Mix, Les Pieds sur terre
Christian Brazier (b), Perrine Mansuy (p), Christophe Leloil (tp), Dylan Kent (dm)
Enregistré les 27 et 28 février 2014, Pernes les Fontaines (84)
Durée : 50' 15''
ACM Jazz Label 63 (Socadisc)


Le contrebassiste compositeur et chef d’orchestre Christian Brazier nous revient en disque après cinq ans d’absence. En effet son dernier disque, Circumnavigation, date de 2010, disque au sommet. On reste sur la mer avec cette Septième vague ; rappelons que Brazier fut marin. Septième vague c’est aussi un festival à Brétignolles, qui n’a rien à voir avec le jazz et un roman de Daniel Glattauer qui la définit comme suit : « Les six premières sont prévisibles. Elles se suivent, se forment l’une sur l’autre, n’amènent aucune surprise. La septième vague est longtemps discrète. Elle s’adapte à celles qui l’ont précédée, mais parfois elle s’échappe. La septième vague remet tout à neuf. Pour elle, il n’y a pas d’avant, mais un maintenant. Et après, tout a changé ! » Serait-ce aussi une définition de ce qui fait l’évolution du jazz ? Est-ce cette idée qui a inspiré Christian Brazier dans le choix du titre et l’écriture de sa musique ? En tout cas il retrouve ici deux de ses compagnons depuis 2007, Perrine Mansuy et Christophe Leloil, auquel est venu s’ajouter un nouveau batteur, l’Australien Dylan Kent, qui sait tricoter des baguettes sur la caisse claire et la charleston ; bon soutien et bien intégré.
Dès le premier morceau, après une intro du piano lumineux de Perrine, on retrouve le phrasé dansant des mélodies et des ensembles de Brazier. Et la trompette de Leloil éclate. Il se taille d’ailleurs la part du Lion dans ce disque. Il a ainsi loisir de développer toute l’étendue de son jeu, essentiellement mélodique, comme d’ailleurs tous les membres du quartette. Il y a parfois un aspect assez funky, surtout de la part du batteur. A noter que les solos de contrebasse sont tous empreints d’une douceur nouvelle chez Brazier, avec une certaine mélancolie, la basse chante comme un souffle d’amour.
Une rupture très agréable dans le disque avec « Tex-Mix » sur un rythme façon salsa, dans lequel Leloil fait merveille à la trompette bouchée, où la pianiste se montre très à l’aise et inspirée sur ce genre de rythme, le tout avec une excellente cohésion du quartette.
Dans ce disque-ci Brazier (auteur de tous les thèmes) laisse essentiellement le champ libre aux solistes. Pas d’esbroufe, pas d’exploits virtuoses, de la musique, et de la mélodie avant toute chose. Une parenthèse enchantée.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disquePierre de Bethmann
Essais / Volume 1

Promise of the Sun, Sicilienne, Indifférence, Beautiful Love, For Heaven’s Sake, La Mer, Chant des marais, Without a Song, Pull marine
Pierre de Bethmann (p), Sylvain Romano (b), Tony Rabeson (dm)
Enregistré les 30 et 31 mars 2015, Pompignan (30)
Durée : 52' 23''
Aléa 007 (socadisc)


Pierre de Bethmann, après Virginie Teychené, s’attaque à la chanson. A chaque fois le dilemme est là : comment s’y prendre ? Faut-il ré-harmoniser, ou s’en tenir à la mélodie ? Les deux bien-sûr. Ce qu’ont magnifiquement réussi Virginie et Gérard Marin récemment avec Encore, et évidemment De Bethmann dans ce disque.
Ce trio s’est donc formé après un gig de dernière minute au Duc des Lombards. Rencontre parfaite de trois générations de musiciens, qui n’en font plus qu’une dans la musique, et qui manie l’art du trio en toute liberté. Déjà le jeu du pianiste, avec la main droite qui s’envole sur des traits rapides, un peu à la façon d’Art Tatum, une main gauche parfois en contrepoint harmonique, un beau sens de la mélodie, avec le plaisir de la goûter qui se ressent tout de suite. Une pompe véloce, chantante et joyeuse du bassiste, et le délicat tricotage des baguettes du batteur, pour le déroulement d’un tapis très riche : tous deux heureux de propulser le pianiste, tout en tenant leur partie avec une inspiration en verve.
La « Sicilienne » de Fauré après un bel exposé au piano nous vaut un trio de grande soirée, avec des roulements du batteur qui conviennent incroyablement au thème. Fauré leur donne des ailes. Un autre beau moment c’est cette somptueuse valse, « Indifférence », de l’accordéoniste des années quarante Tony Murena. Thème souvent joué par Galliano et magnifiquement chanter par Minvielle chez Lubat. La version du trio est à la hauteur, avec des impros sidérantes. « La Mer » offre un splendide échange piano/basse ; la contrebasse se taille la part du lion. « Chant des marais » ou « Chant des déportés » écrit en 1933 par des prisonniers politiques au camp de concentration de Bôrgermoor en Basse Saxe, avec Rudi Goguel pour la musique. Le trio le prend sur un mode lent et dramatique très émouvant, avec pour l’exposition une harmonie légèrement dissonante. Les notes tenues de la basse sonnent comme un glas. Magnifique interprétation, tragique sans pathos. « For Heaven’s Sake » en piano solo me semble vraiment dans la lignée Art Tatum, dans le développement et le jeu des deux mains. Idem dans le solo sur « Without a Song ». Dans « Pull marine » de Gainsbourg qui clôt le disque, entendre comment la mélodie naît des accords graves du piano, puis après une paraphrase de toute beauté, et le retour au thème on voit subrepticement le portrait d’Isabelle Adjani apparaître, et on entend sa voix tant le pianiste chante la chanson.
La preuve qu’on peut jouer un jazz savoureux de grande lignée avec de simples chansons. Mais au fond c’est comme cela depuis plus d’un siècle.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Kassap / Touéry / Duscombs
8 Détours

Arc noir, Trivium, Heyokas, Cromlech, Zéphyr, Orages, Points hauts, A la moelle
Sylvain Kassap (cl), Julien Touéry (p), Fabien Duscombs (dm)
Enregistré le 17 octobre 2014, Tours
Durée : 41'
Mr. Morezon 011 (Orkhêstra International)


Voici trois gaillards qui s’engagent en free sans complexes ; un free musical, lyrique, non politique, juste pour le plaisir de jouer librement, en toute confraternité ; loin du free de complaisance, de mode, qui vire au n'importe quoi. Dès « Arc noir » on entre dans du lyrique pur avec la clarinette basse ; Kassap est un sacré joueur de cet instrument magnifique et tellement expressif. Il en tire les plus beaux chants. S’ensuit « Trivium » sur un tapis diluvien du batteur, le martèlement du piano, et un Kassap qui monte jusqu’à l’exaspération. Un très prenant « Cromlech », sur tempo lent, des grappes de batterie et de piano et la clarinette basse chante sa chanson tout en faisant monter la tension : très beau ! « Orages » au souffle continu sur la clarinette alto, de longues phrases ultra-rapides sur des ostinatos batterie-piano ; à couper le souffle. Et les disque se termine sur « A la moelle », une grande envolée du trio sur un tempo dément.
Ce trio fonctionne à merveille dans un chant à trois voix qui s’entremêlent. Pas de solo, du collectif, et du beau, du grand, du supérieur. Réconciliation garantie avec l’impro collective libre.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Lisa Hilton
Kaleidoscope

Simmer, Whispered Confessions, Labyrinth, When I Fall in Love, Bach/Basie/Bird Boogie Blues Bop, Kaleidoscope, Midnight Mania, Blue Horizon, Stepping Into Paradise, One and Only, Sunny Side Up.
Lisa Hilton (p), J.D. Allen (ts), Larry Grenadier (b), Marcus Gilmore (dm)
Durée : 49' 33''
Enregistré les 3 et 4 décembre 2013, New York
Ruby Slippers Productions 1017 (www.lisahiltonmusic.com)


La présence aux côtés de cette pianiste californienne (qui signe neuf des onze titres du disque, les deux autres étant des standards) de « pointures » reconnues de la contrebasse, de la batterie et du saxophone aiguise l'appétit. Elle s'est dit-on, déjà produite avec Christian McBride, Larry Grenadier et Lewis Nash (excusez du peu...). Pourtant, sa prestation laisse un peu sur sa faim, car ce sont surtout ses comparses qui captent l'attention... Technique presque hésitante, abondance de clichés, phrasé manquant de souplesse, et, sens du swing et de la mise en place très approximatifs... (même sur le blues, un comble pour quelqu’un qui se réclame de l'héritage de Sonny Terry et Brownie Mc Ghee...). En grands professionnels, Grenadier, Gilmore et Allen se tirent de cette situation difficile avec les honneurs.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Rich Halley 4
The Wisdom of Rocks

The Atoll, Trip Through Turbulence, A Brief Note, The Wisdom of Rocks, Faint Scattered Lights, The Get-Go, Heat in May, Tale by Two, Radial symmetry, The Semblance of Stealth, Of Fives and Sixes, Conversation in Blue
Rich Halley (ts), Michael Vlatkovich (tb), Clyde Reed (b), Carson Halley (dm)
Durée : 53' 02''
Enregistré les 26 et 27 mai 2013, Corvallis (Oregon)
Pine Eagle 006 (www.richhalley.com)


Le répertoire ne compte que des compositions personnelles de l'un ou l'autre des membres du quartet (voire co-signées par plusieurs) dans une belle unité stylistique. Les thèmes, aux structures minimalistes et prétextes à des improvisations débridées, sont le plus souvent exposés par les deux soufflants en un joyeux et savant décalage harmonique flirtant avec les dissonances. Cela fait immédiatement penser aux audaces très « libérées » de l'AACM de Chicago (Association for the Advancement of Creative Musicians), creuset de musiciens « d'avant garde » depuis le milieu des années soixante. Imperturbables, la basse et la batterie (tenue par le fils du leader), mènent le tempo avec rigueur et balisent clairement les changements d'harmonies. Le tout est joué avec un drive et un swing à l'enthousiasme communicatif. Voici un disque tonique, original, sans concession, pas franchement « commercial », mais, splendide !
Daniel Chauvet
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Paris-Calvi Big Band
R comme René

Magic Flea, All of Me, Broadway, Mean What You Say, Teach Me Tonight, Nice Work If You Can Get It, Basically Yours, Little Pixie, Ya Gotta Try, Air comme René, Just Friends, Que reste t'il de nos amours, Our Love Is Here to Stay, Step to the Bop
Jean-Loup Longnon (tp) et le Paris-Calvi Big Band (personnel détaillé sur le livret)
Enregistré le 18 juin 2014, Calvi (20)
Durée : 1h 15' 06''
Autoproduit JLLBB00020152 (www.longnon.com)


Ce disque enregistré en public à Calvi est un hommage chaleureux à René Caumer qui dès la fin des années soixante-dix invitait des musiciens de jazz chez lui, ce qui fit germer l'idée d’un festival de jazz à Calvi. Cet homme généreux ayant horreur de l’argent s’arrangea pour faire héberger et nourrir les musiciens dans la région, à charge pour eux de faire de la musique. Une foule de musiciens, et d’amateurs, s’y précipita tous les ans, faisant de Calvi la capitale du jazz pendant une semaine. Comme beaucoup de grands festivals, celui-là était né de la passion, du dévouement, de la générosité, voire de l’abnégation d’un homme et d’une équipe. Y en aura-t-il encore de ces individus nécessaires à la vie de cette musique, à l’heure où tant de grands, beaux et purs festivals ont disparu et que d’autres vont encore disparaître ? René Caumer décéda le 16 août 2013. Les amis de René eurent l’idée de créer une grande formation composée de fidèles sous la direction de Jean-Loup Longnon pour porter témoignage de leur reconnaissance. Il y eut un premier concert au café des « petits joueurs » à Paris, puis le grand concert de Calvi. Ce sont en tout trente musiciens qui furent de la fête de l’amitié
Chaque morceau est dédié à des solistes différents (détails sur le livret), et les arrangements, tous magnifiques, sont de divers musiciens. L’orchestre est une merveilleuse machine à swing, de tendance bebop. On pourrait évoquer le big band de Dizzy Gillespie, pour la répartition des masses, l’impétuosité, l’intégration des solistes. On joue collectif, même en solo, pas de tirage à soi de couverture, ou d’exploits m’as-tu vu. On sent la ferveur, la réunion pour une cause partagée. L’équilibre des masses orchestrales est remarquable, masses qui s’envolent en phrases mélodiques, les cuivres sont des blocs de granit sur lesquels les anches viennent se couler. La rythmique est au-dessus de tout soupçon : elle carbure dans la joie. On a des arrangements de Sammy Nestico, Thad Jones, Stan Lafferière, Dave Wolpe, Zool Fleischer, Rob Mc Connell, Peter Herbolzeimer et Jean-Loup Longnon. Du solide comme on le voit. Admirables solos de trompette : Longnon sur « Magic Flea », Alour sur « Mean What You Say », Folmer sur « Little Pixie », Guichard sur « Just Friends » ; de saxophone : Temime, Avakian, Scali au baryton; des pianistes fabuleux, Pierre de Bethman et Antonio Faraò, tous deux avec une sonorité limpide et tout de délicatesse ; des trombonistes : Ballaz, Fossati ; des chanteuses : Antoinette d’Angeli qui chante trop en force sur « Teach me Tonight », comme si elle voulait dominer l’orchestre, mieux, avec naturel sur « Nice Work if you can get it », Chloe Cailleton qui a pris quelques tics d’aujourd’hui ; des chanteurs , l’excellent baryton Marc Thomas, et puis dans un bouquet final délirant, Jean-Loup Longon lui-même, redoutable scatteur devant l’éternel, qui débute « Step to the Bebop » dans un a cappella à renverser la citadelle de Calvi ; dur de poursuivre après lui, le regretté Marc Thomas et Chloé Cailleton s’y risquent avec tout le big band, qui termine ce concert à la façon de Count Basie.
Michel Houellebecq affichait La Possibilité d’une île. On a avec ce disque la possibilité d’un big band fastueux, digne de la Swing Era.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueFabien Mary
Three Horns Two Rhythm

Trips and Quads, The Camel Step, You're Not on the Map, The Little Tower on a Hill, Ydal Drib, Lament, Yellow Dog, Adam 1890 Blues, Line on Rhythm
Fabien Mary (tp), Steve Davis (tb), Frank Basile (bs), Chris Byars (ts, fl), David Wong (b), Pete Van Nostrand (dm)

Enregistré le 12 octobre 2014, New York

Durée : 53' 17''

Elabeth 621064 (Socadisc)


Outre les nombreux CDs enregistrés au sein d’autres formations de styles très divers, Fabien Mary nous a déjà donné, en tant que leader, cinq beaux albums. Ce
Three Horns Two Rhythm, toujours chez Elabeth, est le second opus de facture totalement américaine après Conception (2011), à avoir été enregistré par lui à New York avec musiciens locaux. S’il est rentré en France, après un long séjour new-yorkais de 2008 à 2011, le trompettiste a conservé de nombreuses attaches à Big Apple, où il retourne régulièrement. Ce dernier volume atteste de cet ancrage. Mis à part le sixième titre, « Lament » (composée en 1954 par Jay Jay Johnson) au demeurant arrangée par lui, toutes les pièces ont été composées et orchestrées par Fabien Mary, à New York, dans la période 2013-2014 ; d’où la couleur générale de ces enregistrements tout à fait big apple clubs. Autre particularité de cet ouvrage, Fabien Mary choisit une formule orchestrale très tendance US, plutôt austère, ne comportant ni guitare ni piano, réduisant la section rythmique à sa plus simple expression, basse et batterie.
Les pièces sont très largement nourries d’influences bebop, années 1950-1960 ; on y entend des références à Tadd Dameron, Benny Golson, Thelonious Monk (« Adam 1890 Blues ») et J. J. Johnson, « le plus trompettiste des trombonistes », dont la composition constitue l’articulation logique de l’opus. Les expositions des thèmes à l’unisson, dont « Line on Rhythm » est une parfaite illustration, replacent l’auditeur dans une période musicale peu souvent fréquentée sur la scène parisienne et française actuelle. Les structures de ses pièces sont cependant au goût du jour ; certes traitées selon une esthétique référencées, elles n’en sont pas moins construites selon des canons structurels de notre temps. Et c’est l’arrangement qui confère au travail de Fabien Mary sa grande originalité ; il évoque immanquablement ses illustres prédécesseurs dans le ton et dans le souci d’organisation de sa musique, comme le permettait l’existence de formations permanentes jusqu’au milieu des années 1960. Mais ses orchestrations présentent également des novations tant au plan harmonique que rythmique et surtout compositionnel. En effet, l’apparente simplicité des arrangements relève de l’intelligence et de la pertinence de leur construction rigoureuse, dont Benny Golson et Gigi Gryce étaient des exemples rares en leur temps.
Bien que ne revenant qu’occasionnellement cette tradition musicale, les musiciens newyorkais possèdent encore la culture du bop. Et ce n’est pas pour rien que Fabien Mary a sollicité ces musiciens, qu’il fréquente depuis plusieurs années, pour participer à son ouvrage ; il est, en retour, fort bien servi dans leur interprétation. Au plan collectif, les voicing sont remarquables : équilibre et rapports sonores parfaits entre instrumentistes ; de ce point de vue, le travail du contrebassiste et surtout du batteur est exceptionnel ; c’était l’écueil à éviter en l’absence du liant harmonique d’un piano ou d’une guitare éventuellement. Au plan individuel, la réalisation n’est pas moins brillante.
Fabien Mary a choisi chacun de ses collègues en considération de leurs qualités musicales après une fréquentation réelle, parfois longue et complice. C’est le cas de Frank Basile avec lequel il a déjà gravé trois albums. Par son aisance technique et son attaque, ce baryton évoque parfois Pepper Adams (« Line on Rhythm ») et par sa musicalité il est l’héritier de Gerry Mulligan (« You're Not on the Map », « Yellow Dog ») ; c’est un musicien complet, capable d’adapter sa manière au contexte avec beaucoup de finesse. A presque 50 ans, Steve Davis est un tromboniste rompu à toutes les formes jazziques ; d’une grande subtilité dans les ensembles (« The Camel Step »), c’est un soliste élégant qui a un sens aigu de la mélodie et en joue avec charme façon Kai Winding dans cette version de « Lament » alors qu’on l’entend plus « 
j.j. johnsonien » habituellement (« Ydal Drib »). Le ténor Chris Byars est un nouveau venu dans la galaxie Fabien Mary. Il y apporte une part de bebop plus ancienne, façon Lucky Thompson encore enraciné dans le jazz classique. C’est un flutiste de « charme » (« The Camel Step ») rompu aux accents particuliers des univers orientalistes même sur le blues (« Adam 1890 Blues »). Mais le ténor a une attaque affirmée puisée chez les premiers boppers (« Line on Rhythm », « You're Not on the Map »). Le bassiste David Wong est un vieux compagnon de Fabien Mary. Il en connaît les attentes et remplit sa mission remarquablement en fournissant un soutien impeccable à la section mélodique : « Trips and Quads » est un modèle du genre. Ses interventions en solo sont solides ; il est peut-être plus intéressant à l’archet (« Adam 1890 Blues »). Le batteur Pete Van Nostrand est également une vieille connaissance du trompettiste. Et sa complicité est importante dans la réalisation de cet album. Il est toujours là sans jamais étouffer la musique ; c’est un percussionniste qui a l’art de nuance (« Carmel Step ») comme celui du drive. Sa mise en place dans les 4/4 (« You're Not on the Map », « Ydal Drib », « Line on Rhythm ») est parfaite.
Quant à Fabien Mary, lui-même, il nous fait ici découvrir une face de sa personnalité de musicien (compositeur et orchestrateur) qui dépasse largement le formidable instrumentiste qu’il était déjà ; dans ce volume, il acquiert une maturité dans son discours qui gagne en densité. Si Kenny Dorham est, de manière évidente, sa référence, son phrasé en est plus « aisé » que celui de son maître ; il a souvent la fluidité de Dizzy (dans le 4/4 de « You're Not on the Map »). Et le réduire à n’être que l’épigone du compositeur de « Blue Bossa » serait faire fi de sa créativité propre, tant en tant que musicien qu’instrumentiste. Cet album révèle un Fabien Mary d’une nouvelle dimension
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Félix W. Sportis
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Ramona Horvath Trio
XS Bird

La Hora, Swingin' Enesco, Dancing on the Ceiling, Danse Roumaine, The Game With the Ball, Jancy's Tune, Too Close for Comfort, Delectare, XS Bird, All Too Soon
Ramona Horvath (p), Nicolas Rageau (b), Frédéric Sicart (dm)
Enregistré les 23 et 24 février 2015, Paris
Durée : 44' 33''
Black & Blue 806.2 (Socadisc)


Voici le premier opus enregistré en France par une pianiste encore inconnue de la scène jazzique hexagonale. Comme beaucoup de premiers albums, celui-ci n’a pas échappé au risque du « vouloir être original ». En sorte que cette musicienne accomplie, très mature, présente un répertoire, qui sans être mauvais ni même médiocre, n’est pas à son niveau de compétence ; elle n’entre ainsi pas de plein pied dans le monde très fermé des pianistes rares auquel sa technique superbe – qualité du toucher et clarté du détaché vraiment « très haut de gamme » ! – doit l’autoriser à prétendre. Dommage. Elle n’a rien à voir avec certains pianistes venus de l’Est, modèle Tigran édenté. C’est une vraie pianiste qui maîtrise tous les ressorts de l’instrument et le fait sonner en exploitant toutes les ressources de sa tessiture. Une très belle musicalité et une mise en place parfaite. Ajouter à cela qu’elle possède une superbe impulsion dans l’attaque (talent rare que possédait le regretté Oscar Peterson) et une très belle articulation sur les basses à la main gauche qu’on n’entend plus guère chez les pianistes.
Ne soyez pas surpris par ce magnifique bagage pianistique. Madame Horvath, qui est née en 1975, est diplômée du département de musique le l’Université de Bucarest associé au conservatoire national où l’on ne plaisante pas avec le niveau technique des candidats. Ajouter à cela que son mentor, Jancy Korossy, avec lequel elle travailla plusieurs années, était un élève de Teodor Cosma (le père de Vladimir), auquel il déclarait tout devoir ! Et il n’a pas manqué de lui donner quelques règles à suivre pour entrer dans la logique d’une musique ; or elle possède déjà, et plus que bien, le caractère essentiel de l’idiome du jazz, le swing, une denrée en voie de disparition. Pour vous convaincre de sa maîtrise instrumental, il faut que vous sachiez que cette dame fut invitée à donner un concert à deux pianos avec son professeur a l’Auditorium Bösendorfer en octobre 2007 ; elle joua sur un Model Imperial, qu’Oscar Peterson était l’un des rares à maîtriser.
Ramona Horvath est ainsi une authentique concertiste. Alors nous attendons un album enregistré sur un Bösendorfer Imperial dans un répertoire digne de ses capacités instrumentales et musicales. Mais à découvrir dans l'immédiat.
lix W. Sportis
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Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueB.F.G.
Now or Never

Take Five, Fa dièse, Le Sourire de Babik, Bluehawk, Light'n up, Something on My Mind, Seul sans toi, Mr Sanders
Emmanuel Bex (org), Glenn Ferris (tb), Simon Goubert (dm)
Durée : 1h 02' 45''
Enregistré les 28 et 29 juin 2013, Paris
Naïve 623771 (
Naïve)


Enregistré en public, au Sunset, ce disque présente une formule assez inusitée, trio : orgue Hammond, batterie et trombone (le saxophone étant bien plus courant). Pour composer l'album : deux standards (« Take Five » de Paul Desmond, « Bluehawk » de Thelonious Monk), et deux thèmes de chacun des membres du trio, choisis parmi les morceaux joués lors de deux concerts à Paris. Arrangements réduits (c'est un trio, même si les lignes de basse de l'organiste donnent l'impression d'écouter un quartet) et comme dictés par l'instant, pendant que la musique est en train de se créer. Magnifique cohésion de groupe, et immédiate réactivité de chacun à ce que jouent les deux autres. Musique pleine de surprises, mais néanmoins limpide, et swinguante à souhait. Un vrai bonheur.
Daniel Chauvet
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Phil Haynes
No Fast Food. In Concert

Dawn on the Gladys Marrie, West Virginian Blues, Together, Last Dance, The Code, Ballad du jour / Zen lieb, Out of the Bowels, Workin'it, Blues for Israel, Incantation, Chant, Encore du jour
Phil Haynes (dm), Dave Liebman (as), Drew Gress (b)
Enregistré le 6 septembre 2012, Rochester (New York) et le 8 septembre 2012, Milheim (Pennsylvanie)
Durée 48' 15'' et 51' 03''
Autoproduit (www.philhaynes.com)


Un vrai scandale ! Comment se fait-il qu'un tel CD , « double », de surcroit, dont une partie enregistrée en public, puisse être « autoproduit » ? Les responsables des grandes maisons de disques auraient-ils mis leurs oreilles en « mode veille » en attendant la fin de la crise ? Toute la saveur et la véhémence du free jazz y est contenue, vivante, jaillissante, joyeuse, et débordant de mélodies claires et d'harmonies d'une furieuse modernité. C'est bien connu, le trio « sax-contrebasse-batterie » est l'un des plus difficiles, exigeant des qualités hors du commun, et celui-ci les a toutes. Dave Liebman, Drew Gress et Phil Haynes, nous présentent là une musique surprenante, intense, authentique, absolument jubilatoire : une oeuvre spontanée et accomplie, à écouter de toute urgence.
Daniel Chauvet
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Christophe Laborde
Wings of Waves

Wings of Waves, Star Watcher, Silence dans le Ciel, Couleur de temps (part 1), Morning Sun, Lost Life, Nagual Force, Couleur de temps (part 2), Icarus Reborn, Couleur de temps (part 3), Slow Sky
Christophe Laborde (ss), Giovanni Mirabassi (p), Mauro Gargano (b), Louis Moutin (dm)
Durée 1h 13' 45''
Enregistré les 18 et 19 octobre 2011, Meudon (92)
Cristal Records (L'Autre Distribution)


Si le disque débute comme une tempête par une composition bourrée d'énergie (les ailes des vagues), il n'en compte pas moins quelques morceaux en tempo medium et quelques ballades apaisées. Christophe Laborde possède un très beau son de soprano, un phrasé dynamique et un certain talent pour écrire des thèmes aux mélodies limpides mais aux développements harmoniques et rythmiques nimbés de surprises et de mystère, exerçant, à l'écoute, un effet assez fascinant. De plus, il bénéficie d'un merveilleux accompagnement : Giovanni Mirabassi au toucher de piano et à l'inspiration d'une extrême élégance, Mauro Gargano aux habiles lignes de basse, et Louis Moutin au jeu de batterie d'une grande finesse. Novatrice, mais inscrite dans la tradition du jazz le plus moderne, et débordante de swing, voici une très belle musique qui donne l'envie de l'écouter encore et encore.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Philippe Crettien Quartet
November Dusk

Weird Blues, Mila, November Dusk, Opposite Poles, Blues pour Valentin, Snow Peaks, Rungs, Pluton, Fall Line Flow, May Breeze, Mr. Sleepy
Philippe Crettien (ts), Patrick Mottaz (g), Seab Farias (b), Mike Connors (dm)
Enregistré les 16 et 17 avril 2015, Springfields (Massachusetts)
Durée : 1h 02' 55''
Autorpduit (www.philippecrettienmusic.com)


Le Philippe Crettien nouveau est arrivé. J’ai connu le saxophoniste à ses débuts, notamment à Jazz à Toulon dont il fut l’un des premiers invités et protagonistes. A l’époque, il jouait du ténor avec un gros son et un engagement rentre-dedans, influencé par Coleman Hawkins, entre autres. Depuis, il n’a cessé d’évoluer pour arriver à cette maturité qui l’a vu s’engager sur les pas de Wayne Shorter et surtout de Warne Marsh, en gardant une sonorité ronde, puissante mais avec quelque chose de fragile, et parfois un son plus râpeux, plus angulaire. Il est comme un poisson dans l’eau avec ce quartet qui lui sied à merveille. Une belle évolution dans l’écriture aussi, avec des arrangements soignés et personnels, tel ce bel unisson entre ténor et contrebasse sur « November Dusk » avec des solos qui découlent les uns des autres, sur des contrechants de la contrebasse. Le guitariste est de la grande école de la guitare jazz, excellent aussi bien en solo qu’en accompagnement : un garçon à surveiller ! Le batteur joue en finesse, qu’on en juge par son solo sur un thème quelque peu calypso « Blues pour Valentin » ; le ténor ici sonne légèrement Sonny Rollins ; hommage peut-être ? On retrouve les mêmes impressions sur un autre calypso « « Fall Line Flow », une très belle mélodie distillée par un ténor inspiré suivi par le guitariste du même tonneau, tous portés par de belles lignes de basse. D’ailleurs le groupe revisite certains rythmes, comme le reggae sur « Opposite Poles » où le guitariste fait merveille. Citons encore une autre belle mélodie « Pluton » sur laquelle se développe la grande sensibilité du saxophoniste. Seul reproche : pourquoi faire du pseudo free sur « Rungs » qui s’annonçait bien : ce genre de truc est dépassé...
Mais ne boudons pas notre plaisir, c’est un beau disque de jazz, joué par de jeunes et moins jeunes musiciens, totalement maîtres de leurs moyens. Les compositions sont de Crettien et Mottaz, qui se révèlent tous deux d’excellents mélodistes. Savourons le dernier titre « Mr Sleepy » qui démarre par une intro de contrebasse suivi de la guitare façon orgue, et qui va développer un solo mélodique de toute beauté.
Serge Baudot
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Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueNicola Fazzini
Minimum Sax Vol. 1 : Random 2

46 morceaux sans titres
Nicola Fazzini (as)
Enregistré le 15 décembre 2014, Trévise (Italie)
Durée : 31’ 36’’
Nusica.org 08 (www.nusica.org)


Le saxophoniste italien s’est fait connaître avec son excellent et original XY Quartet (voir nos chroniques). Le voici qui s’engage en solo avec son alto, production périlleuse en soi. De grands noms s’y sont risqués : Steve Lacy au soprano (Fazzini possède quelque chose de Lacy dans le son et la démarche), Anthony Braxton sur différents saxs, et surtout Evan Paker. Quand celui-ci remplit l’espace de longues phrases inextinguibles grâce au souffle continu, Fazzini est minimaliste et parcimonieux. Quelques notes égrenées, quelques sons des clés, des sons filés, suffisent chaque fois à créer un morceau. Pas de phrases développées, mais des motifs répétitifs, ou des sortes de gammes, des arpèges développés. Tout est joué rubato, pas de swing, pas de pulse.
J’avoue que je comprends mal le projet de l’artiste. On a un peu l’impression d’assister à une leçon de saxophone avec ces quarante-six morceaux très courts, des variations sur dix matrices (poissons, divisions, choses, machines, etc…) que Fazzini appelle des « objets sonores » enregistrés au hasard sur chaque disque, ce qui rend chaque copie unique. La mienne porte le n° 77. Fazzini conseille, après une première écoute complète, d’écouter ensuite le disque « at random », ce qui donne une autre perception de la musique. Pas simple tout ça !
C’est peut-être avant tout un disque pour musicien, mais non sans charme.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueReggie Washington
Rainbow Shadow

14 titres : voir livret
Reggie Washington (b, voc), Marvin Sewell (g), Patrick Dorcean (dm, perc), DJ Grazzhoppa (turntables, samples), reste du personnel communiqué sur le livret
Enregistrés en 2014, divers lieux
Durée : 1h 05’
Jammin'colorS (www.jammincolors.com)


Reggie Washington a été le bassiste des Five Elements de Steve Coleman pendant quinze ans, groupe dans lequel il eut une influence et une importance majeures. Le voici qui mène une carrière solo, avec un brio et un lyrisme incandescent. Sur sa basse électrique il s’est donné un son d’une pureté absolue, aucun bruit parasite, des notes de cristal, un phrasé clair et délié. Pas d’esbroufe ni de performances inutiles. Il joue sa musique avec quelque chose du Stanley Clarke des débuts. Certainement le plus beau son de basse électrique aujourd’hui. Il dit qu’il faut jouer la note juste, au bon moment, au profit de la musique. Il progresse souvent par petits motifs mélodiques répétitifs qui aboutissent à de longues phrases très prenantes. On trouve également une inspiration chez Hendricks, comme dans « As Free » et « Move/Shannon » en basse saturée, assez proche de la guitare. Il chante aussi, avec une voix et une technique entre George Benson et Stevie Wonder. Un régal de l’entendre ainsi sur « Morning » ou « Living ».
Son groupe est solide et s’appuie sur un batteur donnant simplement le tempo et la pulse, sans fioritures. Marvin Sewell est un fin guitariste, grand mélodiste lui aussi, dont le jeu se mêle merveilleusement à la basse. Il y a un DJ aux platines et samples, mais pas de crainte, il est discret, se contentant d’enrichir le son du groupe parcimonieusement et à bon escient, et sans gratouillis ! « Finding » est un blues de la plus belle eau, avec en invité le pianiste Jonathan Crayford : retour aux racines. On peut admirer les qualités d’accompagnateur de Reggie Washington sur « Take the Coltrane » avec des lignes admirables pour soutenir le guitariste. Des invités : les trompettistes Alex Tassel sur « Black Sands », un thème assez rêveur, et Wallace Rooney sur « Sewell in the Grazz » qui s’amuse au funk. Jacques Schwarz-Bart, qui pour la circonstance avait sorti son sax de velours, nous gratifie d’un long solo très inspiré en tempo lent. Et aussi la chanteuse Lili Anel sur « Living » entourée d’un beau solo de basse.
Le disque se termine par un hommage très émouvant au guitariste Jef Lee Johnson décédé en 2013 à l’âge de 54 ans, « For You Jef » dans lequel on entend Tiboo réciter un poème d’une scansion très musicale. Le disque est dédié aux parents de Jef Lee Johnson.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueRémi Abram
Kimpa Vita

Nothing Has Changed, Massena, Mr. Loops, Kimpa I, Uprooting, Kimpa II, This Word Is Suffocating, Child Soldiers
Rémi Abram (ts, as), Famoudou Don Moye (dm), Claudio Celada (p), Tibor Elekes (b)
Enregistré du 27 au 30 août 2013, Marseille (13)
Durée : 1h 17' 43''
Alambik Musik 8 (www.alambikmusik.fr)


