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Rossano Sportiello, at Pizza Express, Londres, 17 aout 2006 © David Sinclair



Rossano Sportiello


Piano on My Mind



Rossano Sportiello n'est pas un musicien auquel on reste insensible. Le jeu élégant, raffiné, précis du musicien italien, avec un solide sens du swing et un naturel déconcertant, trouve ses racines dans un éventail très large du jazz, qui s'étend d’Art Tatum à Bill Evans, aux pianistes du début des années Blue Note, en passant par Ralph Sutton, Dave McKenna, Erroll Garner, sans oublier sa culture classique qu'il injecte ici et là au fil de ses performances.

Né à Vigevano, près de Milan, le 1er juin 1974, Rossano Sportiello commence le piano dès le plus jeune âge. Alors qu'il poursuit ses études de piano classique au Conservatoire de Milan, il joue avec le Milano Jazz Gang (1993-2000), créé en 1970 et spécialisé dans le San Francisco Style. Au début des années 2000, il participe à de nombreux festivals internationaux en Europe et aux Etats-Unis. Depuis qu'il réside à New York, où il s'est installé en 2007, il joue régulièrement avec Scott Hamilton, Harry Allen, Frank Tate ou encore Nicki Parrott.

Propos recueillis par Mathieu Perez
Photos David Sinclair, Mathieu Perez
et X by courtesy of Rossano Sportiello 



© Jazz Hot n°671, printemps 2015


Rossano Sportiello et Spike Wilner, at Mezzrow, New York, 2014 © Mathieu Perez


Jazz Hot : Vous avez une formation de musicien classique. Quand avez-vous commencé à jouer du jazz ?

Rossano Sportiello : J’ai eu mon diplôme de piano classique en 1996, mais je joue du jazz professionnellement depuis que j’ai 16 ans. Quand j’ai eu mon diplôme, j’avais déjà beaucoup d’engagements. Dès que je suis sorti du conservatoire, devenir un musicien de jazz était pour moi une évidence.

Avez-vous toujours été intéressé par la musique ?

J’ai toujours été intéressé par la musique, dès le plus jeune âge. Quand j’avais 6-7 ans, j’adorais la musique napolitaine et les vieilles chansons napolitaines. Mon père est du Sud. Dès que j’ai appris à lire la musique, je me suis mis à chercher des partitions de chansons napolitaines. Elles ne contenaient que les lead sheets (notation des accords américaine simplifiée). Donc j’ai appris les accords à l’oreille. Quand je voyais G Major 7th, je me demandais ce que cela signifiait. Quelques années plus tard, j’ai découvert le jazz et entendu Bill Evans, Duke Ellington et les pianistes stride un peu au hasard. Quand vous cherchiez les partitions de piano, vous ne trouviez pas les partitions complètes. C’était avant internet. Et si vous aviez les transcriptions en entier, c’était très difficile à lire. Si on avait de la chance, on trouvait les lead sheets que j’étais capable de lire. Je me suis jeté à corps perdu dans ce monde du jazz. Et j’habitais une petite ville de 50 000 habitants. Il ne suffisait pas d’aller chez le disquaire et demander les partitions complètes de Teddy Wilson. Il ne savait même pas qui était Teddy Wilson. Si vous voulez maîtriser quelque chose, vous devez écouter les disques et attraper tout ce que vous pouvez. Je n’entendais pas tout bien sûr. Ce que jouaient Teddy Wilson, Fats Waller, Art Tatum était compliqué ! Et vous trouvez alors des choses qui sonnent un peu comme eux mais qui vous appartient. Quand j’ai parlé de cette approche à mon ami et mentor Barry Harris, il m’a dit que c’est ce qu’ils faisaient tous. Les pianistes de sa génération achetaient les disques de Bud Powell par exemple. A cette époque, vous pouviez changer la vitesse de votre tourne-disque et la réduire de moitié. Comme ça, ils pouvaient entendre tout ce qui se passait.

Quand avez-vous su que vous seriez musicien de jazz ?

