Clubs, concerts, expositions
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Sean Gourley Quartet Château d'Arnouville, Arnouville (95), 29 novembre 2014
Le 29 novembre, au Château d’Arnouville, après le
passage du big band et du groupe vocal du conservatoire, dirigés par
David Fettman (as) et Cynthia St Ville (voc), c’est Sean Gourley
(g, voc) qui a fait une jolie démonstration de son savoir-faire en
présentant un répertoire à base de Sinatra et de Nat King Cole.
Dans ce cadre classique et dépouillé, il sait se montrer très
inspiré à la guitare (sur la rumba « Sway » par
exemple). Le quartet a bénéficié des très belles lignes de
contrebasse de Dominique Lemerle et de la retenue rigoureuse de
Vincent Frade (dm). On a pu également savourer les interventions de
Philippe Chagne, ténor ample et bluesy au lyrisme incisif. Une
soirée de décontraction et de musicalité orchestrée par Spirit of Jazz Association. Sarah Berrurier
Dany Doriz Quintet Cazaudehore, St-Germain-en-Laye (78), 7 novembre 2014
Dany
Doriz (vib) est un habitué des soirées Jazzaudehore, on peut même
affirmer qu'il en est l'âme, tant le Relais & Châteaux de
Philippe Cazaudehore semble être, en ces occasions, une sorte de
Caveau de la Huchette délocalisé en forêt de
Saint-Germain-en-Laye. L'affiche annonçait un « hommage »
à Lionel Hampton, mais le plus fidèle disciple du grand
vibraphoniste n'a fait que jouer sa propre musique, qui est un
hommage perpétuel au maître et au swing. La poursuite de la
tradition n'excluant pas la variété, c'est avec sa nouvelle formule
« groovy » que se présentait Mr. Doriz, accompagné par
son indispensable Pascal Thouvenin (ts), arrangeur inspiré, Boris
Blanchet, ténor massif, Philippe Petit, organiste solide, et bien
évidemment Didier Dorise aux baguettes.
L'orchestre
a débuté le set, sans son leader, sur « Night Train »,
lequel est entré en scène sur le deuxième morceau : « Slipped
Disc » (Benny Goodman). Le patron du Caveau, dans une forme o-lym-pi-que a enchaîné « Amen », « Hamp's
Boogie » ou encore « I Want to Be Happy », depuis
peu intégré à son répertoire. On retiendra également une très
jolie ballade, « You Look Good to Me » et une composition
de Stevie Wonder, « Isn't She Lovely » qui a déchaîné
sur l'assistance conquise les bonnes vibrations. Cette belle soirée
s'est achevée sur le « In the Mood » très
intelligemment revisité par Pascal Thouvenin et un « April in
Paris », comme pour retenir encore un peu la douceur
printanière de l'automne. Mon petit doigt me dit, qu'on devrait
revoir Dany Doriz chez Cazaudehore dès le début de l'année 2015...
Jérôme Partage
Paris en clubs Novembre 2014Le 8 novembre, Soul
Jazz Alliance – le groupe formé par Joris Dudli (dm) et
Vincent Herring (as) – était de passage au Sunside. On
pouvait entendre aux côtés des deux musiciens : Jeremy Pelt (tp),
Jesse Van Ruller (g) et Jared Gold (org). Alors en pleine tournée à
travers l'Europe, le groupe bien rodé a livré une session ultra
solide. Des compositions de Stanley Turrentine (« Let It Go »),
Nat Adderley (« Cyclops ») ou encore le titre « Tom-Tom »
de Dudli ont éclairé la soirée. La complicité réelle des
musiciens rend l'interprétation des titres sincère et pleine de
chaleur. Le jeu enflammé de Herring, la justesse de Pelt et le swing
de Dudli sont portés par les touches délicates de Van Rueller et la
précision de Gold. Une excellente soirée. MP
Il est parfois rassurant de constater une adéquation
entre le public et les artistes : le New Morning était
plein comme un œuf pour accueillir le 8 novembre le duo de
Kenny Barron (p) et Dave Holland (b). Ce fut un récital
de grande classe par deux musiciens d’une grande sensibilité,
maîtres de leur personnalité qui s’exprime dans les moindres
recoins de leur phrasé et de leur sonorité. Loin des mises en
scènes spectaculaires et des concepts marketing, l’intensité de
leurs échanges n’ont pas eu besoin d’autre chose que de leur
sincérité. Car il ne s’agissait pas non plus de jouer simplement
sur l’épure et la retenue comme l’ont montré les toniques
« Calypso » (Barron), « Segment » (Charlie
Parker) ou le funky « Pass It On » (de Holland, dédié
au talent de transmission du batteur Ed Blackwell, enregistré avec
Steve Coleman et Von Freeman en 1992). Ce sont également deux grands
compositeurs et « Rain », « Spiral » ou
« Waltz for Wheeler » ont permis de montrer toute la
richesse des couleurs dont ils sont capables. Un grand moment de
piano, d’interaction, et de pureté musicale. JS
Ben
Sidran (p, voc) a fait salle comble au Sunside trois soirs
de suite, du 20 au 22 novembre pour présenter son dernier
album, Blue Camus. Son talent conversationnel roulant sur une
rythmique à la Eddie Harris-Les McCann a fait merveille, renforcé
par les excellentes interventions de Will Bernard (g), la rythmique
du très expérimenté Billy Peterson (b) et de Leo Sidran (dm). On
admire toujours la sonorité épaisse et agile de Bob Rockwell, entre
Rollins, Dexter et Clifford Jordan dont chaque intervention est un
régal. Il y a à la fois une fragilité poétique et une aisance
funky dans la musique de Ben Sidran qui, en concert, provoque un
effet d’envoûtement car le flux des histoires qu’ils partage est
toujours d’une grande séduction. JS
Le 26
novembre au Sunside, Nicola Sabato (b) présentait
son dernier album, Cruisin’, fruit du travail acharné de
son beau quartet. Autour d’un répertoire bien choisi « Hallelujah
Time » (Oscar Peterson), « From Bock to Bock »
(Buddy Montgomery), parsemé de compositions originales superbes (le
shuffle « Meatball Serenade », « Snugglin’ »),
il a fait briller ses qualités d’enthousiasme et de swing.