Rémi Abram revient en beauté avec ce disque, en la compagnie de l’incomparable Famoudou Don Moye, batteur-percussionniste tous azimuts, remarquable ici aux cymbales. Rémi retrouve Claudio Celada, son pianiste attitré qui colle à sa musique, et Tibor Elekes, bassiste suisso-hongrois qui a joué avec Clark Terry, Woody Shaw, les Belmondo, Archie Shepp, Michel Portal, entre autres…
Rémi Abaram est un écorché vif, très vigilant et actif dans la défense des peuples africains. Ici, il se penche sur l’esclavage après avoir eu connaissance, lors d’un voyage au Congo, d’un personnage étrange, Kimpa Vita Nsimba, née en 1684 et baptisée sous le nom de Dona Béatrice. Celle-ci annonce que la terre du Kongo est la véritable Terre Sainte, affirmant que saint Antoine de Padoue lui avait confié la mission d’amener le peuple Congo à retrouver son unité. Le Royaume adhère à cette prophétie, ce qui ne plaît pas à l’occupant portugais. Elle finira brûlée vive le 1er juillet 1706, elle avait 22 ans. Et la traite des esclaves repartit de plus belle. Ce qui nous vaut un disque inspiré et prenant.
Rémi semble s’être assagi en s’exprimant avec un lyrisme tendre qui le place dans certains morceaux, dans la lignée des saxophonistes ellingtoniens, bien qu’à l’ordinaire il soit plutôt dans le lignage Sonny Rollins-David Murray, mais en fait c’est la même famille. On peut apprécier cet assagissement sur « Massena » au ténor, ou encore sur « Kimpa I », qui offre également un très beau solo de piano : une main droite qui développe la mélodie tandis que la gauche pose ses accords là où il faut, lesquels s’intriquent dans les notes rondes de la basse, le bassiste ne jouant que les notes essentielles. A l’alto, Rémi produit un son pur et prenant sur les tempos lents, tel ce « Nothing Has Changed » sur tempo médium-lent, avec juste un léger vibrato sur la fin des notes tenues, une sorte de froissement émotionnel ; et là on peut admirer le travail du batteur aux cymbales, et le solo de piano très inspiré. Le duo soprano/batterie sur « Mr. Loops » est un vrai diamant : écouter comment le batteur et le saxophoniste entremêlent leur chant ! Dans « This World is Suffocating » Rémi au ténor devient plus anguleux, écorché, il faut que ça sorte. Il revient au calme avec le soprano sur un titre qui pourtant n’inspire pas la douceur « Enfants Soldats », mais justement il exprime la douleur, l’incompréhension, que l’on a devant ce phénomène horrible et inacceptable. Comme quoi les choses n’ont pas beaucoup avancées depuis la mort de Kimpa Vita. En dehors de ce contexte inspirant, c’est avant tout de la musique, du beau et vrai jazz, sur des compositions superbement mélodiques de Rémi Abram
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Claudio Fasoli
The Brooklyn Option

Brooklyn Bridge part 1, 2, 3, Carroll Gardens, Bay Parkway, BAM, Mapletone, Boerum Hill, Neptune Avenue, 7005 Shore Road, Avenue M, Dumbo, Gowanus
Claudio Fasoli (ts, ss), Ralph Alessi (tp), Matt Mitchell (p), Drew Gress (b), Nasheet Waits (dm)
Enregistré les 16 et 17 novembre 2014, Udine (Italie)
Durée : 58' 09''
Musica Jazz 1289 (www.musicajazz.it)


Claudio Fasoli continue son exploration des capitales en musique, aujourd’hui Brooklyn, et pour ce faire il s’est entouré de trois jazzmen de premier plan. Nasheet Waits a été le batteur de Fred Hersh, Andrew Hill, Jason Moran. Dew Gress a joué aussi avec Fred Hersh et Bill Carrothers, il est le contrebassiste préféré de Uri Caine, capable de jouer ses partitions les plus complexes. Matt Mitchell tient le piano chez Tim Berne, Dave Douglas, Lee Konitz. C’est donc une rythmique de rêve. Quant au trompettiste Ralph Alessi il n’est plus à présenter en France.
Claudio déclare qu’il a suivi dans Brooklyn un itinéraire assez illogique, et surtout plus émotionnel que rationnel. Les treize compositions du leader sont de purs joyaux mélodiques. Pour ce disque Claudio Fasoli utilise systématiquement les unissons saxophone-trompette, et parfois s’y ajoutent piano et contrebasse, en variant les intervalles, ce qui donne des couleurs surprenantes et attrayantes aux ensembles.
Ralph Alessi possède un son de trompette légèrement écrasé qui s’intègre à merveille aux sons des saxes de Claudio, un son droit, sans effet ni fioritures, jouant toujours avec une émotion d’autant plus forte qu’elle est contenue. Le quintet est très soudé, déjouant le piège de jouer hard-bop. Claudio a su en faire un bijou tout neuf, par la grâce d’arrangements peaufinés harmoniquement, sans jamais être chargés. Les solos coulent de source. A titre d’exemple il suffit d’écouter « Bam » sur un tempo médium-lent dans lequel brillent la trompette et le soprano lyrique qui n’est pas sans évoquer Steve Lacy. Ou encore « Carroll Gardens », un curieux morceau mené par le ténor qui souffle tout le mystère du jardin. La rythmique coule de source, avec simplicité et efficacité, et les solos de contrebasse sont de grand cru.
C’est une musique limpide, belle et forte. Claudio Fasoli poursuit son chemin créateur, tranquillement et sereinement, hors des modes, pour le bonheur du jazz.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

European Jazz Cool
1951-1959

46 titres
Henri Renaud (p), André Hodeir (vln), Jimmy Gourley (g), Kenny Clarke (dm), Sacha Distel (g), Maurice Vander (p), Jean-Claude Fohrenbach (ts), Martial Solal (p), René Thomas (g), Joe Zawinul (p), Gianni Basso (ts), Ronnie Scott (ts), reste des personnels détaillé dans le livret
Durée : 1h 15' 55'' et 1h 16' 07''
Enregistré entre 1951 et 1959, Paris et plusieurs villes d'Europe
Frémeaux & Associés 5428 (Socadisc)


A cette époque, « la guerre du jazz » faisait rage et l'événement était très suivi par Jazz Hot (Charles Delaunay, fondateur de la revue, étant d'ailleurs le producteur de nombreuses sessions reprises dans le premier CD). Il fallait choisir son camp... Ce n'était pas facile pour les jeunes musiciens disciples de Lester Young plus que de Charlie Parker ou de Louis Armstrong, d'imposer un style nouveau qu'on appellerait: « Jazz Cool ». Pas évident non plus pour de jeunes arrangeurs de faire admettre leurs idées novatrices. Comme l'indique Alain Tercinet (ancien collaborateur de Jazz Hot et qui a participé, en avril dernier, à l'une des tables-rondes organisées à l'occasion des 80 ans de notre revue) dans son livret très documenté : « Le style Swing avait ses supporters, d'autres se tournaient vers le New Orleans Revival et, après une courte période d'adaptation, le jazz nouveau eut ses adeptes. Peu nombreux dans un premier temps (…). » Enregistrées à Paris mais aussi à Stockholm, Cologne, Baden Baden, Vienne, Francfort, Milan, Rome, Hilversum et Londres de 1951 à 1959, voici 46 petites perles sauvées opportunément de l'oubli au moment même où se pose de plus en plus la question de la conservation durable de la « mémoire du Jazz ». Empruntons encore à Alain Tercinet sa conclusion :  « (...) bien naturellement le jazz passa à autre chose (…) reléguant aux oubliettes les tentatives conduites durant une courte décennie (...). Ce qui reste de cette musique, qu'elle soit due à Bobby Jaspar, Lars Gullin, Jean-Claude Fohrenbach, Henri Renaud, Jimmy Gourley, Sadi, Hans Koller, Gianni Basso ou bien d'autres, montre qu'ils eurent raison d'aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte ». Des enregistrements essentiels et précieux.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueAct Big Band & Guests
Extrêmes

Pentaprism, Omnitonic, Extremes, In a Sentimental Mood, RE, Easy Fucksong, Rough Business, Ana Maria, Rough Stuff
Félix Simtaine (dm), Michel Herr (p), Philippe Aerts (b), Joe Lovano (ts), John Ruocco (ts) Eric Veraeghe, Serge Plum, Richard Rousselet, Bert Joris (tp, flh), Paul Bourdiaudhy, Marc Godfroid, Jean-Pol Danhier (tb, tuba), Peter Vandendriessche (as), Erwin Vanslembrouck (ss, ts), Kurt Van Herck (ts) Johan Vandendriessche (bs, fl), Jean-Pierre Catoul (vln)
Durée : 1h 04' 44''
Enregistré en novembre 1986, Bruxelles
Igloo Records 044 (Socadisc)

Fondé en 1978 (et en sommeil, semble-t-il, depuis 2011), l'Act Big Band, véritable institution en Belgique, a connu la consécration officielle en recevant en 1986 l'aide du « Conseil de la Musique de la Communauté Française de Belgique » lui permettant de commander quatre œuvres à Francis Boland, Michel Herr, Arnould Massart et Jean Warland et, aussi, d'inviter Joe Lovano et John Ruocco pour les enregistrer. Remastérisé il y a peu, ce disque est une superbe réussite. Aux arrangements tirés au cordeau, les solistes (dont certains sont hélas aujourd'hui disparus), ajoutent leur grain de folie et de génie personnels. Le résultat est passionnant, preuve que la formule magique du big band (doit-on dire « classique »?) est également maîtrisée de ce côté-ci de l'Atlantique. Dommage qu'elle ne soit pas plus souvent (et plus durablement) appliquée.

Daniel Chauvet
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Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueThe Pete McGuinness Jazz Orchestra
Strength in Numbers

The Send-Off, What Are You Doing the Rest of Your Life, Trixie's Little Girl, The Swagger, Beautiful Dreamer, Spellbound, You Don't Know What Love Is, Nasty Blues, Bittersweet, You Don't Know What Love Is
Pete McGuiness (tb, voc), Dave Pietro (as, ss, fl), Marc Phaneuf (as, fl), Tom Christensen (ts, fl), jason Rigby (ts, ss, cl), Dave Reickenberg (bs, bcl), Bruce Eidem, Mark Pattersonet Matt Haviland (tb), Jeff Nelson (btb), Jon Owens, Tony Kadlek, Bill Mobley, Chris Rogers (tp), Mike Holober (p), Andy Eulau (b), Scott Neumann (dm)
Enregistré le 24 octobre 2013, New York
Durée : 1h 17' 26''
Summit Records 627 (www.summitrecords.com)


A l'exception de « What Are You Doing The Rest of Your Life » (de Michel Legrand), et de « You Don't Know What Love Is », qu'il chante d'ailleurs avec beaucoup d'émotion et sur lesquels il scatte habilement, toutes les compositions (et la totalité des arrangements) sont de la plume du chef d'orchestre et talentueux tromboniste Pete McGuiness. Sur des mélodies très élégantes, et de très riches harmonies, il a façonné des arrangements qui mettent particulièrement en valeur les unes et les autres tout en laissant le champ libre aux très brillants improvisateurs de l'orchestre (tous fines gâchettes du jazz new-yorkais). Renouvelant pour le moins le genre, ce disque comblera tous les amateurs de big bands frustrés par leur absence dans la programmation de la plupart des festivals d'été (à la notable exception de celui de Pertuis dont c'est la spécialité).
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueLarry Fuller
Larry Fuller

At Long Last Love, Parking Lot Blues, Daahoud, Both Sides Now, Django, Hymn to Freedom, Reflections In D / Prelude to a Kiss, C Jam Blues, Old Folks, Old Devil Moon, Close Enough for Love, Celia
Larry Fuller (p), Hassan Shakur (b), Greg Hutchinson (dm)
Enregistré les 10-11 décembre 2013 et 14 janvier 2014, Paramus (New Jersey)
Durée 1h 00' 38''
Capri Records 74135-2 (www.caprirecords.com)


Dernier pianiste du grand Ray Brown, le New-Yorkais Larry Fuller revendique l'héritage des musiciens middle jazz. Son jeu très volubile évoque d'ailleurs fortement celui d'Oscar Peterson, le maître absolu. Pas étonnant qu'il soit ici entouré de Greg Hutchinson, qui fit ses classes auprès de Ray Brown, et de Hassan Shakur qui les fit au sein du Duke Ellington Orchestra, et aux côtés de Monty Alexander, autre grand maître. On est donc entre gens de bonne compagnie. Ce trio est un modèle du genre : sens de la mélodie, sens du blues, (boogie-woogie en solo compris), respect des harmonies des standards, swing et parfaite entente. Un CD à recommander dans toutes les écoles...
Daniel Chauvet
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Jazz Accordéon
The New Wave

Bebe, Debout, A Better Life, L'impatience, Romance, Même seul, Electrizzante, Spring, Winter, As, Blackbird, Un Beau Souvenir
Didier Ithusarry, Laurent Derache, Antonello Salis, David Venitucci, Roberto de Brasov, Jacques Pellarin, Lionel Suarez, Marcel Loeffler, Richard Galliano, Jimmy Gourley (personnels détaillés dans le livret)
Dates et lieux des enregistrements non communiqués
52e Rue Est 100 (
Modulor)


Voici une compilation qui n'aurait pas déplu à Frank Hagège, fondateur des Django d'Or et grand amateur d'accordéon. Elle réunit, dans des styles très différents, quelques-unes des talentueuses figures de la « nouvelle vague » de la « boîte à frissons », du Basque Didier Ithusarry au Rémois Laurent Derache, en passant par l'Italien Antonello Salis, le Grenoblois David Venitucci, le Roumain Roberto de Brasov, le Chambérien Jacques Pellarin, le Manouche Marcel Loeffler et, forcément, la star internationale du genre et initiateur du renouveau de l'instrument : Richard Galliano. Parcours initiatique conseillé à tous ceux qui en sont restés à Marcel Azzola... et qui ignorent encore qu'accordéon et jazz moderne peuvent faire bon ménage.
Daniel Chauvet
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Richard Galliano / Jean-Charles Capon
Blues sur Seine

Blues sur Seine, For My Lady, Un pied dans le caniveau, Waltz for Debby, Laura et Astor, Kitou, Les Forains, Tears, Goodbye Miles, Neigerie, Fou rire, Bateau mouche
Richard Galliano (acc), Jean-Charles Capon (cello)
Durée: 50' 21''
Enregistré en février 1992, Paris
Frémeaux & Associés/ Label La Lichère 177 (Socadisc)


En ce temps-là, Richard Galliano n'avait pas encore publié Laurita, New York Tango encore moins Ruby My Dear, et son aura n'était pas celle d'aujourd'hui...mais déjà Napoléon pointait sous Bonaparte. Son duo « audacieux » avec le regretté Jean-Charles Capon, musicien « classique » autant que « jazzman », (qui nous a quittés en 2011), fut un succès discographique inattendu. Le voici réédité et c'est une occasion à ne pas manquer, tant s'accordent les talents de ces deux merveilleux musiciens. Compositions de Capon et de Galliano et standards (de Bill Evans, Toots Thielemans, Django Reinhardt) et même un vieux succès d'Edith Piaf (« Le Chemin des forains »), tout est traité avec le même respect et la même grâce.
Daniel Chauvet
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Richard Manetti
Groove Story

Bad town, For JM, Sadness, Loupgaloo, Italian Prelude, Night come back, Océan, Dendrolague, Sun of the road, Emilio
Richard Manetti (g), Stéphane Guillaume (ss, ts), Fred D'Oelsnitz (p), Jean-Marc Jafet (elb), Yoann Serra (dm) + Didier Lockwood (vln), Cédric Ledonne (perc)
Durée : 56' 47''
Enregistré en décembre 2013 et janvier 2014, Antibes (06)
Label Bleu 6718 (
L'Autre distribution)


Il faut se faire une raison : Richard Manetti n'a pas vraiment l'intention de marcher sur les brisées de Romane, son père, premier professeur de guitare dans le registre manouche. Il le confirme avec ce nouveau CD qui fait suite à Why Note, sorti en 2011, et enregistré avec les mêmes musiciens. Le Parisien Stéphane Guillaume, les Niçois Jean-Marc Jafet et Fred D'Oelsnitz (qui proposent chacun une composition) et Yoann Serra, auxquels se joignent, pour un titre chacun, Cédric Le Donne et Didier Lockwood. Pas de section de cordes, cette fois et ce n'est pas plus mal. Cette « groove story », résolument « funky » ne manque ni d'énergie, ni de swing. Harmonies limpides, compositions séduisantes, arrangements subtils de Fred D'oelsnitz, solos très inspirés, belle cohésion, d'ensemble et superbe prise de son de Fred Betin. Une réussite !
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquePopa Chubby
I'm Feelin' Lucky

Three Little Words, I’m Feelin’ Lucky, Rock on Bluesman, One Leg at a Time, Rollin’ and Trumblin’, Come to Me, Save Your Own Life, I’m a Pitbull (Nothin’ but Love), Too Much Information, The Way It Is
Popa Chubby (g, voc, perc), Dave Keyes (p, org, elp), Francesco Beccaro (b), Chris Reddan (dm), Tipitina Horrowitz (tp), Mike Zito (g), Dana Fuchs (voc)
Enregistré entre le 1er mai et le 30 juin 2014, New York
Durée : 54’ 15’’
Dixiefrog 8769 (Harmonia Mundi)


Popa Chubby fête ses vingt-cinq ans de carrière et il va bien, très bien même. Son album est un condensé de ce qu
i se fait de l’autre côté de l’Atlantique. Pour être complet, il s’est adjoint deux artistes du label Ruf Records pour donner un peu plus de piment à un album qui pour certains pourrait sembler trop sage. Dès les premières mesures, le tempo est donné, sur trois petits mots. Le son est propre et la guitare sonne bien. Dans le registre blues traditionnel on a droit à un « One Leg at a Time » bien dans l’esprit de la Nouvelle Orleans et un « Rollin’ and Trumblin’ » enlevé. Il faut attendre « I’m Feelin’ Lucky », pour retrouver le premier esprit de Popa Chubby, quand il portait la coupe « afro ». Ça sent le godfather of Soul à plein nez. Les cocottes de guitare flirtent avec les gimmicks funky et Popa est Lucky. Sur « Rock on Bluesman », il bénéficie du soutien de Mike Zito (g). Avec lui, il s’aventure vers les espaces qu’apprécie Uli Jon Roth, le guitariste du groupe Scorpion, fan de Jimi Hendrix. Même si on est loin des premières expériences punk du géant du Bronx avec Richard Hell, le blues rock balancé sur cette plage mérite une oreille attentive pour percevoir la complémentarité des deux artificiers. « Too Much Information », renvoie au « Wild Horses » des Stones et « The Way It Is » au blues-rock sudiste cher à Bad Co. La petite pépite se trouve en plein cœur de l’album. Avec Dana Fuchs, que nous vous avons chroniqué dans le dernier numéro, Ted Horrowitz tire le gros lot. Le duo qu’il forme avec la chanteuse donne des ailes à Popa, qui se délecte d’un chorus de qualité. La voix de Dana évoque Janis Joplin, la guitare de Chubby celle de Jimi (ou presque), on se rapproche d’un duo mythique qui n’a jamais existé et enfin le voilà, peut-être, d’où cette distinction « indispensable ».  Pour en savoir un peu plus sur le guitariste New-Yorkais, le livret présente succinctement son parcours et un CD bonus retrace ses débuts lorsqu’il évoluait au sein des Noxcuse ou du Ted Horrowitz and Monster. Un quart de siècle pour quasiment autant de galettes c’est un joli score qu’il faut apprécier à sa juste valeur.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueThe Duke Robillard Band
Calling All Blues !

Down in Mexico, I’m Gonna Quit my Baby, Svengali, Blues Beyond the Call of Duty, Emphasis of Memphis, Confusion Blues, Motor Trouble, Nasty Guitar, Temptation, She’s so Fine
Duke Robillard (g, voc), Bruce Bears (p, elp, org, voc), Brad Hallen (b, voc), Mark Teixeira (dm, voc), Sunny Crownover (voc), Doug Woolverton (tp), Rich Lataille (as, ts), Mark Earley (ts, bs)
Enregistré à West Greenwich (Rhode Island), date non précisée
Durée : 39’ 28’’
Dixiefrog 8766 (Harmonia Mundi)


Lorsqu’on écoute un album de Duke Robillard, on est sûr d’une chose, c’est que l’on ne sera pas déçu. Ainsi Independently Blue, sorti en 2013, avait eu droit à un « Indispensable » notable. Calling All Blues reste dans une bonne veine de blues, mais d’un degré moins excitant. Parmi les bonnes réussites de ce dernier opus on note « Blues Beyond the Call of Duty », avec la voix de Sunny Crownover et des entrelacs de la guitare avec les sonorités ouatées de l’orgue. Il s’agit d’un blues lent, à la fois lancinant et émoustillant par les promesses qui en découlent. On est en plein dans le vrai pour se rappeler les jolis phrasés de Luther Johnson via les doigts de Duke Robillard. Dans un style plus punchy pour ne pas dire funky, « Emphasis Memphis » avec sa section de cuivres évoque l’heure de gloire du label Stax : du blues profond gorgé de gospel, un agréable moment. « Temptation » avec la trompette mute de Doug Woolverton complète ce podium très subjectif. La guitare du Duke évoque Pink Floyd de la grande période, tandis que la trompette fait pensé à Miles pour un morceau de grande qualité. Le reste de Calling all Blues, aborde d’autres aspects du blues : urbain avec le piano scintillant de Bruce Bears (« Confusion Blues »), ou plus rural (« Svengali »), quand le leader renvoie ses troupes dans les années trente. Enfin, « Nasty Guitar » et « She’s so Fine » sont deux odes aux racines du guitariste, le son du blues d’Alabama et le rock’n’roll.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Mark Elf
Returns 2014

A Little Diddy, It Was so Beautiful, Jacky’s Jaunt, Time on my Hands, Michellie’s Mambo, Low Blow, Titillating, The Bottom Line, People Will Say We’re in Love, The Sandy Effect.
Mark Elf (g), David Hazeltine (p), Peter Washington (b), Lewis Nash (dm), Steven Kroon (perc)
Enregistré le 16 décembre 2013, lieu non précisé
Durée : 54’ 46’’
Jen Bay 0012 (www.jenbayjazz.com)


Mark Elf fait par
tie des guitaristes que votre revue suit depuis toujours. Avec plus d’une dizaine d’albums en vingt-cinq ans de carrière, le compte ne semble pas y être et pour cause. Après avoir été opéré d’un cancer au début des années 2000, le guitariste n’est revenu sur la scène jazz qu’en 2004 avec un album au titre plus qu’évocateur (Glad to Be Back). Il pensait reprendre son activité discographique comme par le passé avec un album par an et puis ne voilà pas que l’ouragan Sandy vient se mêler de tout ça. Résultat de l’affaire, le New-Yorkais perd sa demeure et doit repartir de zéro pour tout reconstruire. Aussi, c’est un petit miracle de voir sur nos platines Returns 2014, un album qui aurait du sortir bien avant. Pour ce disque, Elf s’est entouré d’une rythmique qu’il a l’habitude de pratiquer. Avec David Hazeltine (p), Peter Washington (b), Lewis Nash (dm), présents sur ses deux dernières productions, l’ancien partenaire de Charles Earland et Jimmy Mc Griff ne fait pas dans la dentelle. Le résultat, de qualité, débouche sur une ambiance très classique pour ce XXIe siècle. « The Sandy Effect », qui clôt cette galette renvoie au fameux ouragan de 2012. Tout est désolation quand Elf égrène les notes de ses accords en descendant lentement les différents paliers du manche. Les enchevêtrements qui en découlent évoquent bien évidemment les conséquences désastreuses de cet acte de dame nature. Des thèmes lents jalonnent encore Returns, qui prennent appui sur des standards revisités (« It Was so Beautiful ») ou « People Will Say We’re in Love », un arrangement du classique « Oklahoma » de Rogers et Hammerstein. Pour les blues, Mark Elf utilise sa guitare baryton pour donner plus de profondeur à son expression (« Low Blow »). Enfin, « Michellie’s Mambo » est le titre qui ressort le plus de ce come-back. La présence de Steven Kroon (perc) apportant un plus indéniable à un excitant mambo, où le jeu rapide du guitariste se laisse délicatement apprécier. Un deuxième retour réussi pour Mark Elf en espérant qu’à présent son chemin vers de nouvelles orientations ne soit pas parsemé de nouvelles embuches.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueFred Chapellier
Electric Communion

CD1 : Night Work, He’s Walking, Living in a Dream, Cold as Ice, Sweet Soul Music, As the Years Go Passing By, B Shuffle, I Loved Another Woman, Gary’s Gone, Can’t You See What You’re Doing to Me, Under the Influence, Blues for Roy ; CD2 : Ain’t no Love in the Heart of the City, Bet on the Blues, Beyond the Moon, Under the Influence, Better Off Lonely
Fred Chapellier (g, voc), Johan Dalgaard (key), Charlie Fabert (g, voc), Abder Benachour (b), Denis Palatin (dm)
Enregistré en janvier 2014, Bartenheim (68)
Durée : 1h 06’ 28’’ + 21’ 48’’
Dixiefrog 8764 (Harmonia Mundi)


Fred Chapellier nous présente un album haut de gamme par les thèmes retenus, la technique utilisée et le feeling diffusé. Vraiment, le bluesman Lorrain marque un grand coup dans l’univers du blues made in France. Avec Peter Green (« I Loved Another Woman »), Albert King (« Can’t You See… ») et Deadric Malone, alias Don Robey, au programme, Chapellier fait dans la beauté. On retrouve tout le soyeux du phrasé de l’ancien Fleetwood Mac, avec une voix qui se rapproche étrangement de celle de l’ « Albatross ». Avec le thème de King on passe à la vitesse supérieure. Là, ça déménage vraiment, mais dans le bon sens du terme avec un Abder Benachour impérial à la basse. Enfin, avec le magnifique « As the Years Go Passing By » de Deadric Malone, l’émotion monte d’un cran supplémentaire. La voix de Chapellier associée aux sonorités d’orgue de Johan Daalgard font leur effet. Au niveau des compos, le partenaire de Tom Principato et Neal Black, rend hommage aux grands bluesmen blancs disparus. Au catalogue, un « Gary’s Gone » pour Moore, le flamboyant guitariste irlandais, dans un registre plutôt lent, avec l’émotion de la disparition d’un phare du blues et un jeu qui évoque forcément ce dernier. Un grand et beau moment de Electric Communion. « Blues for Roy », pour Buchanan, une autre grande influence de Frédéric, nous fait entrer dans un univers plus singulier, avec des single-notes acérées. Une sonorité profonde et prenante qui démontre bien l’intérêt porté par le Français pour ce bluesman de l’Arkansas. Et le reste me direz-vous ? Il est à la hauteur de tout ce qui vient d’être dit sur ce cet album. Avec encore de ci-de là quelques jolies perles comme « Living in a Dream » très « greenien » qui fait vraiment rêver, ou le très swinguant « Cold as Ice ». Un petit shuffle en Si et le tour est joué, le corps reprenant alors le pas sur l’âme. Un CD bonus enregistré en studio nous permet d’entendre le combo de Fred Chapellier dans une atmosphère plus calibrée. Outre le « Under the Influence », magistralement distillée en live, on a droit à un blues plus agressif, mais toujours de qualité (« Bet on the Blues »). Le live extrait d’un concert du caf’ conc’ des Trois Frontières à Barteihem et le CD bonus méritent vraiment de trôner en bonne place dans votre discothèque. Sûr que cette galette, comme le bon vin, vieillira en se bonifiant.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueTom Chang
Tongue & Groove

Spinal Tap/Goes to 11, Djangolongo, Variations for Piano op. 27, Sleepwalker, Tongue & Groove, Scatterbrain, Bar Codes, The Logos, Entangoed Heart, Spinal Tap (take 2)
Tom Chang (g), Greg Ward (as), Jason Rigby (ts), Chris Lightcap (b), Gerald Cleaver (dm), Akshay Anatadmanabhan (kanjira, mridangam), Subash Chandran (konnakol)
Enregistré le 26 Juin 2012, New York
Durée : 49' 37''
Autoproduit (www.tomchangmusic.com)


Tom Chang est un Coréen qui très jeune a émigré vers le Canada. Lorsqu’il commence la guitare, il apprécie particulièrement Jeff Beck, Jimi Hendrix, Jimmy page avant de succomber à la finesse de Jim Hall et de Wes Montgomery. Cette immersion dans le jazz va l’amener à intégrer le Guitar Institute of Technology de Los Angeles et à se former sous la férule de Scott Henderson, Ted Green et Joe Diorio. Avec une telle formation, la musique que délivre le guitariste ne surprend pas. Son jeu de guitare est fait d’envolées speedy lyriques avec des placages d’accords exacerbés pour tenir tête aux déboulés des saxophonistes sur « Variations for Piano op. 27 » d’Anton Webern. « Tongue & Groove » débute par un monologue en coréen, sans certitude aucune, avant de céder la place à la guitare extatique de Tom pour une balade dans des contrées aux confins du Nord du Canada, sûrement. On retrouve un peu les atmosphères de Jan Garbarek avec la fluidité du phrasé de John Scofield. Les compositions du leader se veulent modernes et le sont. Le swing n’est pas très présent mais son approche est intéressante. On attend de voir comment va mûrir sa riche expression.
Michel Maestracci
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Delfeayo Marsalis
The Last Southern Gentlemen

The Secret Love Affair, Autumn Leaves, She's Funny That Way, Can You Tell Me How to Get to Sesame Street, I'm Confessin' That I Love You, But Beautiful, Speak Low, Nancy With the Laughing Face, The Man With two Left Feet, That Old Feeling, My Romance, If I Were a Bell, Cover the Waterfront
Delfeayo Marsalis (tb), Ellis Marsalis (p), John Clayton (b), Marvin Smitty Smith (dm)
Enregistré à Burbank (Californie), date non précisée
Durée : 1h 10' 40''
Troubadour Jass Records 081814 (http://delfeayomarsalis.com)


Cet album, enregistré aux Cahuenga Pass Studios de Burbank en Californie, est présenté comme un hommage à Mulgrew Miller, « a great musician, classy individual & true Southern Gentleman », écrit Delfeayo sur la pochette de l’album. A propos de cet album, le tromboniste pose la double problématique du perçu esthétique de chaque génération de musiciens, jeunes et plus âgés, d’une part, et le fait aussi difficile qu’intimidant d’enregistrer avec son propre père, lorsque celui-ci est un vrai maître, d’autre part. En fait, la difficulté d’être chacun soi-même et de trouver à s’épanouir sur un répertoire commun, d’où le choix de standards et de ballades dans lesquelles son père peut exprimer le romantisme qui constitue la substantialité de son style pianistique ; en sorte que « The Last Southern Gentlemen is a firm acknowledgement of the existence and importance of sweet, gentle sounds ».
Mise à part la composition de Jason, « The Man With two Left Feet » à la structure complexe, les autres pièces sont des ballades en tempo medium, voire lent comme « I’m Confessin’ », dans lesquelles la mélodie peut emplir tout l’espace de son développement harmonique, somme toute très classique, hormis le premier thème, « The Secret Love Affair » sur rythme caraïbe, traité de façon modale. Que ce soit le contrebassiste John Clayton (exposition du thème de « That Old Feeling ») ou le batteur Marvin Smitty Smith, Delfeayo dit les avoir toujours admirés pour ce qu’ils sont, des musiciens pétris d’une tradition classique mais d’une originalité propre. Le résultat est effectivement de très haute tenue ; chaque instrumentiste participe à l’élaboration de la musique correspondant à un certain art de vivre de ce Sud où, selon Delfeayo, serait née la musique proprement américaine.
The Last Southern Gentlemen
est un album en tout point musicalement exemplaire, au plan de l’interprétation, d’une tradition musicale originale – « relaxation, melodic, construction and swing » – qui permet à un fils, dans son entreprise délicate, d’être fier de son père et réciproquement. Néanmoins, il convient de souligner que deux des pièces retenues pour cet exercice « southern » ont été composées par deux auteurs européens, et non des moindres, Kurt Weill et Joseph Kosma. Par ailleurs, si Delfeayo signe un long texte, au contenu sibyllin, regrettons que, pas une fois, le coffret ne mentionne le nom des auteurs de ces treize thèmes. En des temps si attentifs à la traçabilité des produits, l’hypertrophie de l’égo de certains semble leur faire oublier leurs obligations à l’égard du droit, au moins moral, des auteurs, à moins que ce ne soit celle de producteurs qui cherchent à s’affranchir d’autres contraintes afférentes. Car la tendance actuelle est générale dans la production phonographique d’oublier de donner – ou de « se tromper sur le nom du compositeur » – sur chaque album les informations indispensables et légalement obligatoires, à savoir les dates et lieux précis de réalisation et d’enregistrement, informations qui figurent obligatoirement sur les publications écrites.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Prince H. Lawsha & Frédérique Brun
Melodies & Memories

Sentimental Journey, A Fine Romance, La Vie en rose, Dream a Little Dream, Let's Call the Whole Thing off, Into Each Life Some Rain Must Fall, The Nearness of You, Over the Rainbow, Our Love Is Here to Stay, Just in Time, They Can't Take That Away From Me, That's All
Prince H. Lawsha (voc), Frédérique Brun (voc), Robinson Khoury (tb), Alain Brunet (tp, fgh), Laurent Alex (s), Philippe Khoury (p), Patrick Maradan (b), Philippe Maniez ou Andy Barron (dm)
Enregistré en 2013, Lyon (69)
Durée : 48' 54''
QS Music Productions 004 (www.princelawsha.com)


Le chanteur, batteur et producteur Prince H. Lawsha, qui a maintenant dépassé la soixantaine après un parcours aussi divers qu’étonnant, réside relativement souvent en France depuis la fin des années 1990. Il est très sollicité par les formations d’Alain Brunet pour des tournées dans le sud de la France. C’est dans ces conditions qu’il a été amené à rencontrer un grand nombre de musiciens français, notamment de la région Rhône-Alpes, avec lesquels il s’est produit et eu l’occasion d’enregistrer comme ces quelques douze faces de standards.
Ici, il chante en compagnie de Frédérique Brun, professeur de chant jazz au conservatoire de Vienne, des evergreen de Tin Pan Alley : Gershwin, Jerome Kern, Jule Styne, Harold Arlen et même « La Vie en rose » ! Prince a une très belle voix de basse. Cette formation, qui compte une bonne section rythmique et quelques soufflants avertis, tourne les pages de l’album de Broadway ; elle permet de passer des instants agréables.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Frédéric Loiseau
Smile