A 16-17 ans, j’étais fou de jazz. A cette époque, j’étais très focalisé sur ce qu’on appelle le jazz traditionnel ou le dixieland. J’aimais le son d’un orchestre au complet, trois cuivres et une rythmique. J’adore le son d’un ensemble qui improvise. Les trompettes portent la mélodie. Le trombone et la clarinette la contournent. Et ça créé une polyphonie improvisée. Quand c’est bien fait, il n’y a rien de plus excitant. Mais il faut les bons musiciens. Il y a beaucoup de groupes dixieland qui sont des amateurs, et ces amateurs ne sont pas vraiment au point. C’est dommage ! Le dixieland souffre d’une mauvaise réputation auprès des musiciens de l’école plus moderne, parce qu’ils ont entendu jouer ces amateurs. Les grands musiciens dixieland comme Bobby Hackett, Jeack Teagarden, pouvaient vraiment jouer.

Rossano Sportiello © Mathieu Perez


Que vous a apporté votre formation classique dans votre approche du jazz ?

Je n’ai pas de formation en jazz. J’ai tout appris à l’oreille. La formation classique m’a peut-être donné une certaine aisance des doigts. Mais l’inverse est vrai. C’est en jouant du jazz que j’ai développé mon oreille. J’ai développé un certain goût pour le toucher. J’ai découvert le beau toucher au piano en écoutant Teddy Wilson, Art Tatum et Bill Evans plutôt qu’avec les grands pianistes classiques. Quand j’ai compris ce que faisait Art Tatum pour produire un son aussi beau, où chaque note sonne comme une goutte d’eau, je suis revenu vers les pianistes classiques et j’ai écouté des disques de Vladimir Horowitz et Artur Schnabel. Vous vous rendez compte à quel point le toucher au piano est un art spectaculaire. Les enseignants peuvent l’expliquer, mais vous ne le comprenez que lorsque vous en faites l’expérience. Donc dans mon expérience, le jazz et la musique classique s’entraident. Je ne pense pas que je pourrais faire un récital entièrement classique parce que j’adore improviser, surtout en piano solo. Si une chanson me passe par la tête, je la joue et elle devient l’objet d’une conversation, ou d’un monologue si vous jouez solo. Même si les musiciens le font depuis des générations de façon très naturelle, c’est presque une approche philosophique. Quand on a cet objet de conversation, vous faites des remarques et jouer de nouvelles phrases. Vous improvisez.

Vous avez enregistré trois disques autour de la musique de Chopin, Schubert et Liszt. Quelle était votre approche ?

Je les joue de la même façon que lorsque je joue un standard. Les compositions sont classiques mais, à un certain moment, il y a une mélodie très forte. Je ne fais qu’appliquer un certain idiome du jazz. La plupart du temps, quand vous entendez parler de ces projets qui mélangent la musique classique au jazz, c’est toujours fait de façon moderne. Moi, je voulais jouer cette mélodie comme le voulait son compositeur puis essayer de la jouer comme Hank Jones ou Tommy Flanagan pourraient le faire. J’ai été très égoïste car je n’ai pas pensé à la réaction des auditeurs et des critiques. Je les ai jouées comme je voulais. Nous avons entendu ces histoires selon lesquelles Art Tatum avait une formation classique et savait jouer classique. Il y a quelques années, un enregistrement live de Tatum jouant une valse de Chopin a été retrouvé. Le son est très mauvais, mais c’est un document. C’est une valse à la façon de Tatum. C’est fascinant. Les pianistes stride, plus que les autres, piochaient dans le répertoire classique et jouaient leurs propres variantes. Donald Lambert, un des grands pianistes stride, jouait une improvisation qui se basait sur le Clair de lune de Beethoven ou le Tannhäuser de Wagner. C’est toute une histoire ou, plutôt, une tradition.

Vous avez commencé votre carrière à Milan. Qu’en était-il du jazz alors ?

A la fin des années 1980-début 1990, il y avait beaucoup de jazz à Milan, mais peu de pianistes. Quand les anciens ont vu que je connaissais tout le répertoire dixieland, ils m’ont appelé et m’ont engagé. Mon père me conduisait aux concerts. Aujourd’hui, il n’y a sans doute pas autant de demande pour un pianiste stride à Milan. Il y avait des périodes où je jouais presque tous les soirs. On jouait dans des petits clubs, à des mariages, des soirées, des restaurants, des théâtres, des festivals, partout. New York est un peu comme ça. Vous trouvez du jazz partout. Ça a changé, mais il y a toujours des restaurants qui programment du jazz.

Comment avez-vous rejoint le Milano Jazz Gang (1993-2000) ?