N’oublions pas le travail intense d’arrangement (« Wabash »
en funk New Orleans, « I Didn’t Know What Tim it Was »
en 6/4, « Lullaby of Birdland » en blues lent, etc.) et
la verve partagée par Florent Gac (p), aux interventions
chaleureuses et inspirées, Dano Haider (g), à la sobriété
élégante et Sylvain Glévarec (dm) qui possède une remarquable
présence rythmique. Un beau groupe et un beau répertoire dont
chacun peut se régaler spontanément. JS
Mathieu Perez et Jean Szlamowicz
Autumn in Brussels. Part I. AB, Bozar, Théâtre 140, Caveau du Max, Sounds Jazz Club, 22 octobre - 15 novembre 2014
Malgré l’ouverture de la
chasse dans les forêts d’Ardennes, nous éviterons de tirer sur le
pianiste, surtout lorsqu’il s’agit d’un gros gibier comme Jef
Neve (p), à l’affiche, le 22 octobre pour un concert solo à l’AB.
En une quinzaine d’année, Jef n’a cessé d’étonner tant en
classique qu’en jazz ou en pop music. En duo avec Pascal Schumacher
(vbs) ou Myrddin De Cauter (g), en trio avec Teun Verbruggen (dm) ou
à l’orgue avec Nicolas Kummert (ts), il imprime à chaque fois une
grande énergie créatrice. Remarqué par Universal, il mène une
carrière internationale au plus haut niveau. Au cours de ses
voyages, des émotions fortes ont surgi ; il les a transcrites
comme autant de poésies à partager (« Flying To Diani
Beach »). On aurait pu se contenter de l’écouter briller
avec d’autres mais ses reflets de l’âme ne pouvaient être
chantés qu’en solo pour qu’ils restent vrais (« Solitude »).
L’aventure a débuté le 30 octobre 2013 en Australie autour de
« Lushlife » de Billy Strayhorn ; elle s’est
poursuivie en 2014 de février à juillet, passant du studio La
Chapelle de Waimes (Province de Liège) au célèbre Abbey Road
Studio de Londres pour aboutir avec l’album One (Universal
470 366B). C’est autour de ce disque qu’il a bâti son concert à
l’AB, drainant plus de mille personnes de tous horizons, jeunes et
vieux. Comme Petrucciani avant lui, Jef Neve est un feu d’artifice.
Sa musique se donne, généreuse, fulgurante, intense. Volubile, il
propose une mélodie fraîche qu’il développe par redites,
variations et accentuations de lente à forte (« Solitude » »),
parsemant ses phrases de trilles ou laissant résonner les silences
(« We Zullen Doorgaan »). La pédale d’amplitude est
souvent enfoncée ; l’ingénieur du son est au parfum pour
placer la réverb’ et la puissance quand il faut, où il faut. Jef
surprend par une longue intro sur « Lushlife » avant de
laisser tomber le thème de manière concertante. Les racines
classiques du pianiste se mêlent à son feeling jazz (« I Mean
You » de Monk) mais l’inspiration est plurielle comme avec ce
profond « A Case of You » de Joni Mitchell. Il ose une
relecture incroyable de Stromae (« Formidable »). Après
« Never Give Up », sa composition, et « Kundalini »
de Myrdin De Cauter, en bis, la standing ovation vient couronner un
très beau concert. Be Jazz or not ? … Don’t think about
that !
J’avais apprécié le
traitement de la matière sonore d’Ibrahim Maalouf (tp) à
l’occasion d’une retransmission TV du festival de Timisoara. En
revanche, je n’avais pas vu la retransmission des Victoires de la
Musique 2014, ni écouté « Illusions », l’album
éponyme de son nouveau groupe. C’est donc avec une image tronquée
que nous nous sommes rendus le 30 octobre au Palais des Beaux-Arts
pour tester l’artiste franco-libanais et sa musique épicée aux
parfums de l’Orient. Pour la technique instrumentale : j’ai
été comblé aux quarts de tons. Le trompettiste module et psalmodie
ses phrases avec beaucoup de goût. Généralement courtes, elles
sont répétées longuement, avec quelques altérations, par la
section de trois trompettes. Toutes les nuances (couleurs) du jeu
d’Ibrahim viennent de l’embouchure et ça : c’est une
belle marque de fabrique. J’ai, par contre, été surpris par le
volume excessif distribué aux accompagnateurs par le sonorisateur.
La musique passe du soft mood (« True Story ») au rock
exagérément appuyé. Le bassiste électrique (Laurent David) frôle
la saturation et Frank Woeste (Fender, kb) reste assez pâle.
Quant aux deux Belges de l’octet, on n’est pas surpris de les
retrouver sur ce type de musique pseudo-world : François
Delporte (g) se prend pour John Scofield ; Stéphane Galland
(dm) a, lui, bien des choses plus intéressantes à dire avec Aka
Moon. Pourtant, l’idée de placer devant le trompettiste deux
microphones – l’un : naturel, l’autre : avec réverb’
– est une excellente idée. Plus la peine de bidouiller avec un
synthé et des pédales. Atmosphère ? Rien qu’une illusion !