La Princesse d'Artolu, Smile, Prelude to a Kiss, Ab for G, Haupé, The Duke, All Too Soon, U.M.M.G., Summer Leaf
Frédéric Loiseau (g), Benoît Sourisse (org), André Chalier (dm)
Enregistré les 12 et 13 mars 2014, Videlles (91)
Durée : 44' 37''
Black & Blue 789.2 (Socadisc)


C’est le second opus de Frédéric Loiseau en tant que leader ; et dans sa présentation, le musicien affirme que le choix de ses partenaires lui est apparue « comme une évidence » et, plus encore, « sans répétition préalable avec le frisson de l’aventure spontanée ». Le programme de cet album est pour une large part emprunté au répertoire ellingtonien : deux pièces du Duke et deux de son alter ego, Billy Strayhorn, auquel il convient d’adjoindre l’hommage de Dave Brubeck au maestro composé en 1955 (« The Duke »). Les autres thèmes sont du leader de session. Les deux compositions d’Ellington sont de 1938 et 1940 ; en revanche toutes les autres (quatre), hormis les siennes, furent écrites entre 1954 et 1959. Ce choix donne un ton à l’esthétique musicale dominante que vient renforcer la propre sensibilité du maître d’œuvre et de ses partenaires.
Unité de ton ou monotonie ? Quoi qu’il en soit, le parti pris de l'esquisse reste trop souvent floue et même incertaine ; si le solo dépouillé ad libitum sur « All too Soon » se conçoit fort bien et constitue une réelle réussite, manque quelques traits appuyés - qui eussent structuré « Prelude to a Kiss » en épure – structure que comporte justement « Upper Manhattan Medical Group ». En sorte que restent des ébauches, au mieux des pochades un peu fades voire affectées (« Summer Leaf », variation sur « Les feuilles mortes »). Il y a néanmoins quelques parties prometteuses : exposition du thème et premier chorus de « la Princesse d’Artolu », « Smile », « Ab for G », « Haupé », « The Duke ».
Trop d’ambiance où l’on attend plus de musique ; car les deux ne sont pas opposées. La rançon, peut-être le risque, de « l’aventure spontanée » ?
lix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueMonty Alexander
Harlem-Kingston Express Vol. 2 : The River Rolls On

Hurricane Come And Gone/Moonlight City, People Make The World Go Round, Concerto de Aranjuez, Sleaky, Trust, The Harder They Come, The Rivers Roll On, What's Going On, Love Notes, Skamento, Linstead Market, Redemption Song, Regulator (Reggae-Later)
Monty Alexander (p, melodica, voc), Hassan Shakur (b), Obed Calvaire, Karl Wright, Frits Landesbergen (elb) Yotam Silberstein, Andy Bassford (g), Earl Appleton (key), Courtney Panton (perc), Caterina Zapponi, Wendel Jr Jazz Ferraro (voc) + George Benson (g, voc), Ramsey Lewis, Joe Sample (p)
Durée : 1h 05' 42''
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Motéma 233828 (
Harmonia Mundi)


Fidèle à son habitude, Monty Alexander, truffe son jeu (un des plus volubiles de l'histoire du piano jazz) de citations. La première, est une forme de manifeste : « It don't mean a thing if you ain't got that swing » (dès les premières minutes du premier titre), l'exigence du swing, son cheval de bataille depuis toujours. Comme l'annonce le titre de l'album, il s'ingénie à lancer des ponts entre le reggae de ses origines (il est né en Jamaïque) et le jazz, tout en y mêlant aussi d'autres références (comme ce « Concerto d'Aranjuez » joué en bossa nova où l'on reconnaît quelques notes de « All Blues » et, de... « La lettre à Elise »). Un melting-pot kaléïdoscopique pour lequel il a invité à se joindre à sa formation de base les voix de Caterina Zapponi (d'origine italienne), et de Wendel Jr. Jazz Ferraro (rappeur d'origine jamaïcaine), et pour « Love Notes », George Benson, Ramsey Lewis et le regretté Joe Sample. Le résultat de cette disparité (certains titres ont même été enregistrés en « live ») aurait pu être un peu fourre-tout. Mais tout cela reste toutefois très homogène, tant la personnalité du maître de cérémonie lisse et unifie les contrastes. Musique alerte, joyeuse, et facile d'accès malgré ses exigences.
Daniel Chauvet
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Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueLucky Peterson
The Son of a Bluesman

Blues in My Blood, Funky Broadway, Nana Jarnell, I Pity the Fool, Boogie-Woogie Blues Joint Party, I'm Still Here, The Son of a Bluesman, I Can See Clearly Now, Joy, You Lucky Dog, I'm Still Here
Lucky Peterson (g, org, voc), Shawn kellerman (g) Timothy Waites (b), Raul Valdes (dm), Remon Hearn (org, elp), reste du personnel détaillé dans le livret
Durée : 57' 01''
Date et lieu d'enregistrement non précisés
Jazz Village 570035 (
Harmonia Mundi)


Après une période en demi-teinte, le guitariste-organiste-chanteur et showman exceptionnel, Lucky Peterson sort de sa semi retraite avec ce CD où faisant référence à son propre père, (James, bluesman de renom), il explore tous les canons du genre. Allant du blues quasi acoustique façon bayou, à celui arrangé avec cuivres mode Ray Charles, en passant par des ambiances à la sauce rock and roll ou soul que n'aurait pas reniés Jerry Lee Lewis, Little Richard ou Wilson Pickett. Cette fois encore, Lucky Peterson montre à quel point il possède et domine son sujet. Pas de doute possible, le successeur de BB King est désigné.
Daniel Chauvet
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Abdullah Ibrahim
The Song Is My Story

Celestial Bird Dance, Threshold, Open Door-Within, Unfettered-Muken, Spiral Mist, Just Arrived, Kalahari Pleiades, For Coltrane, Twelve By Twelve, Shadows Lean Against My Song, The Song Is My Story-URA, Marinska, African Dawn, Eclipse at Dawn, Phambili-Looking Ahead, For Coltrane, Children Dance
Abdullah Ibrahim (p, s)
Durée : 39' 55'' + DVD 56'
Enregistré en juin 2014, Sacile (Italie)
Intuition Records 3442 2 (Socadisc)


Malgré une très courte introduction et une conclusion plus brève encore au saxophone, c'est bien d'un récital de piano solo qu'il s'agit ici, enregistré de surcroît dans le saint des saints de la maison mère du célèbre facteur Fazioli. Abdullah Ibrahim improvise librement sur quelques uns de ses thèmes fétiches, ceux-là même dont il explique la genèse dans le DVD joint au disque, où il parle (sans être traduit, malheureusement), plus qu'il ne joue . C'est bien entendu magnifique. Le pianiste se montre très inspiré jouant plus que jamais des silences et, jonglant avec toutes les nuances permises par un instrument exceptionnel. La prise de son est parfaite. Un seul regret toutefois, moins de quarante minutes, c'est bien peu, et, l'auditeur ravi n'aurait pas refusé de savourer quelques instants supplémentaires de ce moment de pur bonheur.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Paris Jazz Big BandCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Source(s)

Huyana, Wild, Zamba Blanca, Cajon Negro, Yankadi, Diya Nyö, Carnaval, L'éléphant et l'oiseau, Flanm La Brèz
Stéphane Chausse, Pierre Bertrand, Stéphane Guillaume, Sylvain Beuf, Frédéric Couderc (s), Michel Feugère, Tony Russo, Nicolas Folmer, Fabien Mary (tp), Denis Leloup, Guy Figliontos, Philippe Georges, Didier Havet (tb), Alfio Origlio (b), Jérôme Regard (b) + Minino Garay (perc), André Ceccarelli (dm), Kabiné Kouyaté, Meddy Gerville (voc), Maré Sanago (djembé), Miguel Ballumbrosio (cajon)
Durée : 50' 19''
Enregistré au printemps 2011, Rochefort (17)
Cristal Records 202 (Harmonia Mundi)


Mené de mains de maîtres par le saxophoniste Pierre Bertrand et le trompettiste Nicolas Folmer (qui signent toutes les compositions), le Paris Jazz Big Band suit un petit bonhomme de chemin peu banal, parsemé des embûches inhérentes au maintien de la survie d'un grand orchestre (particulièrement en période de crise), qu'il semble l'un des rares à savoir éviter. Après A suivre, Méditerranéo, Paris 24h et the Big Live, voici Source(s), dont les thèmes s'inspirent (très librement) de musiques traditionnelles d'Afrique, de la Réunion et d'Amérique latine. Que l'on se rassure, il ne s'agit pas ici d'une world music passée à la moulinette d'une modernité opportuniste, mais d'une authentique musique de Jazz, inventive et swingante à souhait, arrangée selon les canons les plus stricts des grandes formations de référence, et diablement gaie et entraînante, et, truffée d'improvisations lumineuses. La valeur d'un Big Band , c'est bien connu, tenant autant à la qualité de ses arrangements qu'à celle des solistes, ces deux conditions étant ici parfaitement remplies, ce dernier CD du Paris Jazz Big Band est en tout point une réussite enthousiasmante.
Daniel Chauvet
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Manu KatchéCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Live in Concert

Places of Emotion, Shine and Blue, Song For Her, Loving You, Clubbing, Springtime Dancing, Walking By Your Side, Beats And Bounce, Drum Solo, Snapshot
Manu Katché (dm), Luca Aquino (tp), Tore Bruneborg (s, synth), Jim James Watson (p, elb)
Durée : 1h 05' 56''
Enregistré le 16 juin 2014, Paris
ACT 9577-2 (Harmonia Mundi)


S'il était plutôt attendu dans le registre d'une musique fortement typée « jazz-fusion », l'exubérant batteur Manu Katché, brouille savamment les pistes sur ce CD enregistré en public au New Morning. On pense, bien sûr, ça et là, aux oeuvres de Michaël Brecker, de Jan Garbareck ou de Paolo Fresu, mais, sur ses compositions assez habiles et plutôt savantes, les deux soufflants, bien soutenus et suivis aussi par le pianiste et organiste, ne se complaisent pas dans la facilité, et développent des climats intimistes et envoûtants où l'énergie, toujours sous-jacente jaillit parfois de façon tout à fait savoureuse. Un disque très plaisant.
Daniel Chauvet
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Belmondo Family SextetCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Mediterranean Sound

Alone Together, Rue Serpente, Flamingo, Goovin' Higher, Skylark, Tricotism, Méditation, East of the Sun, Lovers of Their Time, Tangerine, Line for Lyons
Yvan Belmondo (bs), Stéphane Belmondo (tp, flh), Lionel Belmondo (ts), Jean-Philippe Sempere (g), Sylvain Romano (b), Jean-Pierre Arnaud (dm)
Durée: 49' 59''
Enregistré les 15 et 16 avril 2013, Solliès-Toucas (83)
B Flat Productions 6107645
(Discograph)


Stéphane et Lionel Belmondo solistes brillants et reconnus, ont convié leur père (et premier professeur) Yvan Belmondo (sax baryton), resté dans l'ombre de ses fils, pour un barbecue aux herbes de Provence, face à la grande bleue. Sur le grill, quelques morceaux de choix de Pepper Adams, Oscar Pettiford, Gerry Mulligan, entre autres. Retrouvailles familiales sympathiques, certes, mais d'une grande exigence. Arrangements à trois voix de haute volée des trois Belmondo et solos lumineux concoctés comme il se doit. Le tout pimenté par la guitare de Jean-Philippe Sempere, relevé par quelques touches d'épices du bassiste Sylvain Romano et accommodées à la sauce savoureuse et fluide du drumming de Jean- Pierre Arnaud. Un régal !
Daniel Chauvet
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Kevin Norwood Quartet
Reborn

Real Brother, Past Dreamers, Reborn, Brighter, Half Moon Romance, Time Flies, Keep The Headland, Isaac, Waltz for My Mother, Blues For Mac
Kevin Norwood (voc), Vincent Strazzieri (p), Sam Favreau (b), Cédrick Bec (dm)
Enregistré en octobre-décembre 2013, Pernes-les-Fontaines (84)
Durée : 1h 01' 13''
Ajmiseries 25 (Socadisc)


Voici un nouveau chanteur, Kevin Norwood, repéré par David Linx, dont il a la souplesse de voix, et le sens des envolées. Kevin Norwood est né en 1986 à Avignon ; il a fait des études de saxophone au conservatoire du Pontet (84) puis il étudie à Carpentras et Salon-de-Provence. C’est donc un Sudiste, pas étonnant qu’il ait été repéré par l’AJMI d’Avignon, pépinière de jazzmen. C’est une révélation, car s’il apparaît tous les jours de nouvelles chanteuses, on peut compter les hommes sur les doigts d’une seule main. C’est un chanteur d’une grande sensibilité, d’une belle délicatesse, qui cisèle les paroles, pratique un scat léger très instrumental. Qu’on l’écoute dans « Time Flies », une chose rare, un duo voix-batterie. Pas d’esbroufe du côté du batteur, son discours est parfaitement dans la ligne du chanteur. Au jeu des comparaisons, je le mettrais dans la ligne d’Andy Bey, même approche, même sensibilité, subtilité et sens des couleurs, la différence c’est que Kevin Norwood possède une voix aiguë, proche parfois de la haute-contre. Une voix ambiguë, quelque peu androgyne, mais à ne pas comparer à Chet Baker, dont la voix est plus brumeuse, plus confidentielle. Dans le titre éponyme, plein de charme, sur tempo lent, il tient la note, à la façon d’un trombone crooner. Le bassiste a des attaques à la fois sèches et ouatées, et ses solos sont toujours mélodiques. Le pianiste sait laisser respirer sa musique ; on peut écouter le travail de sa main gauche sur « Half Moon Romance » en répons aux accords de la main droite. Quant au batteur, il est celui qu’il fallait à ce groupe. Ce chanteur a su s’entourer d’un trio impeccable, et l’ensemble est un véritable quartette et non pas un trio qui accompagne un chanteur. Les atmosphères des titres sont très variées. On y trouve l’aération du Modern Jazz Quartet avec la place du silence.
De la musique avant toute chose chez ces moins de 40 ans. Ils jouent un jazz évident et cultivent la beauté.
Serge Baudot
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Jean-Marc Montaud Quartet
Drive In

Chan’s song/Never Said, La chanson de Delphine à Lancien, Salut l’artiste, Charade, Two for the Road, Le bal des casse–pieds, Cucurrucu Paloma, Argomenti, Mo’ Better Blues, Le vieux fusil, Nous irons tous au paradis, Les Valseuses
Jean–Marc Montaut (p, elp), Laurent Vanhée (b), Dave Blenkhorn (g), Guillaume Nouaux (dm)
Enregistré les 12 et 13 novembre 2013, Rochefort (17)
Durée : 52' 51''
Frémeaux & Associés 8510 (Socadisc)


Le pianiste historique de Pink Turtle, ce groupe qui manie la poésie décapante du surréalisme musical, propose dans cet album la lecture appliquée et même grave de douze musiques de films, dont celle de Morricone dans Le Casse, qui, dit-il, malgré sa frayeur enfantine, ne l’avait jamais plus quitté. Ces compositions, qui s’étalent sur une trentaine d’années (1967-2002), correspondent à des œuvres ayant teinté son vécu. Il s’agit ni plus ni moins que d’une sorte d’autobiographie musicale, qui en dit bien plus sur l’homme que de longs discours. L’esthétique cinématographique française, avec la poésie du temps qui passe (« Salut l’artiste »), domine largement avec huit films sur douze ; et dans les autres, la thématique et l’univers n’en sont guère éloignés. S’y découvrent ainsi les constantes psychoaffectives de l’individu qui ont structuré la personnalité du musicien : Yves Robert sonorisés par Vladimir Cosma (trois faces), mais également Stanley Donen animé par Henry Mancini (deux plages). Et le jazz qu’il invite « ne se prend jamais trop au sérieux » ; il a le goût des regrets tendres et présente l’image sublimée du rétroviseur jusqu’au « climax » d’Herbie Hancock ; et les « Valseuses » de Grappelli ont même l’élégance d’être bostonnées.
Montaut trouve auprès de ses partenaires des complices de sa relecture de ses moments musicaux recomposés. Dave Blenkhorn est l’autre voix du quartet qui, en contrepoint, illumine l’album de ses soli (« La chanson de Delphine »). Laurent Vanhée soutient fermement l’ensemble, n’intervenant qu’occasionnellement avec sobriété (« Valseuses »). Quant à Guillaume Nouaux, il est remarquable dans sa façon d’accompagner (notamment aux balais, « Nous irons tous au paradis »), de colorer l’espace (« Valseuses ») et de relancer la machine (« Charade »). Ça swingue merveilleusement (« Le bal des casse-pieds ») et c’est fait avec beaucoup de finesse et d’intelligence.
A 50 ans, Jean-Marc Montaut nous donne, avec Drive In, à découvrir plus que le musicien, le personnage que l’on ne soupçonnait pas. Nous lui connaissions son professionnalisme sérieux, dans des contextes infiniment plus ludiques. Or dans ces faces, il nous propose plus qu’un travail bien fait sur une thématique en définitive, sinon convenue, du moins assez simple. Les albums consacrés à la musique de films ne sont, en effet, pas rares ; pour preuve ceux de Claude Bolling dont le dernier en date, Cinéma Piano Solo (FA 8508, chroniqué par ailleurs) ou l’anthologie Le Jazz à l’Ecran (1929-1962) chez le même éditeur, Frémeaux & Associés (FA 5462). Néanmoins, assez peu de solistes se sont attachés à dégager l’unité de musiques de films, si différentes, de par le ton, la couleur, et l’univers ; il leur en retient son dénominateur commun. Par sa façon de métamorphoser les souvenirs en songes, la manière de Jean-Marc Montaut relève de la réflexion musicale. Et c’est souvent superbe.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Jean-Pierre Derouard Swing Music OctetCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Storyville Story. Swingologie. Jazz Portrait of Louis Armstrong vol. 6

Storyville Stomp, St-James Infirmary, West End Blues, Cornet Shop Suey, For Anna With Love, Tight Like This, Tiger Rag, Black and Tan Fantasy, Potatoes Head Blues, On the Sunny Side of the Street, Big Butter and Egg Man, Swing That Music, What a Wonderful World
Jean Pierre Derouard (tp, voc, dm), Esaie Cid (cl), Philippe Desmoulins (tb), Olivier Leveau (p), David Salesse (b), Alain Wilsch (bjo), Paul Gélébart (soubassophone), Laurent Cosnard (dm)
Enregistré les 22, 23 et 24 avril 2013, Thoiré-sous-Contensor (72)
Durée : 56' 48''
Autoproduit JPD6 (www.jeanpierrederouard.com)


Storyville Stomp
constitue le sixième volume du Jazz Portrait of Louis Armstrong entrepris par Jean-Pierre Derouard en 2001 ; il comprend deux compositions originales du trompettiste dont une sert de titre éponyme à l’album. Pour l’essentiel, cet opus est composé de thèmes du répertoire de Louie, dont « Black and Tan Fantasy » que « Satchmo » n’enregistra, pour la première fois, que le 3 avril 1961 en compagnie de Duke d’ailleurs. Mis à part « Potatoes Head Blues », « Big Butter and Egg Man » et « Cornet Shop Suey » (d’ailleurs orthographié « Cornet Chop Suey » sur l’édition originale Okeh 8320) qui concerne le premier Hot Five (avec Lil Armstrong-Harding, p), tous les autres thèmes relèvent du second Hot Five, période postérieure à l’arrivée d’Earl Hines (printemps 1928), et des époques ultérieures. Figurent sur ce volume, trois pièces emblématiques de l’œuvre enregistrée d’Armstrong : « West End Blues » et « Tight Like This », de sa première partie de carrière, et « What a Wonderful World » symbole universel de la fin de sa vie.
Ces moments de l’œuvre armstrongienne s’articulent autour de pièces personnelles composées en 2012 par Derouard illustrant l’esthétique de chacune : « Storyville Stomp » concernant la première, style New Orleans ; « For Anna With Love » s’inscrivant dans l’esprit du courant classique swing. La formation orchestrale retenue par le leader de session donne une couleur personnelle à ces thèmes fortement marqués par leur créateur dans leur instrumentation originale ; que ce soit le premier Hot Five avec Lil Harding, sans contrebasse ni batterie, ou le second avec Earl Hines, également sans contrebasse ; comme plus tard par le big band qui accompagna Louie après 1930.
Cette mise en perspective du répertoire de cet album paraît essentielle pour présenter la logique du projet de Jean-Pierre Derouard dans ce volume qui s’inscrit dans une vision bien plus large de la relecture de l’œuvre magistrale de Louis Armstrong. Car tout en reprenant les enregistrements du maître, il ne se contente pas de « recopier » le modèle, au demeurant insurpassable dans l’expressivité, mais bien d’en souligner certains aspects que la perfection, l’évidence et la concision d’ensemble de l’original ne permettent pas toujours de percevoir à la première écoute. Ainsi « Cornet Chop Suey », qui servit si longtemps d’indicatif à une célèbre émission d’Hugues Panassié, est pris en tempo légèrement plus lent que celui de Louie et plus encore de celui de Wynton Marsalis. Mis à part l’original qui ouvre l’album et « Tiger Rag », joués « enlevés » selon les règles de la musique New Orleans, les interprétations, qui respectent l’économie générale des enregistrements de référence, sont généralement jouées un peu plus lentement ; l’aspect virtuosité instrumentale n’étant pas premier, les ensembles comme les soli gagnent en qualité de swing. Par ailleurs la présence du soubassophone donne une tonalité plus nostalgiquement orléanaise à l’ensemble que les enregistrements originaux dynamiquement plus « nordistement urbains » ; et cela également pour la seconde composition originale. Les arrangements ne sont pas étrangers à cette impression générale ; le solo de trompette accompagné par la seule contrebasse (cet instrument n’était pas dans les enregistrements originaux) et la batterie dans « Tight Like This » contribue à cette dramaturgie musicale qui a beaucoup de charme.
Cet octet est tout à fait remarquable. Les arrangements simples et bien dans l’esprit de la musique d’Amstrong sont joués avec talent et ferveur. Les ensembles sont exécutés avec rigueur et les soli sans esbroufe sont souvent remarquables de clarté et de concision. La section rythmique, superbement emmenée par Olivier Leveau assure un soutien sans faille aux soufflants. Laurent Cosnard accompagne superbement ; il connaît cette musique et n’en rajoute pas. Son solo sur « Tiger Rag » est parfait. Alain Wilsch et Paul Gélébart apportent du volume à l’ensemble. David Salesse a une mise en place solide sur laquelle ses partenaires se sentent en sécurité. Quant à Olivier Leveau, bien que stylistiquement différent de ceux de Lil et de Fatha, son accompagnement est irréprochable dans son classicisme (proche de Billy Kyle plutôt) et certains de ses choruses sont magnifiques. Dans la section mélodique, la partie de trombone révèle Philippe Desmoulins au grand public ; il est à la fois tonique et plein de poésie (« St-James Infirmary »). Esaie Cid est formidable à la clarinette ; « Black and Tan Fantasy », qui lui fait la part belle, est peut-être, par l’équilibre instrumental, la face la plus parfaite de cet album. Bien dans la tradition de Barney Bigard, il en rappelle le timbre chaleureux et profond propre à cette école de Crescent City.
Derouard intervient brillamment en tant que batteur dans « Swing That Music ». Mais c’est surtout comme trompettiste qu’on l’entend dans cet album. On retrouve le musicien généreux mais également intelligent qui raconte, qui évoque son Louis Armstrong, tel qu’il l’a « entendu » et qui le restitue d’une manière aussi fidèle qu’originale. Sans copier et en respectant le texte musical, son interprétation pleine d’émotion de l’introduction, véritable obligado de « West End Blues », restitue toute la force évocatrice de Louie ; la suite de cette pièce est tout aussi remarquable avec le soutien exceptionnel de ses partenaires.
Storyville Stomp
est un album superbe. On ne s’ennuie jamais ; il évoque les parfums de la Louisiane dans un langage d’une poésie musicale recomposée. Il était gonflé de se colleter avec des pièces de cette envergure. Le défit a été relevé et gagné. Chapeau !

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Le Jazz à l'écran
Hollywood - New York - Paris - Turin 1929/1962

Titres et personnels détaillés dans le livret
Enregistré entre le 28 mars 1928 et le 17 janvier 1962, Hollywood, New York, Paris et Turin
Durée : 1h 09' 34'' + 1h 14' 46'' + 1h 15' 40''
Frémeaux & Associés 5462 (Socadisc)


Le coffret de trois CDs, Le Jazz à l’écran (soit trois heures et demi de musique), présente un panorama de la production cinématographique des quatre capitales du septième art au cours du second tiers du siècle dernier : Hollywood, New York, Paris et Turin. Cette anthologie réunit soixante-neuf faces extraites des bandes sonores de films enregistrées par plus d’une soixantaine d’artistes et/ou d’orchestres pour des films. Comme le signale Alain Tercinet dans le livret fort complet, si certaines ont été extraites des sound tracks optiques mêmes, beaucoup ont été enregistrées ultérieurement en studio hors de la réalisation du film, reproduisant la musique diffusée lors de la projection.
Première constatation, d’ordre quantitative : l’immense majorité des prises ont été réalisées aux Etats-Unis à Hollywood, capitale du cinéma, et à New York, même pour certains films tournés en Europe et en France particulièrement. A cela rien de bien surprenant : si le cinéma commença en Europe, et notamment en France avec les ascendants de certaines personnes ayant présidé à la naissance de Jazz Hot, comme Pierre Gazères, l’industrie du cinéma s’est surtout développée aux Etats-Unis – souvent sous l’impulsion de promoteurs issus de la seconde génération d’immigrants européens. Par ailleurs, le jazz étant une musique née dans la civilisation américaine, il n’est guère surprenant que l’immense majorité des musiciens de jazz ayant prêté leur concours aux bandes sonores de films soit également américaine. Et si Paris, et à un moindre degré Turin, fut une ville où le jazz participa à l’élaboration d’œuvres cinématographiques, le phénomène n’intéressa surtout que la période postérieure à 1945.
Par ailleurs, conséquence du choix des auteurs de cette compilation ou pas, peu nombreux sont les réalisateurs, en dehors d'Orson Wells dont nous connaissons l’intérêt pour cette musique, à avoir sollicité plusieurs fois des musiciens de jazz pour la musique de leurs œuvres. De la même manière, il apparaît que certains musiciens (Armstrong, Ellington) ont été sollicités tout au long de cette longue période alors que d’autres apparaissent et disparaissent au gré des modes au cours de ces trente trois années. Se pose alors la question de la place tenue par le jazz dans les films : musique d’habillage, sujet central, moyen d’évocation... Autant de situations différentes qui ont pu engendrer des résultats disparates.
Le jazz est surtout représenté dans ces faces par les interprètes qui peuplent les différents orchestres et même les orchestres de studio. En sorte que la musique, composée pour représenter le jazz, est jouée selon les règles adéquates. Et l’illusion est préservée sans que l’imaginaire propre à la musique de jazz soit réellement sollicité et n’entre en concurrence avec celui du cinéma qui reste primordial. De ce point de vue, cette anthologie s’avère d’un très grand intérêt car les pièces jouées et/ou composée par d’authentiques formations de jazz constituées (Ellington, Lunceford, Armstrong, Goodman…) présentent une crédibilité jazzique plus affirmée que les autres comprenant des jazzmen réunis pour jouer de la musique de circonstance. Sans être de jazz, les pièces de Gainsbourg, de Louiguy par exemple n’en sont pas moins intéressantes quant à ce que le jazz pouvait représenter dans l’imaginaire de certains compositeurs. Comme le sous-entend Corneau, les musiciens de jazz « ne font pas semblant » ; ils jouent la musique qu’ils pratiquent, c’est celle qu’ils connaissent. « Anatomy of a Murder » ou même « Blues in the Night », composé par un auteur de Tin Pan Alley (H. Arlen, J. Mercer), ne relèvent pas du même registre d’expressivité que « Something for Cat » ou « Satan in High Heels », même si Henri Mancini ou Mundell Lowe sont, comme Michel Legrand, des musiciens de grand talent. Le jazz est certes, comme le dit fort justement Michel Laplace, une façon de jouer la musique (comme le déclarait Jelly Roll Morton), mais il est aussi une musique dans l’intentionnalité du musicien lui-même, ce qui explique le « parce qu’une improvisation raconte quelque chose comme l’image le fait » de Corneau.
Cette anthologie, très illustrative de la musique de jazz à l’écran, est très instructive et enrichissante. Le livret d’accompagnement contient une foule de renseignements qui en éclaire toute sa réalité. A lire et à écouter attentivement absolument. Et quand aurons-nous le coffret de trois ou quatre DVD proposant les extraits mêmes des films, associant l’image et le son ?

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueLG Jazz Collective
New Feel

Grace Moment, New Feel, Move, Dolce Divertimento, A, Nick D, Toscane, Carmignano, The End Is Always Sad, Positive Mind
Guillaume Vierset (g, comp, arr), Jean-Paul Estievenart (tp, flh), Steven Delannoye (ts, ss), Laurent Barbier (as), Félix Zurstrassen (b, eb), Antoine Pierre (dm)
Enregistré en mai 2014, Bruxelles
Durée : 1h 01’ 35’’
Igloo Records 258 (Socadisc)


LG = Liège. Attardons-nous – en passant, si vous le voulez bien - sur la photo qui se trouve à l’intérieur de la pochette : une contre-plongée au pied de l’Escalier de la Montagne de Bueren, dans le centre historique de la Cité Ardente. De quoi, en passant, vous inciter à visiter cette ville wallonne encore trop méconnue par vous : les Français !
En août 2012, sept liégeois gagnaient haut les mains le tournoi des Jeunes Talents du festival « Jazz à Dinant ». Le groupe de jeunes loups s’était constitué à l’occasion d’une commande faite à Guillaume Vierset (g) pour arranger des œuvres de compositeurs liégeois. On découvrait ainsi : une version jazzée d’un hit d’André-Modeste Grétry. Après quelques concerts à droite et à gauche dans toute la Belgique, Guillaume Vierset a ouvert son répertoire à d’autres instrumentistes jeunes et Belges et d’autres compositeurs (tous Belges). Ainsi : Philip Catherine pour « Toscane » et Lionel Beuvens pour « A ». L’incontournable montois Jean-Paul Estiévenart (« The End Is Always Sad ») tient maintenant le pupitre du trompettiste ; le louvaniste Steven Delannoye : ceux du sax-soprano (« Dolce Divertimento») et du sax-ténor (« Nick D »). Imparable, Antoine Pierre (dm) soutient la charpente avec la maestria d’un compagnon-bâtisseur (« Move » « Positive Mind »). Igor Gehenot met sa créativité au service de la collectivité (« The End Is Always Sad »). Laurent Barbier (as sur « Newel » et « Carmignano ») et Félix Zurstrassen ( eb sur « A », b sur « The End Is Always Sad ») réjouissent par leur maturité révélée. Il s’agit avant tout d’une musique collective (« Nick D »); une musique qui a muri pendant deux ans ; une musique participative où chacun trouve une place au service des belles compositions et des arrangements d’un leader : Guillaume Vierset, qui ose relire l’œuvre magistrale de Philip Catherine (« Toscane »). Au long des plages, ce sont bien les ensembles qui priment sur les individualités. Les souffleurs viennent en réponse aux phrases des solistes pour les magnifier en plaçant une virgule ici ; un point d’exclamation, une affirmation : là (« Dolce Divertimento », « Nick D »). L’écriture est riche du début jusqu’au but ; les thèmes s’articulent comme des oratorios ; les couleurs sont vives (« Move »), les rythmes variés (questions réponses afro-cubaines entre Igor et Jean-Paul dans « A »). La mise en place est rigoureuse comme elle peut l’être avec les grands orchestres (voir le B.J.O). Je ne suis pas loin de penser que Guillaume Vierset va s’affirmer pour ses écrits comme un digne successeur de Michel Herr (p). Un premier tir. Mais un tir qui va droit au but !