Le groupe jouait dans un club, le Capolinea. En italien, « capolinea » signifie terminus. C’était situé à la dernière station du tram, d’où son nom. Le groupe y jouait tous les vendredis soirs, et je connaissais le tubiste qui m’a présenté au groupe. J’ai joué quelques morceaux avec eux et, quelques jours plus tard, ils m’ont appelé parce qu’ils cherchaient un remplaçant au pianiste. Je suis resté sept ans dans le groupe. On a fait des concerts en France, en Allemagne. On a joué deux ou trois fois au festival de Marciac.

C’était la musique que vous aimiez jouer ?

Oui, même si le groupe était spécialisé dans le San Francisco style. On jouait beaucoup de Lu Watters et Turk Murphy. Je connais encore toutes ces mélodies. Je les adore. Aujourd’hui, on a peu un peu oublié Turk Murphy mais c’est un compositeur ingénieux. Il y a cette composition « Duff Campbell’s Revenge » très difficile à jouer. C’est un peu le « Giant Steps » du jazz traditionnel. J’aimerais bien voir les musiciens qui prennent ce jazz-là de haut jouer cette mélodie avec justesse.

Qu’avez-vous appris du Milano Jazz Gang ?

Beaucoup ; tout le répertoire du San Francisco style, le répertoire de Jelly Roll Morton, King Oliver, Louis Armstrong, tous les standards dixieland, etc. Quand j’ai quitté le groupe, je pouvais faire le bœuf avec n’importe qui. Je ne dis pas ça de façon prétentieuse. Les jeunes aujourd’hui feraient bien de jouer et d’apprendre des mélodies. Si vous n’en connaissez pas, personne ne vous écoutera. Si vous n’avez pas cette base commune, personne ne vous embauchera.

Avec Ralph Sutton, Photo X by courtesy of Rossano Sportiello


A cette époque, quels étaient vos pianistes préférés ?

Fats Waller, Teddy Wilson et Ralph Sutton. Je pense qu’à cette époque, je préférais Ralph Sutton parce qu’il y avait quelque chose dans son approche qui n’était pas pure. Je ne crois pas aux puristes. Chez Ralph, il y avait beaucoup de James P. Johnson, Fats Waller, Willie « The Lion » Smith, Earl Hines, Count Basie, Erroll Garner et Art Tatum. Tous ces éléments se mélangeaient à la personnalité de Ralph Sutton. C’était un type formidable. J’ai eu le plaisir de le rencontrer quelques fois et je regrette de ne pas avoir passé plus de temps avec lui. C’était aussi un des rares grands improvisateurs. Il ne préparait pas vraiment ce qu’il allait jouer en concert. Il jouait certains mêmes airs mais c’était toujours un peu différent. C’est l’état d’esprit des grands pianistes de jazz. Erroll Garner aussi montait sur scène sans savoir ce qu’il allait jouer.

Vous aussi, vous ne préparez pas vos sets.

Ça me donne le sentiment d’être emprisonné. Et quand j’en prépare un, je me rends vite compte, une fois sur scène, que la première chanson n’est pas la bonne pour débuter. D’abord, il faut sentir le public et l’atmosphère. Puis il faut trouver ce qui lui convient le mieux. Quand je fais des concerts en duo avec Frank Tate, Scott Hamilton ou Harry Allen, on ne prépare rien, et on essaie de rester le plus naturel possible. Je commence une mélodie, si mon collègue la connaît, il se joint à moi. Puis c’est lui qui va commencer une mélodie, et si je la connais, je le rejoins. Si non, vous jouez seul. C’est comme une conversation. Si je dis quelque chose et que vous avez à y ajouter, rejoignez-moi et parlons-en musicalement. Si vous n’avez rien à dire, écoutez. Il n’y a rien de mal à cela. Et c’est vrai dans l’autre sens. Dans mon expérience, les meilleures performances se sont toujours produites quand on n’avait rien préparé. Je trouve très intéressant le concept de synchronicité de Carl Gustav Jung. Dans le jazz, je le vois beaucoup à l’œuvre. Des musiciens arrivent au même moment avec la même idée et le même temps. Je ne sais pas comment c’est possible, mais c’est un fait. C’est ce que m’a dit un élève de Jung une fois : on ne sait pas comment c’est possible, mais c’est un fait.

Vous intéressez-vous aussi au concept d’archétype de Jung ?