Le programme du Skoda Jazz
Festival – plus de quatre-vingt concerts en Flandre, à Bruxelles
et en Wallonie – se devait de célébrer le deux-centième
anniversaire de la naissance du Père du Saxophone : le
Dinantais Adolphe Sax (exposition « Sax 200 » au MIM de
Bruxelles). Pour illustrer la beauté des anches, les organisateurs
avaient entre-autres invités : Charles Lloyd (ts, fl, cl) :
le 7 novembre, au Théâtre 140 ; Branford Marsalis (ts) :
au De Roma, le 13 novembre ; Rosario Giuliani (as) : au
Sounds, les 14 et 15 novembre. Enfin du jazz !
Salle pratiquement comble
(700 personnes) au 140 pour l’inaltérable Charles Lloyd qui nous
est apparu dans une forme olympique malgré ses 76
printemps. Sa musique reste immuable, profonde, mystique,
incantatoire. Pendant près de deux heures, sans pose, il a tenu en
haleine un public de fans, convaincus qu’ils assisteraient à un
grand concert. Et il le fut au-delà des attentes les plus
optimistes ! Les morceaux s’enchaînent, sans blancs, amenés
très subtilement par Gerald Clayton (p). Le pianiste est fulgurant,
jamais à court d’idées. Charles Lloyd l’écoute, sourit et le
laisse poursuivre aussi loin qu’il le veut. La musique est planante
puis swinguante ; Eric Harland (dm) vrille finement sa
high-hat ; Joe Sanders (b), timide au début, prend de
l’assurance. Quand il ne joue pas, Charles Lloyd regarde ses
accompagnateurs ; il caresse le dos du pianiste, glisse derrière
le bassiste, esquisse un pas de danse, puis se retourne devant le
micro et joue avec force, un genou levé puis l’autre, le sax vers
le ciel. Au fil des séquences, on reconnaît « Forest Flower »
et « Migration of Spirit ». Les solos sont ovationnés,
les spectateurs sont heureux, les musiciens aussi ! Tout le
monde est debout, les musiciens remercient, les doigts en prière ;
le rappel est de circonstance et, lorsqu’après un thème en 5/7,
nous partons joyeux écluser nos dernières bières, un beau renard
traverse nonchalamment l’avenue à la recherche d’une dernière
poubelle (véridique : ils se font nombreux dans les communes
périphériques de Bruxelles).
André Charlier (dm) et
Benoît Sourisse (org) sont inséparables depuis une trentaine
d’années. Le batteur verviétois vit et enseigne à Paris mais, il
profite chaque année, des visites à ses parents pour offrir à ses
amis belges une série de trois ou quatre concerts. Ainsi, après le
Pelzer Jazz Club de Liège, les duettistes étaient le 13 novembre à
l’affiche du Caveau du Max. C’est la troisième fois en quinze
ans qu’ils sont programmés dans la cave du restaurant sarde de
Schaerbeek. Accompagnés de Claude Egéa (tp, flh) et Pierre Perchaud
(g), ils ont proposé deux sets endiablés autour de compositions
parfaitement mises en place. André et Benoît vibrent à l’unisson.
Le claviériste joue dans tous les registres avec une ligne de basse
toujours bien présente ; les solos montent en crescendo et les
phrases restent inspirées au fil des choruses. Le batteur semble
jouer chaque note proposée par l’orgue ; attentif, il roule
d’un tom à l’autre, tacle le cerclage des drums, impose les
syncopes et les stop-choruses, relance le soliste et soutient
l’attention du public. A côté, et avec, ce duo fusionnel :
Claude Egéa (tp coudée, flh) et Pierre Percchaud (g) sont
parfaitement intégrés dans le tempo et dans l’esprit voulu par
les co-leaders. On ne s’ennuie pas une seconde, depuis « Le
Chat et la souris » jusqu’à la fin du concert. On ne peut
enlever aucune note, mais on cote 10/10 avec enthousiasme.
Nous vous avions révélé
Rosario Giuliani (as) à l’occasion d’une interview parue en 2000
(Jazz Hot n°568). Depuis lors, l’altiste romain a brûlé
les scènes parisiennes, traversé l’Atlantique et sillonné le
monde. Nous l’avons retrouvé avec beaucoup de bonheur au Sounds
Jazz Club au retour d’une tournée harassante en Russie. Qu’à
cela ne tienne, Rosario est en excellente forme, très sûr dans son
discours et bouillonnant d’idées. J’ose écrire qu’il m’est
apparu comme une réincarnation de Charlie Parker ; un Bird-bis
qui a digéré toute l’évolution pour offrir un hard-bop
revivifié, dense, volubile et séduisant. Mimi Verderame (dm) était
invité à le suivre pour deux soirs dans cette course effrénée à
l’expression. Il s’en est acquitté avec une parfaite maestria,
attentif à tous les instants, plaçant les accentuations et les
breaks où et quand ils étaient souhaités. A croire qu’il a fait
toutes les tournées avec le saxophoniste transalpin ! Ce n’est
pourtant pas le cas pour ce Sérésien, beaucoup trop humble de ses
talents. C’est le cas, en revanche, pour Roberto Tarenzi (p) et
Dario Deidda (eb). Les deux sidemen italiens, attitrés du quartet de
Rosario sont parfaitement intégrés à la musique du leader.
Discrets en accompagnement ils ont, en solos, démontré qu’ils
n’ont rien à prouver. J’approuve !
Swingologie Cazaudehore, St-Germain-en-Laye (78), 10 octobre 2014
C’est d’abord l’inattendu de
l’endroit qui frappe le visiteur. Au beau milieu de la forêt de
Saint-Germain-en-Laye, en face du camp des Loges, surgit une grande
propriété cossue, encerclée par un parc que l’on devine dans la
nuit immense. A seulement 20 kilomètres de Paris, nous sommes
arrivés au Relais & Châteaux Cazaudehore - La Forestière pour
un voyage gastronomicojazz résolument dépaysant.