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Bernard Hertrich
Lou's Fantasy

Just Teasing You, Lou's Fantasy, Bossa Plus, Romain's Recipe, Logically, To Beat or Not to Beat, Street Song, Raindrops Keep Falling on My Head, Munsterioso, We Remember Chet
Bernard Hertrich (g, voc), Ludovic de Preissac (p), Francis Fellinger ou Werner Brum (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré les 4 et 5 mai 2013, Ensisheim (68)
Durée : 51' 13''
Black & Blue 779.2 (Socadisc)


Cet album offre l’occasion de découvrir des musiciens qui, pour n’être pas « Parisiens », sont ignorés par le grand public. Or, depuis les années 2000, il est permis d’entendre – Internet oblige – des artistes dont le talent n’a rien à envier à ceux de la capitale. Au début des années cinquante, les provinciaux « montaient » à Paris pour faire une carrière ; Michel Hausser, auprès de qui Bernard Hertrich a passé une grande partie de sa carrière, s’est fait connaître ainsi. Ils auraient maintenant plutôt tendance de rentrer dans leur région, transports, télécommunications aidant cette « relocalisation » de la culture française.
Et c’est ainsi qu’à 55 ans, enfin, Bernard Hertrich nous propose son premier album en tant que leader. Pour l’occasion, il a invité dans son Alsace natale deux représentants majeurs de la fine fleur de la scène parisienne du jazz, le pianiste Ludovic de Preissac et le batteur Mourad Benhammou, pour enregistrer un bien bel album dans une petite cité martyrisée par les bombardements de février 1945, Enseishem. Bernard ne se contente pas seulement de bien jouer ; la presque totalité de ces faces sont des compositions personnelles largement influencées par l’esthétique du be-bop qu’il a tétée dans la formation de Michel Hausser, dont il reprend une composition « Munsterioso » à la structure powellienne. Les protagonistes s’en donnent à cœur joie : Ludovic bien sûr, de plus en plus accompli dans ses soli, mais également Mourad qui drive tout ce beau monde avec la maestria qu’on lui connaît. Mais il convient d’écouter Hertrich, dont le style puise dans la tradition américaine (école Kenny Burrell), ce qui est original en Alsace marquée par la tradition manouche. Les deux contrebassistes, Francis Fellinger et Werner Brum, ne se contentent pas d’accompagner seulement. Leur mise en place est tout à fait remarquable, certes, mais leurs interventions en solo démontrent une belle maîtrise technique de l’instrument (cf. Werner Brum sur la composition de Michel).
Lou’s Fantasy
est un excellent album, représentatif d’une école de la guitare jazz quelque peu sous représentée dans notre pays
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Félix W. Sportis
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Claude TissendierCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Swingologie

'Tain't What You Do, Begin the Beguine, I'm Confessin, Summit Ridge Drive, Cherokee, Smoke Gets in Your Eyes, Drum Boogie, Special Delivery Stomp, Sophisticated Lady, Frenesi, You're Looking at Me, Dr. Livingston I Presume
Claude Tissendier (cl, as),
Jerôme Etcheberry (tp), Gilles Rea (g), Jean-Pierre Rebillard (b), Alain Chaudron (dm)
Enregistré les 15 mars 2013 et 3 avril 2014, Paris
Durée : 56' 14''
Black & Blue 794.2 (Socadisc)


Claude Tissendier ravit ses auditeurs, depuis qu’il a gravé, dans les années 1980, son premier album en tant que leader, Tribute to John Kirby. Et tout au long de ces trente dernières années, en labourant les même sillons qu’il grave, à raison d’une galette tous les deux ou trois ans, un petit bijou musical construit autour d’une idée, d’un thème qui donne à réfléchir à ceux pour qui la musique donne sens au temps qui passe, à la vie. Poursuivant l’exploration de cette musique avec son air de ne pas y toucher – la finesse du pédagogue intelligent –, il propose une sorte mise en perspective de deux répertoires rarement exploités et en apparence – seulement – opposés : ceux d’Artie Shaw et de Willie Smith.
Le premier était, jusqu’alors, assez peu exploré et même voué aux gémonies par les anciens et les modernes ! Musicien jamais accepté dans le monde du jazz – il lui fut, avant tout et toujours, reproché ses succès –, il a pourtant permis à beaucoup d’authentiques jazzmen de vivre de leur métier, la musique, en une période où sévissait un chômage endémique grave. Le second, Willie Smith, fait au contraire figure de « génie méconnu » de l’alto dans le monde fermé du jazz. Il bénéficierait même d’une sorte de privilège : celui d’être la récompense « Pour ceux qui connaissent le jazz » et, pas seulement, pour ceux qui l’aiment.
Originalité de l’album, la formule, empruntée au Gramercy Five de Shaw constitué en septembre 1940 – Billy Butterfield (tp), Artie Shaw (cl), Al Hendrickson (g), Jud DeNaut (b) Nick Fatool (dm) – duquel a été retiré le clavecin alors confié à Johnny Guarnieri. La partie harmonique est confiée aux seules guitare, de Claude Rea, et contrebasse, de Jean–Pierre Rebillard. Jérôme Etchéberry (tp) complète la section mélodique de l’ensemble drivé par la batterie d’Alain Chaudron. Dans cette évocation, Tissendier a pris le soin de conserver l’esprit de chaque musicien sans se priver d’apporter sa touche personnelle à la lettre, aidé en cela par tous les participants. La section rythmique assure une mise en place remarquable sur laquelle la section mélodique et les solistes ont la possibilité de jouer en toute liberté. Alain Chaudron est présent sans jamais écraser l’ensemble et son jeu aux balais est remarquable de sensualité. Jean-Pierre Rebillard brille par la rigueur de sa ligne qui structure la formation dans le développement du discours. Gilles Réa a la lourde tache de faire le liant du groupe ; il y parvient avec bonheur sans se priver de quelques interventions en solo particulièrement bien trouvées, tendance Oscar Moore. Jérôme Etchéberry a beaucoup gagné en maturité et en sérénité dans le développement du discours. Présenté comme un héritier d’Harry Edison, Roy Eldridge, Joe Newman ou Frankie Newton, il y apporte sa générosité et sa parfaite connaissance de cette littérature ; dans cet album, il évoque parfois Charlie Shavers et surtout, par la concision de sa phrase, le Cootie Williams armstrongnien. Quant à Claude Tissendier, il surprend encore, comme dans chaque nouvel enregistrement. Un point commun sur les deux instruments, l’élégance : rien d’outrancier ou de démonstratif. Un parfait équilibre entre la ligne mélodique et le mode d’expression. Dans ces plages, bien que relisant Willie Smith touché par « The Rabbit », il évoque plus, par le ton, Benny Carter que Johnny Hodges. A la clarinette, son aisance technique jazzique le rattache à l’école de Benny Bailey (plus qu’à celle de Goodman) ; et de ce point de vue, c’est en référence au technicien de l’instrument, Artie Shaw, que ces interprétations personnalisées sont intéressantes. Les arrangements simples et structurés mettent en valeur un quintet original qui swingue et tourne superbement. Les musiciens excellents ont visiblement plaisir à jouer ensemble. Swingologie est une très belle réalisation phonographique qui fait honneur à ses réalisateurs et au jazz
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Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Emler / Tchamitchian / EchampardCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Sad and Beautiful

A Journey Through Hope, Last Chance, Elegances, Second Chance, Tee Time, By the Way, Try Home
Andy Emler (p), Claude Tchamitchian (b), Eric Echampard (dm)
Enregistré en juillet et août 2013, Pernes-les-Fontaines (84)
Durée : 45' 22''
La Buissonne RJAL397018 (Harmonia Mundi)

Ce trio fut créé en 2003, et le voilà qui sort son troisième disque. Certains estimeront que c’est peu, mais au moins ces trois musiciens prennent le temps de faire mûrir et de développer leur musique.

Le piano d’Emler sonne admirablement, et il a un beau sens des nuances, le tout mû par l’énergie rock qu’on lui connaît dans son Mega Octet. Le batteur est un maître de rigueur et d’à propos, tandis que le contrebassiste est plutôt du côté de la tendresse, de la rêverie, ce qui n’exclut pas la force. Il est remarquable dans « A Journey Through Hope », « Un voyage à travers l’espoir » ce qui résume bien son jeu : après une intro à l’archet sur des harmoniques il passe pizzicato avec de splendides montées crescendo et retour. « Second Chance » est un magnifique chant de la contrebasse. On goûte le côté méditatif du groupe dans « Elegances » (là encore le titre parle) avec un prenant dialogue piano-basse qui se développe ensuite en trio sur un motif répétitif. Et sur « By The Way », (au fait !) ça déménage, le batteur est à son affaire, et les longues tenues à l’archet derrière le piano, c’est un sacré beau moment.
C’est un vrai trio, dans lequel le dialogue, l’interaction entre les trois musiciens, sont un partage de création, dans lequel il n’y a pas de hiatus entre l’écriture et l’improvisation, ce qui signe justement un réel travail collectif. Le disque est plus « beautiful » que « sad », mais les deux notions se marient très bien, dans l’expression de ce que l’on pourrait appeler un romantisme d’aujourd’hui
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Wadada Leo Smith's Mbira
Dark Lady of the Sonnets

Sarah Bell Wallace, Blues : Cosmic Beauty, Zulu Water Festival, Dark Lady of The Sonnets, Mbira
Wadada Leo Smith (tp, flh), Min Xiao-Fen (pipa, voc), Pheeroan akLaff (dm)
Enregistré les 24 et 25 janvier 2007, Finlande
Durée : 56' 13''
TUM Records 023 (www.tumrecords.com)


Ce disque est construit comme une suite en différents mouvements. Wadada Leo Smith y joue magnifiquement de la trompette et du bugle, mais constant dans son choix d’instruments peu fréquents, il est en compagnie d’un pipa, qui est une sorte de luth chinois qui se tient droit sur les genoux, manche vers le haut, au son aigrelet, avec un jeu qui a la légèreté de la mandoline, dont les cordes peuvent être aussi frappées. C’est un instrument à quatre cordes vieux de plus de 2 000 ans : Min Xiao-Fen en est une virtuose, aussi bien pour la musique traditionnelle que pour la musique d’avant-garde. Elle chante et compose également. Voilà qui ne pouvait qu’attirer Wadada. Le mbira dont il est fait référence dans un titre est le piano à pouces africain, beaucoup plus connu chez nous.
Wadada joue souvent avec une grande douceur, surtout au bugle, avec une parfaite maîtrise du souffle et de toutes les techniques. « Sarah Bell Wallace » est une sorte de longue incantation très prenante où domine la trompette. Dans « Blues : Cosmic Beauty » on est dans un débordement façon free, manifestement Min est perdue et gratouille son pipa comme elle peu, mais on passe en tempo lent et le duo pipa-trompette n’est pas mal, après un solo de batterie revigorant on entend quelques étranges vocalises de Min. Et « Zulu Water Festival » révèle un grand et bel échange Min-Wada. Wadada s’empare brillamment de l’ostinato du pipa, et après quelques appels de la trompette le chant de Min s’élève épaulé par la trompette bouchée sur un tempo très lent. Min possède une voix pure de soprano, qui monte facilement dans l’aigu. On est dans la beauté. Dans le titre éponyme Min utilise son pipa en percussion, ce qui fonctionne bien avec la batterie. « Mbira » est pris rubato lent, avec de longues tenues de la trompette et des sons de la voix en écho. Les compositions et les paroles sont de Wadada lui-même.
C’est un disque qui sort du commun bien sûr, qui est très facile d’écoute, qui reste malgré tout dans la sphère du jazz ; et c’est aussi un vrai trio basé sur le partage à trois voix.

Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Hot Club de Madagascar
Guitares manouches et voix malgaches

12 titres
Erick Manana (voc, g), Solo Andrianasolo (voc, g solo) Benny Rabenirainy (voc), Dina Rakotomanga (b) + Jenny Furh (vln), Passy Rakotomalala (perc)
Enregistré à Bègles, date non précisée
Durée : 48' 13''
Ternaire Bleu 01TBHCM12/1 (www.hot-club-madagascar.com)

Les quatre musiciens du Hot Club de Madagascar se revendiquent arrières petits enfants du grand Andy Razaf (1895-1973) qu’on déclare « Cœur américain, âme malgache », qui est en fait le compositeur de deux fabuleux standards : « Ain’t Misbehavin et Honeysuckle Rose ». Andy Razaf est né à Washington, mais son père était le neveu de la reine Ranavalona III d’Imerina, un royaume de Madagascar. On voit qu’ils placent la barre des origines très haut. Qu’en est-il de la musique ?

Ce sont quatre joyeux drilles qui chantent en groupe, avec un soliste Benny Rabenirainy, assez emphatique. Le côté guitares manouches est bien là, assez simpliste, mais le soliste est bon, bien que ses solos soient très linéaires. Le quartette s’empare aussi de rythmes brésiliens, sambas, bossas, et en donnent leur interprétation.
On est dans de la variété malgache d’essence plus ou moins jazz ; ce qui n’a rien d’infamant, tant les musiciens sont sincères et remplis de joie. Un disque soutenu par l’Institut français de Madagascar qui nous permet ainsi d’entendre un peu de ce qui se fait là-bas
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Serge Baudot
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Miles Davis
Miles at the Fillmore

CD 1 : Intoduction, Directions, The Mask, It's About That Time, Bitches Brew, The Theme, Paraphernalia, Footprints ; CD 2 : Directions, The Mask, It's About That Time, Bitches Brew, The Theme, Spanish Key, The Theme ; CD 3 : Directions, The Mask, It's About That Time, I Fall in Love too Easily, Sanctuary, Bitches Brew, The Theme, Miles Run the Voodoo Down ; CD 4 : Directions, The Mask, It's About That Time, I Fall in Love too Easily, Sanctuary, Bitches Brew, Willie Nelson,  The Theme
Miles Davis (tp), Steve Grossman (ts), Chick Corea (key), Keith Jarrett (org, key), Dave Holland (b), Jack DeJohnette (dm), Airto Moreira (perc)
Enregistré du 17 au 20 juin 1970, New York et le 11 avril 1970, San Francisco
Durée : 1 h 08' 45'' + 58' 01'' + 1 h 06'18'' + 57' 28''
Columbia Legacy 88765 43381 2 (Sony Music)


L'année 1970 est cruciale pour Miles Davis car elle marque la rupture définitive avec le jazz issu du bebop et ses différents quintets. Les nouvelles générations de spectateurs se détournent du jazz et se passionnent pour le rock dans ces nouveaux temples que sont les Fillmore West à San Francisco et East à New York. Dès le mois de mars 1970, il est pour deux soirées au Fillmore East et les concerts sont enregistrés par Columbia. Malheureusement, les ingénieurs chargés de l'enregistrement, peu habitués au niveau sonore des concerts de rock ne parviendront pas à éviter les distorsions qui rendent la musique peu audible : les bandes resteront dans les réserves de Columbia. Du 11 au 17 avril Miles est au Fillmore West au même programme que le Grateful Dead pour le plus grand plaisir de Jerry Garcia. Du 17 au 20 juin, Miles revient au Fillmore East et l'enregistrement est cette fois-ci réussi. Ce sera le dernier concert du groupe dans cette salle new-yorkaise. Au mois d'août, il donne le fameux concert de l'Ile de Wight dont la vidéo a été publiée par Columbia. Il revient encore au Fillmore West pour quatre jours au mois d'octobre de cette même année et une ultime fois à la salle de San Francisco du 6 au 9 mai 1971. Ensuite ces temples du rock fermeront les uns après les autres et Miles Davis réintègrera le circuit habituel des musiciens de jazz. Les quatre CD présentés ici reprennent l'intégrale des concerts des quatre dates new-yorkaises de juin 1970 avec trois morceaux du concert du 11 avril 1970 à San Francisco.
Les années précédentes étaient des années de transition : la musique demeurait parfois acoustique, en particulier lors des concerts, alors que les enregistrements studio faisaient de plus en plus appel aux instruments électriques. Ayant sauté le pas, la musique est désormais totalement électrique, les thèmes changent même si certains morceaux acoustiques sont réinterprétés. Alors que les précédentes versions (l'album Miles Davis at Fillmore) avaient été remontées par Teo Macero (tout devait rentrer sur les quatre faces d'un double vinyle), cette fois-ci la musique se présente enfin dans sa continuité. L'intérêt de ces lives est d'abord le dimension expérimentale, l'exploration des nouveaux instruments et la recherche perpétuelle d'une sonorité de groupe. La plupart des sidemen sont jeunes, au début de leur carrière et sont attirés par les nouvelles directions du jazz. Ainsi Chick Corea au piano électrique développe une sonorité qui va l'emmener vers Anthony Braxton aussi bien que vers le groupe Return to Forever. Keith Jarrett joue en quartet avec Dewey Redman tout en obtenant un large succès avec ses « solos concerts ». Il en est de même pour Dave Holland et Jack DeJohnnette qui partiront dans diverses directions. Miles Davis paraît particulièrement à l'aise avec cette musique. Il peut jouer avec de très courtes séquences et largement développer certains longues phrases tout en maintenant en permanence une très grande tension. Il s'appuie sur un accompagnement toujours en recherche de sonorités différentes qui le pousse perpétuellement vers un au delà de ce qu'il propose. Sa sonorité demeure toujours identique et son jeu ignore toujours le vibrato. Il ne crée l'émotion que par une tension interne constante avec de nombreuses ruptures harmoniques. Chick Corea pousse dans une direction de plus en plus libre et utilise en accompagnement les nappes sonores. Keith Jarrett à l'orgue est beaucoup plus discret. Il déclarera ne pas être à l'aise dans ces groupes et sera l'absent remarqué du concert à la Villette en juillet 1991. Mais les aspects les plus libres de cette musique viennent surtout de la section rythmique où la basse électrique de Dave Holland apporte sûreté rythmique et richesse harmonique, laissant à Jack DeJohnette et Airto Moreira toute latitude pour apporter des couleurs supplémentaires à cette musique. Seul Steve Grossman, très coltranien, semble avoir du mal à trouver sa place dans ce groupe électrique. Par la suite, les solos de Dave Liebman seront souvent déplacés ou même totalement supprimés lors du montage par Teo Macero. Tous les morceaux s'enchaînent et la sono très puissante ne laisse aucune place aux réactions de la salle. Après le concert de l'île de Wight Chick Corea quitte le groupe et laisse Keith Jarrett seul aux claviers. Il reviendra épisodiquement et la prochaine étape sera l'introduction des guitares et une musique souvent moins expérimentale et qui tend de plus en plus vers le funk. Un important livret avec de nombreux documents complète parfaitement cette réédition, même si on aurait préféré avoir l'intégrale des concerts aux Fillmore East et West
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Guy Reynard
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Miles Davis
Live in Paris. 21 mars / 11 octobre 1960

CD1 : All of You, So What, On Green Dolphin Street, Walking, Bye Bye Blackbird, 'Round About Midnight, Oleo, The Theme
Miles Davis (tp), John Coltrane (ts), Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b), Jimmy Cobb (dm)
Enregistré le 21 mars 1960, Paris
Durée : 45’ 20’’ + 40’ 51’’
CD 2 : Walkin', Autumn Leaves, Four, Unidentified, 'Round Midnight, No Blues, The Theme, Walking, If I Were a Bell, Fran Dance, Two Bass Hit, All of You, So What, The Theme
Miles Davis (tp), Sonny Stitt (ts), Wynton Kelly (p), Paul Chambers (b), Jimmy Cobb (dm)
Enregistré le 11 octobre 1960, Paris
Durée : 1h 00’ 06’’ + 58’ 36’’
Frémeaux & Associés 5451 (Socadisc)


Lorsqu'à la fin de l'hiver 1959-1960 Miles Davis se prépare à partir pour une nouvelle tournée en Europe, il désire emmener avec lui son quintet habituel. Or John Coltrane, qui est depuis cinq ans avec le trompettiste, pense qu'il est prêt à voler de ses propres ailes et ne souhaite pas le suivre en tournée. Les deux personnalités se heurtent, mais Miles finit par avoir gain de cause et le saxophoniste, bon gré mal gré, le suit dans cette dernière aventure. Mais, tout au long de la tournée, Coltrane est distant, de mauvaise humeur et se coule de moins en moins dans le modèle de son leader. Il prend des solos de plus en plus longs (et lorsqu'il dit à Miles Davis qu'il ne sait pas comment s'arrêter celui-ci lui répond « tu n'as qu'à enlever ta p... d'embouchure de ta p... de bouche »).
L'ambiance au sein du quintet tout au long de la tournée est donc assez houleuse et la cohésion de l'ensemble est très précaire. Ce concert du 21 mars 1960 en est un bon exemple. Le public est venu voir et écouter Miles Davis et c'est la première fois que John Coltrane vient en Europe. Heureusement, la section rythmique est très solide et compense les difficultés entre le leader et un saxophoniste. Après un premier long solo de Miles, celui de Coltrane est encore plus long et quelques sifflets du public apparaissent déjà vers la fin de son intervention très fouillée mais encore bien peu aventureuse. Wynton Kelly n'est pas en reste et intervient lui aussi longuement. Une nouvelle intervention de Miles, tout aussi aventureuse que celle de Coltrane, conclut ce « All of You » de 17 minutes. En tout cas, il est clair que le trompettiste est entré dans une zone de turbulences musicales. Le quintet est en train d'exploser tant chacun souffre de la confrontation entre le leader et son saxophoniste. Les interventions de Coltrane sont déjà magistrales. Il tire vraiment la couverture à lui et Miles Davis ne masque son dépit qu'en jouant lui aussi de façon curieuse, essayant, sans succès, de se mettre à son diapason. Une partie du public ne supporte pas les longues phrases de Coltrane, les nappes de sons, son jeu de plus en plus rapide et une improvisation de plus en plus loin du thème. Présenté sur le disque comme un seul concert, la lecture de Jazz Hot n°152 de mars 1960 indique que deux concerts avait été programmés pour chacun des trois groupes proposés par Norman Granz (Miles Davis, Oscar Peterson, Stan Getz). Or nous n’avons pas d’indication sur la provenance des enregistrements : viennent-ils des deux concerts ou d’un seul ? Nous savons que l'accueil du public et de la critique a été assez houleux (Jazz Hot n°154). Henri Renaud et Jef Gilson défendirent Coltrane et stigmatisent le manque d'ouverture d'un certain public.
Quelques mois plus tard, Miles Davis revient à Paris avec un quintet quasi identique, à la notable exception que John Coltrane est définitivement parti. Il a donc engagé Sonny Stitt saxophoniste classique de l'époque de Charlie Parker qui ne va pas chercher à mettre son leader en difficulté avec une musique que celui-ci ne peut jouer. Au contraire, avec la même section rythmique et un nouveau saxophoniste qu'il connaît bien, la formation retrouve une cohésion qu'elle n'avait pas dans la tournée précédente. Le répertoire est à nouveau celui des années 50 avec tous les thèmes enregistrés chez Prestige. Cette fois pas de sifflements, le public a retrouvé le Miles Davis qu'il attend. Mais quel retour en arrière ! Même si le niveau musical de l'ensemble est très élevé, il n'est pas du tout dans le sens d'une évolution de la musique telle que la désirait probablement Miles Davis. Sonny Stitt est le premier d'une longue série de saxophonistes dont George Coleman sera le plus représentatif et Sam Rivers le plus inattendu. Heureusement Wayne Shorter que Miles Davis refuse alors va arriver en 1964 et le troisième quintet va voir le jour avec un succès sans précédent : il réalisera alors ce qu'il avait désiré avec Coltrane.
Ces quatre disques sont passionnants, moins par la valeur intrinsèque de la musique que par le témoignage historique qu’il constitue. C'est une indispensable leçon de jazz. Mais on peut regretter les imprécisions du livret jusqu’à la photo de pochette anachronique puisqu’on y distingue Herbie Hancock, Tony Williams et même la main de Ron Carter. Il s’agit en effet du troisième quartet de Miles et il ne verra le jour que trois ans plus tard
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Guy Reynard
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Dal Sasso - Belmondo Big BandCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
My Chet My Song

A Love Supreme (poem), Introduction, Part 1. Acknowledgement, Part 2. Resolution, Part 3. Pursuance, Part 4. Psalm
Christophe DalSasso (arr, dir), Stéphane Belmondo (tp), Erick Poirier (tp), Laurent Agnès (tp), Merrill Jerome Edwards (tb), François Christin (french horn), Bastien Stil (tuba), Dominique Mandin (as), Lionel Belmondo (ts), Sophie Alour (ts), Guillaume Naturel (ts, cl), Laurent Fickelson (p), Clovis Nicolas (b), Philippe Soirat (dm), Dre Pallemaerts (dm), Allonymous (voc)
Enregistré le 27 février 2002, Paris
Durée : 37’ 37’’
Jazz & People 814001 (Harmonia Mundi)


La suite A Love Supreme tenait particulièrement à cœur John Coltrane et il l'a malheureusement peu jouée en public. De même, très peu de reprises ont été faites à part celle d'Elvin Jones avec Wynton Marsalis (uniquement en concert) et quelques extraits par d'autres musiciens, Branford Marsalis en particulier. Celle de du big band de Dal Sasso avec les frères Lionel et Stéphane Belmondo est une excellente nouvelle. En effet une pièce aussi emblématique soit-elle, si elle n'est pas jouée, adoptée, transformée n'a plus de véritable existence. Mais apparemment cette œuvre qui sort aujourd'hui après avoir été enregistrée en 2002 a eu beaucoup de difficultés à être diffusée puisqu'il a fallu une souscription auprès du public pour qu'elle soit enfin publiée.
Le big band Dal Sasso – Belmondo nous offre une version à la fois proche et différente de l'original de John Coltrane. Le poème qui figurait au dos de la pochette du vinyle original est récité en ouverture par Allonymous avec une improvisation de Christophe Dal Sasso, des frères Belmondo et de Dre Pallemaerts. L'introduction est également un apport de Christophe Dal Sasso qui annonce l'esprit dans lequel la suite de John Coltrane va être reprise. La suite elle-même est profondément remaniée, même si elle reste constamment dans l'esprit de la suite originale. Chacune des quatre parties est présente mais raccourcie malgré la présence de solos de plusieurs instrumentistes, comme si tous les interprètes, par révérence pour Coltrane, cherchaient à ne pas s'exprimer trop personnellement. Lionel Belmondo a parfaitement assimilé le jeu de John Coltrane et reste très proche de l'esprit de la version originale dans la première partie « Acknowledgement ». Les parties d'ensemble viennent souligner la volonté de Coltrane de faire une prière et apportent une sorte d'élévation de la musique. C'est Clovis Nicolas qui introduit « Resolution », la deuxième partie comme le faisait parfois Jimmy Garrison en de longs solos introductifs (malheureusement coupés à la production !). Après l'entrée de l'orchestre pour présenter le thème, Laurent Fickelson prend un solo extensif à nouveau relancé par tout l'orchestre. Dans la troisième partie, les solos sont partagés entre la trompette de Stéphane Belmondo très volubile et brillante, relancée deux fois par l'orchestre et Lionel Belmondo qui poursuit sur ses improvisations des deux précédents mouvements bientôt repris par l'orchestre qui le pousse vers la dissonance et le discours déchiré qui sera ensuite celui de Coltrane. Le psaume final est lancé par le tuba de Bastien Stil et reste dans les sonorités graves et sombres jusqu'à ce que l'orchestre débouche vers la lumière. L'apport principal de cette version de A Love Supreme, outre les solos bien construits, sont principalement les parties collectives. Grace à cet ensemble et au travail des frères Belmondo et de Christophe Dal Sasso, la suite prend une autre dimension tout en demeurant fidèle à l'esprit de l'original
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Guy Reynard
© Jazz Hot n°674, hiver 2015-2016

Lionel Belmondo Trio
Plays European Jazz Standards

Passionate, Cercle mineur, The Love of a Dead Man, Elégie, Désillusion, Sérénade, Come Sweet Death, Assimilation, Song for the Evening Star, In the Gleak Midwinter
Lionel Belmondo (ts, ss, fl), Sylvain Romano (b), Laurent Robin (dm)
Durée : 46' 06''
Enregistré les 9 et 10 août 2012, Solliès-Toucas (Var)
Discograph 6149982 (Discograph)


Parfois éclipsé par les éblouissantes fulgurances de son trompettiste de frère, le saxophoniste ténor et flûtiste Lionel Belmondo démontre ici, en trio sans piano – la formule la plus difficile qui soit –, quel magnifique musicien il est. Lyrique quand il faut, mais le plus souvent mesuré et réfléchi, il brode, à loisir – car superbement accompagné par Sylvain Romano et Laurent Robin, très attentifs –, des motifs impressionnistes d'une beauté diaphane à partir d'extraits très courts de musique « classique » (Brahms, Tchaïkowsky, Fauré, Shubert, Bach, Chopin, Rachmaninov et Wagner) et de quelques compositions personnelles. Un peu austère, certes, mais très inventif et gorgé de swing. Chapeau bas !

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueFrançois Biensan Octet
Jazzin' Brassens

J'ai rendez-vous avec vous, Au bois de mon cœur, La Chasse aux papillons, La Prière, Le Parapluie, La Cane de Jeanne, Le Gorille, Je me suis fait tout petit, Les Sabots d’Hélène, Dans l’eau de la claire fontaine, Chanson pour l’Auvergnat + Les Copains d'abord
François Biensan (tp, arr, sifflette), Patrick Bacqueville (tb, voc), Nicolas Montier (as), André Villéger (ts, cl), Philippe Chagne (bs), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (b), François Laudet (dm)
Enregistré les 16-17 décembre 2006, Paris

Durée : 1h 06' 59''

Autoproduit FB 0001/1
(fbprod@fbjazz.com)


Sans doute l’un des disques jazz de l’année (et le leader a soigneusement évité les dates anniversaires de la disparition de Georges Brassens)… et les plus couvés (enregistré il y a neuf ans). On a bien fait d’attendre car le résultat est superlatif. François Biensan avait déjà travaillé sur « Les Sabots d’Hélène » (1980) mais c’est un projet en 2001 pour le festival des 24h du Swing de Monségur qui est le vrai début de l’aventure Brassens-Biensan.

On sait que Brassens, comme Trenet, ont déjà inspiré des interprétations jazzées de leur œuvre. Le résultat obtenu par François Biensan nous fait croire que c’est évident, ce qui, en soit, est une marque de talent. L’intérêt ici, tient dans la qualité créative des habillages orchestraux de ces chansons (que vous reconnaitrez, n’ayez crainte) et que, sans surprise, les musiciens réunis assurent avec leurs incontournables qualités. Ceux-ci ont largement l’occasion d’apporter leur touche personnelle, notamment dans des solos et exposés à tour de rôle et à profusion. Bien sûr, la mise en place de ces arrangements est parfaite (la prise de son, réalisée par Vincent Cordelette et Bruno Minisini aussi). Disposant d’une section de sax alto-ténor-baryton, François Biensan en tire un bon parti, notamment dans « Le Gorille » où la trompette du chef n’est pas sans nous évoquer Shorty Rogers (et le Miles Davis des années 1950 qui n’est bien sûr pas loin). D’ailleurs si l’axe est le jazz mainstream, certains titres nous font penser à l’esthétique qu’en ont donné certains artistes dits « West Coast » comme dans « J’ai rendez-vous avec vous » (le solo de Nicolas Montier y ajoute un quelque chose à la Earl Bostic qu’on ne retrouve pas ailleurs – notez le travail, ô combien efficace, de Bruno Rousselet notamment derrière le ténor, et de François Laudet). C’est dans ce type de sonorité de trompette que l’on retrouve François Biensan dans « Les Sabots d’Hélène » (après le ténor véhément – c’est l'un des deux titres où il siffle aussi), « Chanson pour l’Auvergnat ». Il y a également des passages en shuffle, et la couleur d’Ellington : « Prière » (climat sombre, adapté, trombone wa wa pour l’exposé –belles contributions de Rousselet et Milanta), « Le Parapluie » (André Villéger est en valeur à la clarinette dans la lignée Jimmy Hamilton). André Villéger est «également à la clarinette dans « La Chasse aux papillons » (notons aussi le scat de Bacqueville et la prestation de Laudet), tandis qu’au ténor, il est l’un des rares à retrouver la véhémence d’un Paul Gonsalves dans « Au bois de mon cœur » (Biensan y manipule la sourdine wa wa), « La Cane de Jeanne » (avec aussi, un scat, une remarquable prestation aux balais de Laudet notamment en alternative avec Montier). Philippe Chagne qui a assumé divers bons solos, est plus en valeur dans « Je me suis fait tout petit » : exposé du thème et solo (y sont aussi excellents : Bacqueville, Milanta – sobre et swing –, Rousselet). Patrick Bacqueville est remarquable (avec sourdine) dans « Dans l’eau de la claire fontaine ». Nous n’allons pas détailler toutes les interventions en solo ni toutes les trouvailles d’orchestration puisque l’achat de ce CD s’impose à vous, et il faut donc laisser une marge de découverte à laquelle, de suite, nous faisons une entorse : après les onze titres annoncés, surgit un bonus, « Les Copains d’abord » aussi bref qu’indispensable. Un dernier mot enfin pour signaler l'auteur du visuel de la pochette : Emilie Poisson.

Michel Laplace
© Jazz Hot n°673, automne 2015

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Claude Bolling
Cinéma Piano Solo

Flic Story Theme, Trois hommes à abattre, Prends-moi matelot, La Réussite, Borsalino Theme, La Complainte des Apaches, La Mandarine, Louisiana Waltz, Old New Orleans, Dors bonhomme, Far West Cho Cho, Lucky Luke I'm a Poor Lonesome Cow Boy, Daisy Town Saloon, Tatiana (Le Magnifique), Raner, Christine, Nostalgie, God Bless Rugby (Le Mur de l'Atlantique), Le Labyrinthe, Claudine, Fiancées en folie Claude Bolling (p)
Enregistré les 1
er, 4, 5, 18 et 20 avril 2011, Cherisy (28)
Durée : 1h 07' 17''

Frémeaux & Associés 8509 (Socadisc)


Ce n’est pas, à proprement parler, de jazz qu’il s’agit dans cet album en piano solo de Claude Bolling. C’est d’une autre activité, au moins aussi importante professionnellement, et qui n’a pas été sans conséquence sur sa notoriété, celle de compositeur de musique de cinéma.
Cinéma Piano Solo retrace en 21 plages son parcours, d’une vingtaine d’années, d’acteur dans le monde du septième art. Néanmoins dans son intimité foncière, Claude reste un authentique musicien de jazz. Et s’il sait prendre du recul, en tant que compositeur, pour accompagner ce que l’image commande, son esthétique intrinsèque reste consubstantiellement pétrie de la musique de son cœur. En sorte que ces solos ont encore quelque chose à voir avec l’univers du jazz. Et tous ceux qui ont eux l’occasion de l’entendre en concert savent qu’il n’est pas rare de l’entendre interpréter, en intermède, un solo sur « Borsalino » ou « Fiancées en folie » ; souvent, du reste, en special request de l’assistance. Car sa reconnaissance de pianiste de jazz a souvent été acquise auprès du grand public par l’entremise de ce média populaire.
C’est qu’il doit son entrée dans l’univers fermé des compositeurs de musique de films à sa compétence précoce et particulière de musicien de jazz, spécialement celle de pianiste. Ce savoir-faire très particulier l’ont d’abord imposé auprès de ses confrères en tant qu’interprète, avant que d’enfiler le costume de compositeur patenté. Et ce ne fut pas un mince atout, dans cette usine d’assemblage de compétences fragmentées que constitue le cinéma, que de pouvoir interpréter avec talent la musique qu’on écrit pour l’image produite.