Certaines petites phrases peuvent être considérées comme des archétypes. Une fois, j’ai demandé à mon ami Lucio Capobianco, tromboniste au Milano Jazz Gang, comment il se faisait qu’une phrase musicale en particulier était commune à tous les vocabulaires. Il m’a répondu que son origine se perdait dans la nuit des temps…

Votre approche de l’improvisation a-t-elle changé au fil des années ?

Voir Tommy Flanagan jouer en concert a été un moment décisif. Il jouait à Milan, mais il n’était pas avec son trio habituel – Peter Washington et Lewis Nash. A un moment du concert, il a vu que le bassiste ne connaissait pas la mélodie qu’il jouait. Il a joué quelques chorus puis a improvisé des interludes pendant qu’il cherchait une autre mélodie que son bassiste pouvait connaître. Ces interludes qu’il improvisait étaient aussi fascinants que les mélodies, peut-être même plus. On assistait tous à son processus créatif. Quand j’ai vu ça, j’ai voulu être capable de faire ça. Je veux pouvoir me sentir libre.

Rossano Sportiello, Barry Harris and Lala Moore at Kennedy Center, Washington ©  X by courtesy of Rossano Sportiello


Vous voyez en Barry Harris un mentor. De quand date votre rencontre ?

Je l’ai rencontré en Italie. C’était en 2001. Il venait faire un workshop à Vérone. Il distribuait des petits papiers au public qui contenaient des numéros, qui figuraient une note. Il faisait tirer quatre notes et composait des airs magnifiques.

Qu’appréciez-vous chez ce musicien ?

Son approche est 100 % spontanée. Il n’a pas peur de jouer devant un public. Si son bassiste ne connaît pas la mélodie, il la lui apprendra devant tout le monde ; et puis ils la joueront. Pour être capable de faire ça, il faut vraiment avoir quelque chose de spécial en soi. Aujourd’hui, les musiciens souffrent de manque de spontanéité. C’est pourquoi j’essaie de m’associer à des musiciens qui sont assez ouverts d’esprit. J’ai joué par exemple trois soirs au Mezzrow, chaque soir avec des musiciens différents. Le premier soir, avec Scott Robinson ; le second avec Harry Allen et le troisième avec Frank Tate. Ça donne quelque chose de plus pétillant. Dans une interview, Arthur Rubinstein a dit qu’il ne préparait pas trop les mélodies qu’il allait jouer en concert parce qu’il avait besoin de se sentir en danger une fois sur scène.

Dado Moroni, Rossano Sportiello, Andrea Pozza © X by courtesy of Rossano Sportiello


Etes-vous proches de pianistes italiens en particulier ?

Il y a deux Italiens qui m’ont influencé. Ce sont des contemporains, qui sont d’ailleurs originaires de la même ville. Il s’agit de Dado Moroni et Andrea Pozza. Ces deux musiciens sont phénoménaux et ancrés dans la grande tradition du piano jazz.

Quand vous êtes-vous installé à New York ?

En 2007 quand j’ai épousé ma femme, Lala Moore. Mais mon premier voyage à New York date de 2004. Je connaissais déjà beaucoup de musiciens. L’année précédente, j’avais joué au March of Jazz party à Clearwater Beach, en Floride. C’était produit par Mat Domber. J’ai joué avec Kenny Davern, et j’ai rencontré beaucoup de musiciens comme Jake Hannah, Butch Miles, Warren Vaché. Il y avait 80 musiciens. Une fois installé à New York, Dan Barrett et Harry Allen ont commencé à m’engager. J’ai d’ailleurs rencontré Harry en Floride. J’étais très ami avec Joel Forbes, son bassiste. Donc quand il a mis sur pied un nouveau quartet, il m’a appelé. D’abord pour un enregistrement. C’était en 2008.


Quand avez-vous commencé votre trio ?

Je ne sais pas si j’ai mon propre trio. Il y a une famille de musiciens à laquelle j’aime faire appel. Il y a quatre bassistes, Nicki Parrott, Joel Forbes, Frank Tate et Tal Ronen ; les deux batteurs Eddie Metz et Dennis Mackrel. Pour un trompettiste, j’appelle Randy Sandke; pour un trombone, Dan Barrett. Ma chanteuse préférée est Rebecca Kilgore. Donc, c’est une famille de musiciens que j’essaie d’impliquer tant que je peux. Et parfois, vous rencontrez un nouveau musicien. Si vous aimez jouer ensemble, vous commencez à travailler ensemble. Et je fais beaucoup de piano solo aussi. J’ai commencé le piano solo quand je n’avais personne avec qui jouer dans ma ville natale. Et, j’avais une vingtaine d’années, un ami m’a donné un disque de Dave McKenna en solo. Une révélation. C’était un maître absolu qui n’a jamais cherché la réussite commerciale. Il s’en moquait éperdument et, de toute façon, il avait beaucoup de travail. Il y avait une telle nostalgie, mélancolie dans tout ce qu’il jouait. Il avait un style très personnel. Sa technique était incroyable.