Invités à
s’installer dans une grande salle de réception, où une
soixantaine de convives profite déjà de l’apéritif servi, nous dégustons un dîner savoureux arrosé de très bon vin – ce qui ne
gâche rien. Dès 22h, les musiciens prennent place : ce soir,
c’est Claude Tissendier (cl, as) avec sa formation Swingologie, qui
nous régale d’un hommage aux années 30. Avec les excellents
Jérôme Etcheberry (tp), Gilles Rea (g), Jean-Pierre Rebillard (b)
et Alain Chaudron (dm), le quintet nous offre deux heures de George
Gershwin, Cole Porter, Artie Shaw, Eroll Gardner, Doris Day, Louis
Armstrong et même des Platters (langoureux « Smoke Gets in
Your Eyes » ). La lumière est tamisée, le swing est bon, on
déguste un café et malgré la taille de l’endroit, on a la
sensation de passer une soirée entre amis, dans un salon, en petit
comité, à goûter à une douceur de vivre d’antan qui ne se
rencontre plus si souvent.
C’est que le maître des lieux sait
soigner ses hôtes. Cette ancienne buvette, devenue hôtel-restaurant
d’exception, vit depuis trois générations de la passion de ses
créateurs, et profite du goût en matière de jazz de Philippe
Cazaudehore, héritier du domaine qui y organise des soirées de
concert – dites soirées « Jazzaudehore » – depuis
près de quinze ans, à raison d'une fois ou deux par mois. C'est que
Philippe Cazaudehore nourrit une vraie passion pour le jazz d’avant
les années 50 mais également un amour particulier pour le swing de
Django. Il partage ainsi ses coups de cœur à travers un sélection
éclectique. « Les soirées Jazzaudehore, c’est ma
récompense du mois » nous confiait un habitué. On souhaite
que ces belles nuits durent encore (au moins) quinze ans !
Opale Crivello (texte et photos)
Paris en clubs Octobre 2014Le 3 octobre, Jacques Vidal
revisitait l'histoire du jazz au Petit Journal Montparnasse (Paris
14e) dans le cadre de soirées thématiques présentées par le
journaliste Lionel Eskenazi. Ce soir-là, le contrebassiste,
accompagné d'Isabelle Carpentier (voc), Gilles Clément (g) et
Xavier Desandre-Navarre (perc, dm), voyageait dans le pays de la
bossa nova et piochait dans le répertoire fondateur d'Antonio Carlos
Jobim pour lui rendre hommage et expliquer son rôle et sa place dans
l'histoire. L'exercice n'en reste pas moins difficile. Esnekazi,
assis, retrace sur un ton légèrement professoral le parcours du
musicien brésilien. Quand il a fini son exposé, les musiciens
illustrent le propos. Et c'est grâce au talent de ces formidables
musiciens, tous épris de cette musique brésilienne, que la beauté,
la finesse et l'élégance des mélodies de Jobim ont pu être
partagées à un public conquis. MP
Cette année, le saxophoniste Hal
Singer fête ses 95 ans. A cette occasion, Steve Potts (s)
organisait le 5 octobre un concert anniversaire au Théâtre
des Ateliers du Chaudron (Paris 11e) avec Alain Jean-Marie (p),
Darryl Hall (b) et Sangoma Everett (dm). Le chaudron était plein !
En plus de musiciens et autres amis et amateurs, il y avait Arlette,
sa femme, ainsi que l'une de ses filles et ses petits-enfants. Trois
générations de Singer en somme. Il n'a pas fallu longtemps pour que
le saxophoniste trouve ses marques. De Duke Ellington à Miles Davis,
Singer revisite le répertoire qu'il aime. Epaulé de musiciens
époustouflants, le saxophoniste, qui a jeté l'ancre à Paris à la
fin des années 1960, a joué et chanté un « Georgia on My
Mind » particulièrement poignant. Un musicien loin de prendre
sa retraite ! MP
S’il
existe un musicien capable de relever le gant d’un hommage à Art
Blakey, c’est bien Ralph Peterson, le seul batteur à avoir joué
avec le maître au sein de son big band à deux batteries. La venue
de son groupe Messengers Legacy le 14 octobre au Petit Journal
Montparnasse était donc un événement qui n’a pas failli à ses
promesses. Dès « One by One », le ton était donné avec
la hargne et le drive collectif reconnaissable entre tous. Ralph
Peterson fait le maître de cérémonie et démontre qu’il est à
la fois capable de jouer la musique d’Art Blakey et de le faire à
sa manière (même ses press rolls sont différents !).