Il y a une multitude de façons de présenter l’œuvre d’un musicien. Sans en limiter l’évaluation au seul quantitatif, la production chiffrée de Claude Bolling permet une appréciation objective de son activité : à presque 85 ans, on peut affirmer qu’elle est énorme. Ses activités recensées par la Sacem donne un total de 1618 résultats, dont 1285 occurrences en tant qu’auteur-compositeur-arranguer-éditeur et 635 comme interprète. Ce recensement, qui est loin de comptabiliser toutes ses occupations, fait apparaître, dans le détail, que sa production concerne tous les domaines et toutes les formes musicales ; aussi bien l’adaptation et/ou l’arrangement de pièces populaires traditionnelles (« Au clair de la lune », de « Frère Jacques » ou de « Fais dodo Colas »), que des œuvres classiques ou originales ambitieuses, ( la série des suites comme la
Suite pour flûte et piano), que des partitions de musique de films de divertissement (Borsalino, Louisiane, Le Magnifique, Les Brigades du Tigre…) ou de sujets plus graves (Le Mur de l’Atlantique, Netchaïev est de retour) et même de dessin animé (Lucky Luke, Daisy Town) ; sans parler de ses collaborations auprès des chanteurs de variétés ou d’artistes divers (Jacqueline François, Juliette Gréco, Les Parisiennes, Sacha Distel, henri Salvador, Brigitte Bardot) et de ses collaborations aux émissions de télévision de Jean-Christophe Averty, d’Albert Raisner, de Maritie et Gilbert Carpentier dans les années 1960 et 1970. Claude Bolling est un musicien complet : il sait tout faire. Il le fait avec exigence dans un professionnalisme apprécié de ses partenaires.
Cette activité débordante lui a fourni les moyens économiques de pratiquer la musique de
sa vie, le jazz. C’est aux revenus engendrés par ses activités de « musicien du quotidien » que Claude Bolling (comme la plupart des autres musiciens de jazz) doit d’avoir pu continuer à jouer sa musique et, pendant plus de quarante ans, et à entretenir le fonctionnement d’un big band, le seul permanent en France, l’un des rares en Europe et dans le monde ; sa renommée a, de manière justifiée, très largement dépassé les frontières de la France. Car le catalogue des œuvres de ce travailleur invétéré est structuré depuis le début par une multitude de petites bornes, des compositions écrites pour/par le jazz, dont certaines (« Geneviève », « Happy Congregation », « Piège », « Suivez le chef », « I Love You All Madly », « Stéphane »…) sont de vrais petits bijoux. Admirateur inconditionnel de Duke Ellington, Claude Bolling a, à l’exemple de son maître, su rendre au jazz beaucoup de ce qu’il lui avait donné.
Cinéma Piano Solo
est, d’une certaine façon, le formidable condensé d’une œuvre relue par son compositeur sur son propre instrument. Et comme beaucoup de ses œuvres inspirées par la musique de jazz, ces vingt-et-une pièces traduisent l’unité de l’œuvre de Bollington dans toute sa complexité. Enregistrées en 2011 seulement, elles auraient pu et dû l’être bien avant. Nous y retrouvons avec plaisir la générosité formidable du pianiste, amoureux de la musique et du jazz au point de ne quitter son instrument qu’à regret lorsqu’il y était installé. Si le public lui savait gré de ne jamais s’économiser, que de fois, ses musiciens fatigués ont vitupéré contre ce boulimique du clavier qui ne se résignait jamais à clore un concert !
Ces faces lui ressemblent. Merci M. Bolling
.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Joan Chamorro & Andrea Motis
Feeling Good

Feeling Good, Between the Devil and Deep Blue Sea, How Insensitive, Lover Com Back to Me, Moon River, Love Me or Leave Me, Lover Man, Solitude, Hallelujah, Easy Living, My Funny Valentine, Bésame Mucho, Sophisticated Lady, Gee Baby, Ain't I Good to You, Lover Man, Lullaby of Birland
Andrea Motis (voc, tp), Alba Armengou (tp), Scott Robinson (ts, tp), Joan Mart (as), Marçal Perramon (ts), Carles Vazquez (fl), Elia Bastida (vln), Alba Esteban (as, ss)Eva Fernandez (cl), Iscle Datzira (cl), Edurne Vila (vln), Marc Armengol (vln), Joan Ignasi (alt), Esther Vila (cel), Edward Ferrer (bs), Joseph Traver (g), Ignasi Terraza (p), Joan Chamorro (b) ou David Mengual (b), Esteve Pi (dm) ; Arrangements : Joan Monné, Sergi Verges, Alfons Carrascosa
Enregistré en 2012 les 18, 19 février, 11 avril, en juin et le 31 août, Barcelone (Espagne)
Durée : 1h 01' 17''
Temps Records 1326-GE12
(Socadisc)


A l’instar d’un très – d’un trop – grand nombre d’albums publiés depuis une trentaine d’années, Feeling Good relève du produit de consommation courante dont notre société marchande gave le public ; le spectaculaire, ou présenté comme tel, y tient lieu de fond culturel. En l’espèce, une chanteuse, une de plus aurait-on envie d’écrire. Car la demoiselle, qui n’a encore pas 20 ans, est un peu trompettiste. Voici donc le phénomène à l’origine de ce recueil. Et pour vendre ce produit, la jeune personne donne à entendre une quinzaine de standards bien choisis. Le résultat est techniquement tout à fait acceptable et commercialement en adéquation avec l’attente de la clientèle actuelle des FNAC. Les thèmes sont de qualité et ont passé la dure épreuve du temps. Les arrangements, lorsqu’ils existent, sont plutôt bien écrits, et les accompagnateurs de qualité.
Dans cet album, la trompettiste réduit sa prestation au minimum ; elle n’est pas de nature à abattre les murs de Jéricho : les trompettes - de la renommée - seraient bien mal embouchées ! Quand à la chanteuse, elle possède une voix d’enfant, à la tessiture étroite, avant la mue (même chez les femmes). Plus que Norah Jones c’est Lisa Ekdahl, d’il y a une vingtaine d’années, qu’évoque Andrea Motis. Sans être parangon de vertu ou nostalgique d’innocence virginale, entendre une petite fille susurrant des paroles aux sous-entendus coquins surprend un peu. Point n’est besoin d’être né de la dernière pluie pour se bien douter qu’à son âge et qu’en notre temps la charmante enfant ne brode plus de dentelle. En Nabokov musical, Joan Chamorro, son mentor, n’en offre pas moins à écouter une Lolita du sillon pour vieux messieurs libidineux un peu durs d’oreille.
Alors, que reste-t-il ? De l’excellente musique, jouée par de très bons musiciens ; ils feraient danser des culs-de-jatte et swinguer des muets ; ils font oublier le reste. La section rythmique et ses membres font du beau travail. Joan Chamorro est un contrebassiste solide et un ténor (façon Getz) de talent. Esteve Pi est un très bon batteur. Joseph Traver, qui évoque tour à tour Charlie Byrd et Joe Pass, accompagne très bien et donne quelques beaux choruses. Mais dans cet ensemble, Ignasi Terraza ressort du lot, de par sa musicalité : son accompagnement est toujours juste et ses soli sont superbes, scintillant de la clarté cristalline de son toucher pianistique exceptionnel.
Tout proportion gardée, ce type de production évoque les enregistrements Okeh de Lillie Delk Christian accompagnée en 1928, sur la « demande expresse » d’Al Capone dit-on, par le Louis Armstrong Hot Four, composé de Louie (tp), Jimmie Noone (cl), Earl Hines (p) et Mancy Cara (g) ; on les écoute néanmoins toujours avec ferveur pour « ce qu’il y a derrière ».
Sans être un grand disque, Feeling Good s’écoute sans torturer. Il permet de découvrir et d’entendre d’excellents musiciens catalans
.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueCyrus Chestnut
Midnight Melodies

Two Heartbeats, Pocket Full of Blues, To Be Determined, Bag's Groove, Hey, It's Me You're Talkin' To, Chelsea Bridge, U.M.M.G. (Upper Manhattan Medical Group), I Wanted to Say, Giant Steps, Naima's Love Song, The Theme
Cyrus Chestnut (p), Curtis Lundy (b), Victor Lewis (dm)
Enregistré les 22 et 23 novembre 2013, New York
Durée : 1h 17' 27''
Smoke Sessions Records 1408 (Distrijazz)


A un tel niveau d’excellence, aussi bien pour le leader que pour ses accompagnateurs et que pour le trio et la musique offerte, l’indispensable s’impose. La facture apparemment classique de ce trio vient davantage de cette impression de perfection musicale que du registre, très contemporain, de ce jazz pétri dans le blues, le swing, la beauté des mélodies et des harmonies servie par une virtuosité artistique.
Le répertoire choisi propose trois beaux thèmes du regretté John Hicks, lui-même brillant pianiste, un de Cyrus Chesnut, deux de Victor Lewis, mais aussi deux thèmes de Billy Strayhorn, un de Milt Jackson, un de John Coltrane, un de Miles Davis. Le mainstream, c’est encore aujourd’hui, si l’on veut bien concevoir que ce magnifique jazz incarne la descendance directe et sans complaisance de ce que le jazz a de meilleur depuis Louis Armstrong.
Chez Cyrus Chestnut, tout est au niveau supérieur, tout est personnel, très original dans l’élaboration, et tout est swing et blues, comme ces relectures de « Bags Groove » et de « Chelsea Bridge ».
Il n’y a que nos programmateurs peu inspirés et peu savants en matière de jazz de nos scènes de clubs ou de festivals pour ne pas faire de ces musiciens les Oscar Peterson, Ray Brown ou Art Blakey des temps actuels, pour appauvrir les scènes d’ersatz affadis ou dénaturés quand il existe des centaines de magnifiques musiciens de jazz de par le monde.
La scène du Smoke fait partie de celles qui se respectent en respectant le jazz, même si elle commence à être très isolée. L’atmosphère délicieusement jazz (le public) qu’on perçoit en fond de cette magnifique musique dit assez et aussi ce qu’est le jazz et ce que furent ces belles soirées de novembre 2013 au Smoke.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquePierre Christophe
Valparaiso

Relaxin' at Battery Park, Secret Lullaby, Valparaiso, Fats Meets Erroll, Isla Negra, African Beauty, Oladé's Dance, Renaissance, Grumpy Old Folks, Jumping Fish
Pierre Christophe (p), Olivier Zanot (as), Raphaël Dever (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré le 14 septembre 2014, Cherisy (28)
Durée : 50' 18''
Black & Blue 803.2 (Socadisc)


Pierre Christophe a 46 ans. Il est par conséquent en pleine maturité musicale lorsqu’il choisit, en 2014, avec le même quartet, de reconduire l’expérience de Frozen Tears (Black & Blue 710.2) enregistré en 2009 avec Olivier Zanot. Néanmoins, outre le fait que toutes les compositions sont également de sa plume, la nature du répertoire retenu présente la particularité de relire pratiquement vingt-cinq ans de sa production musicale, puisque la première pièce, « Relaxin' at Battery Park » date de 1990 (il avait seulement 21 ans ; c’était ni plus ni moins au sortir de ses études au conservatoire de Marseille, dans la classe de jazz de Guy Longnon) et que la plus récente, « Isla Negra » a été composée en 2014. Ces compositions constituent donc un itinéraire en relation avec son parcours musical et professionnel en relation avec la conjoncture du moment ; par exemple, sa tournée en Amérique du Sud en 2010. Christophe est un si brillant pianiste, qu’on finit par oublier qu’il est également un formidable accompagnateur ; en témoignent les jams au Garden Beach Hôtel de Juan-les-Pins, au cours desquels il nous régala notamment derrière Antonio Hart (as) en juillet 2006. La formule, reprise en 2009 avec Olivier Zanot (as) et celle-ci particulièrement, apparait de ce fait à la fois logique, pertinente et aboutie. On oublie trop souvent qu’un autre immense pianiste symbole de l’instrument, Erroll Garner, auquel Pierre Christophe n’est pas indifférent, a également laissé quelques superbes plages avec un extraordinaire altiste, Charlie Parker. Cette seconde voix mélodique dans la formation y ajoute par conséquent une touche de diversité qui met, peut-être, encore plus en évidence l’originalité de son style.
L’essentiel des pièces (« Secret Lullaby », « Valparaiso », « African Beauty », « Oladé's Dance », « Renaissance », « Grumpy Old Folks » et « Jumping Fish ») a été composé dans la période 2009-2011 ; une seule a été concomitante de l’enregistrement de l’album (« Isla Negra ») ; deux (« Relaxin' At Battery Park » et « Fats Meets Erroll ») remontent aux débuts de sa formation. Malgré les différences chronologiques, l’album présente trois thématiques : une présentation fantasmée de l’Afrique très homogène (2009 et 2011) ; une forte dominante mainstream jazz, réexplorant le spectre large du jazz étatsunien de Fats Waller à Dave Brubeck et Jaki Byard en passant par Erroll Garner et de Charlie Parker à Eric Dolphy en passant par Paul Desmond ; enfin une évocation poétique lyrique de l’Amérique du Sud (2010 et 2014) sorte de contre-chant musical à l’univers de Pablo Neruda (« Valparaiso », « Isla Negra » et « Renaissance »). Le programme de cet album est, en définitive, une invite aux voyages imaginaires en des continents musicaux recomposés en entrelacs chimériques.
On ne résiste pas au plaisir de percer quelques secrets de ces petites boîtes à bijoux musicaux. D’entrée, Pierre distribue quelques pépites rythmiques tout droit sorties du Clavier bien Bayardé (« Relaxin' At Battery Park »). « Secret Lullaby » est construit à la manière d’un choral ; le thème et le traitement évoque la manière du premier John Lewis, pianiste be-bop. Les trois pièces latino-américaines, dont La Vallée du paradis, sont traitées en habanera, forme de contradanza lente du continent latino-américain. Toutefois, le ton comme l’univers impressionniste d’ « Isla Negra » (lieu où Pablo Neruda avait sa maison) n’est pas sans évoquer la nostalgie lourde d’incertitude d’ « UMMG » (Billy Strayhorn). « Renaissance » rêve en réminiscences debussystes. « Fats Meets Erroll » est une pièce tout à fait remarquable ; sa construction est un agencement en forme de puzzle particulièrement brillant d’imaginaires de pièces empruntées à des musiciens de périodes et de styles apparemment très différents. Et pourtant, cette pièce fait immanquablement référence à « Bird’s Nest ». Les deux pièces d’inspiration africaine ; « African Beauty » et « Olade’s Dance » emprunte leur univers aux périodes jazziques pendant lesquelles le jazz essaya d’échapper à son identité première, afro-américaine, en empruntant à des civilisations extra étatsuniennes des syntagmes fantasmatiquement originaires : « AB », réinvention incantatoire rollinsienne puisée en une Afrique tout doit sortie de l’imaginaire afro-étatsunien des années 1960 ; « OD », une danse 5/4 au tempo enlevé, ni afro-américaine ni africaine, exotisme brubeckien étatsunien, pour célébrer le nom Yoruba du fils de Pierre, sur lequel, Benhammou, après le clin d’œil de Zanot à Desmond, cite longuement en forme d’obligado, le solo de Joe Morello sur « Take Five ». « Grumpy Old Folks » et « Jumping Fish » en fin d’album marquent le retour, après la ballade (au sens de promenade mais également en tant que construction poétique) à la racine mainstream du jazz ; le premier dans une acception de structure monkienne quand le second évoque l’univers évansien (3/4).
Olivier Zanot qui est né en 1973 a fait ses études musicales au conservatoire de Toulon avant de poursuivre en musicologie à Nice puis au CNM de Paris. Dans cet opus, il évoque, par son timbre et souvent par sa manière de mise en place, Phil Woods. Son ton convient parfaitement à la musique de Christophe, dont il épouse parfaitement les tours et détours avec beaucoup de finesse. Raphaël Dever est un bassiste qui ne fait pas de bruit dans le Landernau du jazz mais qui est toujours là et bien là où il faut, assurant sa partie avec toujours plus de sureté : mise en place très sûre. Mourad Benhammou "joue" (dans tous les sens du terme) de la batterie : ce batteur étonne d’album en album dans sa capacité de s’adapter au répertoire, toujours avec sa propre personnalité, un peu à la façon qu’avait Kenny Clarke de soutenir en apportant sa part au travail commun. Ce n’est jamais bruyant et pourtant fortement présent : parfait. Quant à Pierre Christophe, cet album nous révèle un pianiste qui joue de mieux en mieux – et pourtant le niveau de départ était déjà très élevé – et qui dans Valparaiso fait montre de maturité et de pertinence dans sa réflexion sur sa propre musique. Cette relecture sereine est tout à la fois distanciée et sentie ; le musicien se relit sans jamais se répéter.
Valparaiso
est un album rare dans sa production déjà conséquente. Pierre Christophe y a pris le temps de s’arrêter pour s’écouter et donner à écouter ce qu’il entend laisser dans sa contribution de musicien et de pianiste de sa lecture dans la longue histoire du jazz à laquelle il contribue avec bonheur. C’est intelligent, c’est fin, c’est jubilatoire, c’est poétique et c’est souvent très beau.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Riccardo Del Fra
My Chet My Song

I'm a Fool to Want You, Love for Sale/Wayne's Whistle, I Remember You, Wind on an Open Book, For All We Know, But Not For Me/Oklahoma Kid, The Bells and the Island, My Funny Valentine
Riccardo Del Fra (b), Airelle Besson (tp & flh), Pierrick Pédron (as), Bruno Ruder (p), Billy Hart (dm), Deutsches Filmorchester Babelsberg, dir Torsten Scholz
Enregistré en 2013, Postdam (Allemagne)
Durée : 1h 05' 02''
Cristal Records 229 (Harmonia Mundi)


My Chet My Song
est un album composé d’orchestrations écrites par Riccardo Del Fra sur des pièces qui dessinent en creux la carrière de Chet Baker, avec lequel le contrebassiste se lia et dont il partagea huit ans de l’existence depuis leur première rencontre un jour de 1979 à Rome. On y retrouve donc, dans une mise en forme avec cordes, quelques-uns des thèmes qui ont fait et la renommée et le succès de Chet. Cette œuvre, commémorant le 25e anniversaire de la mort du trompettiste, fut créée au Festival de Marciac le 6 août 2011 avec l’orchestre du Conservatoire de Toulouse sous la direction de Jean-Pierre Peyrebelle, avec Roy Hargrove (tp, flh) et Pierrick Pédron (as) en solistes.
Cette œuvre fut par la suite reprise à l’occasion de concerts (Duc des Lombards…) les mois suivants, notamment à l’occasion de sa tournée de plusieurs semaines au Luxembourg et en Allemagne dans le cadre des activités de différents instituts culturels français à Munich, Tübingen, Berlin… au cours de laquelle elle fut donnée en formation mixte par le même quintet associé à des formations allemandes. Cet album présente donc l’enregistrement de l’une de ces sessions germaniques. Ces arrangements évoquent Gill Evans par les nombreuses similitudes qu’ils présentent avec ceux du Torontonian au début des années 1950 ; et de ce point de vue, l’essai de Del Fra, dont l’objet est de se réinscrire dans l’imaginaire de Chet, c’est à dire aussi l’évocation du Californian mood de la West Coast de cette période, est parfaitement abouti. C’est une musique de climats à forte connotation cinématographique qui sollicite l’imaginaire de l’auditeur et l’incite à une certaine contemplation. De ce point de vue, le rôle participatif de l’auditeur, celle consistant à vivre le traitement sensuel du rythme, avec le swing, est souvent absent même si l’intervention des solistes (surtout de par la section rythmique) en certaines parties, rattache ces pièces à l’univers du jazz d’où est issu Chet Baker. L’écriture très élégante et même ciselée de Del Fra, même en ses parties les plus contemporaines (« The Bells and the Island »), s’inscrit évidemment dans la veine italienne du chant ; « I Remember You », dans son urgence contenue (opposition du fond très tendre des cordes souligné par le timbre chaleureux du bugle à la fougue impatiente plus masculine de l’alto), métamorphose l’hommage en chant d’amour.
L’auditeur pourra apprécier les accents davisiens, la parfaite maîtrise technique et l’élégiaque douceur d’Airelle Besson opposés à la véhémence mâle, insistante et timbrée, de Pierrick Pédron, les deux solistes œuvrant de manière concertante avec la masse orchestrale. Tout au long de l’opus, le trio piano-contrebasse-batterie se contente le plus souvent d’accompagner et de colorer l’espace sonore de structures rythmiques : remarquable travail aux baguettes et aux balais de Billy Hart à peine souligné par la contrebasse comme un battement du cœur, le pianiste jouant out renforçant le ton incertain par le traitement atonal des parties solistes (fin de « For All We Know »).
C’est un beau disque qui illustre l’art délicat du musicien Riccardo Del Fra, compositeur comme arrangeur, même si l’idiome du jazz n’est pas toujours la préoccupation principale de l’orchestrateur
.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Doré Marthouret Quartet
3

Bye-Ya, Manhattan Plaza, I Surrender Dear, The Jitterburg Waltz, You're The Sunshine, Cala Morel, Fradel's Mood, O Grande Amor, No Moon at All
Guillaume Marthouret (ts), Xavier Doré (g), Laurent Fradelizi (b), Fred Oddou (dm)
Enregistré le 23 septembre 2013, Cherisy (28)
Durée : 49' 25''
Black & Blue 787.2 (Socadisc)


Les musiciens de ce groupe n’ont pas encore 40 ans. Leur musique présente encore la fraîcheur de la jeunesse mais déjà la maturité d’une véritable expérience. Le programme de cet opus, qui comprend des pièces aux ambiances variées, est constitué pour l’immense majorité d’un répertoire empruntant à la tradition du jazz : celui des standards et des classiques du jazz, de Fats à Sphere, de Barry Harris (1931) à David Mann (1948). En parallèle, ils nous proposent quatre compositions personnelles, dont le ton dans l’idiome s’intègre parfaitement au reste.
Doré, Marthouret, Fradelizi et Oddou n’en sont pas à leur premier essai ; ils jouent ensemble depuis 2006 et la tenue remarquable de cet album est la preuve patente de leur savoir faire confirmé en matière de jazz. 3 est en effet le troisième album dans cette formule quartet, après Another View (Camion Jazz, 2009) et That’s it (Black & Blue 2011). La longévité de cette formation n’est pas étrangère à la qualité musicale d’ensemble.
Les solos sont également de qualité. Doré évoque, par son discours dépouillé, le regretté Jimmy Gourley ; aucun superflu, rien que l’essentiel. Marthouret est un ténor élégant ; sa manière ne donne jamais dans le spectaculaire et la qualité musicale de son improvisation est sa principale préoccupation : « Surrender Dear », thème peu souvent joué, met en évidence sa sonorité aussi chaleureuse que la poésie de la mélodie. Fradelizi accompagne avec beaucoup de feeling et ses soli restent toujours mélodiques. Quant à Oddou, il s’adapte avec beaucoup de finesse aux ambiances dessinées par ses partenaires.
3
est un album de qualité qui mérite d’être entendu et écouté ; on y prend beaucoup de plaisir. Et ça swingue !

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Philippe Duchemin Trio
Dansez sur Nougaro

Dansez sur moi*/Girl Talk, La pluie fait des claquettes, Berceuse à pépé, Les mains d'une femme dans la farine/Gravy Waltz, Les pas, Cécile, ma fille, Prisonnier des nuages*, Ah tu verras, Le coq et la pendule, Déjeuner sur l'herbe, Toulouse
Philippe Duchemin (p, arr, dir), Christophe Le Van (b), Philippe Le Van (dm), Christophe Davot (voc, g*), Arnaud Aguergaray (vln), Kammerphilarmonia ensemble à cordes du Pays Basque
Enregistré les 20-21 mars 2015, Anglet (64)
Durée: 45’ 29”
Black and Blue 790.2 (Socadisc)


Né à flanc de Garonne, Philippe Duchemin ne pouvait pas ne pas un jour se rendre à l’évidente attraction du poète. Et c’est un bien bel hommage qu’il rend à l’aède rocailleux de sa Ville rose. La musique populaire en France a, depuis les années 1920, entretenu avec le jazz des relations intimes dont la fécondité n’a pas été étrangère à la naissance de ce qu’on désigne par Chanson française; Mireille, Jean Sablon, Charles Trenet, Henri Salvador, Georges Brassens, Léo Ferré, Prévert-Kosma… et Claude Nougaro ont, chacun à sa manière, été les passeurs de cette mutation liée aux échanges interculturels. Ils ont transposé dans leur imaginaire l’esthétique de l’autre, en évitant l’écueil redoutable d’une hybridation stérilisante; n’en déplaise à Jacques Canetti, initiateur du straight et du jazzy, à ses héritiers, les thuriféraires de la world music, de la fusion, du rock et autres musiques nouvelles, qui confondent fécondation et mondialisation génétique.
Ce qui contribue à expliquer que, malgré ses contorsions phonétiques et ses outrances rythmiques, Nougaro reste donc par la langue, d’abord et avant tout, un artiste intrinsèquement français. Comme celui de son maitre, Jacques Audiberti, son style emprunte aux ressources les plus classiques de la versification française: harmonie imitative, assonance, allitération rejet et contre-rejet («Le Coq et la pendule»)… Et même si sa strophe est libre, sa métrique est tenue à des formes plus rigoureuses pour tomber sur ses pieds.
En fin musicien de jazz, Philippe Duchemin n’a pas commis l’erreur rédhibitoire de vouloir trouver dans l’œuvre du Toulousain l’introuvable chez cet artiste à la culture intrinsèquement française. Car, en considération des très nombreuses chansons qu’il écrivit ou composa en référence à la musique de jazz, Nougaro est souvent présenté, dans un raccourci aussi audacieux qu’inapproprié, comme un «chanteur de jazz». Or si le poète a su reconstruire un imaginaire «étranger» [jazz] dans son propre langage, il ne saurait suffire au chanteur de scander la prosodie des syllabes, fussent-elles accentuées ou onomatopées, d’un texte pour swinguer le tempo de sa mélopée. Comme Ellington reconstruisit l’imaginaire d’une Afrique mythique dans son conventionnel American jungle style ou Gillespie celui de sa Caravan dans la nuit tunisienne, Nougaro fantasma son jazz sur vélin blanc de ses jours noirs.
Philippe Duchemin n’a également pas commis l’erreur de vouloir «mouler» Nougaro à sa propre forme jazzique. Le programme de son album est de ce point de vue très équilibré et foncièrement nougaresque. De cet énorme répertoire, il n’a conservé que deux pièces issues de la littérature musicale spécifiquement jazz qui a si souvent nourri cette œuvre, «Girl Talk» et «Gravy Waltz», deux morceaux chers au petersonian qu’il est. Les neuf autres, à l’exclusion de «Ah tu verras» (Chico Buarque), sont de veine toulousaine; le musicien s’est mis au service de l’auteur-compositeur: les textes et leur rythmique semblent avoir été les critères principaux de sa sélection et les arrangements ont été écrits en relation à la thématique scandée des textes.
Cet album brillant doit beaucoup à l’expérience acquise dans l’emploi des cordes dans son précédent ouvrage, Swing and Strings; elle donne quelques très beaux moments (orchestration des cordes dans «Ah, tu verras»), des réalisations bien venues (pizzicati dans l’exposition de «La pluie fait des claquettes») et des intuitions bien senties (après une citation courte et classique de «Nuages» par les cordes, la rupture du tempo bluesy initial up de la section rythmique, pour installer, en opposition, le mood orchestral en contrepoint très français de «Prisonnier des nuages»). Cette musique respire le bonheur vécu, y transparaît l’épanouissement d’un orchestrateur qui dit sa joie dans cet univers musical où les cordes confèrent à ces pièces un ton nouveau, une gravité légère que les enregistrements originaux du «maître» n’avaient pas dévoilée.
La réussite de Dansez sur Nougaro tient bien évidemment à la qualité des orchestrations dont la respiration générale relève du boston américain, forme ternaire rythmée si particulière des strings en Amérique. Mais la réalisation générale assez exceptionnelle tient également aux interprètes de ces partitions pas faciles: la mise en place des cordes dans les parties très écrites est remarquable; la section rythmique est en accord complet avec l’esprit du texte et chaque intervenant soliste y apporte sa part de création intelligente (l’exposition sur leitmotiv voix/contrebasse dans «Les mains d’une femme dans la farine» est non seulement intelligente mais pleine de tendresse en référence au compositeur de «Gravy Waltz»).
Mais dans cette réussite, la part du chanteur, Christophe Davot, est essentielle. Il n’imite jamais. Cet homme chante avec sa voix, qui est superbe, dans une diction parfaite et sans affectation aucune, laissant s’épanouir la beauté de la prosodie dans ses sonorités ciselées. Quant à sa mise en place, elle est d’une rigueur exceptionnelle. La manière, commediante voire tragediante, gravée sur les galettes par Nougaro a quelque peu figé le reçu de ces pièces, dont la richesse –et ce n’est pas une moindre qualité de l’auteur et des différents compositeurs, Vander particulièrement– mérite plus qu’une lecture «au passé», au ton dépassé voire compassé. C’est tout le talent de Christophe que d’avoir mis en lumière, par une interprétation fine et pleine de sensibilité, et l’originalité et la fraîcheur de ces œuvres; elles valaient qu’on dépassât la sensiblerie d’une mémoire trop fidèle. Davot a ouvert une voie/x nouvelle à l’interprétation des très belles chansons de Nougaro.
Dans sa seule intervention soliste en tant que guitariste sur «Prisonnier des nuages», ce fin musicien a l’élégance de ne pas imiter la manière de Django. Il a l’exquise politesse d’emprunter la sonorité ensoleillée d’Henri Crolla, autre guitariste manouche d’origine italienne et malheureusement trop oublié. Cet opus de Philippe Duchemin, comme les albums Cross Over de Claude Bolling, illustre la parfaite réussite de ce dialogue bien compris des cultures; encore faut-il les avoir assimilées et en maîtriser, comme ces deux musiciens rares, les outils de ces deux langues, à la syntaxe et à la grammaire aussi complexes qu’exigeantes, pour échapper, dans une traduction périlleuse, aux écueils des solécismes plus fréquents que les barbarismes encore.
Dansez sur Nougaro est mieux qu’une heureuse surprise, c’est le bonheur; le bonheur de redécouvrir des textes et des musiques, qui à force de célébrations convenues, avaient pris le masque des momies. Or ce répertoire est magnifique; il importait de lui redonner vie en des formes et des expressions vivantes de notre temps. Philippe Duchemin et ses coauteurs (car tous y contribuent à leur place et dans leur rôle) ont réussi leur œuvre; s’agit-il d’un chef d’œuvre? Vous pouvez écouter cet album et le réécouter sans jamais vous ennuyer. La richesse de la partition est telle, dans sa simplicité, que vous y découvrirez toujours quelque chose de nouveau. L’exigence dans l’interprétation incite à réécouter.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueViktoria Gecyte & Julien Coriatt Orchestra 
Blue Lake

Blue Lake, Lithuanian Suite : Ten kur sapnai, Lithuanian Suite : Ka gi tu man sakai ?, Lithuanian Suite : Senu draugu daina, Tenderly, Hat and Beard, Lauku daina, My Foolish Heart, Closing, Why Now
Viktoria Gečytė (voc), Julien Coriatt (p, lead), Peter Giron (b), John Betsch (dm), reste du personnel détaillé dans le livret
Enregistré en octobre 2013, Paris
Durée : 48' 56''
Autoproduit (www.juliencoriattorchestra.com)


Le projet de la chanteuse d'origine lituanuienne Viktoria Gečytė et du pianiste et chef d'orchestre Julien Coriatt était ambitieux : un premier album entre jazz, musique classique et musique traditionnelle lituanienne, porté par un grand orchestre (vingt-deux musiciens). Produit grâce à une plateforme en ligne de financement participatif, ce Blue Lake est essentiellement constitué des compositions du duo Gečytė-Coriatt (hormis trois standards : « Tenderly », « Hat and Beard » et « My Foolish Heart ») et de très bonne facture. Si l'album est à dominante jazz (c'est vrai pour tous les titres en anglais), les trois parties de la « Lithuanian Suite » ainsi que le morceau « Lauku daina », chantés en lituanien, évoquent davantage la comédie musicale. Pour le reste, du titre qui donne son nom à l'album, « Blue Lake », au très ellingtonien « Why Now », qui clôt le disque, on a affaire à du bon jazz de big band, ce qui nous étonne d'autant moins que la rythmique est assurée par deux grands professionnels : Peter Giron et John Betsch, qu'on a pas l'habitude de trouver dans ce type de contexte.
La présence des deux compères ne doit pourtant rien au hasard : Julien Coriatt est un ancien élève de l'American School of Modern Music de Paris où il a reçu l'enseignement de Peter Giron. Une fois terminées ses (longues) études musicales, le pianiste anime des jam-sessions. C'est au cours de l'une d'elle qu'il fait la connaissance de Viktoria Gečytė en 2008. Cette dernière a étudié aux Etats-Unis où elle a rencontré Gene Perla (b) et avec lequel elle effectue plusieurs tournées, y compris après son installation à Paris. Coriatt lui présente alors Giron et Betsch. Les quatre s'entendent comme larrons en foire et se mettent à jouer régulièrement ensemble. Puis, Julien et Viktoria mettent en gestation leur projet d'orchestre, projet dont on devine qu'il a nécessité une détermination certaine en ces temps où l'économie du jazz est si peu favorable aux grands ensembles. Viktoria Gečytė possède un vrai sens du swing qui trouve à s'épanouir avec cet excellent big band. Tandis que les arrangements de Coriatt, d'une grande finesse, habillent joliment l'ensemble.
On souhaite à Viktoria Gečytė et Julien Coriatt tout le succès possible à leur entreprise
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Jérôme Partage
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Chris Hopkins & Berndt Lhotzky
Partners in Crime

Tonk, Imagination, Georgia Jubilee, Snowfall, I Got Plenty O' Nuttin', Jingles, Someone to Watch Over Me, Salir a La Luz, Sneakaway, Five 4 Elise, Partners in Crime, Doin' the Voom Voom, Russian Lullaby, I Believe in Miracles, Apanhei-Te Cavaquinho
Chris Hopkins (p), Bernd Lhotzky (p)
Enregistré les 28 et 29 juillet 2012, Kamen (Allemagne)
Durée : 56' 34''
Echoes of Swing Productions 4510 2 (www.echoesofswing.com)

Partners in Crime fait partie des duos que les pianistes enregistrent lorsque la rencontre devient plaisir, relation particulière que l’on ressent dans la musique de chambre où l’intimité de la conversation n’est pas dérangée, parasitée par les étrangers. Ici, seulement deux micros, presque cachés, qui rendent compte de ce dialogue étonnant entre deux superbes Steinway qu’ils font sonner et résonner avec finesse et intelligence.