Rossano Sportiello, at Pizza Express, 17 aout 2006 © David Sinclair


Quels pianistes vous ont inspiré ?

La découverte de Dave McKenna m’a beaucoup apporté pour le piano solo. Quand on joue du piano solo de cette façon, on ne ressent vraiment pas le besoin d’avoir une rythmique. On ne s’ennuie jamais. Tout est si complet, si débordant, si compréhensible. Et bien sûr, Art Tatum est sans aucun doute le meilleur soliste de l’histoire. Sa maîtrise du stride le plus complexe est spectaculaire. Il pouvait jouer à toutes les vitesses. Il jouait la mélodie et l’embellissait toujours différemment. C’est un très beau feeling. A ce jour, ça reste très difficile à faire. Un autre maître est Ellis Larkins. Certains se souviennent de lui pour ses disques avec Ella Fitzgerald. Son toucher était très spécial. Quand j’ai découvert Ellis Larkins, j’écoutais beaucoup ses disques pour jouer avec cette douceur au piano. Un soir, je jouais avec Frank Tate et une dame m’abordé. Elle m’a demandé si c’était bien moi qui jouais comme Ellis Larkins. Il avait enregistré un album live avec le bassiste Al Hall au club Gregory’s à New York. Et c’est elle qui avait produit le disque. Ça m’a beaucoup touché. Ces expériences sont inestimables.

Comment composez-vous ?

En improvisant. Je m’assois au piano, et si quelque chose sort de mes doigts et que ca sonne bien, je le note. On m’a dit que Michel Legrand avait écrit ses plus belles mélodies assis au piano en improvisant avec un magnétophone allumé. Après il écoutait et retenait certains éléments. Et les chansons étaient faites. C’est une façon formidable de faire. Dans mon cas, c’est le piano qui m’inspire, son feeling, sa sonorité. Dans le processus créatif, nous pouvons choisir des voies différentes. C’est très intéressant.

On vous voit régulièrement jouer en piano duo.

La première fois, c’était en 2004. C’était une tournée avec Louis Mazetier, Chris Hopkins, Bernd Lhotzky et Dick Hyman. C’est un exercice très exigeant. L’année dernière, j’ai joué avec Bill Charlap à New York. C’était parfait, parce qu’on se laissait de la place mutuellement. Parfois quand vous faites des duos, certains pianistes ont tendance à trop jouer. C’est une erreur. Les duos de John Lewis et Hank Jones étaient formidables parce qu’ils étaient complémentaires. C’est un exercice facile quand les deux pianistes acceptent de rester en retrait et d’attendre. J’ai aussi fait des concerts avec Andrea Pozza et Paolo Alderighi, et ça a très bien fonctionné. Mais je ne sais pas si je suis très convaincu par ce format. Ça limite beaucoup les musiciens. C’est plus un spectacle pour le public.

Rossano Sportiello & Frank Tate, Mezzrow, New York, 14 septembre 2014 © Mathieu Perez


Quelle configuration préférez-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui, j’adore jouer avec Frank Tate. Il connaît toutes les mélodies et a joué avec tout le monde, Bobby Hackett, Dave McKenna, Marian McPartland, etc. Ca rend le pianiste plus libre de jouer ce qu’il veut.

N’est-ce pas trop réducteur de vous présenter comme un pianiste stride ?

Nous sommes victimes des catégories dans lesquelles on nous range. On me désigne comme un pianiste stride. Ce que je conteste. D’autre part, je ne suis pas sûr de vouloir être un pianiste stride parce que ça vous limite. J’adore le piano stride et, quand j’en joue, j’ai le sentiment que ça m’appartient. Mais ce n’est qu’un élément. C’est une saveur dans une performance. Jouer tout un concert comme James P. Johnson, ça ne m’intéresse pas. C’est une question d’idiomes et d’éléments stylistiques. J’utilise le stride à un moment de ma performance.