Sur « Children of the Night », « Pensativo »
ou une ballade magnifiquement interprétée par Bill Pierce (« My
One and Only Love »), les anciens Messengers Brian Lynch (tp),
Craig Handy (as, le seul à n’avoir pas été un membre
« officiel »), Bill Pierce (ts), Donald Brown (p) Essiet
Okon Essiet, (b) ont montré toute leur fraîcheur vigoureuse et leur
spontanéité dans un langage qui est une seconde nature pour ces
grandes personnalités du jazz contemporain. Une soirée d’une
tonicité fabuleuse par des interprètes percutants –
du concentré de jazz. JS
Le
21 octobre, au Duc des Lombards, la grande Carmen Lundy (voc)
présentait le répertoire de son dernier album, Soul to Soul,
avec Patrice Rushen (p, clav, voc), Darryl Hall (ac b, elec b),
Jamison Ross (dm, voc). Dans une veine r’n b un peu 80s’, les
grooves sont puissants (le tandem Darryl Hall / Jamison Ross est
d’une densité rythmique !) et la vocaliste, toujours
magnifique de lyrisme et de sincérité, a montré son visage le plus
funky sur des compositions de qualité. C’est une déclinaison de
son univers moins ancrée dans le jazz mais qui montre justement que
sa personnalité est d’une grande musicalité, quel que soit le
contexte. SB
Le
21 octobre au Sunside, la visite d’Al Foster (dm) permit d’entendre
son beau quartet, producteur d’un jazz classique et agressif,
inspiré et lyrique qui fait songer au quartet de Roy Haynes pour sa
façon de solliciter le talent de musiciens à la fois jeunes et déjà
aguerris. Avec Adam Birnbaum (p) et le solide Doug Weiss (b), la
rythmique tourne rond. On note la belle sonorité d’un Tivon
Pennicott (ts, ss) encore un peu tendre et parfois submergé par le
charisme du leader et son jeu subtil, coloré, trépidant. JS
L’étonnante
René Marie (voc) était au Duc des Lombards le 27 octobre pour une
belle prestation avec un Kevin Bales (p) omniprésent, Elias Bailey
(b), Quentin Baxter (dm) –
belle rythmique prête à se déchaîner dès qu’un solo se
présente. Malgré une certaine inventivité dans les arrangements,
le répertoire est peut-être le point faible de René Marie :
« White Rabbit » de Jefferson Airplane, « C’est
si bon » ou « My Heart Belongs to Daddy »
permettent beaucoup moins à la vocaliste de s’exprimer que le
blues et le swing. Les climats constamment changeants et les
maniérismes ont tendance à masquer toutes ses grandes qualités
vocales. Elle est en revanche fort agréable sur le plan scénique,
avec une aisance remarquable. Une chanteuse très talentueuse mais
qui gagnerait à mettre en valeur ses points forts plutôt que de
vouloir tout exprimer en un seul morceau. SB
Sarah Berrurier et Jean Szlamowicz
Paris en clubs Août -Septembre 2014
Le
6 août au Sunside, Peter King (as) rencontrait Alain Jean-Marie (p),
tous deux accompagnés de Duylinh Nguyen (b) et Andréa Michelutti
(dm). Le Britannique, d'une sensibilité à fleur de cuivre, a une
fois de plus fait montre de sa finesse et de sa maîtrise. On
retiendra notamment une longue et belle improvisation en solo sur
« Lush Life », le saxophoniste jouant à faire apparaître
et disparaître le thème, tel un prestidigitateur. Le dialogue avec
Alain Jean-Marie (alter ego idéal) était superbe. JPAffiche
inédite au Caveau de la Huchette, le 8 août : l'ami Philippe
Duchemin (p, en trio avec les frères Le Van) avait ramené dans ses
valises un étonnant multi-instrumentiste, David Goloschokin, par
ailleurs responsable d'un grand club de jazz à Saint-Pertersbourg.
Alternant le violon (« Perdido », « Les Moulins de
mon cœur » et le bugle (« Misty ») le Russe –
par ailleurs excellent showman – a fait forte impression. JP
C'est
un rendez-vous habituel au mois d'août à la Huchette que la venue
de Gary Wiggins (ts, as, ss). Il était, le 13, entouré de Serge
Rahoerson (p), Brahim Haouani (b) et Didier Dorise (dm). Si on a
apprécié son bon gros son de ténor sur le blues, le saxophoniste
nous a révélé une nouvelle facette, celle du chanteur, découvrant
une voix de crooner sur « Cheek to Cheek », « Bye
Bye Blackbird » ou encore « Misty ». Beaucoup de
jeunes (et excellents) danseurs étaient sur la piste ce soir-là. La
nuit n'en fut que plus joyeuse. JP
Exceptionnel
concert au Sunside le 5 septembre du grand Harold Mabern (p) avec son
beau trio, John Webber (b) et Joe Farnsworth (dm). Mabern possède un
très bel univers, superbe synthèse stylistique de McCoy Tyner et de
Memphis, de l’église et du jazz des années soixante. Cette
originalité vigoureuse est redoublée par le choix d’un répertoire
hors norme, pour ne pas dire étrange puisqu’il passe sans
sourciller du « Mexican Hat Dance » à « Daahoud »
de Clifford Brown (joué en ballade !), de « Bye Bye
Baby » à « My Favourite Things » avant de conclure
sur un funk de Quincy Jones… Parfaitement suivi par des
accompagnateurs d’un haut niveau d’exécution, il déroule de
beaux accords puissants, évoque Erroll Garner, Tatum et Bud Powell
tout en restant avant tout lui-même. Une grande leçon de piano !
JS
Le
11 septembre, au restaurant La Girondine, se produisait le quartet
Opus 4 (Serge Camps, g, voc, Pierre Procoudine-Gorsky, g, Piotr
Sapieja, vln, Frank Anastasio, b), un groupe à la bonne humeur
communicative qui brasse un large répertoire allant de Django à la
chanson française, du swing aux mélodies tziganes, russes ou
yiddishs. Les quatre compères, faisant les chœurs sur « Take
the A Train », la pompe sur « Djangology » et
rigolant franchement sur « Les Cactus » de Dutronc, ont
donné un air de fête de village à la terrasse du bistrot
auvergnat, sis sur le pourtant très sérieux boulevard Arago. Une
partie du public, qui était venue pour écouter des chansons slaves,
a repris « Mamamama », « Tiomnaia nocht » ou
encore « Joulik » sur lesquelles Pierre Sesnek (g, voc),
dit Pitou, est venu faire le bœuf. Une musique éclectique,
généreuse, sans prétention, mais qui se marie tellement bien avec
les rires, les émotions et les verres de rouge. JP
Au
Duc des Lombards, le 13 septembre, Donald Brown (p), Darryl Hall (b),
Kenneth Brown (dm) ont magnifiquement fait résonner les accents d’un
jazz moderne et classique à la fois, toujours sincère dans sa prise
de risques. Par sa fantaisie inspirée et ses monkismes
post-coltraniens, Donald Brown fait parfois songer à Kirk Lightsey
(qui se trouvait dans la salle, quel hasard). Il aborde « Quiet
Nights » avec un romantisme décalé, voire décousu qui fait
également merveille sur « Holding Hands » de Mulgrew
Miller. N’oublions pas qu’il fait partie avec les deux pianistes
susmentionnés d’un groupe de musiciens parmi les plus inventifs et
les plus singuliers de notre époque. Belle découverte en ce qui
concerne Kenneth Brown qui conjugue puissance, finesse et écoute.