Christian Peter « Chris » Hopkins a maintenant un peu plus de 40 ans ; plus que l’alto, qu’il pratique également de manière plus démonstrative, le piano relève de son être intérieur fortement romantique (« Someone to Watch Over Me »). Il a trouvé en Bernd Lhotzy, de deux ans son aîné – qui tout comme lui fait également partie du groupe Echoes of Swing ainsi que le trompettiste Colin T. Dawson et le batteur Olivier Mewes –, un complice idéal à l’univers, qui pour être plus classique au plan jazzique (« Sneakaway »), n’en est pas moins original, voire baroque et/ou exotique (« Salir a La Luz », sorte de choro, est une composition personnelle dédicacée à Isabel) quant à ses choix et à ses centres d’intérêt.
Le programme de cet album est composé d’un mélange de pièces d’origines diverses, peu souvent enregistrées, du moins dans cette forme et ce langage. Les œuvres s’étendent sur deux siècles d’histoire musicale occidentale : de la « Lettre à Elise », composée en 1810 par Beethoven, à la plus récente, œuvre originale de Lhotzky, « Salir a La Luz », également dédicacée à son épouse, la pianiste classique Isabel (Späth-Lhotzky) qui joue souvent dans le Valentin Piano Quartet. L’ensemble habilement agencé est largement structuré autour de compositions représentatives des innovations musicales de la première moitié du 20e, dont le jazz en constitue l’ossature majeure. Ainsi ne sommes-nous pas surpris de la surreprésentation de deux auteurs majeurs de cette musique américaine, tant par l’œuvre composée proprement jazz (Duke Ellington) que par le répertoire repris et l’ayant servie (George Gershwin) : Duke Ellington (« Tonk », 1945 et « Doin’ TheVom Vom », 1929) et George Gershwin (« I Got Plenty O’ Nuttin », 1935 et « Someone to Watch Over Me, 1926). Les autres thèmes sont eux-mêmes originaux dans la structuration compositionnelle du jazz comme dans les autres formes musicales d’Amérique. Toutes les origines des tunes de Tin Pan Alley y sont représentées : la germanique (Peter Wendling), la britannique (Fud Livingsyon), la russe (Irving Berlin et George Gershwin). De la même manière, les racines diverses du jazz : les blanches swing (Benny Goodman) ou cool (Claude Thornhill) ; les afro-américaines ethniques (James P. Johnson, Willie « The Lion » Smith, l’Ecole stride de Harlem, matrice de leur propre style pianistique) mais également noires greffées USA (Duke Ellington, Bubber Miley, Billy Strayhorn) en période Harlem Renaissance, dans le Jungle Style des débuts, comme dans une modernité annoncée en 1945, vingt ans avant de Cecil Taylor (« Tonk »). A cela ajouter leur propre relecture du jazz : que ce soit dans « Partners in Crime » (thème bluesy – classique 4/4), subtilité érotique speakeasy, ou « Five 4 Elise » divertissement humoristique américanisant de la plus représentative des œuvres de la musique européenne (la Lettre à Elise de Beethoven, si souvent envoyée et jamais reçue sous les doigts de demoiselles malhabiles ici passée à la moulinette du 5/4 emprunté à Dave Brubeck façon « Take 5 ») ; sans compter les autres « exotismes musicaux » américains (« Salir a la Luz » et « Apanhei-Te Cavaquinho ») réinventés par ces deux pianistes surdoués, capables de transcender, sans en trahir l’esprit, la tradition musicale russe – « Russian Lullaby » à l’exposé aux accents moussorgskiens – dans un stride magnifique et de bon aloi que n’aurait pas désavoué le facétieux Mr Fats himself !).
Car si la musique afro-américaine est très largement représentée dans cet album en forme de bilan 20e, les deux pianistes ne manquent pas de rappeler l’émergence de deux autres musiques occidentales extra-européennes nées et découvertes au siècle dernier dans la zone latine du Nouveau Monde : l’insulaire hispanique cubaine (« Salir a La Luz ») et la continentale lusitano-brésilienne d’Ernesto Julio Nazareth (« Apanhei-Te Cavaquinho », 1915), compositeur ayant marqué l’histoire musicale de son pays.
La première face de l’album, « Tonk », également titré « Pianistically Allied », mérite attention. Cette pièce composée en 1945 par Duke Ellington et Billy Strayhorn, dont nous connaissons cinq versions enregistrées entre le 25 août 1945 et le 20 mai 1964 par eux, relève de la musique contemporaine plus que du jazz. La version en duo, Duke/Sweepea, du 10 janvier 1946 (Victor 27-0145) plus rapide, est traitée de manière rythmique ; le piano y est conçu en tant qu’instrument de percussion par les deux compères, la masse orchestrale recourant à la dissonance en amplifiant la sensation de « sauvagerie ». Celle d’Hopkins & Lhotzky s’apparente plutôt à une interprétation de pianistes classiques, telle qu’auraient pu l’envisager les Frères Kontarsky ou les Sœurs Labèque. Celle enregistrée par Aaron Diehl et Adam Birnbaum au Steinway Hall, bien plus longue, est également plus rythmique mais moins orchestrale que celle des deux maîtres-compositeurs. Il semble que la partition, techniquement difficile et complexe dans la coordination, exige, semble-t-il, une approche plus libre du texte. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les pièces de Benny Goodman, « Georgia Jubilee », et de George Gershwin, « I Got Plenty O' Nuttin' », sont également relues par Lhotzky et Hopkins dans une déconstruction façon « Tonk ».
Partners in Crime
est plus qu’un album de musique jouée par deux musiciens de talent et qui, chose rare, respectent l’esprit et la syntaxe des œuvres. C’est une véritable petite histoire illustrée de la musique d’hors-Europe à valeur didactique.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Quincy Jones
Live in Paris. 5-7-9 mars / 19 avril 1960

CD 1 : Chinese Checkers, Sunday Kind of Love, Air Mail Special, Parisian Thoroughfare, The Phantom's Blues aka Everybody’s Blues, Lester Leaps In, I Remember Clifford, Moanin', Doodlin', The Gypsy, Big Red, Birth of a Band, Walkin', Air Mail Special, I Remember Clifford ; CD 2 : The Preacher, Birth of a Band, My Reverie, Ghana, Cherokee, Pleasingly Plump, Stockholm Sweetening, Tickle Toe, Blues in the Night, Our Love Is Here to Stay, Doodlin’, Ghana alt. take, Whisper not, Birth of a Band, Lester Leaps
Quincy Jones (arr., cond.), Benny Bailey, Roger Guérin, Leonard Johnson, Floyd Standifer (tp), Clark Terry (fgh, tp, voc), Julius Watkins (flh), Jimmy Cleveland, Quentin Jackson, Melba Liston, Ake Persson (tb), Porter Kilbert, Phil Woods (as), Budd Johnson, Jerome Richardson (ts), Sahib Shihab (bs), Les Spann (fl, g), Patti Bown (p), Buddy Catlett (b), Joe Harris (dm)
Enregistré les 5, 7, 9 mars 1960, Paris
Durée : 2h 35' 00''
Frémeaux & Associés 5460 (Socadisc)


Ce disque rend compte des activités musicales de Quincy Jones en tout début des années 1960, période d’articulation particulièrement importante de sa carrière. En 1953, le jeune trompettiste avait apprécié l’accueil de Clifford Brown, Art Farmer et Gigi Gryce, du Lionel Hampton Orchestra, en France. Aussi, ne met-il pas longtemps à retrouver Paris pour parfaire, sa formation musicale auprès de Nadia Boulanger ; pédagogue reconnue, elle avait déjà reçu des compositeurs Américains (Aaron Copland et George Gershwin) dans les années 1920. Il entend travailler l’écriture pour orienter sa carrière vers la composition et l’orchestration pour lesquelles, à ses débuts, il avait déjà manifesté de l’intérêt et des dispositions. Jusqu’à son départ en novembre 1958, il mettra rapidement en pratique ses nouveaux acquis théoriques. Homme sensible à l’air du temps et à la monde, il se lie avec le tout Paris.
Depuis son retour de France début 1959, Quincy Jones dirigeait à New York une grande formation (entre février et décembre 1959) lorsque Harold Arlen, producteur de la revue, Free and Easy lui proposa de roder son spectacle en Europe début 1960. La tournée débuta en France où la situation n’était guère propice : la guerre d’Algérie venait troubler l’ambiance parisienne. A L’Alhambra, le spectacle ne tint pas six semaines ! Le Quincy Jones Orchestra (qui coûtait 4800$ la semaine) dut se rabattre sur la formule « concert » : en France et dans toute Europe. Comme Dizzy Gillespie dix ans avant, Quincy connut les malheurs d’un tourneur indélicat ! Comme Charles Delaunay, dix ans avant, Frank Ténot mit la main à la poche et joua de ses relations pour « traiter la crise ». Les enregistrements de ce coffret sont extraits de deux concerts parisiens produits et enregistrés par Frank Ténot et Daniel Filipacchi les 19 avril 1960 à l’Olympia et les 5, 7 et 9 mars 1960 au Studio Hoche de Barclay.
Contraint par la déconvenue du show bizz, Quincy Jones en revient à ses premières amours. Début 1960, Quincy Jones était toujours musicien de jazz6. Mise à part l’adaptation de la pièce de Claude Debussy, « Rêverie » de 1880 superbement arrangée et interprétée par Melba Liston, ces vingt-sept faces en témoignent ; elles empruntent le répertoire du jazz à la mode, années 1930, 1940 et 1950. Les cinq standards retenus, de même période, n’en représentent qu’une faible part. Le choix des thèmes est très largement orientés modern jazz : Benny Golson, Horace Silver, Ernie Wilkins, Bobby Timmons, Bud Powell et Quincy Jones lui-même ; mais aussi Richard Carpenter, Lester Young, Charlie Christian, Benny Goodman. Les songs, qui ont pour auteurs Billy Reid, George Gershwin, Ray Noble, David Carr Glover, Louis Prima, sont marqués au fer du jazz : « Gypsy », « Our Love Is Here to Stay », « Cherokee ».
Le programme, où l’équilibre entre musiciens est respecté, obéit à un savant dosage. Le leader ne tire pas la couverture à lui ; la formation ne programme que trois de ses compositions (« Birth of a Band », « Pleasingly Plump » et « Stockholm Sweetening ») : ses jeunes collègues (Golson, Silver, Wilkins) ont le vent en poupe ; il choisit leurs succès. Orchestrateur reconnu, il ne joue qu’une dizaine de ses arrangements. Les autres sont de Billy Byers, Nat Pierce, Ernie Wilkins, Al Cohn ; certains sont de membres de l’orchestre : Budd Johnson (« Lester Leaps in ») ou Melba Liston (« The Gypsy » et « My Reverie »). Comme tous les journalistes l’avaient souligné à l’époque dans les revues spécialisées, la formation constituait un ensemble homogène. L’amalgame des anciens (Budd Johnson, Quentin Jackson, Benny Bailey, Clark Terry) et des jeunes (Phil Woods, Patti Bown…) fonctionnait bien.
Toutes ces faces sont de qualité. Elles représentent le jazz de cette époque et illustrent l’évolution de celle des big bands. Les ensembles sont magnifiques (que ce soit le classique « Air Mail Special » ou le moderne « I Remember Clifford » dans un tout autre registre) et les solistes sont parfaits : les trompettes Benny Bailey (« I Remember Clifford », « Tickle Toe », « Blues in the Night », « Phantom’s Blues » écrit par Wilkins en l’honneur de/pour Julius Watkins) et Clark Terry (« Moanin’ », Doodlin’ », « Walkin’ ») sont en grande forme ; parmi les trombones, on ne peut que relever la musicalité superbe de Melba Liston, en des genres aussi différents que « My Reverie » (d’une élégance classique) et « Phantom’s Blues » (très soulful) ; la section de saxes est brillante avec Budd Johnson, Jerome Richardson (« Whisper not », « Lester Leaps in », « Big Red ») et Phil Woods, qui n’est pas en reste, avec son bel hommage à « Bird » sur l’admirable arrangement de « Gypsy » par Melba Liston tout comme dans son formidable chorus sur « Walkin’ » ; Patti Bown est discrète mais lorsqu’elle intervient, c’est avec autorité (« Air Mail Special », « Lester Leaps in », « Walkin’ ») ; Les Spann tient sa partie avec efficacité (« Big Red » fl ou « Lester Leaps in » g) ; Buddy Catlett accompagne sans effort et n’intervient que rarement, avec simplicité et rigueur (« Walkin’ », de l’ancien trompettiste de Count Basie, Richard Carpenter) ; Joe Harris joue un rôle essentiel dans la relance de cette masse sonore pleine de fougue et ses quelques solos sont bien sentis (« Birth of the Band »).
Le texte de Michel Brillie dans le livret donne une bonne information sur les conditions de ces sessions. En revanche, la partie discographique, habituellement si soignée chez Frémeaux & Associés, laisse ici à désirer ; elle comprend plusieurs erreurs. Personnalité du show-business américain, croulant sous les honneurs, Quincy Jones nous laisse avec ce coffret un superbe témoignage de son talent de musicien de jazz.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

L'Ame des Poètes
L'Interview

Pauvre Rutebeuf, Les trompettes de la renommée, Au suivant, J’ai rendez-vous avec vous, Avec le temps, La quête, Les funérailles d’antan, Jaurès, Joli Môme, Les Passantes, Il n’y a pas d’amour heureux, C’est extra, Comme à Ostende, Le temps ne fait rien à l’affaire, La Valse à mille temps
Pierre Vaiana (ss), Fabien Degryse (g), Jean-Louis Rassinfosse (b)
Enregistré juin 2013, Bruxelles
Durée : 56' 10''
Igloo Records 246 (Socadisc)


Avec le temps, mais quand ? 1969 : pour la rencontre mythique Ferré-Brassens-Brel ; 1992 : pour le premier disque du trio « L’Ame des Poètes » ; 2014 : pour leur neuvième album chez Igloo. Comment expliquer cette longévité pour un groupe qui, malgré tout, fait des amalgames plus ou moins tas de propos ? On peut jazzer de tout et nos complices ne s’en privent pas, mais chez ces gens-là, Monsieur, on chante… et en français ! On connaît le sens du swing des chanteurs du Midi : Nougaro, Trenet, Jonasz, Brassens… Il ne suffit toutefois pas de mettre une cabane au fond du jardin pour défigurer les feuilles mortes, eussent-elles de nombreuses portées ! Nos trois jazzmen s’en sortent plutôt bien et les croquants s’en délectent. Est-ce dire que les jazzfans prennent leur pied dans ce tapis ? Pas toujours, Monsieur ! La guitare sèche : c’est bien, mais les passages de frets me chagrinent (« Jaurès ») alors qu’un solo de basse m’illumine (« Avec le temps »). Peut-être se lasse-t-on ou sommes-nous souillés ? A voir : le spectacle éponyme mis en scène par Marie Vaiana et les questions reproduites par Christiane Stefanski. Mais ceci n’est pas une pipe !

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Susanna Lindeborg
Sudden Meeting

Etprim, Etsek, Etters, Etkva, Etkvi, Etsex, Etsep, Etok, Etnon, Etdec, Duprim, Dusek, Duters, Dukva, Dukvi, Dusex, Terprim, Terters, Terkva
Susanna Lindeborg (p, electronics), Ove Johansson (ts, EWI, electronics), Thomas Fanto, Michael Andersson (dm, perc, electronics)
Enregistré le 12 août 2013, Gothenburg
Durée : 53’ 50” + 52’ 34”
LJ Records 5257 (www.lj-records.se)



Susanna Lindeborg / California Connection
Natural Artefact

California Connection, Hadkeu Uekdah, Bay Bridge, Webern Lines, Golden Gate Bridge, New Stream Four, Richmond-San Rafael Bridge, Near The Coast, Dumbarton Bridge, San Mateo-Hayward Bridge, Chasing Webern, Antioch Bridge, Carquinez Bridge
Susanna Lindeborg (p, electronics), Ove Johansson (ts, EWI, electronics), Pers Anders Nilsson (electronics), Gino Robair (perc, electronics), Tim Perkis (electronics) 12-13
Enregistré le 17 février 2014, Berkeley, CA
Durée : 1h 07’ 39”
LJ Records 5258 (www.lj-records.se)


Les récents enregistrements de Susanna Lindeborg, toujours secondée par le bon saxophoniste Ove Johansson, confirment la direction prise par une musique de musiciens pour musiciens, plus de recherche, plus bruitiste que d’atmosphère, plus techniciste que d’expression, phénomène accentué par l’électronique mise en œuvre. Outre que ça n’a rien à voir avec le jazz, ni dans le résultat formel, ni dans les intentions, ni même dans l’inspiration, cette musique s’éloigne d’enregistrements anciens plus aériens et d’atmosphères (Live at Fasching, LJ 5244, par exemple) –du moins c’est ce que nous percevons– et semble à notre sens gratuite, artificielle, privée dans l’ensemble d’un récit perceptible par d’autres que par les seuls auteurs, privé des racines collectives qui irriguent la culture. La dimension improvisation totale systématique prive la musique de Susanna Lindeborg et Ove Johansson d’ouverture par son esprit de système. On laissera les amateurs de ce genre musical très spécialisé, technique, évaluer une musique trop éloignée de nos idées sur l’art, l’expression, sa raison d’être et ses fondements.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueManhattan School of Music Afro-Cuban Jazz Orchestra
¡ Que Viva Harlem !

Mambo Inferno, Feeding the Chickens, Let There Be Swing, Moon Over Cuba, Oclupaca, Royal Garden Blues, Blood Count, Que Viva Harlem
Josh Gawel, Ryan DeWeese, Benny Benack, Kyla Moscovich (tp) St. Clair Simmons, Josh Holcomb, Jesus Viramontes (tb), Santiago Latorre (btb), Patrick Bartley (as, ss, cl, fl), Kevin Bene (as, cl, fl), Xavier Del Castillo (ts, cl, fl), Graeme Norris (ts, cl, fl), Leo Pellegrino (bs, bcl), Saiyid Sharik Hasan (p), Max Calkin (b), Arthur Vint (dm), Takao Heisho (cg), Matthew Gonzalez (bg cenc, bbomba, perc), Oreste Abrantes (bg cenc, bbomba, perc), Bobby Sanabria, (cond, md, trimb, clav, shek, voc)
Enregistré le 28 mars 2013, New York
Durée: 1h 03’ 16’’
Jazzheads 1207 (www.jazzheads.com)

Bobby Sanabria, leader de cette session du Manhattan School of Music Afro-Cuban Jazz Orchestra, passe auprès de certains pour être l’équivalent de Wynton Marsalis : une sorte d’archiviste conservateur de la tradition musicale afro-cubaine. Cet album enregistré dans le studio de la MSM est une assez bonne illustration de ce travail consistant à donner une relecture enracinée dans l’histoire de la musique afro-cubaine. Pour ce faire, le chef ne se contente pas d’emprunter le répertoire classique cubain mais il a recours à plusieurs pièces authentifiées « jazz », et non des moindres, le classique « Royal Garden Blues » et des compositions ellingtoniennes comme « Oclupaca » (Duke), « Moon over Cuba » (J. Tizol) et « Blood Count » (B. Strayhorn).
Au plan de la réalisation musicale, on peut parler de perfection : les orchestrations sont bien écrites, les ensembles homogènes, les solistes de « solides clients », les trompettistes en particulier. L’histoire de la Manhattan School of Music n’est pas étrangère à cette sorte d’aboutissement formel. La vénérable institution a été créée en 1917 par une pianiste américaine classique connue venue faire des études en Europe avec Harold Bauer, Janet D. Schenck. Cette artiste philanthrope, qui avait pour devise « macte nova virtute, sic itur ad astra », fut secondée dans son œuvre d’accueil des immigrants polonais, italiens, russes… par des gloires de la musique classique : son maître, Harold Bauer, mais également le violoncelliste Pablo Casals, le violoniste Fritz Kreisler et plus tard par le pianiste Rudolph Serkin. Elle aida l’intégration des personnes défavorisées par la formation musicale de leurs enfants. C’est ainsi que John Lewis, Max Roach, Donald Byrd, Ron Carter, Yusef Lateef, Phil Woods… étudièrent dans cet établissement, comme Stefon Harris (vib) qui maintenant y enseigne. Ce passé prestigieux et son héritage exceptionnel expliquent la tenue musicale des instrumentistes de cette formation.
Néanmoins, la musique interprétée ne relève pas de l’idiome jazz, qui est, comme le rappelait Jelly Roll Morton, « une façon de jouer la musique ». Or la rythmicité de la musique afro-cubaine présentée dans ce volume n’a rien de commun avec le swing, traitement rythmique qui musicalement constitue le critère indispensable à l’appellation « jazz ». Si les rythmes latins ont pu autrefois être empruntés par les jazzmen, l’usage dans leurs pièces en était ponctuel en tant qu’ornementation d’évocation codifiés à l’occasion d’une introduction, de l’exposition d’un thème, d’une coda – « Caravan », « Night in Tunisia », « Moon Over Cuba », « ‘Round About Midnight »… Encore étaient-ils très adaptés –. Maintenant ils ont presque totalement été substitués à la forme originale du jazz. En sorte que la structure latine forme, rumba ou bossa, est devenue la règle ; le latin jazz, nouvelle appellation, est triomphant et le cha-bada monnaie en voie de raréfaction. Cet excellent disque de « musique typique », selon la classification années 1940-1960, accroit la confusion auprès du public de par la dénomination de la formation.
Car, sauf à considérer que le droit moral de l’auteur est une fiction, il n’est pas souhaitable que, sous prétexte de tendance mode, toutes les œuvres soient adaptées, fût-ce « afro-cubain ». Plusieurs faces du présent album en attestent. Notamment, l’adaptation du « Royal Garden Blues » qui n’ajoute rien à cette pièce : bien au contraire, l’uniformité rythmique l’alourdit beaucoup et lui ôte même la richesse de la diversité que présentait l’opposition des deux thèmes de la composition.
Ceci explique ce qui différencie Bobby Sanabria, musicien artisan consciencieux, et Wynton Marsalis, artiste compositeur et soliste d’exception. Musicien formé à/par l’exigence musicologique de l’interprétation, le trompettiste n’a jamais confondu les genres et la nature des œuvres. Jouer Ellington, Monk, les maîtres et les classiques du jazz en général, exige la même rigueur et le même respect de la musique que pour Vivaldi, Hummel, Hindemith… Pour le jazz, c’est en respecter l’esprit sinon la lettre dans sa signification culturelle et sa position civilisationnelle : les adapter ? Pourquoi pas ? Mais en respecter ce qui fait leur originalité culturelle, leur valeur : le swing ! Cette respiration si originale, si intime et toujours vivante du tempo propre à chacun. Pour être mouvement, les « balancements » ne sont pas les mêmes en tous les points de la terre ; ils peuvent être même très différents dans Harlem !
Cette problématique étant posée, ce CD n’en est pas moins par ailleurs excellent et à découvrir ; il vaut beaucoup mieux que certains ersatz de cubanissimo que l’on voit défiler dans nombre de festivals.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueChristian Morin
Blue Indigo

Let's Fall in Love, Jive at Five, Honeysucklerose, Mood Indigo, Pennies From Heaven, Undecided, Moonglow, C Jam Blues, Willow Weep for Me, All of Me, A Smooth One, Topsy, I Can't Give You Anything but Love, When I Fall in Love
Christian Morin (cl), Patrick Bacqueville (tb), Patrice Autier (p), Patricia Lebeugle (b), Michel Denis (dm)
Enregistré les 12, 13 et 14 septembre 2013, Lausanne (Suisse)
Durée : 50' 09''
Naïve 626171 (Naïve)


Hormis ses activités chez Radio Classique, où il œuvre depuis plusieurs années avec un talent certain, Christian Morin reste musicien dans l'âme. Et son attachement à la clarinette, son instrument d'origine fait que, dès que l'occasion s'en présente, il ne manque jamais de s'y adonner avec la fougue et le plaisir renouvelé de remettre sur le métier les thèmes qui illuminèrent ses premiers émois musicaux.
Faute de producteur pour ce type de répertoire, ces faces ont été, à son initiative, gravées au studio Prism de Lausanne en Suisse en 2013 en compagnie de musiciens français talentueux. Car ce répertoire très classique, considéré comme "has been", n'est guère plus exploré par les musiciens en vue dans la mouvance du jazz. Donc pour les nostalgiques d'une période où il était permis de chanter les mélodies sous sa douche, voici 14 evergreen, cuvée de plus d'un demi-siècle d'âge, qui n'ont rien perdu de leur pouvoir de séduction et qui n’en gardent que plus charme. Des standards mais également des classiques du jazz d'Ellington, de Bigard, de Basie, de Goodman, de Durham…
Rien de très révolutionnaire dans ces faces si ce n'est la musique elle-même, qui par bien des aspects l'est bien davantage que celle présentée comme telle actuellement par les "créatifs" en mal de savoir faire musical. Car la jouer le texte dans l'esprit et surtout l'interpréter avec respect n'est pas à la portée de tous.
Christian Morin est un clarinettiste de talent qui fait chanter son instrument avec beaucoup de chaleur pour le plaisir de l'auditeur, fonction essentielle du musicien dans une société "normale". Ses partenaires ne font pas que l'accompagner ; ils participent avec beaucoup d'allant à l'œuvre collective. Autour de Patrice Autier, en ordonnateur coloriste musical, de Patricia Lebeugle, en vigile de l'harmonie, et de Michel Denis maître es-swing, la section rythmique tourne comme une horloge : homogène et cohérente. Je ne peux m'empêcher de signaler les interventions de Patrick Bacqueville, tromboniste trop méconnu, qui illumine certaines de faces de sa présence.
Un disque agréable et bien réalisé qui s'écoute et se réécoute avec beaucoup de plaisir.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueEric Reed
Groovewise

Eric Reed (p), Seamus Blake (s), Ben Williams (b), Gregory Hutchinson (dm)
Powerful Paul Robeson, Until the Last Cat Has Swung, Mahattan melodies, The Gentle Giant, Ornate, The Shade of the Cedar Tree, Bopward, Una Mujer Elegante, Groovewise (2 parts)
Enregistré les 6 et 7 septembre 2013, New York
Durée : 59' 57''
Smoke Sessions Records 1410 (Distrijazz)


Au Smoke Jazz Club, on aime visiblement John Coltrane si on en juge par cet enregistrement, et il n’y a rien là pour nous déplaire car nous avons ici une formation excellente dirigée par Eric Reed avec lequel vous avez fait amplement connaissance dans notre numéro anniversaire des 80 ans (Jazz Hot n°671).
Vous savez déjà que la spiritualité d’inspiration religieuse est donc un point qu’il partage avec son célèbre aîné saxophoniste. Il est vrai que c’est une donnée répandue dans l’univers musical afro-américain, et Seamus Blake en est un autre exemple, dont la sonorité comme l’univers en général reflètent ces mêmes qualités.
Du swing, du blues, de la spiritualité, un drive magnifique porté par Gregory Hutchinson et Ben Williams, une expression profonde, ce sont les ingrédients d’une magnifique session de ce « Smoke » où le jazz vit si intensément dans toutes ses dimensions, en particulier dans celle d'un jazz enraciné dans ce courant principal ancré dans les valeurs du blues, du swing et de la spiritualité
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Yves Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Roberto Magris Septet
Morgan Rewind : A Tribute to Lee Morgan. Vol. 2

A Bird For Sid, Exotique, Blue Lace, Cunning Lee, The Sixth Sense, Soft Touch, Gary’s Notebook, Speedbaal, Libreville, Get Yo’Self Togetha, A Summer Kiss, Zambia, Helen’s Ritual, Audio Notebook
Hermon Mehari (tp), Jim Hair (ts, ss, fl), Peter Schlamb (vib), Roberto Magris (p), Elisa Pruett (b), Brian Steever (dm), Pablo Sanhueza (cga, perc)
Enregistré le 1er novembre 2010, Lexena (Kansas, USA)
Durée : 48' 14'' + 44' 48''
JMood Records 007 (www.jmoodrecords.com)


Le septet de Roberto Magris rend un bel hommage respectueux à Lee Morgan. Une équipe soudée qui reste fidèle à l’écriture des compositions du trompettiste, même si elle n’atteint pas les sommets de son inspirateur. Moins subtile dans son approche mais aussi généreuse et bien vivante, la musique respire le blues et l’intervention de chaque soliste s’inscrit dans une démarche de cohérence et d’efficacité. Hermon Mehani nous parle avec sa trompette, de beaux solos, ponctués, où les respirations donnent toute son importance à l’originalité de son jeu. Roberto Magris ne laisse pas insensible à travers ses solos brillants et un jeu pianistique original ancré dans la tradition du jazz hard bop. Les deux compositions de Roberto Magris, « Libreville » et « A Summer Kiss », s’inscrivent correctement dans l’esprit de la musique de Lee Morgan. On peut regretter un mixage qui manque de finitions et assez moyen (compte tenu de la qualité musicale), l’emploi parfois intempestif du vibraphone au détriment de la trompette, l’utilisation du soprano et le saxophoniste, en retrait sur le deuxième disque, particulièrement lors des solos. De bons musiciens qui ne manquent pas de mettre en valeur les compositions de Lee Morgan et ont le courage et le talent de les interpréter sur un disque où l’on peut enfin entendre du swing et des mélodies, ce qui manque cruellement de nos jours ! Un CD qui peut donner à réfléchir aux auto-proclamés ou proclamés créatifs fonctionnant au gré des subventions et où l’absence de swing est de rigueur. A écouter !

Adrien Varachaud
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Michel Pastre
Charlie Christian Project

Wholly Cats, On the Alamo, Shivers, Stardust, Breakfast Feud, Soft Winds, ACDC Current, Memories of You, Seven Come Eleven, Pagin’ The Devil, Solo Flight, Till Tom Special, Gone With ‘What’ Draft
Michel Pastre (ts), Malo Mazurié (tp), David Blenkhorn (g), Sébastien Girardot (b), Guillaume Nouaux (dm)
Enregistré les 20 et 21 janvier 2015
Durée : 53' 33''
Autoproduit MPQ001 (mpastre@sfr.fr)


Charlie Christian Project par le Michel Pastre Quintet est l’association du groupe « La Section Rythmique » (David Blenkhorn, Sébastien Girardot, Guillaume Nouaux) et de Michel Pastre (qu’on ne présente plus) avec Malo Mazurié, à découvrir. Soit treize titres enregistrés au studio Boléro par Christophe Davot, le mastering étant fait par François Biensan : une affaire de famille. Comme le souligne Michel Pastre, Charlie Christian est un choix logique pour lui « avec son swing et ses idées novatrices qui rejoignaient celles de mon héros le grand saxophoniste Lester Young ». Le CD démarre sur les chapeaux de roue par « Wholly Cats » où outre Pastre et Blenkhorn (choix parfait pour ce projet), Malo fait preuve d’un swing aussi implacable que celui de Guillaume Nouaux (Sid Catlett n’est plus qu’un gamin !). En fait c’est le drive de Roy Eldridge que Malo nous évoque souvent (exposé de « Stardust » ; « Breakfast Feud » ; son un peu growlé dans « ACDC Current »). Sébastien Girardot est en valeur dans « Pagin’ The Devil » (mais il est partout un pilier sûr). Eh oui, David Blenkhorn fait merveille même dans « Soft Winds », « Seven Come Eleven », « Solo Flight », « Gone With ‘What’ Draft » toujours dans l’esprit de Charlie Christian avec un jeu détendu, clair, linéaire qui contraste pour le meilleur avec les furieux Girardot et Nouaux (« Shivers », etc). Guillaume Nouaux est quasi insoutenable de précision et d'efficacité (« Till Tom Special » et…partout). Quant au leader, c'est maintenant à Coleman Hawkins qu'il fait souvent penser, avec un son voluptueux, comme dans « On the Alamo » (là, la trompette avec sourdine de Malo retrouve l'élégance d'un Buck Clayton). En pleine maturité artistique, Michel Pastre est un régal de véhémence et d’inspiration pour ne rien dire de son swing qu’il a toujours possédé
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Michel Laplace
© Jazz Hot n°673, automne 2015

George Robert & Kenny Barron
The Good Life

The Good Life, Hymn to Life, Spring Can Really Hang You up the Most, Florence, Japanese Garden, A Time for Love, Billy Strayhorn, Pully Port, Lush Life,Goodbye
George Robert (as), Kenny Barron (p)
Enregistré les 19-20 mai 2014, Genève
Durée: 48' 17"
Somethin’ Cool 1005 (www.georgerobert.com)




George Robert All-Star Quartet
New Life

Blue Ray, Dr. John's Calypso, Florence, Clouseau, Cannonball, Japanese Garden, Hammer's Tones
George Robert (as), Dado moroni (p), Peter Washington (b), Jeff Hamilton (dm)
Enregistré les 20 octobre 2014 au Théâtre Del Gatto, Ascona, 1 et 25 octobre 2014, Jazz Club Thalwil 2-7
Durée: 49' 29"
GPR 1008 (www.georgerobert.com)




De Suisse nous est venue la grande nouvelle du retour de George Robert, excellent saxophoniste alto, disparu des écrans du jazz suite à une longue maladie qu’il a surmontée avec un courage et une conviction où le jazz a certainement joué un grand rôle.
Car de cet artiste, dont Jazz Hot a retracé régulièrement le parcours (n°615) et relaté le travail depuis les années 1990, il faut remarquer cette recherche de beauté et cette exigence de perfection qui appartiennent aux artistes de jazz les plus sincères, les plus profonds.
Depuis longtemps, George Robert nous a habitués à l’excellence, privilégiant pour sa production artistique enregistrée les rencontres avec les meilleurs musiciens de jazz de la planète (et parfois au-delà du jazz, comme Ivan Lins, Abre Alas). Il laisse ainsi depuis la fin des années 80 une belle œuvre enregistrée, ponctuée de véritables trésors. Dans ce voyage (c’était le titre de l’article que nous lui avions consacré en 2004), il a côtoyé Tom Harrell, Clark Terry, Dado Moroni (que nous retrouvons ici), Randy Brecker parmi beaucoup d’autres. Il a aussi dialogué avec Phil Woods (Soul Eyes, Mons records), une de ses inspirations évidentes –avec Cannonball Adderley et Charlie Parker– quant au lyrisme et à la sonorité, et Bob Mintzer, qui arrangea la musique de certains enregistrements (Abre Alas). Tous deux rédigent quelques notes de livret pour chacun de ces deux albums, saluant tout à la fois de beaux enregistrements et le retour à la vie et à la création d’un ami-artiste.
George Robert a enfin enregistré avec le grand Kenny Barron (Jazz Hot n°575) à cinq reprises, dont deux fois en duo dont celle-ci (cf. Peace, Jazz Hot n°620); Kenny Barron, l’un des géants du jazz d’aujourd’hui, un artiste d’une rare profondeur, d’une écoute extraordinaire, et donc le partenaire rêvé d’un enregistrement très spécial. Il s’agit d’une véritable renaissance musicale de George Robert, que nous retrouvons ici d’une intensité que seules confèrent les épreuves de la vie, comme le dit d’une autre manière Bob Mintzer.
Il n’est donc pas du tout gratuit que le duo avec Kenny Barron s’intitule The Good Life, pendant que le quartet avec Dado Moroni (Jazz Hot n°642), Peter Washington (Jazz Hot n°581) et Jeff Hamilton (Jazz Hot n°661) ait pour titre New Life.
Le ton des deux albums diffère: le premier, enregistré en studio, est une merveilleuse conversation intime entre deux artistes accomplis qui se retrouvent après une épreuve qui a engagé la vie. George Robert, avec un son très droit, parfois vibrant, y raconte avec intensité le plaisir de retrouver la vie (avec «The Good Life» de Sacha Distel, un émouvant original «Hymn to Life») et d’autres thèmes originaux ou standards, d’une beauté sans pareille («Billy Strayhorn» et «Lush Life», «A Time for Love», «Goodbye»…). Dans cette atmosphère, son lyrisme est partagé, magnifié par un Kenny Barron, un géant dans ce registre intime. Du grand art, souligné par Phil Woods.
Le deuxième enregistrement, en public, est d’une tonalité plus joyeuse, celle de la vie qui a repris son cours, celle d’une rencontre de George Robert avec trois musiciens de haut niveau, une section rythmique hors norme, constituée pour l’occasion, une tournée d’une dizaine de dates, par le judicieux George Robert qui sait donc toujours s’entourer des meilleurs.
Pour commencer la fête, un blues, comme il se doit, dédié à Ray Brown, pour la terminer un autre blues dédié au batteur du groupe, tous les thèmes étant de la veine de George Robert, ajoutant à ses qualités d’expressions, celles de compositeurs.
Le swing est à la fête, nos oreilles et chaque parcelle de notre corps aussi, car le jazz prend une dimension particulière. Dado Moroni possède un drive capable d’entraîner le public, qualité qui est bien entendu une des facettes principales du puissant et fin Jeff Hamilton. Quant à Peter Washington, dans cet environnement, il est, bien sûr et comme toujours, essentiel. George Robert se fait plus exubérant, et c’est un réel plaisir de le savoir si ludique («Dr. John Calypso»).
Ce retour de George Robert, sous ces deux facettes de la renaissance et de la fête, est un moment exceptionnel, pour l’artiste bien sûr qui renaît à la vie, mais aussi pour tout amateur de jazz capable de sentir la profondeur et la diversité des émotions qui traversent ces enregistrements. Welcome back, Mr. George Robert!