Revenez-vous souvent à l’idiome de la musique classique ?

Bien sûr. Parfois j’utilise des solutions qu’on utilise plutôt dans la musique classique pour harmoniser une mélodie. J’ai tellement étudié la musique classique que c’est présent de façon naturelle. Ça donne aussi une autre saveur quand on joue un standard de jazz. Ça a toujours été comme ça. Je suis en train de lire une biographie de Louis Armstrong. Quand le jazz est né à la Nouvelle-Orléans, il y avait dans les années 1800 une société philharmonique noire. On pouvait donc entendre plusieurs musiques à cette époque, du ragtime, de l’opéra, etc. Houston Person me disait qu’enfant, sa mère lui faisait écouter une heure d’opéra tous les samedis avant de le laisser aller jouer avec ses copains. N’est-ce pas magnifique ?


Contact
www.rossanosportiello.com


Discographie par Guy Reynard

Leader
CD 2003. Piano on My Mind (Rossano Piano Solo), Jazz Connaisseur 0345-2

CD 2003. In the Dark (Rossano Piano Solo), Sackville 22070

CD 2005. Heart and Soul, Arbors Piano Series, volume 14, Arbors 19321

CD 2006. People Will Say We're in Love, Arbors 19335 (duo avec Nicki Parrot)

CD 2008. Swingin' Duo by the Lago, Styx

CD 2009. It Amazes Me, Sackville 23072

CD 2009. Do It Again, Arbors 19387 (coleader Nicki Parrot)

CD 2010. Midnight at Nola's Penthouse, Arbors 19415 (coleader Scott Hamilton)

CD 2011. Lucky to Be Me, Arbors 19408

CD 2012. Live at the Jazz Corner, Arbors 19437 (coleaders Nicki Parrott, Eddie Metz)

CD 2013. I Walk With Music, GAC Records 5638084013 (coleaders Harry Allen, Joel Forbes)

CD 2013. It's a Good Day, Arbors 19431 (coleaders Nicki Parrott, Eddie Metz)










Sideman
CD 1995. Paolo Tomelleri, From Duo to Big Band, Giants of Jazz 53278

CD 1998. Barcelonna-Milan Washboard, Jamming in Milan, BMW 2002

CD 1999. Bruno Longhi, The Sound of the Clarinet, Socla 001

CD 1995. Paolo Tomelleri, Unforgettable, Giants of Jazz 53351

CD 2004. Randy Reinhardt, For Basie, Nagel Heyer 098

CD 2007. Eddie Erickson, I'm Old Fashioned, Arbors Jazz 19373

CD 2008. Eddie Metz, Jr., Bridging the Gap, Arbors 19374

CD 2009. Chuck Redd, The Common Thread, Arbors 19398

CD 2009. Antti Sarpila, We'd Like New York... In June!, Arbors 19375

CD 2010. Harry Allen - Rebecca Kilgore, Live at Feinstein's at Loews Regency, Arbors 19433

CD 2011. Original Soundtrack, Boardwalk Empire, Vol. 1, Elektra 88259

CD 2011. Harry Allen, Rhythm on the River, Challenge 73311
CD 2011. Harry Allen, Plays Music from The Sound of Music, Arbors 19410

CD 2011. Original Soundtrack, Boardwalk Empire, Vol. 1, Elektra 88259

CD 2012. Harry Allen - Scott Hamilton, 'Round Midnight, Challenge 73348

CD 2012. Bob Wilber and the Three Amigos, Arbors ARCD 19424

CD 2012. Harry Allen, Conversations, GAC Records 5637857138

CD 2012. Dan Block, Duality, Miles High Records 8620

CD 2013. Rebecca Kilgore, I Like Men, Arbors 19422

CD 2013. Scott Hamilton, Live at Smalls, Smallslive 40



Vidéos
Nicki Parrott & Rossano Sportiello, « East of the Sun » Shanghai Jazz (Madison, NJ)

Rossano Sportiello - Prelude To A Kiss / Chopin : Etüde Nr. 12 op. 10 (2006)

Rossano Sportiello, « The Very Thought of You », « Cherokee » (2008)

Rossano Sportiello Plays Cole Porter at Birdland (1er décembre 2010)

Rossano Sportiello, Stephanie Trick, Nicki Parrott, Hal Smith, « I'll See You in My Dreams », Filoli Gardens (Woodside, CA, 2012)


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