Sur « Freddie Freeloader », churchy, tonique et
hargneux, Darryl Hall a pris un solo bien à sa manière, conjugaison
d’évidence mélodique et de swing d’une grande intensité. Un
beau trio, une musique pure et dense. JS
Brisa
Roché (voc) qui a promené, dans les années 2000, sa silhouette et
sa voix singulières dans les clubs parisiens, avant de s’orienter
vers la pop puis de quitter Paris fin 2013, opérait le 19 septembre
un retour sur la scène jazz, dans un ancien cabaret du 6e
arrondissement, L’Alcazar. Joliment accompagnée de Philippe
Milanta (p) et Jeff Hallam (b), a repris avec bonheur son répertoire
dans l’esprit Billie Holiday : « Moonglow » pu
encore un « Gloomy Sunday » qu’on a réentendu avec
plaisir. Certains morceaux en fin de concerts furent un peu plus
enlevés, comme « I Hear Music ». De belles retrouvailles
qu’on souhaite voir prolonger. JP
Le
21 septembre, Paddy Sherlock (tb, voc, g) entamait sa 19e
saison au Coolin. Une saison qui devrait malheureusement se terminer
fin décembre car le pub est promis à la fermeture. En attendant, la
fête a battu son plein, emmené par un groupe renouvelé : Jeff
Hoffman (g) qui a – au sens propre – électrisé l’ambiance,
Gerard McFaden (b), Marty Vickers (dm) et Jean-Philippe Nader (perc).
Sur le premier set, très blues, la guitare d’Hoffman a donné du
relief aux compositions de Paddy (« Second Line »,
« Twice a Man »). En grande forme, ce dernier a démontré
une fois de plus ses qualités de showman. Le deuxième set a
accueilli plusieurs invités : la talentueuse Suédoise Ellen
Birath (voc, qui alterne avec Paddy au Coolin un dimanche sur deux)
pour un duo blues énergique, suivi d’un très enlevé « Bei
Mir Bistu Shein » ainsi que plusieurs instrumentistes :
Adélaïde Songeons (tb), Larry Browne (tp), Tuesday Warren (ts) et
Jake Weinsoff (vln) qui ont donné de belles couleurs à « Caravan »
ou encore à « You Deny Me », autre composition
sherlockienne. Cabot comme pas deux, Paddy n’a pas manqué de se
rapprocher de quelques jolies spectatrices notamment pour leur
susurrer son fameux « Ooh la la Paddy ». Fun, fun, fun !
JP
Jérôme Partage et Jean Szlamowicz
Paris en clubs Juin - Juillet 2014
Le Petit Journal Montparnasse accueillait le 4 juin,
Denise King (voc), accompagnée pour l’occasion par le trio de Tony
Match (dm, Chris Culpo, p, Peter Giron, b). En attendant la soliste,
qui se fait désirer, Tony et ses complices nous mettent en appétit
avec « Days of Wine and Roses » et « Wave ».
Puis arrive Denise, et le spectacle prend une toute autre tournure.
Sans jamais oublier les excellents musiciens qui l’accompagne, et à
qui elle laisse toute la place pour s’épanouir par de longs solos,
elle interprète des titres comme « Skylark »,
« Cherokee », « When I Fall in Love »,
« Stolen Moments » ou encore le superbement incarné
« Song for My Father. » Le trio nous offre un « All
Blues » et un « Caravan » remarquables. Mais c’est
avec « Watermelon Man » que le public sort enfin de sa
réserve. Des gens se lèvent et dansent ; Denise, expansive et
déchaînée, passe entre les tables. Portée par sa voix, sublimée
par son charisme, transcendée par ses musiciens, elle n’a de
toutes façons pas besoin de micro pour faire honneur aux chansons
qu’elle interprète. Elle aime danser, et c'est sous les
applaudissements à tout rompre de son public qu’elle et ses
acolytes quittent la salle. Une excellente soirée ! OC
Le
23 juin, Cyrille Aimée (voc) est venue présenter son dernier opus,
It´s a Good Day, sur la scène du Duc des Lombards,
accompagnée d'Adrien Moignard (elg), Michael Valeanu (acg), Sam
Anning (b) et Rajiv Jayaweera (d). Elle a dévoilé un répertoire
séduisant : un « Love Me or Leave Me » à la sauce
gitano-guinguette, une version jazzy de « Off the Wall »
de Michael Jackson, un « Caravan » "reinhardtisé"
et des compositions plus personnelles, qui relèvent davantage
de la pop (« Nuit blanche », accompagnement au
youkoulélé) ou de la world music (« One Way Ticket »,
avec bol tibétain). Un show bien huilé (Cyrille, qui vit à New
York fait le métier "à
l'américaine"),
un peu trop, sans doute. OC
Le 26 juin, à la péniche
L’Improviste, Michel Pastre (ts) a démontré son enthousiasme
poétique, sa tonicité rauque entre Hawkins et Lester. Avec l’agile
Louis Mazetier (p), le solide Pierre Maingourd (b) et l’impeccable
Stan Laferrière (dm), Michel Pastre a joué avec les tripes et la
musicalité qu’on lui connaît, traversant « On the Alamo »
avec finesse, s’étirant avec sensualité sur « I Got It
Bad ». un musicien puissant auquel le quartet va comme un gant.