Yves Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Walter Ricci / David Sauzay Quintet
Nice & Easy

Come and Dance With Me, Nice & Easy, Too Close for Comfort, Fly Me to the Moon, On a Clear Day, Fascinating Rythm, I Love You for Sentimental Reasons, You Make Me Feel So Young, Just in Time, Anema e core
Walter Ricci (voc), David Sauzay (ts, fl), Pierre Christophe (p), Michel Rosciglione (b), Bernd Reiter (dm) + Fabien Mary (tp)
Enregistré le 19 novembre 2014, Le Pré St-Gervais (93)
Durée : 44’ 37’’
Jazztime 01 (Wiseband)


A 26 ans, le chanteur napolitain Walter Ricci aligne déjà douze années de carrière professionnelle. Un enfant de la balle qui est né avec le jazz dans l’oreille. Ce disque est d’ailleurs dédié à l’une de ses idoles qu’enfant il cherchait à imiter : Frank Sinatra. Walter n’a pas le coffre de son illustre aîné, mais c’est un crooner plein de charme et qui sait swinguer. Bon scateur (« Just in Time »), il se promène avec aisance sur le répertoire de « Frankie ». Pour autant, c’est le groupe qui l’entoure qui suscite vraiment notre intérêt. Le quintet de David Sauzay est excellent ! Le leader, en premier lieu, tout en suavité, partenaire idoine pour le chanteur, glisse quelques mesures de « Nutty » au détour d’un solo sur « You Make Me Feel So Young ». Et avec le renfort de Fabien Mary (sur « Too Close for Comfort », « On a Clear Day », « Fascinating Rythm »), c’est encore mieux ! Pierre Christophe soutient superbement les solistes, Rosciglione est plein de finesse, Reiter tient les baguettes de façon impeccable. Un régal.

Jérôme Partage
© Jazz Hot n°673, automne 2015

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Ben Sidran
Blue Camus

Soso's Dream, Blue Camus, « A » Is for Alligator, The King of Harlem, Rocky's Romance, Wake Me When It's Over, There Used to Be Bees, Dee's Dilemna

Ben Sidran (p, voc), Ricky Peterson (org), Billy Peterson (b), Leo Sidran (dm)
Durée : 45' 08''
Enregistré le 9 novembre 2013, Paris
Durée : 44' 08''
Bonsaï Music 141001 (Harmonia Mundi)

Ben Sidran (Jazz Hot n°597) est une personnalité attachante au CV éblouissant. Vedette de la chanson pop, certes (une trentaine de disques à son actif), mais, surtout, viscéralement attachée aux valeurs du jazz. Il a fait une thèse de littérature anglaise à l'université du Sussex intitulée: Une histoire culturelle de la musique noire en Amérique ; il a animé des émissions sur le jazz, produit sur son propre label des artistes tels Richie Cole, Jon Hendricks ou Tony Williams; il a souvent fait appel à des musiciens de jazz sur ses albums (Peter Erskine, Eddie Gomez, Johnny Griffin), et joué sur scène avec des stars : les frères Brecker, Gil Evans, Dizzy Gillespie ou Bobby Mc Ferrin...

Son dernier CD n'est pas seulement dédié à Albert Camus, comme l'indique le titre, mais aussi à George Orwell, Federico Garcia Lorca, Lewis Carroll, et Jackie Mc Lean…(jazz et littérature, ses deux passions). Si l'anglophone hésitant n'accèdera pas à toute la subtilité des textes, les mélodies élégantes, la voix et la scansion « chantée-parlée » swingantes de Ben Sidran ne manqueront pas de le séduire.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueManuel Rocheman / Nadine Bellombre
Paris-Maurice

Ene zoli reve, Just Love, La mer la, Can't Hide Love, Mo lé ou, Come Together, Nadine, Ki to lé, Nature boy, The Island, Send in the Clowns

Manuel Rocheman (p), Nadine Bellombre (voc), Kersley Palmyre (b), Maurice Momo Manancourt (dm), Christophe Bertin (dm), Marie-Luce Faron (voc), Patrick Desvaux (g), Olivier Ker Ourio (hca), Samuel Laval (as)
Enregistré du 21 au 24 Juillet 2013, Ile Maurice
Durée 54' 26''
Berlioz Production 1272014/1 (Rue Stendhal)


En tournée à l'île Maurice en 2012, le pianiste Manuel Rocheman (un des rares élèves de Martial Solal puis, un temps, compagnon de route des frères Moutin) fait la connaissance de la fine fleur des musiciens de l'île que lui présente Linley Marthe (le bassiste des dernières années de la carrière de Joe Zawinul). Il s'éprend alors du « Sega » et du « Mayola », les formes traditionnelles de la musique et de la danse, des Seychelles, de Maurice et de la Réunion. Enregistré sur place un an plus tard, ce CD témoigne du fruit de ces rencontres. Curieusement, le jazz y fait assez bon ménage avec les codes rythmiques spécifiques des îles occidentales de l'océan Indien, pas si éloignées, il est vrai des côtes africaines. Chantés en créole par Nadine Bellombre, la plupart des morceaux sont autant d'occasions pour le pianiste de mettre en valeur ses talents de soliste dans le registre purement jazz qu'on lui connait. L'osmose se fait d'autant plus facilement que la chanteuse ne méconnait pas non plus le répertoire du jazz et de la pop en usage sur les deux rives de l'Atlantique (témoins son interprétation très « soul » de « Come Together » et sa version façon « crooneuse » de « Nature Boy »).

Sympathique et de bon aloi, ce disque ravira les amateurs des croisements musicaux, d'autant qu'Olivier Ker Ourio y fait, en quelques mesures (sur un titre seulement, et c'est bien dommage...), des miracles.
Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque

Baptiste Trotignon
Hit

Choral, Abracadabra, Paul, Spleen, Air, Busy Brain, Happy Rosalie, Liquid, Solid, Désillusion, Choral Again.
Baptiste Trotignon (p), Tomas Bramerie (b), Jeff Ballard (dm)
Date et lieu d'enregistrement non communiqués
Durée 51' 01''
Naïve 624471 (Naïve)


Pour réussir ce CD Baptiste Trotignon a mis toutes les chances de son côté en se faisant épauler par deux excellents sidemen : Thomas Bramerie et Jeff Ballard. En effet, sa musique, complexe, savante, mais purement « jazz », échappant à toute tentative de classification, exige des qualités musicales peu communes. Ainsi « assuré » tel un grimpeur, le pianiste peut se lancer dans une aventure néanmoins pleine de risques que l'auditeur tente de suivre sans vraiment pouvoir éviter une certaine forme de vertige. Car rien n'est linéaire dans ce cheminement qui n'évite jamais les voies les plus difficiles. Les changements brusques de rythmes, de climats et de structures, et les fins imprévisibles déstabilisent et fascinent. Un véritable dépoussiérage de « l'art du trio ».

Daniel Chauvet
© Jazz Hot n°673, automne 2015

Curtis Stigers
Hooray For Love

Love Is Here to Stay, Valentine's Day, You Make Me Feel So Young, Hooray For Love, The Way You Look Tonight, Give Your Heart To Me, That's All, A Matter Of Time, If I Were a Bell, You Don't Know What Love Is
Curtis Stigers (voc, ts), John « Scrapper » Sneider (tp, vib), Matt Munisteri (g), Matthew Fries (p), Cliff Schmitt (b), Keith Hall (dm), Cyrille Aimée(voc)
Enregistré les 15, 16, 17 avril 2013, New York
Durée : 39' 29''
Concord Records 0888072344754 (Universal)


Le titre éponyme de cet album, Horray for Love, est une composition originale de Curtis Stigers, qui joue du saxophone et la comédie, qui écrit des chansons et en chante… Au seuil de la cinquantaine, cet artiste complet venu du rock et de la pop music, revient à la musique de ses premières amours, celle de sa solide formation initiale de clarinettiste-saxophoniste à la High School de Boise en Idaho. Il propose dans cet album une direction plus sage et plus respectable à sa carrière et pour ce faire choisit la voie/voix jazz avec une dizaine de morceaux empruntés au répertoire des standards (1936-1955) : de Gershwin à Frank Loesser et même Steve Earle, en passant par Joseph Myrow et Jerome Kern, plus deux originaux personnels dans la veine de celui dédicacé à son mentor, Gene Harris, « Swingin' Down at Tenth and Main ».
Accompagné par des musiciens de qualité, nés comme lui dans les sixties, il fait preuve d’un talent original dans sa façon originale d’aborder un répertoire qu’on ne lui connaissait pas. C’est propre, personnel, ça swingue ! Et, pour ne rien gâcher, c’est simplement fait mais avec beaucoup de professionnalisme. Dans sa manière de chanter et de poser son discours sur le tempo, Curtis évoque le regretté Nino Ferrer, qui eut, avant lui, un parcours similaire.

La section rythmique tourne comme une horloge autour de Matthew Fries (p), accompagnateur averti, Matt Munisteri (g), Cliff Schmitt (b) et Keith Hall (dm). Pour cette séance, il a obtenu le renfort du trompettiste John « Scrapper » Sneider, également producteur de ces enregistrements. Son style évoque Clark Terry et Buck Clayton à la fois ; il apporte à ces faces un réel lyrisme qui complémente bien le caractère un peu « rock » de son style vocal. Cyrille Aimée, qui apporte son concours en duo pour « You Make Me Feel So Young », apporte une touche de grâce à son propos aussi matois qu’incertain. Horray for Love n’est pas un album révolutionnaire ; mais il est bien construit, bien interprété et s’écoute avec plaisir sans lasser.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

René Urtreger
René Urtreger Trio – Yves Torchinsky, Eric Dervieu

All The Things You Are, Con Alma, Gracias Paloma, My Old Flame, Blues for Alice, Valsajane, Un Poco Loco, Bleu Roi*, La Fornarina, Facile à dire, Thème pour un ami, Polka Dots and Moonbeams, Like Someone in Love, The Duke
René Urtreger (p, piano solo*), Yves Torchinsky (b), Eric Dervieu (dm)
Enregistré
le 30 avril 2014, Studio de Meudon (92)
Durée: 1h 00’ 27”
Carlyne 23 (Socadisc)


René Urtreger se fait rare en concerts et en festivals, mais reste présent. Les privilégiés parisiens ont eu la possibilité de l’entendre en club au mois de juin 2015 avec ce même trio plus Sylvain Bœuf et Eric Le Lann et en trio en août 2014. Cet album lui vaut le Prix de l’Académie Charles Cros 2014. C’est que le pianiste, qui fait les beaux jours des scènes françaises et européennes depuis les années 1950 ne finit pas de surprendre. Les spectateurs du Dizzy’s Coca-Cola Club au Lincoln Center de New York ont été étonnés de découvrir cet homme de 80 printemps, plein de fougue juvénile, jouer un répertoire avec un esprit aussi authentique, les créateurs ayant presque tous disparu. Le musicien est généreux mais le pianiste est concis, et l’artiste peu bavard: une vingtaine d’albums en leader depuis 1955. Comme s’il se méfiait de l’habitude et de la redite; l’homme aime le trio de Michelot et Humair, avec lesquels à plusieurs reprises, il fit des parcours brefs, à Tochinsky et Dervieu, les fidèles. Ses albums apparaissent le plus souvent sortis de l’improviste et surprennent d’avantage encore par leur ton, par la manière dont le classicisme à chaque fois épuré accouche d’une nouvelle modernité hors de mode.
Ces quatorze plages constituent une sorte d’anthologie de pièces qui ont, dans ce dernier demi-siècle, écrit autant qu’illustré son parcours de pianiste ancré dans le jazz de sa génération, le bop. Au programme quatre standards, composés dans la décennie 1934-1944 (deux de Van Heusen; un de Jerome Kern et de Sam Coslow) que ce style a imprimés de sa ponctuation et de ses gimmicks et quatre classiques de cette école bebop, écrits dans les année 1950 par quatre de ses représentants emblématiques (Gillespie, Parker, Powell et Brubeck). L’ensemble s’articule autour de cinq de ses compositions en forme de commentaires. Au milieu de cet ensemble, une méditation en piano solo sur le blues en fa, «Bleu Roi», dont il dit ne pas vraiment savoir quand il en a commencé l’exploration systématique, structure toujours remise sur le métier. En tout état de cause, ses deux maîtres, ses références, sont Bud et Monk, relus et leur musique recomposée en une seule, budmonkienne, mais différente, tout droit sortie de son imaginaire. C’est aussi beau qu’impressionnant d’aisance, la réinvention urtrégienne.
L'ordonnancement du trio est de forme très classique: une voix principale, le piano accompagné de la contrebasse et de la batterie, jouant dans ses trois variantes et leurs combinaisons: le solo de l’un d’eux (piano dans «All the Things You Are»; batterie dans «Un Poco Loco»; la contrebasse dans «Thème pour un ami») soutenu en retrait;  le dialogue à deux voix accompagnées par le troisième («Con Alma», «Gracias Paloma»); enfin le quatre/quatre («Blues for Alice», «La Fornarina»).
Ce trio très équilibré dans le rapport entre instruments –même si la place du piano est dans l’ensemble dominante– swingue magnifiquement. Les trois musiciens conversent et se répondent; parce qu’ils s’écoutent. Torchinsky est parfait: soliste brillant et seconde voix au contrepoint riche («Con Alma», exposition à l’archet lyrique sans pathos!), son accompagnement est rigoureux et sa mise en place parfaite. Dervieu est une révélation dans cet album: il accompagne avec beaucoup de finesse et participe sans écraser l’ensemble; ses solos sont bien construits et répondent à la logique esthétique de la pièce. Quant à René, lui-même, sa manière est surprenante, éblouissante de sérénité; son solo improvisé, superbe de sobriété, met en évidence sa musicalité et la qualité de son toucher pianistique. L’enthousiasme, la spontanéité maîtrisée («Like Someone in Love») et la fougue («Gracias Paloma») couvent toujours sous le pianiste lumineux («Polka Dots and Moonbeams»).
De l’Urtreger à l’état pur: fort et intense! Comme dans les grandes pièces, il y a toujours quelque chose à découvrir. Mais la finesse et la tenue rendent cette musique formidable d’évidence. Elle s’écoute sans difficulté, sans jamais lasser. Comme dans les grandes pièces, il y a toujours quelque chose à découvrir. Urtreger est un très grand interprète qui chante à l’oreille.
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

André Villéger / Philippe Milanta
For Duke and Paul

I Let a Song Go Out of My Heart, Day Dream, U.M.M.G, Sentimental Lady, Paul’s Tales, Major, E.S.P., A Flower  Is a Lovesome Thing, EKDE, Raincheck, The Shepherd, Serenade to a Bus Seat, Take the A Train, I Got It Bad
André Villéger (as14, ss4,8, ts, cl9), Philippe Milanta (p)
Enregistré les 29 et 30 juin 2015, Studio de Meudon (92)
Durée : 1h 06’ 46”
Camille Productions MS 062015 (camilleprod@orange.fr)


André Villéger et Philippe Milanta labourent depuis de longues années le fertile univers de Duke Ellington, de son complice Billy Strayhorn, et les rêves de Paul Gonsalves qui en sont un des éléments  constitutifs. On se souvient du bel enregistrement, Duke Ellington and Billy Strayhorn’s Sound of Love,  effectué à Bayonne pour le label Jazz aux Remparts, lors du festival du même nom, en 1999 (Jazz Hot n°569). Si on ajoute le directeur de séance, François Biensan, on sait avant même d’écouter cet enregistrement que la moisson va être réussie. On s’impatiente donc de découvrir quelles sont les facettes mises en valeur par ces deux musiciens hors pairs, en devinant qu’il en sera de même pour le prochain qu’on espère déjà.
D’abord la formule du duo saxophone-piano laisse beaucoup de liberté à deux grands instrumentistes complices pour faire briller leurs qualités et les extraordinaires compositions de Duke Ellington, Billy Strayhorn, Clark Terry, plus deux originaux dûs aux deux auteurs de cet enregistrement.
Ce que révèle chacun  des musiciens, au-delà de sa maîtrise technique, est, pour Villéger, un beau son feutré, une douceur souple, une sensualité parfois, qui se concentrent en particulier dans l’exploration des mélodies: c’est un pur bonheur. Milanta, en pleine force de son expression, est de son côté plus aventureux. Il est celui qui étire, développe  l’univers ellingtonien. Mais pas de fausses idées, le pianiste n’est pas un «déconstructeur». Il est au contraire celui qui, ayant exploré son Duke jusqu’à la moelle, connaît les ouvertures infinies de cette œuvre, initie à la découverte, et développe avec aisance telle ou telle piste, se risque sur toutes les passerelles lancées par le Duke et son compositeur favori, Billy Strayhorn, sans jamais oublier son point de départ, donc sans jamais se perdre.
La complicité est parfaite, et s’il est bien entendu que le saxophone est la voix de ces mélodies, que le cadre harmonique et rythmique est l’œuvre du piano, il n’y a pas de domaines réservés, d’interdits dans cet enregistrement. André Villéger, tel un Paul autre car il n’y a aucune copie, joue d’un lyrisme sans bavardage, et Philippe Milanta se révèle non seulement un connaisseur de toute les signatures ellingtonniennes mais aussi un grand musicien, un grand du piano jazz, passionnant d’inventivité, digne de ce que cet instrument donne de meilleur aujourd’hui, car on pense évidemment aux George Cables, Kenny Barron, Dado Moroni, Benny Green, Eric Reed, etc. car le jazz propose une extraordinaire tradition de pianistes, des anciens jusqu’à la nouvelle génération.
On ne dira pas que le choix des compositions est parfait, ce qui semble aller de soi pour de tels connaisseurs de l’œuvre, mais on remarquera que les 14 thèmes n’excèdent pas les 7 minutes et se limitent parfois à moins de 4 minutes; ces durées homogènes alliées à la beauté des thèmes garantissant une sorte de concentré de perfection d’expression, de légèreté et une nouvelle vie parfois à des thèmes très écoutés. On dira aussi que les deux compositions originales sont dignes de l’ensemble, un splendide «Paul’s Tales», plein de douceur, un «EKDE» très original avec André Villéger à la clarinette et une belle ligne de basse au piano en contrepoint.
Enfin comment ne pas saluer l’œuvre ellingtonnienne à l’origine d’un si bel enregistrement? Comment ne pas saluer cette idée, apparemment simple mais rarement comprise –pas par l’auteur du livret en tout cas– que c’est dans les plus belles terres du jazz qu’on puise l’inspiration nécessaire à la poursuite de l’excellence du jazz, l’énergie indispensable à toute création, et que le ressourcement est un impératif culturel; en aucun cas un prétexte pour la mise en valeur d’un artiste. L’œuvre d’Ellington parmi d’autres est inépuisable. Sur ce sujet, aucune incompréhension du côté de nos deux magnifiques musiciens: toutes leurs fibres sont constitutives de la grande terre du jazz dont ils tirent le meilleur, en savants et en amoureux de cette musique, pour donner de très beaux fruits.

Yves Sportis
© Jazz Hot n°673, automne 2015

AuroCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquere Quartet
Live à La Fabrique

Une Blonde en or, Black Trombone, Toi, Le Jazz et la java, Rimes, Plus je t’embrasse, Personne, Johnny fais-moi mal, La Recette de l’amour fou, Requiem pour un con, Après minuit, Alhambra Rock, Le Rififi, Un soir de pluie
Aurore Voilqué (vln, voc), Jerry Edwards (tb), Thomas Ohresser (g) Basie Mouton (b), Julie Saury (dm) + Sacha Vikouloff (voc), Olivier Defaÿs (ts)
Enregistré les 18 et 19 avril 2014, Brie-Comte-Robert (77)
Durée : 1h 15' 55''
Autoproduit (www.aurorequartet.com)


L’Aurore Quartet est un peu comme les Trois Mousquetaires : il y a souvent un peu plus de monde qu’annoncé. En effet, Jerry Edwards est le cinquième laron de la formation à laquelle il amène de belles couleurs. Ajoutons à cela deux invités sur ce soir de « live » – en particulier l’excellent Olivier Defaÿs –, enregistré dans le restaurant La Fabrique, où Miss Voilqué programme du jazz depuis déjà quelques saisons. Jouant à domicile, elle s’est donc fait plaisir, délaissant quelque peu son violon pour donner de la voix sur un répertoire issu de la chanson française jazzophile (Vian, Gainsbourg, Nougaro, etc.). Bien sûr, Aurore n’est pas une chanteuse de jazz. Elle le sait et les gens qui la suivent également. Il n’en reste pas moins qu’elle chante de mieux en mieux et que c’est un réel plaisir d’entendre ces fleurons du patrimoine hexagonal interprété par des jazzmen (and women) de talent (mention spéciale à Thomas Ohresser sur « Black Trombone »). La principale qualité de ce disque étant de rendre la chaleur et la spontanéité d’une chouette soirée de concert, avec ses moments de grâce (le chant russe et mélancolique de Sacha Vikouloff sur une belle composition, « Après minuit »), sa bonne humeur (quelques fous-rires sur « Le Rififi ») et ses invités improbables (voir la plage cachée…).
Un album sympathique mais avant tout destiné aux inconditionnels d’Aurore Voilqué.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°672, été 2015

Fiorini-HouCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueben Quartet
Bees and Bumblebees

Habanera, Sweet Yellow Jen, Honey, Un serpent dans les framboisiers, Bees and Bumblebees, Keep it tight, Glad !, Middle class blues, Margarita, Yes, I didn’t, Ressaca
Greg Houben (tp), Fabian Fiorini (p), Cédric Raymond (b), Hans Van Oosterhout (dm)

Enregistré en juillet 2013, lieu non précisé

Durée : 1h 03’ 51 ‘’

Igloo Records 249 (Socadisc)


De nos jours les albums concepts fleurissent à toute période de l’année. Dans un siècle où l’image est reine, ce Bees and Bumblebees nous démontre presque que le jazz pourrait s’apparenter à une programmation, aussi méthodique que celle des abeilles au sein d’une ruche. Tout comme celle des hommes au sein d’une société bien pensée ou plus exactement, bien pensante, et parfois loin des réalités tangibles de l’existence humaine où l’uniformisation est une tendance dominante aujourd’hui.
C’est à cet esprit que les compositions originales de Greg Houben et Fabian Fiorini peuvent nous laisser penser. À la trompette Greg Houben développe un son velouté dans l’esprit Chet Baker, au piano Fabian Fiorini a de belles envolées. Hans Van Oosterhout sait nous faire apprécier la subtilité de sa frappe notamment avec son jeu de balais dans « Sweet Yellow Jen » et à la contrebasse, Cedric Raymond émeut par un toucher précis et un son subtil. Malheureusement la musique n’arrive guère à décoller, sans doute par trop de formalisations. Ce qui pourrait presque la rendre mielleuse sans qu’elle manque pour autant d’élégance ou de charme. On regrette parfois le peu d’audace musicale et une certaine inhibition dans l’écoute collective, une absence de prises de risque, ce qui a tendance à produire une musique légèrement stérile. La jaquette quant à elle est à double tranchant. On peut y voir quelque chose d’amusant, même si l’on ne comprend bien pas ce qu’abeilles et bourdons ont à faire avec le jazz. On peut aussi y déceler, éventuellement, le renvoi aux pages sombres de l’histoire afro-américaine. Un disque malgré tout relativement équanime, auquel manque quand même un souffle de liberté. Il reste agréable à entendre et à écouter et ne manquera pas d’enchanter les amateurs de douceur et de tendresse.
Adrien Varachaud
© Jazz Hot n°672, été 2015

Red Garland TrioCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disque
Swigin' on the Korner

Love For Sale, I Wish I Knew, It's Impossible, Billy Boy, Dear Old Stockholm, If I'm Lucky, Blues in BeBop, On Green Dolphin Street, Straight No Chaser, On a Clear Day, The Christmas Song, The Best Things in Life Are Free, Never Let Me Go, Autumn Leaves, Bag's Groove, It's All Right With Me/The ThemeRed Garland (p), Leroy Vinnegar (b), Philly Joe Jones (dm)
Enregistré du 6 au 10 décembre 1977, San Francisco
Durée : 58' 46'' et 1h 10' 38''
Elemental Music 5990426 (Distrijazz)


Produit par Zev Feldman et Todd Barkan, le fondateur du Keystone Korner où ont été enregistrées ces plages (Jazz Hot n°671), voici un extraordinaire trio dans les meilleures conditions de création, dans un club légendaire de la Côte Ouest, tenu par un patron légendaire de 1972 à 1983, réunissant le splendide Red Garland, un monument du piano jazz, magnifiquement entouré par Leroy Vinnegar et l’extraordinaire Philly Joe Jones. Ils sont capables de vous faire passer « Christmas Song » pour un standard essentiel du jazz, car tout ce qu’ils abordent devient de l’or, c’est-à-dire pour les amateurs de jazz, du swing, du blues, de la poésie avec ce sens de la perfection qui appartient aux plus grands trios de l’histoire du jazz. C’est avec ces trios que se sont établis une partie des fondamentaux esthétiques du jazz dans ce qu’il a de meilleur. Ici, la conversation musicale entre trois musiciens d’exception, dans la force de l’âge de leur création (Red Garland est né en 1923, Leroy Vinnegr en 1928 et Philly Joe Jones en 1923), élève le jazz à des sommets et sert de matrice à une riche descendance.
Todd Barkan et Zev Feldman en rééditant ces enregistrements de l’âge d’or du célèbre club de la Côte Ouest sont bien ces passionnés généreux que nous avons découvert dans l’interview du numéro anniversaire de Todd.
En ajoutant un excellent livret de 44 pages à cette production, ils démontrent qu’on peut toujours produire du jazz de la meilleure des façons, du grand jazz, inédit jusqu’à ce jour, en faisant une belle production, en faisant appel aussi à l’activité des amateurs, en leur apportant ce supplément d’informations qui développent la passion du jazz plus que sa simple consommation.
Kenny Washington est ainsi le consultant musical et apporte une longue contribution à propos de Red Garland, et les réflexions d’un musicien savant sont essentielles. Il remarque ainsi que Red Garland, c’est le sing et le feeling d’abord, que Philly Joe, c’est la plus belle synthèse de la batterie jazz de Jo Jones à Max Roach.
Il y a également la reprise d’un texte de Doug Ramsey de 1979 à propos de ce retour musical de Red Garland en 1977, après une interruption de carrière.
Zev Feldman s’entretient également avec Don Schlitten, grand producteur lui-même (Signal, Cobblestone Records avec Joe Fields, etc.) et excellent photographe, et l’introduction est due à l’excellent Benny Green, splendide pianiste et leader de trios, héritier justement de cette tradition, qui raconte sa découverte du Keystone Korner, et l’importance que ce lieu et ce trio ont eu sur son propre itinéraire.
Todd Barkan en introduction nous rappelle que Red Garland s’est produit une demi-douzaine de fois chez lui, entre 1972 et 1980 et quelques-uns des géants du jazz qu’il a côtoyés.
Au total, une belle production, éditée avec des arguments documentaires et sonores (bonne restitution) qui la rende absolument indispensable ! Merci à Todd et à Zev.
Yves Sportis
© Jazz Hot n°672, été 2015

Scott Hamilton
Live at Small's

Shake It, Don't Break It, Runnin' Wild, Ah Moore, Estate, The Nearness of You, Apple Honey, Sweet Georgia Brown, If I Ever Love Again, Easy Does It
Scott Hamilton (ts), Rossano Sportiello (p), Hassan Shakur (b), Chuck Riggs (dm)
Enregistré les 12-13 février 2013, New York
Durée : 1h 08' 21''
Smalls Live 0040 (www.smallslive.com)


Scott Hamilton dans la tradition des grands ténors du jazz démontre qu’aujourd’hui, le temps passant, on peut synthétiser plusieurs époques du jazz qui réunissent les éléments constitutifs du jazz, que le temps ne fait rien à l’affaire, « quand on est jazz, on est jazz ».
C’est un peu le discours qu’on pouvait lire entre les lignes de l’interview de Rossano Sportiello (Jazz Hot n°671), épris de la grande tradition du piano jazz de toutes les époques, pianiste classé dans le jazz classique mais qui démontre ici qu’il a écouté le jazz de Earl Hines à Kenny Barron, et qu’il est capable de mettre en œuvre toutes ses ressources avec une sonorité qui n’est ni ancienne, ni moderne mais simplement jazz, la sienne.
La session rythmique fait ce qu’elle doit pour permettre un bel enregistrement qui n’apporte sans doute rien de neuf, mais rien de redondant ou de "vieux" : simplement du jazz de belle facture, par des artistes de haut vol. Au répertoire Erroll Garner, Al Cohn, Woody Herman (en fait un « I Got Rhythm »), Sy Oliver, mais aussi un « Estate » peut-être inspiré par l’Italien du groupe, « The Nearness of You » ou « Sweet Georgia Brown », standards joués dans le style lyrique et intemporel du grand ténor, bien soutenu par un bon trio. Le jazz, tout le jazz, rien que le jazz !
Yves Sportis
© Jazz Hot n°672, été 2015

Cliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disqueIan Hendrickson-Smith
Live at Small's

My Ship, Minor Shift, I Be Blue, Blues for PW, Eddie Harris
Ian Hendrickson-Smith (as), David Hazeltine (p), Mike Karn (b), Joe Strasser (dm)
Enregistré les 17 et 18 janvier 2014, New York
Durée : 47'
Smalls Live 0043 (www.smallslive.com)


Ian Hendrickson-Smith est un passionné : son engagement musical est caractéristique d’une démarche qui ne s’embarrasse pas de grands discours et se contente de plonger dans la matière sonore elle-même. L’enthousiasme palpable du public traduit l’enthousiasme du saxophoniste lui-même qui délivre un set bluesy et chaleureux, rempli de subtilité et de nuances toujours viriles. Originaire de New Orleans, Ian Hendrickson-Smith a toujours fréquenté des musiciens proches du blues (Etta Jones, Dr. Lonnie Smith ; il a même joué dans des cadres soul-funk, avec Fred Wesley, Al Green, Sharon Jones, Amy Winehouse). Son lyrisme à la Sonny Stitt-Cannonball évoque parfois Jesse Davis. Il possède en tout cas la chaleur vibrante nécessaire pour s’exprimer dans ce contexte. Après un « My Ship » medium sensible, « Minor Shift », comme les deux autres compositions de Hazeltine, passe à la vitesse supérieure en termes de tension et d’agressivité mais l’altiste conserve néanmoins toujours une approche mélodique. L’accompagnement de David Hazeltine est dynamique et attentif, comme ses interventions en soliste, toujours très rythmiques. Mike Karn possède une belle présence et Joe Strasser une classe indéniable, avec un drumming à la fois classique et passionnant, aux relances inspirées. Après la ballade touchante « I Be Blue », « Blues for PW » est un morceau parkérien (façon « Blues for Alice ») et le blues funky « Eddie Harris » permet une clôture parfaite du set. De l’entrain, de la fougue et du blues – what’s not to like ?