JS
Au Duc des Lombards, le 1er juillet,
Lalah Hathaway (voc) a fourni un superbe show R'n'B intimiste. Avec
deux choristes, Jason Morales et Vula, et un groupe compact, le
groove était permanent. Sans démonstration vocale racoleuse, elle a
mis en valeur ses qualités de chaleur et de sensibilité, terminant
son set sur un beau « Fly Away ». SB
L’événement
du mois a eu lieu à L’Improviste, le 2 juillet, avec la réunion –
concoctée par l'association Spirit of Jazz – de Ricky Ford (ts),
Tom McClung (p), Peter Giron (b) et Doug Sides (dm). Unis autour de
la musique de Mingus (« Reincarnation of a Lovebird »,
« Goodbye Porkpie Hat », « Orange Was the Color of
Her Dress »), survoltés par l’interaction, ils ont joué
avec la virulence des catastrophes naturelles. L’écoute mutuelle a
atteint ce soir-là des sommets d’énergie et d’invention
spontanées que la salle comble a accueilli avec les cris
d’enthousiasme des véritables événements. Lors du 2e
set, surprise historique : Jimmy Owens (tp) était dans la salle
et s’invite sur « Slop » et « Fables of Faubus ».
La vitalité de l’église, le lyrisme absolu de ce quartet
tonitruant a fait tangué la péniche. Un concert mémorable qui
s’est conclu sur un « Better Git Hit in Your Soul »
d’anthologie. MP
Kenny Wayne (p, voc) était
au Caveau de la Huchette, le 3 juillet, accompagné par les musiciens
de Drew Davis (ts). Originaire de l'état de Washington, le bluesman
vit à Vancouver (voir notre chronique dans Jazz Hot n°668).
S'inscrivant dans la tradition des pianistes-chanteurs du Sud des
Etats-Unis, bien qu'il ne soit pas issu de ce creuset, Kenny Wayne a
un sens du show certain, et pas seulement à cause de ses vestes et
chapeaux bariolés. Dans l'esprit de Fats Domino (dont il a
d'ailleurs repris « My Girl Josephine »), il a enchaîné
les morceaux avec rythme : « Blackberry Wayne »,
« Kansas City Here I Come » ou encore « Boogie
Woogie Mama ». Bien servi par l'orchestre, The Blues Boss a
démontré la vitalité et le plaisir partagé d'une musique
populaire : le blues ! JP
Le 4
juillet, le Duc des Lombards invitait Joey DeFrancesco.
L'organiste et trompettiste prodige, qui, à 43 ans, a déjà
enregistré plus de 30 albums, se produisait ce soir-là dans le
cadre du festival estival du club « Nous n'irons pas à New
York » en compagnie de Jeffrey Parker (g) et George Fludas
(dm). Deux heures de quasi-transe dans la tradition de Jimmy Smith et
Jack McDuff, où Joey DeFrancesco a déchaîné un groove qui a
laissé le public pantois. Et l'organiste de s'interrompre en instant
et de lancer à la cantonade : « Wow. You're so quiet ! »
avant d'éclater de rire. Reprenant pour l'essentiel des compositions
récentes issues de ses derniers albums, Joey DeFrancesco a oscillé
entre une maîtrise impressionnante de son instrument et une
spontanéité où la frontière entre composition et improvisation
reste très ténue. Un numéro virtuose. OC
Au Sunside,
le 8 juillet, Lenny Popkin (ts) s’est montré à la hauteur de sa
réputation de mélodiste subtil dans la lignée de Warne Marsh. Dans
un constant dialogue avec Gilles Naturel (b) et Carol Tristano (dm),
il a développé des lignes éthérées et lesteriennes, passant du
grave à l’aigu avec une conviction appliquée. Cette poésie
faussement nonchalante, intensément précise, lui a permis
d’explorer avec fraîcheur « I Remember You », « Out
of Nowhere », « You Don’t Know What Love Is » ou
« What’s This Thing Called Love ». Laissant s’exprimer
les lignes de basse qui forment comme un discours parallèle
permanent, glissant sur la batterie très retenue qui s’insinue
entre ses phrases, Lenny Popkin déploie son originalité énigmatique
et séduisante avec l’assurance d’un artiste sûr de son art.
JS
Le 10 juillet, le formidable Philadelphien Chris
McBride (b) était au Duc des Lombards avec Christian Sands (p) et
Rodney Green (dm). C’est un trio avec une pulse gigantesque, un
sens des nuances et de la montée en puissance dans la lignée de Ray
Brown et Oscar Peterson. Après « Frankie & Johnny »
et un solo d’une évidence absolue de McBride où il cite « SKJ »
avec un groove d’une aisance magique, « I Mean You »
fait monter l’intensité, tout comme « Hallelujah Time ».
Beaucoup de naturel, de swing puissant et un remarquable Christian
Sands, synthèse de Bobby Timmons et de Mulgrew Miller étonnante.
Dans la salle, Jonathan Batiste et Fred Tuxx se sont régalés –
ils n’étaient pas les seuls. JS
Au Sunside, les 21
et 22 juillet, Mary Stallings (voc) a rappelé à ceux qui ont eu le
flair de se déplacer les fondamentaux du chant jazz. L’intensité
de son émotion, la subtilité bluesy de chaque nuance, les risques
acrobatiques de son interprétation ont été soutenus par les
magnifiques musiciens que sont Eric Reed (p), Darryl Hall (b) et
Mario Gonzi (dm). Originaire de San Francisco, elle a chanté avec
Cal Tjader les frères Montgomery, Dizzy Gillespie, Count Basie…
avant de se mettre en retrait pendant de longues décennies. Son
retour dans les années quatre-vingt-dix auprès de Gene Harris,
Monty Alexander ou Harry Sweets Edison a rappelé tout son talent
mais c’est avec Eric Reed qu’elle semble avoir trouvé l’alchimie
qui rend véritablement justice à sa voix et à sa sensibilité. Le
talent orchestral d’Eric Reed, son sens du blues et sa finesse
trouvent à s’exprimer avec toute l’authenticité artistique
qu’il mérite. L’interaction intimiste avec Mry Stallings
témoigne d’un art de la précision sans filet qui est passionnant
pour l’auditeur. Le duo entre Darryl Hall (b) et la vocaliste sur
« Centerpiece » fut égalment un moment de grande
musicalité. Mario Gonzi (dm) s’est montré d’une écoute
remarquable pour mettre en valeur des moments de pure émotion comme
« All Night Long », « The Thrill is Gone » ou
« Yesterdays ». Mais les ballades n’ont pas été les
seuls moments intenses car le swing de « I Got the World on a
String » ou le lyrisme de « Moment to Moment » de
Mancini montrent bien tout l’art de l’interprétation dont Mary
Stallings est capable. Une vocaliste à redécouvrir absolument !