Jean Szlamowicz
© Jazz Hot n°672, été 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueJean-Loup Longnon
Just in Time

Istanbounce, Anna Atoll Part 1 and 2, Suan’s Return, Stable Mates, High-Fly, Bo-Bun’s Groove, Round Midnight, Night In Tunisia, Just in Time, Four, Our Love Is Here To Stay, Ta pedia tou pirea, The Speech
Jean-Loup Longnon (tp), Pascal Gaubert (ts), Ludovic Allainmat (p), Fabien Marcoz (b), Frédéric Delestré (dm) + guests détaillés sur le livret
Enregistré à Dreux (28), date non précisée
Durée : 1h 07' 17''
JLLBB 0002011 (www.longnon.com)


La France a toujours pu s’enorgueillir d’avoir donné le jour à d’excellents trompettistes de jazz. Citons dans le passé : Philippe Brun, Aimé Barelli, Christian Bellest, Roger Guérin, Guy Longnon et quelques autres, et parmi une bonne demi douzaine aujourd’hui, le neveu du dernier nommé Jean-Loup Longnon, qui vient de nous offrir ce Just in Time qui sent bon le jazz tel qu’en lui-même l’éternité ne devrait pas le changer.
D’entrée Jean-Loup Longnon nous annonce qu’il ose enfin s’attaquer à la formule du quintet, et il a bien fait tant c’est une réussite. Et bien sûr, comme il le dit, ses vieux démons lui ont fait inviter sur quelques plages des complices de toujours et des sections de cuivre et de cordes. Mais l’essentiel s’exprime en quintet.
Le disque démarre par un étrange et plaisant « Istanbounce » mélangeant alternativement des phrases latino, turques, jazz. Et ça swingue façon Basie avec un long solo de trompette bouchée très fluide sur la rythmique, puis c’est le ténor, le piano. D’entrée c’est gagné, on est accro ! On appréciera l’apparente facilité, la vélocité du trompettiste sur tous les registres et toute la tessiture, la sonorité somptueuse, et l’inspiration dans les impros. Côté écriture ce n’est pas mal non plus, ses propres compos sont riches, et il a su ré-harmoniser, transformer les standards, sans un hiatus entre eux et ses propres compositions. Côté standards « Round Midnight » avec un admirable solo trompette ouverte, et la reprise avec la sourdine sur un autre rythme. Ou encore « Stable Mates » de Golson sur une harmonisation entre Jazz Messengers et Birth of the Cool, et la prestation de Nicolas Folmer, autre trompettiste de premier plan, ce qui permet de comparer les deux styles. Ou encore « Night in Tunisia » décalé avec une pompe de grande classe du bassiste, un solo de batterie ad’hoc, une sonnerie de trompette militaire, un passage genre « Travadja la moukhère » et un final fulgurant. « Anne Atoll » de Longnon nous vaut d’abord un unisson assez bop, et après un solo de piano très volubile, un scat magnifique de Christelle Peirera, avec un batteur flamboyant. Il donne au morceau d’origine grec « Ta pedia tou pirea » (Les Enfants du Pirée) un côté brésilien avec une grande formation, ça devient une véritable bossa. « Four » de Miles Davis nous permet d’apprécier une chanteuse, Sibel Kose, dans le sillage de Mimi Perrin : remarquable, ainsi que le chase : Voix-Batterie-trompette. On retrouve Sibel Kose, belle voix grave et chaude, distillant façon grande époque la ballade « Our Love Is Here to Stay ».
Et pour terminer ce disque en beauté jean-Loup Longon s’empare d’une de se compostions « The Speech » pour un scat étourdissant entre Bobby McFerrin, André Minvielle et Daniel Huck, avec un beau passage en contraste : cordes rubato, scat en swing, puis ça repart swing pour tout le monde. Attention, ne pas arrêter le disque après ce qui semble la fin, car après un silence ça repart.
Du jazz comme on l’aime, des solistes inspirés, une belle écriture personnelle, des arrangements qui mettent en joie, avec une section rythmique qui swingue, et c’est tout. Et c’est beaucoup. C’est tout, effectivement.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°672, été 2015

IsabellCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquea Lundgren
Somehow Life Got in the Way

Procession, Everything Must Change, While We’re Young, Ac-cent-tchu-ate the Positive, If He Walked Into My Life, Somehow Life Got in the Way, Down With Love, That’s Just the Way I Am, Why Was I Born, Eudaimonia, Nobody Knows the Trouble I’ve Seen, A Time for Everything
Isabella Lundgren (voc), Carl Bagge (p), Niklas Fernqvist (b), Daniel Fredriksson (dm) + The Nordic Chamber Orchestra
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 1h 03' 36''
Ladybird 79556835 (www.ladybird.se)


Lecteurs attentifs de Jazz Hot, vous avez déjà entendu parler d’Isabella Lundgren : la première fois dans le compte-rendu du festival de jazz d’Ystad de 2013 et plus récemment dans celui de la fête des 80 ans de notre revue. Inconnue du public parisien, la Suédoise y avait d’ailleurs fait sensation par sa voix claire mais forte et des intonations évoquant par moments Billie Holiday, mais sans volonté d’imitation. Après It Had to Be You, sorti en 2012, la demoiselle nous propose ici son deuxième disque, Somehow Life Got in the Way, un recueil de standards et d’originaux. Outre son quartet habituel (Carl Bagge, Niklas Fernqvist et Daniel Fredriksson, accompagnateurs impeccables), Isabella s’est entourée du Nordic Chamber Orchestra, dirigé par Mats Halling, qui est également l’auteur du morceau éponyme. Un album à cordes donc, mais qui, fort heureusement, évite les étirements sirupeux. Les arrangements sont sobres, entre jazz et comédie musicale (très gershwinien « He Walked Into My Life »), les cuivres apportent du contraste et la rythmique swingue comme il faut.
Passé le court morceau d’introduction (« Procession ») un peu planant (et sans intérêt), Isabella Lundgren capte d’emblée l’attention de l’auditeur avec « Everything Must Change » dont l’ambiance nous rappelle Lady in Satin de Billie Holiday. Ce sont essentiellement de belles ballades dans l’esprit Broadway qui jalonnent ce disque, faisant la part belle aux cordes (comme « While We’re Young » ou « That’s Just the Way I Am »), mais sur lequel s’impose le timbre séduisant d’Isabella. Seul le titre qui clôt le disque (« A Time for Everything ») oublie de swinguer, passant ainsi du côté de la variété (américaine certes). A l’inverse, on retiendra une composition enlevée (« Ac-cent-tchu-ate the Positive ») où s’instaure un bon dialogue avec le tromboniste (Dicken Hedrenius) et, dans la même veine, « Down With Love » et « Why Was I Born » (très Quincy Jones). On retiendra également une interprétation intéressante de « Nobody Knows the Trouble I’ve Seen » qui, malgré un traitement plus comédie musicale que jazz, est une des jolies réussites de cet opus.
Lecteurs attentifs et curieux de Jazz Hot, écoutez avec attention cette jeune femme surprenante que nous espérons revoir bientôt par chez nous. Car c’est sur scène et sur du jazz (du vrai) qu’elle prend toute sa dimension.
Jérôme Partage
© Jazz Hot n°672, été 2015

Tom McClung
Burning Bright

Terra, Funny Peculiar, Burning Bright, Noctilucent, La Manzana, Fire Waltz, Last of the Wild, There You Go, In the Woods, The Source, Minor Deeds
Tom McClung (p), Mátyás Szandai (b), Mourad Benhammou (dm)
Enregistré le 14 octobre 2013 et le 27 février 2014, Le Pré St Gervais (93)
Durée : 1h 05'
Archie Ball 1502 (Harmonia Mundi)

On connaît bien en France le pianiste de Boston. Accompagnateur régulier d’Archie Shepp, il avait précédemment signé un beau duo avec le saxophoniste ténor Jean-Jacques Elangué (This Is You). Il aborde ici le trio avec assurance, développant une musique affirmée où l’on reconnaît son univers, à la fois énergique, lyrique et sans frontières stylistiques. Il laisse ici libre cours à son penchant pour les couleurs les plus variées, énigmatiques (« Terra »), calypso (« La Manzana »), tynériennes (« Burning Bright »), méditatives (« Noctilucent », « The Source »), free (Into the Woods »), bossa romantique (« There You Go »), ou funky (« Last of the Wild »). La confluence d’influences Mal Waldron-Monk est nette (« Funny Peculiar ») mais sans systématisme ni affectation et l’on apprécie la constante présence du blues sous les doigts malicieux du leader. La superbe « Fire Waltz » de Waldron est du reste magnifiquement interprétée. L’écoute de Mourad Benhammou est sans faille et sa sonorité très aérée est parfaitement adaptée à ce trio. Quant à Mátyás Szandai, il s’exprime avec vigueur dans un style qui n’est pas sans évoquer Avery Sharpe ou Buster Williams. Son beau parcours témoigne de rencontres avec Shepp, David Murray, Herbie Mann, Chico Freeman, Hamid Drake, William Parker, Rob Brown ou Robin Eubanks.
Le morceau final « Minor Deeds » est véritablement burning, par son tempo comme par son inspiration mordante. Il conclue un bel album, qui ne manque ni de caractère ni de maturité, et rend – enfin – justice au talent de Tom McClung

Jean Szlamowicz
© Jazz Hot n°672, été 2015

Cécile McLorin Salvant
For One to Love

Fog, Growlin’ Dan, Stepsisters’ Lament, Look at Me, Wives and Lovers, Left Over, The Trolley Song, Monday, What’s the Matter Now?, Le Mal de vivre, Something’s coming, Underling
Cécile McLorin Salvant (voc), Aaron Diehl (p), Paul sikivie (b), Lawrence Leathers (dm)
Enregistré le 23 août 2014, New York
Durée : 52’ 44”
Mack Avenue 1095 (mackavenue.com et cecilemclorinsalvant.com)


On ne présente déjà plus Cécile McLorin Salvant qui fait les beaux jours de toutes les scènes américaines et européennes (ou elle se démultiplie, cf. nos comptes rendus), malgré son âge, et après un envol fulgurant tant son talent est éclatant, évident, jazz sans équivoque, original sans l’ombre d’une écoute.
Elle continue un parcours d’excellence avec ce nouvel enregistrement, une petite merveille car l’exigence et la personnalité de cette chanteuse, hors normes actuelles, vont au-delà de ce qu’on pourrait attendre dans une époque où les grands producteurs ont disparu. Mais voilà, Cécile McLorin Salvant réussit pour l’instant là où beaucoup se perdent par manque d’encadrement jazz. Double miracle donc, celui d’une voix comme le jazz et l’art vocal en a très peu connu sur le plan de la qualité, et celui d’une personne d’une maturité artistique confondante.
Dans ce disque, où elle est magnifiquement entourée par un Aaron Diehl qui confirme lui aussi un talent d’exception au sein d’une bonne section rythmique, la construction du répertoire est une vraie réussite, alternant standards et originaux sans faiblesse, et c’est là, encore, un des talents de cette perle rare: ses compositions et textes sont d’une beauté fulgurante («Fog», «Look at Me», « Monday », «Left Over», «Underling»), et rien ne les distingue de standards confirmés par le temps dont le choix est lui aussi non seulement original (ils sont rares) mais aussi varié; car Cécile McLorin Salvant semble pouvoir, comme Ella Fitzgerald, tout interpréter sans fadeur ni artificialité (de Blanche Calloway à Bacharach); une performance en soi. A noter une bonne version d’une belle chanson française de Barbara («Le Mal de vivre»), traditionnel aparté dans la langue de Molière de la chanteuse franco-américaine, sans accent et avec profondeur.
L’interprétation, magnifiée par une voix splendide aux effets infinis –les growls, les vibratos de toutes natures, l’étendue du registre, témoignent de la virtuosité bien utilisée–, intensifiée par l’authenticité de l’expression, mise en valeur par un accompagnement «aux petits-oignons» d’Aaron Diehl, rend ce disque non seulement attachant mais aussi indispensable au jazz, comme le sont les grands classiques des enregistrements du jazz de toutes les époques. On réécoutera ce disque dans cinquante ans avec toujours autant de plaisir.
Les superlatifs sont de mise quand on rencontre une jeune artiste d’une telle intensité et d’une telle intégrité artistique, d’une telle capacité créative, dans une époque qui en manque singulièrement. En mettant la barre toujours plus haut, sur le plan de l’expression en particulier qui expose l’ensemble de ses qualités, Cécile McLorin Salvant s’impose pour la suite un challenge d’excellence
excitant comme on n’en a pas vu dans le jazz vocal depuis les grandes voix de l’âge d’or, et elle contribue à élever le niveau du jazz vocal et du jazz tout court. On doit aussi la remercier pour ça, car c’est une vraie responsabilité, celle toujours prise par les plus grands artistes des générations précédentes, de Louis Armstrong à Wynton Marsalis en passant par ses grandes sœurs Ella et Billie, de ne jamais sombrer dans la complaisance. Elle est de cette trempe!
Yves Sportis
© Jazz Hot n°672, été 2015

Laurent Mignard DukeCliquez sur la pochette pour écouter des extraits du disque Orchestra
Duke Ellington Sacred Concert

CD : Praise God, Tell Me It's The Truth, Come Sunday, In the Beginning God, Almighty/Choral, The Shepherd, Heaven, It's Freedom, Meditation, Every Man Prays, The Lord's Prayer, Praise God and Dance
DVD : Praise God, A Glimpse of God, Something About Believing, Reading the Bible, In the Beginning God, Almighty, Pastor John G. Gensel, The Shepherd, Optimist, Tell Me It's The Truth, Come Sunday, Every Man Prays, The Lord's Prayer, Heaven, It's Freedom, Communication, Meditation, David Danced Before the Lord, Love, Is God a Three Letter Word for Love, Mistakes, Father Forgive, Praise God and Dance

Laurent Mignard Duke Orchestra : Laurent Mignard (lead), Claude Egea, Sylvain Gontard, Jérôme Etchéberry, Richard Blanchet (tp) Fidel Fourneyron, Michaël Ballue, Jerry Edwards (tb), Didier Desbois, Aurélie Tropez (as, cl), Olivier Defaÿs (ts), Carl Schlosser (ts), Philippe Chagne (bs, bcl), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (b), Julie Saury (dm),
Mercedes Ellington (speak), Emmanuel Pi Djob, Nicole Rochelle, Sylvia Howard (voc), Fabien Ruiz (tap dance) + Les Voix en Mouvement, Gospel Attitude Mantes-la-Jolie, White Spirit Viroflay, Chœur de La Celle-Saint-Cloud, Chœur de SAGE
Enregistré le 1
er octobre 2014, Paris
Durée : 1h 17' 57'' (CD) + 1h 51' 17'' (DVD)

Juste une Trace AM2015002 (Socadisc)


Dans son autobiographie,
Music Is My Mistress, Duke Ellington évoque en un chapitre les pièces habituellement désignées Sacred Concerts de son répertoire. A quarante ans de distance, elles apparaissent évidentes dans l’ensemble esthétique de son œuvre.
La
Sacred Music de Duke n’est pas une pièce originale formellement composée ; elle a été élaborée sur trente ans (1945-1973), même si la plus grande partie a été composée entre 1965 et 1973 ; réagencement en trois temps principaux que les collectionneurs désignent sous les titres de trois albums phonographiques : A Concert of Sacred Music (1965), Second Sacred Concert (1968) et Third Sacred Concert (1975) publié après la mort du maestro le 24 mai 1974. Ils sont le résultat de l’opportunité offerte par le révérend John S. Yaryan pour inaugurer la Grace Cathedral de San Francisco. Black Brown and Beige déjà composée en 1943 préfigure déjà cette esthétique sacrée dont il est nourri. Et les dix dernières années de sa vie, Ellington a souvent dit que ces concerts étaient les plus importants de sa production.
Comme les Suites, les
jazz fans ont longtemps vu dans ces longues compositions de Duke, la manifestation d’une volonté d’imitation de la musique classique européenne blanche, voire une forme de mégalo !
Après avoir exploré sa musique profane, Laurent Mignard s’attaque, dans son approche globale d’Ellington, à sa musique sacrée. Ce coffret comprend CD et DVD. L’enregistrement sonore donne un digest significatif du répertoire ; le DVD, captation du concert donné à La Madeleine le 1
er octobre 2014, rend compte, dans une excellente prise de vue, de la nature du concert.
Le Duke Orchestra reprend ici une quinzaine de pièces – composées en 1945 (1), 1963 (1), 1965 (1), 1966 (1), 1968 (6), 1972 (2) et 1973 (1) – sur les trente-six que comptaient les trois albums originaux, dont un inédit, le choral associé à « 
Almighty God ». La sélection des titres est pertinente en ce qu’elle donne l’essentiel de l’œuvre dans ce langage musical d’Ellington. Elle illustre, avec les récitatifs extraits de l’ouvrage de Duke dits par sa petite fille Mercedes, la foi du compositeur. Ce réagencement donne à cet opus l’unité d’une œuvre composée que chaque album, constitué de pièces de concert et pris individuellement, ne présentait pas de manière si évidente.
Les six ensembles, de plus de cinquante artistes, présentent une belle cohésion. La mise en place est solide. Les partitions exigeaient une certaine assimilation des intentions du compositeur. Le dialogue de l’orchestre et des chœurs est équilibré. Les solistes sont excellents. Les chanteurs assurent. Emmanuel Pi Djob, qui tient la partie de Tony Watkins chez Ellington, possède une belle voix de baryton et est bien dans son sujet (« 
In the Beginning God »). Nicolle Rochelle, qui reprend les parties autrefois assurées par Alice Babs, vit avec passion (« Praise God and Dance ») et inspiration (« Heaven ») ses interventions. Sylvia Howard, qui chante avec ferveur « Something about Believing », est à la fois émue et émouvante dans « Come Sunday ». Les solistes de l’orchestre, Fidel Fourneyron (tb), Michael Ballue (tb), Olivier Defaÿs (ts), comme Didier Desbois (as), Aurélie Tropez (cl) et Philippe Chagne (bs) ne sont pas en reste ; ils interviennent avec pertinence et sensibilité. Carl Schlosser (ts) a la générosité torturée de Paul Gonsalves ; Jérôme Etchéberry (tp, « The Shepherd »), retrouve l’esprit de Cootie. La section rythmique exceptionnelle tient l’édifice. Bruno Rousselet (b) est rigoureux dans la mise. July Saury maîtrise le langage du jazz et swingue avec une palette de couleurs non étrangère à l’originalité de ce grand orchestre. Musicologue averti d’Ellington, Philippe Milanta respecte les équilibres de cette musique dans ses interventions, parfois assez exceptionnelle (« Meditation »), en tant que pianiste.
La réalisation de cet album magnifique doit aux protagonistes, chanteurs et musiciens d’avoir su respecter l’esprit de l’œuvre. Mais l’énorme travail de préparation et d’organisation de Laurent Mignard et de toute l’équipe y a beaucoup contribué : chef d’orchestre accompli, certes, mais fonction de chef d’entreprise, moins connu de Duke, aussi.

Ecouter cette musique sur le CD évitera de se laisser distraire de ses beautés. Admirer en DVD le spectacle musical magnifique d’un peu moins de deux heures dans le cadre exceptionnel d’un superbe édifice religieux du 18
e siècle fera appréhender l’indispensable coordination dans la conception de cette belle réalisation.
Bravo ! La musique d’Ellington le mérite.

Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°672, été 2015

Antoinette Montague
World Peace in the Key of Jazz

Ain’t Gonna Let Nobody Turn Me Round, Imagine, If I Had a Hammer, Hard Times, God Bless the Child, How I Got Over, Here’s to Life, Oh What a Beautiful Morning, All This Love Is Waiting, And So It Is, How I Got Over, What the World Needs Now
Antoinette Montague (voc), Jay Hoggard (vib), Solomon Hicks (g), Bill Easley (fl), Danny Mixon (p), Paul Beaudry (b), Winard Harper (dm, perc)
Date et lieu d’enregistrement non précisés
Durée : 54' 48''
Autoproduit (www.antoinettemontague.com)


Originaire de Newark (New Jersey), biberonnée aux disques d’Ella Fitzgerald, de Nat King Cole et de la Motown, protégée d’Etta Jones, Antoinette Montague est une vraie chanteuse de jazz. Le jazz est son expression, naturelle ; elle swingue comme elle respire. Sur cet album autoproduit (les majors sont trop occupées avec Melody Gardot et autres produits marketing pour s’occuper d’elle… et tant mieux !), la diva s’adonne à un exercice délicat : des reprises issues de la musique populaire, de la variété, voire de la pop, réarrangées jazz. Vous me direz que beaucoup de standards ne sont jamais, à l’origine, que des chansons de Broadway. Et en effet, rien n’empêche que le corpus du jazz continue de s’enrichir avec des titres qui ne lui étaient pas a priori destinés. Encore faut-il que ceux-ci s’y prêtent et que l’arrangeur et l’interprète parviennent à s’approprier la mélodie. Evacuons d’emblée le cas des musiciens qui n’ayant pas de culture jazz de naissance prennent ce biais pour faire "leur" jazz. Les plus grands artistes (Basie, Ella, Ray Charles, entre autres) n’ont généralement pas livré dans cette entreprise leurs œuvres les plus intéressantes, même si le résultat pouvait être plaisant.
Pour autant, Antoinette Montague se tire plutôt bien de cette gageure. La reprise la plus surprenante est dans doute « Imagine » de John Lennon. Après les premières mesures de piano rappelant la version d’origine, la chanson est traitée sur un mode latin, très rythmé. Et ça fonctionne ! Autre morceau de bravoure, « If I Had a Hammer » auquel est accolé « We Shall Overcome ». « What the World Needs Now » de Burt Bacharach est abordé avec moins de fantaisie mais Danny Mixon y est impérial, donnant tout son sel à cette bluette qui pouvait filer l’ennui. Winard Harper et Bill Easley sont également des atouts maîtres de ce disque qui ne s’embourbe pas dans la variété jazzy. Quelques titres relèvent tout de même du répertoire jazz ou gospel, comme le très beau « God Bless the Child » où Antoinette Montague donne le meilleur. En somme, voilà une galette qui, bien qu’un peu inégale, s’écoute avec un réel plaisir et offre une occasion de découvrir une grande chanteuse, malheureusement méconnue sous nos cieux. 
rôme Partage
© Jazz Hot n°672, été 2015

No Vibrato
Live My Jazz

In the Meanwhile, The Light Shall Come, No Terminus, Sango And Oshun, Blue Flamingo, Ours In Paradise, Rêve sur la terre du milieu
Etienne Richard (p), Fred Delplancq (ts), Bilou Doneux (dm), Chris Mentens (b), Nicola Lancerotti (b) + Jean-Paul Estievenart (tp), Manu Domergue (voc, mellophone)
Enregistré le 10 octobre 2010 et les 21 et 22 février 2014, lieux non précisés
Durée : 56' 51''
Art Plus (www.myspace.com/novibrato)


Etienne Richard a mis trois ans pour publier en autoproduction un quatrième opus comprenant six compositions. Nul n’est prophète auprès des producteurs agréés par le Ministère de sa Région ! Etienne le sait bien, lui qui rencontre plus de succès avec son groupe lors de tournées d’été en France qu’autour et alentour des salles belges subventionnées. Monsieur Richard sait aussi qu’il n’est pas le meilleur pianiste du royaume, mais il est un bon leader ; ses compositions sont bien charpentées, avec beaucoup de respect pour l’héritage. La fidélité de ses excellents solistes (Estievenart, Delplancq) témoigne, si besoin est, de la considération qu’il rencontre à la tête d’un combo qui réfère assez bien aux Messengers d’Horace Silver (« Blue Flamingo »). Manu Domergue, jouant et chantant en invité sur « The Light Shall Come » (sa composition), apporte une touche originale et réjouissante. J’aime la perfect touch de Chris Mentens (« Rêve sur la terre… »), le jeu clair de Nicola Lancerotti (« No Terminus », « Ours in Paradise »), l’inventivité de Jean-Paul Estievenart, l’amplitude du son de Fred Delplancq (« Blue Flamingo », « Rêve sur la terre… ») et ses transgressions coltraniennes (solo sur « Ours In Paradise »). J’aime aussi la spontanéité de Bilou Doneux – même si, avec Chris Mentens il a parfois tendance à presser le tempo (« In the Meanwhile »). No Vibrato est un groupe qu’on aimerait écouter plus souvent en Belgique – et pas seulement au Sounds de Bruxelles. Pourquoi faudrait-il toujours heurter par des exploits harmoniques ? Etienne Richard tient le cap. Il le tient bien !

Jean-Marie Hacquier
© Jazz Hot n°672, été 2015

Pierrick Pédron
Kubic's Cure

A Forest, In Your House, The Caterpillar, In Between Days, A Reflexion, Killing an Arab, Just Like Heaven & Close to Me, Lullaby, Boys Don’t Cry
Pierrick Pédron (as), Thomas Bramerie (b), Franck Aghulon (dm), Médéric Collignon (p), Thomas de Pourquery (voc), Ghamri Boubaker (Zorna algéroise, algerian flute)
Enregistré le 4 janvier 2014, Paris
Durée : 43' 55''
ACT 9554-2 (Harmonia Mundi)


Reprenant aux Studios Mercredi 9 la formule qu’il avait adoptée pour son précédent album chez ACT, avec Thomas Bramerie (b) et Franck Aghulon (dm), le saxophoniste alto Pierrick Pédron s’est lancé avec ce sixième opus dans l’exploration de la musique d’un groupe britannique qui eut son heure de gloire auprès des collégiens en rupture de ban dans les années 80 et 90, The Cure. Cet album est un exercice de style qui prend pour prétexte neuf morceaux enregistrés par ce groupe depuis la fin des années 1970. Au plan musical et particulièrement jazzique, le résultat s’avère d’une grande pauvreté. La musique de cet album relève du verbiage et de la logorrhée ; le répétitif, qui se donne comme économie esthétique, masque la pauvreté du langage ; l’outrance dans l’expression sans nuance tient lieu d’objet et l’insignifiance de matière exotique. Lorsque la culture existait encore dans notre société, ces productions sans racines étaient classées dans « musique de genre ».
Il convient de s’interroger : pourquoi classer ce type de production dans la catégorie « jazz » ? Surtout, pourquoi certains musiciens de jazz se prêtent-ils à ces opérations et/ou pourquoi éprouvent-ils le besoin d’emprunter le répertoire de la variété ? Si le jazz est une façon de jouer la musique (swing et hot), toutes les musiques ne conviennent pas ou ne supportent pas un traitement jazzique. Certes, les standards de Broadway constituent-ils une part importante du répertoire du jazz. Mais, parce que composés dans la même civilisation, américaine, ils purent y être adaptés ; leur parenté formelle, avec la musique afro-américaine, et leur contenu musical (écrits par de vrais compositeurs) comportaient en eux-mêmes une réelle richesse harmonique et structurelle qui le permettait. La tentation fut forte, dans les années 60 d’aller au plus facile en taquinant les hits du show business ; le Count lui-même ne résista pas à celle de courir après le succès des Beatles. Et si, en son temps, Basie Beatle Bag (Verve, 1966) arrangé par Chico O’Farrill, voire Basie on the Beatles (Waw Times, 1969), eurent-ils quelque succès auprès des yéyés, ces albums ne figurent, en termes de jazz, que comme des curiosités dans son œuvre. La musique anglaise, européenne, ne présente pas les mêmes capacités d’adaptation au swing du jazz, à l'inverse du rock'n'roll américain qui est un héritier de la musique populaire noire (Ray Charles l’a quelques fois traité ainsi).
Après le formidable Kubic’s Monk, nous espérions autre chose de Pierrick Pédron et de ses complices. Donc, attendons les futurs albums de Pierrick, Thomas et Frank ! Et oublions cet essai malheureux. Même au pays du rugby, impossible était la transformation !
Félix W. Sportis
© Jazz Hot n°672, été 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueJustin Robinson
Alana's Fantasy

Little Melonae, Eazy E, Alana's Fantasy, Jeremy Isaiah, When We Were One, Eronel, Libra, Answering Service, Just One Of Those Things, For Heaven's Sake
Justin Robinson (as),
Michael Rodriguez (tp)
 Sullivan Fortner (p),
Dwayne Burno (b), Willie Jones III (dm)
Enregistré le 4 novembre 2013, New York

Durée : 1h 03' 29''

Criss Cross Jazz 1371 (www.crisscrossjazz.com)


Connu comme saxophoniste de Roy Hargrove depuis de nombreuses années, Justin Robinson a fait partie des « jeunes lions » qui ont revitalisé le jazz dans les années 90. Depuis la sortie de Justin Time en 1992 (avec Kenny Barron, Lewis Nash, Stephen Scott, Eddie Henderson…), la carrière en leader du new-yorkais a été relativement modeste et il est paradoxalement peu reconnu pour lui-même. Il s’inscrit dans une très belle lignée d’altistes qui démarre avec Jackie McLean, James Spaulding, Gary Bartz, Joe Ford, et se prolonge jusqu’à Kenny Garrett, Antonio Hart ou Tim Green. Cet album correspond à son esthétique : vigoureux et d’un classicisme post-coltranien batailleur. Le lyrisme de Justin Robinson s’appuie sur une sonorité pleine et acerbe, prompte aux dérapages sonores enflammés. On comprend que « Little Melonae » soit le premier morceau du disque : l’entame de solo du leader est d’un mordant acéré qui pose son homme ! L’album se présente comme un hommage au regretté Dwayne Burno, dont la contrebasse assurée se fait effectivement sentir de manière majestueuse car il apporte un ancrage qui n’est pas seulement rythmique mais repose également sur la puissance de sa sonorité et son autorité harmonique. Sullivan Fortner (qui vient de la New Orleans et est lui aussi accompagnateur de Roy Hargrove, comme Willie Jones III) est inspiré par Hancock, Corea, Tyner et s’exprime avec une clarté dont les audaces harmoniques fonctionnent bien avec le style de Robinson. Michael Rodriguez semble porté vers le côté plus poétique de la trompette moderne (Miles, Edddie Henderson, même si le style doit aussi à Hubbard et Woody Shaw). On ne présente plus le grand classique qu’est Willie Jones III dont la classe permanente permet de mettre tout le monde en valeur. L’univers de cet album (dédié au regretté Dwayne Burno) est séduisant, avec des ballades sombres et rares (« When We Were One » de Griffin), un Monk enjoué (« Eronel » où Robinson est plus parkerien), un blues de Sonny Stitt (« Answering Service ») et uniquement deux standards. Un artiste à redécouvrir.

Jean Szlamowicz
© Jazz Hot n°672, été 2015

Cliquez sur la pochette du écouter des extraits du disqueVirginie Teychené
Bright and Sweet

Don’t Get Scared, Angel Face, Rat Race, Bless My Soul, The Dry Cleaner From Des Moines, Goodbye Pork Pie Hat, Don’t Explain, Tight, Familiar Dream, Shiny Stockings, Living Room, Pra Que Discutir Com Madame, Midnight Fair, Por Toda a Minha Vida, I’m Gonna Go Fishing, I Don’t Know Enough About You, La Chanson de Maxence
Virginie Teychené (voc), Stéphane Bernard (p), Gérard Maurin (b), Jean-Pierre Arnaud (dm), Eric Le Lann (tp)
Enregistré en février 2012, La Seyne sur Mer (83)
Durée : 1h 18' 45''
Jazz Village 570012 (Harmonia Mundi)


Voici donc Virginie Teychené brillante et douce (Bright and Sweet), et encore plus que cela, profonde jusqu’à l’émotion des larmes, forte de sa litote expressive, avec un groupe de musiciens en parfait accord et d'une belle complicité, jusqu’à l’invité Eric Lelann avec son feeling plongé aux sources du blues : toutes qualités qui propulsent Virginie dans le petit groupe des grandes chanteuses de jazz d’aujourd’hui. Car, oui, malgré l’incommensurable sororité des chanteuses à travers le monde, on ne peut en mettre qu’un nombre infime dans le cénacle des grandes vocalistes de jazz. Dans ce disque, Virginie et ses musiciens, rendent hommage à ces artistes, femmes et hommes, qui ont fait le chant jazz. Je n’en citerai que quelques-uns.

Dès la première introduction, a cappella, les qualités de la chanteuse sont là : la beauté de la voix, le swing, la décontraction, la diction tant en anglais qu’en portugais ou en français, la puissance et la fluidité, et par dessus tout la tenue de la note, même dans le grave ; on peut y ajouter un scat personnel et inspiré. Virginie possède un phrasé de saxophone, c’est flagrant sur « Bless My Soul », démarque de « Parker’s Mood », c’est le phrasé de Bird, c’est le chant de Virginie, en un duo avec la contrebasse qui joue des notes graves, profondes, dans un chant aéré et prenant. Un vrai chef-d’œuvre ! La rythmique colle au chant, le soutient et le propulse : on pense à cette rythmique de Billie Holiday, ou encore celle de Benny Goodman avec le même Teddy Wilson ; d’ailleurs le pianiste est un frère d’aujourd’hui de Teddy. Le batteur est d’un minimaliste et d’un à-propos fulgurants. Le contrebassiste, qui est aussi l’arrangeur d’une précision et d’un aloi admirables, semble toujours coller au souffle de la chanteuse, étant le cœur de la rythmique, en toute simplicité.
L’hommage à Mimi Perrin (disparue en 2010), et aux Double-Six, sur « Rat Race » est époustouflant de virtuosité et de vélocité tranquilles, et la rythmique fuse et fume. Un désespoir de femme amoureuse victime des infidélités de son Amour, mais qui pardonne : N’explique rien, dit-elle, c’est le « Don’t Expain » immortalisé par Billie Holiday. Virginie traduit ces sentiments avec une retenue tragique, et un brin de révolte, qui touchent au cœur : et voilà que s’envole la trompette, en écho au chant. « Shiny Stockings » pris sur un rythme rumba, un des rares textes d’Ella Fitzgerald, chanté dans le médium-grave, nous vaut une merveille de solo de piano, décontracté, qui coule de source. « Por toda a minha vida » de Vinicius de Moraes et Carlos Jobim, l’un des fleurons de la bossa-nova, est chanté avec la parfaite décontraction languissante du genre, suivi d’un long solo lumineux du trompettiste : osmose parfaite entre les deux interprètes. Un bel échange trio-chanteuse sur « I’m Gonna Go Fishing », là encore le pianiste fait merveille. Un autre beau duo teinté blues avec Gérard Maurin à la guitare sur « Familiar Dream » de Wynton Marsalis, avec des paroles écrites par Virginie. Elle a aussi écrit les paroles de « Midnight Fair » sur une musique de Maurin. Le disque se termine par « La Chanson de Maxence » de Jacques Demy et Michel Legrand pour Les Demoiselles de Rochefort, une des plus belles interprétations de cette chanson.

A aucun moment Virginie n’imite, elle interprète à sa façon des thèmes rendus célèbres par ses devanciers, leur rendant ainsi un hommage réjouissant. Ce disque est la preuve qu’on peut encore s’exprimer avec les données de base du jazz sans imiter, sans être dans le musée, en trouvant sa propre voix. Virginie pourrait définir son art en reprenant les paroles de « La Chanson de Maxence » : « Puisque je suis artiste et que l’amour dicte sa loi ». Cet album est dédié à la mémoire du trompettiste François Chassagnite décédé en 2011.
Serge Baudot
© Jazz Hot n°672, été 2015

The CooCliquez sur la pochette du écouter des extraits du disquekers
Time and Time Again

Sir Galahad, Reneda, Double or Nothing, Farewell Mulgrew, Three Fall, Time and Time Again, Dance of the Invisible Nymph, Dance Eternal Spirits Dance
Billy Harper (ts), David Weiss (tp), Donald Harrison (as), George Cables (p), Cecil McBee (b), Billy Hart (dm)
Enregistré les 5 et 6 mai 2014, New York
Durée : 1h 01' 14''
Motéma 233883 (Harmonia Mundi)


L’esthétique qui est celle des Cookers provient de la somme d’individualités qui partagent un ancrage générationnel dans la musique de John Coltrane et son évolution (Donald Harrison est un peu à part, car il est plus jeune et vient de la Nouvelle-Orléans). C’est une musique sérieuse, âpre, rugueuse et d’une poésie un peu sombre. Intense, elle privilégie le lyrisme et l’engagement au formalisme. La ferveur de Billy Harper, les couleurs d’Eddie Henderson, le punch de David Weiss, les traits de lumière de George Cables et les interventions virulentes de Donald Harrison sont soutenues par un groove très particulier, marqué par les ellipses de Billy Hart et Cecil McBee, leurs accents qui préfèrent les ambiances ambiguës au swing pur. La sonorité de Hart et McBee est en tout cas unique et immédiatement reconnaissable. Ils produisent une rythmicité envoutante, très propices à des atmosphères un peu violentes ou mystérieuses. Mais cette musique comporte aussi une saine part de blues, de valse, un balancement véhément et concentré qui ne peut qu’évoquer le quartet de Coltrane. Il y a là une démarche authentique et d’une grande musicalité qui consiste à donner une forme collective à des individualités instrumentales. Le résultat est en plus surprenant de vitalité pour un enregistrement en studio.

Jean Szlamowicz
© Jazz Hot n°672, été 2015