JS
Sarah Berrurier, Opale Crivello, Mathieu Perez, Jean Szlamowicz
Ronald Baker Quintet Parc du Château de Senlis, Senlis (60), 1er juin 2014
Le 1er juin, à Senlis, au Parc du Château
Royal et à l'instigation de Spirit of Jazz Association, Ronald Baker (tp, voc) a magnifiquement démontré ses talents
de leader, et son aptitude au dialogue avec son superbe quintet
composé de Jean-Jacques Taïb (ts, cl), Alain Mayeras (p), David
Salesse (b) et Jeff Boudreau (dm). Dans le registre pur bop sur
« Endless Story », avec le funk second-line sur
« Tom’s Delight », en crooner sur « I Love You
for Sentimental Reasons », Ronald Baker sait jouer de la
variété des ambiances, mettre le feu ou jouer sur la subtilité (un
« L-O-V-E » avec un swing léger). En deuxième partie, Ronald Baker est venu donner la
réplique au big band de Senlis dirigé par l’excellent Thierry
Grimont pour un beau set tonique et où le partage a été au
rendez-vous. Une splendide après-midi façon jazz in the park.
Sarah Berruier
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Bud Powell à Edenville (1964-2014)
Un hommage à Bud Powell - Edenville-Jullouville, Manche - 7, 8 et 9 août 2014
L’histoire commence à Granville à l’été 1963 autour d’une bande de copains: Pierre Guillon (contrebassiste) Jacques Gervais (guitariste et contrebassiste) et Guy Hayat (batteur) créent sur le port de pêche un petit club de jazz pour nourrir leur passion du jazz moderne. Le Casino municipal soucieux de garder son monopole voit d’un mauvais œil cette initiative. La bande, un poil dépitée, trouve asile à l’autre extrémité de la baie, à Carolles. Ainsi débute l’aventure à l’hôtel des Falaises d’Edenville.
L’été 64, Roger Guerrier, cogérant de l’établissement, annonce à ses hôtes musiciens l’arrivée d’un invité prestigieux… Début août, Francis Paudras débarque en Triumph TR3 avec ni plus ni moins qu’un objet de culte: Bud Powell.
Passé le choc, la rythmique maison se met au diapason du maestro pour le plus grand bonheur des mélomanes qui n’en croient ni leur yeux ni leurs oreilles. Rapidement, le trio est rejoint par Johnny Griffin, Art Taylor et des fans tel Jean-Luc Ponty venu en voisin d’Avranches, sa ville natale. Eddy Louiss se pointe en Porsche. S’en suivront des soirées mémorables dans l’intimité du petit club conçu par Roger Guerrier.
50 ans plus tard, en ce mois d'août 2014, la bande non moins joyeuse du «Bec de Jazz», situé il y a peu sur un bout de dune face au Mont Saint-Michel, vient rafraîchir ces moments exceptionnels. Hervé Hec, pharmacien et pianiste, pilote les cérémonies, secondé par l’artiste-graphiste «Bon Esprit» Daniel Jan à la batterie. Granville n’est pas en reste avec la présence de Stéphane Dumont aussi présent à la flûte qu’au piano. D’Avranches, Jean-Pierre Poirier autre acteur de la baie débarque avec sa guitare… tandis que Wayne Dockery sort de sa villégiature entre deux engagements avec Archie Shepp ou Antonio Farao.
Trois soirs durant il y aura une succession d’échanges autour du brillant pianiste David Garcia basé dans l’Orne voisine. Chaque session débute par «Boucing With Bud» tel un indicatif et apporte de nouvelles couleurs. Cyrille Froger fait briller son chant et son piano. Eddy Charni dialogue en contrebasses avec son mentor Wayne Dockery sur «Footprints». Samuel Belhomme se distingue au buggle avec l’indispensable animateur-batteur Jean-Benoit Culot et son disciple le saxophoniste Nicolas Leneveu. Difficile de citer tous les improvisateurs qui se succèdent sur le podium des Falaises … dont le trompettiste Mathieu Desthomas.
Point d’orgue : Emmanuel Bex (Eddy Charni, contrebasse, Jean-Marc Demenil et Jean-Victor Debaer, batterie) dans une intervention fulgurante a fait déclamer l’auditoire tel un « Love Supreme » dédié à Bud Powell. Intriguée par l’annonce de l’hommage à Bud Powell, une famille en vacances s’est invitée dans l’aventure. La Sergent Family au complet, dont la fille Clara (tout juste titulaire du baccalauréat) a fait sensation au piano puis au chant.
Tout au long de ces jams rares générées par l’hospitalité du patron des Falaises, Gilles Baron et l’énergie des Piroumanes, à mentionner l’omniprésence du bassiste Olivier Dupuis et celle du singulier batteur Jean-Victor Debaer. Hervé Hec et Daniel Jan, en infatigables agitateurs, perpétuent la trace initiée à Granville en 1963. Spontanéité, économie de moyens, sens aigu de la convivialité musicale se conjuguent encore pour que vivent les instants toniques du swing dans la baie. Rendez-vous en août 2015 à Edenville!
Josephine Pannard Photos Laurent Gasnier by courtesy of Laurent Gasnier et Christian Ducasse http://piroumanes.blogspot.fr/
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